Chapeau
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22. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause A. Sàrl contre Département du territoire de la République et canton de Genève, Office cantonal de l'agriculture et de la nature (OCAN) (recours en matière de droit public)
2C_397/2023 du 24 mai 2024
Regeste
Art. 49 al. 1 et art. 77 Cst.;
art. 699 CC;
art. 14 LFo; art. 19 al. 1 LForêts/GE; art. 23 al. 3 RForêts/GE; principe de la primauté du droit fédéral; soumission à autorisation ponctuelle préalable de parties de lasergame en forêt.
Principe de la primauté du droit fédéral au sens de l'art. 49 al. 1 Cst. (consid. 4.1). Présentation des bases légales constitutionnelles, fédérales et cantonales applicables (consid. 4.2-4.5).
La soumission de l'organisation de parties de lasergame en forêt à autorisation ponctuelle préalable ne viole pas le principe du libre accès à la forêt garanti par l'art. 14 al. 1 LFO (consid. 4.6).
L'art. 23 al. 3 let. f RForêt/GE, qui prévoit que les jeux de combat et/ou l'utilisation de projectiles sont considérés comme de "grandes manifestations", et donc soumis à autorisation en application de l'art. 19 al. 1 LForêts/ GE, ne viole pas l'art. 14 al. 2 let. b LFo (consid. 4.7).
En outre, qualifier le lasergame de "jeu de combat" ne va pas non plus au-delà de ce que permet l'art. 14. al. 2 LFO (consid. 4.8).
Rejet du grief de la violation du principe de la primauté du droit fédéral (consid. 4.9).
Faits à partir de page 214
A. A. Sàrl, inscrite au registre du commerce du Bas-Valais, a son siège à U. et pour associé B. Son but est "la fourniture de services, tels que jeux, lasergames, animations, organisations de manifestations ainsi que le commerce, l'entretien, la réparation et la formation, également représentation et commerce de produits liés à l'informatique, l'électricité, la domotique et aux systèmes d'alarme, toutes activités commerciales et industrielles dans le sens le plus large".
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A.C. est une entreprise individuelle inscrite au registre du commerce du canton de Genève, exploitée par C. et ayant pour but "les activités de lasergame, organisation d'anniversaires, sorties scolaires, camps de vacances, enterrements de vie de célibataire".
Le 19 mai 2021, C. a demandé à l'Office cantonal de l'agriculture et de la nature de la République et canton de Genève (ci-après: l'Office cantonal) une autorisation permanente valable pour les espaces forestiers du canton de Genève pour pratiquer un lasergame innovant à infrarouge. Le 4 juin 2021, l'Office cantonal a indiqué que cette activité ne pouvait pas être autorisée sur l'ensemble des forêts du canton.
Le 4 juin 2021, B. a répondu à l'Office cantonal, en sa qualité de fondateur de la marque "A." et ayant déjà ouvert plusieurs succursales en Suisse. Il souhaitait obtenir des précisions.
Le 11 juin 2021, la sous-commission de la flore de la commission consultative de la diversité biologique (ci-après: la sous-commission de la flore), consultée par l'Office cantonal, a estimé que l'activité devait être soumise à autorisation et restreinte à des secteurs définis.
Le 18 juin 2021, l'Office cantonal a indiqué à B. qu'il considérait l'activité comme apparentée à un jeu de combat au sens de la législation genevoise. Une demande formelle d'autorisation devait être déposée 30 jours au moins avant une manifestation.
B. Le 16 août 2021, A. Sàrl a contesté que l'activité fût soumise à autorisation, celle-ci n'étant pas un jeu de combat et le nombre de joueurs étant limité à 30. Selon elle, une autorisation-cadre fixant les conditions de mise en oeuvre des parties serait suffisante pour aboutir au même but. Il a sollicité une décision motivée sujette à recours.
Le 29 septembre 2021, l'Office cantonal a rendu une décision, concluant en substance que l'activité possédait de nombreuses caractéristiques du jeu de combat de sorte qu'elle était soumise à autorisation préalable et ponctuelle.
Par acte du 5 novembre 2021, A. Sàrl a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal de première instance), lequel a rejeté le recours le 20 octobre 2022.
Le 21 novembre 2022, A. Sàrl a recouru contre ce jugement auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République
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et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice), qui a rejeté le recours, par arrêt du 6 juin 2023.
C. A. Sàrl dépose un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt de la Cour de justice, concluant à son annulation et à sa réforme en ce sens que l'activité proposée par A. Sàrl n'est pas soumise à autorisation. Subsidiairement, elle conclut à la réforme de l'arrêt cantonal en ce sens que son activité peut être déployée dans le canton sous certaines conditions, précisément décrites.
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.
(résumé)
Extrait des considérants:
4. Dans un premier grief, la recourante se plaint d'une violation du principe de la primauté du droit fédéral prévu par l'
art. 49 al. 1 Cst. En substance, elle prétend que l'application à son activité des règles cantonales, soit de l'
art. 23 al. 3 let. f du règlement d'application du 18 septembre 2019 de la loi sur les forêts du canton de Genève (RForêts/GE; rs/GE M 5 10.01), violerait le principe du libre accès à la forêt prévu par le droit fédéral (
art. 699 CC et 14 al. 1 de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur les forêts (LFo; RS 921.0), d'une part, ainsi que la réglementation fédérale en matière d'organisation de grandes manifestations en forêt (
art. 14 al. 2 LFo), d'autre part.
4.1 Selon l'
art. 49 al. 1 Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Le principe constitutionnel de la primauté du droit fédéral fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en oeuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive (
ATF 148 II 121 consid. 8.1;
ATF 146 II 309 consid. 4.1;
ATF 145 I 183 consid. 5.1.1).
Le Tribunal fédéral examine librement la conformité d'une règle de droit cantonal au droit fédéral lorsqu'il est appelé à revoir cette question au regard du grief de la violation de l'
art. 49 al. 1 Cst. (
ATF 147 III 351 consid. 6.1.1;
ATF 144 I 113 consid. 6.2;
ATF 143 I 352 consid. 2.2).
4.2 La Constitution fédérale prévoit, à son art. 77, que la Confédération veille à ce que les forêts puissent remplir leurs fonctions protectrice, économique et sociale (al. 1). Elle fixe les principes
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applicables à la protection des forêts (al. 2). Elle encourage les mesures de conservation des forêts (al. 3). L'alinéa 1 de cette disposition fixe les objectifs globaux de la Confédération en matière de gestion des forêts. Quant à l'alinéa 2, il attribue à la Confédération une compétence concurrente limitée aux principes, en matière de protection des forêts (ABT/NORER/WILD/WISARD, in WaG, Kommentar zum Waldgesetz, LFo, Commentaire de la loi sur les forêts, 2022, n° 17 ad Einleitung/Introduction; HANS-PETER JENNI, in WaG, Kommentar zum Waldgesetz, LFo, Commentaire de la loi sur les forêts, 2022, n° 49 ad Vor
Art. 1 LFo; THIERRY LARGEY, in Commentaire romand, Constitution fédérale, 2021, n
os 16 ss et 20 ss ad
art. 77 Cst.).
4.3 Sur le plan fédéral, tant la législation en matière de droit privé que celle en matière de droit public contiennent des dispositions susceptibles de concerner la problématique du libre accès à la forêt, respectivement celle de la soumission à autorisation de certaines activités en forêt.
4.3.1 L'
art. 699 al. 1 CC prévoit que chacun a libre accès aux forêts et pâturages d'autrui et peut s'approprier baies, champignons et autres menus fruits sauvages, conformément à l'usage local, à moins que l'autorité compétente n'ait édicté, dans l'intérêt des cultures, des défenses spéciales limitées à certains fonds. Selon l'alinéa 2, la législation cantonale peut déterminer la mesure en laquelle il est permis de pénétrer dans le fonds d'autrui pour la chasse ou la pêche.
L'
art. 699 CC constitue une double norme en ce sens que, en tant que disposition de droit privé, il régit les relations entre les particuliers et, en tant que disposition de droit public, il habilite les autorités à veiller d'office au libre accès aux forêts et pâturages (cf.
ATF 141 III 195 consid 2.3;
ATF 106 Ib 47 consid. 4a; Message du 29 juin 1988 concernant la loi fédérale sur la conservation des forêts et la protection contre les catastrophes naturelles, FF 1988 III 157, 181 s.; ROGER ZUFFEREY, Aspects juridiques des activités de loisirs et de détente en forêt, in Droit de l'environnement dans la pratique, 2010, p. 337, 341; HANS-PETER JENNI, Vor lauter Bäumen den Wald doch noch sehen: Ein Wegweiser durch die neue Waldgesetzgebung [ci-après: Wald], in Schriftenreihe Umwelt 210, 1993, ad art. 14 p. 48).
En outre, cette disposition laisse la possibilité aux cantons de restreindre plus largement le droit d'accès au moyen de dispositions de police, par exemple pour protéger la nature ou pour d'autres motifs de police (cf.
ATF 122 I 70 consid. 5.a et références).
4.3.2 La loi fédérale sur les forêts a été adoptée le 4 octobre 1991. Son but est double: outre la protection contre les catastrophes naturelles (
art. 1 al. 2 LFo), cette loi vise à assurer la conservation des forêts (
art. 1 al. 1 LFo). La conservation des forêts doit être comprise comme une tâche étatique d'intérêt public, rappelant l'
art. 77 Cst. (FF 1988 III 157, 163; ROLAND NORER, in WaG, Kommentar zum Waldgesetz, LFo, Commentaire de la loi sur les forêts, 2022, n° 11 ad
art. 1 LFo).
Selon l'art. 14 al. 1 LFo, les cantons veillent à ce que les forêts soient accessibles au public. L'art. 14 al. 2 LFo précise que si la conservation des forêts ou un autre intérêt public l'exigent, par exemple la protection des plantes ou d'animaux sauvages, les cantons doivent limiter l'accès à certaines zones forestières (let. a) et soumettre à autorisation l'organisation de grandes manifestations en forêt (let. b). L'art. 14 LFo est une norme de droit fédéral directement applicable (ARNOLD MARTI, in Die schweizerische Bundesverfassung, St. Galler Kommentar, 4e éd. 2023, n° 9 ad art. 77 Cst.). Cette disposition donne, d'une part, le mandat aux cantons de veiller à ce que les forêts soient accessibles, ce qui implique le devoir d'empêcher ou de faire disparaître les limitations de l'accès à la forêt, par exemple par des clôtures ou barrières (cf. 14 al. 1 LFo); d'autre part, elle comprend une obligation de protéger la forêt contre une utilisation excessive par l'homme. Pour atteindre ce but, l'art. 14 al. 2 LFo délègue notamment aux cantons la compétence de limiter l'accès à la forêt à condition que le but de conserver la forêt ou un autre intérêt public l'exige. C'est dans ce contexte que les cantons doivent soumettre l'organisation de grandes manifestations à autorisation (cf. RUDIN/ VONLANTHEN-HEUCK, in WaG, Kommentar zum Waldgesetz, LFo, Commentaire de la loi sur les forêts, 2022, nos 4 et 28 ad art. 14 LFo).
En outre et d'une manière générale, la LFo prévoit que les cantons exécutent la loi et édictent les dispositions nécessaires (art. 50 LFo). La LFo est ainsi conçue comme une loi cadre qui s'impose aux cantons (cf. JENNI, Wald, op. cit., p. 20).
4.4 Au vu de ce qui précède, il ressort tant de l'
art. 77 al. 2 Cst. que du droit fédéral (
art. 50 LFo en général;
art. 14 al. 2 LFo et
art. 699 CC en particulier) que la protection des forêts ne constitue pas un domaine que la législation fédérale règle de manière exhaustive.
Quant à l'
art. 699 al. 1 CC, il ne va pas au-delà de la LFo. En effet, l'
art. 14 al. 1 LFo reprend et précise l'aspect de droit public inhérent à cette disposition (cf. supra consid. 4.3.1) et en constitue en ce sens
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une lex specialis, pour ce qui est de son contenu de droit public (RUDIN/VONLANTHEN-HEUCK, op. cit., n° 47 ad
art. 14 LFo). En outre, on ne voit pas, et la recourante ne l'indique pas, en quoi la composante relevant du droit privé serait en l'espèce concernée. Au vu de ces éléments, l'
art. 699 CC n'a pas de portée propre à restreindre le droit cantonal au-delà de l'
art. 14 LFo.
4.5 Dans le canton de Genève, la loi sur les forêts a été adoptée le 20 mai 1999. Cette loi a entre autres pour buts d'assurer la protection du milieu forestier, notamment en tant que milieu naturel, ainsi que d'exécuter et de compléter la loi fédérale sur les forêts et son ordonnance d'exécution (art. 1 al. 1 let. a et d LForêts/GE).
Dans sa teneur actuelle, la loi cantonale postule, comme principe, le libre accès aux forêts (cf. art. 17 al. 1 LForêts/GE). Des exceptions sont toutefois possibles. Notamment, l'art. 19 LForêts/GE prévoit que les grandes manifestations sont soumises à autorisation (art. 19 al. 1 LForêts/GE), l'accord des propriétaires touchés et des autres départements étant réservé (art. 19 al. 2 LForêts/GE).
L'art. 19 al. 1 LForêts/GE est concrétisé par l'art. 23 du règlement genevois d'application de la loi sur les forêts qui prévoit que, de manière générale, les manifestations ne sont pas autorisées pendant les périodes de reproduction de la faune et dans toute partie de forêt servant de refuge à la faune (al. 1). L'art. 23 al. 3 RForêts/GE précise que, par grande manifestation, il faut entendre tout rassemblement de caractère organisé comportant au moins l'un des éléments suivants: (a) présence de plus de 50 personnes; (b) utilisation de voies de communication imposant des restrictions pour les tiers; (c) mise en place d'installations temporaires, telles que tente, caravanes, buvette ou WC; (d) installation d'un système d'éclairage ou d'amplification de son; (e) durée supérieure à 5 jours (préparatifs et remise en état du terrain y compris); (f) jeux de combat et/ou utilisation de projectiles; (g) activité cynologique réunissant plus de 10 chiens non tenus en laisse. En outre, l'autorisation doit être requise un mois au moins avant l'échéance (cf. art. 23 al. 4 RForêts/GE).
4.6 La recourante soutient tout d'abord que la décision attaquée, qui soumet l'activité de lasergame en forêt à autorisation préalable ponctuelle sur la base des art. 19 al. 1 LForêts/GE et 23 al. 3 let. f RForêts/ GE, viole le principe du libre accès à la forêt consacré par les
art. 699 CC et 14 al. 1 LFo et est partant contraire au principe de la primauté du droit fédéral.
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Comme on l'a vu, la recourante ne peut rien tirer de l'art. 699 CC en l'espèce (cf. supra consid 4.4). En outre, le principe de l'accès à la forêt consacré par l'art. 14 al. 1 LFo n'est pas absolu; l'art. 14 al. 2 LFo impose en effet aux cantons de limiter l'accès à certaines zones forestières respectivement de soumettre à autorisation l'organisation de grandes manifestations en forêt lorsque la conservation de la forêt ou un autre intérêt public l'exige (cf. supra consid. 4.3.2 et 4.4). La soumission, en tant que telle, du lasergame en forêt à autorisation ne va ainsi pas à l'encontre du principe du libre accès à la forêt, tel que prévu par le droit fédéral. Sous cet angle, l'art. 49 Cst. n'est pas violé.
4.7 La recourante invoque ensuite que l'
art. 23 al. 3 let. f RForêts/GE, en tant qu'il prévoit que les jeux de combat et/ou l'utilisation de projectiles sont considérés comme une grande manifestation, et donc soumis à autorisation en application de l'art. 19 al. 1 LForêts/GE, viole l'
art. 14 al. 2 let. b LFo car il va au-delà de la notion de grande manifestation figurant à cette disposition.
Il convient donc de se demander si la soumission à autorisation des jeux de combat, avec ou sans projectiles, d'après l'art. 23 al. 3 let. f RForêts/GE, est conforme à l'art. 14 al. 2 LFo.
4.7.1 L'
art. 14 al. 2 let. b LFo, norme de droit fédéral directement applicable, impose aux cantons de soumettre à autorisation l'organisation de grandes manifestations. Le but poursuivi est de protéger la forêt d'une sollicitation excessive par l'homme (cf. supra consid. 4.3.2).
Ni la LFo, ni le Message (FF 1988 III 157), ni l'ordonnance fédérale du 30 novembre 1992 sur les forêts (OFo; RS 921.91) ne contiennent de précision sur la notion de grande manifestation. Il résulte toutefois des débats parlementaires que l'ampleur d'une manifestation ne se mesure pas seulement au nombre de participants, mais aussi en fonction de la nature et de l'intensité des répercussions probables sur la forêt (BO 1991 CN 307 s.), ce que la doctrine confirme, usant des termes d'impacts prévisibles/attendus sur la forêt ou encore de potentiel d'atteinte (cf. RUDIN/VONLANTHEN-HEUCK, op. cit., n° 30 ad
art. 14 LFo; JENNI, Wald, op. cit., p. 49; ZUFFEREY, op. cit., p. 345 s.). En outre, le Message relatif à l'
art. 14 LFo précise ce qui suit: "comme l'usage local joue un rôle considérable, en particulier en ce qui concerne les manifestations tolérées en forêt, la compétence pour imposer des restrictions est déléguée aux cantons" (FF 1988 III 157, 182). Or, l'usage local qui définit dans quelle mesure le droit d'accès peut être exercé varie d'une région à l'autre (cf. JENNI, Wald, op. cit., p. 49;
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ZUFFEREY, op. cit., p. 342) de sorte que les cantons disposent d'une grande marge d'appréciation en la matière (cf. RUDIN/VONLANTHEN-HEUCK, op. cit., n° 30 ad
art. 14 LFo; JENNI, Wald, op. cit., p. 23).
Les cantons ont légiféré en adoptant dans la majorité des cas des dispositions précisant le terme de "grande manifestation" en fonction du nombre de personnes présentes et en fonction des impacts attendus de la manifestation sur les forêts, par exemple au regard de la période de l'année, de l'heure, du type de manifestation, de la dispersion des participants dans l'espace forestier, de l'intensité de l'utilisation de l'espace forestier, du bruit, de la durée ou encore de l'utilisation d'outils techniques (comme la lumière, des lasers ou un système d'amplification du son), etc. (cf. pour des exemples, RUDIN/VONLANTHEN-HEUCK, op. cit., nos 31 ss ad art. 14 LFo; JENNI, Wald, op. cit., p. 51).
4.7.2 Dans le canton de Genève, l'ancien art. 19 al. 1 de la loi sur les forêts prévoyait que toute manifestation en forêt - quelle qu'elle soit - était soumise à autorisation. En 2019, le législateur genevois avait proposé une modification de la LForêts/GE (projet de loi modifiant la loi sur les forêts déposé le 21 mars 2018, PL 12292), pour ne soumettre plus que les "grandes manifestations" à autorisation. Il s'agissait d'aligner la loi genevoise sur le droit fédéral (cf. exposé des motifs du projet de loi PL 12292). A la suite de l'adoption du nouvel art. 19 de la loi cantonale, l'art. 23 RForêts/GE a été modifié. Comme l'a relevé à juste titre la Cour de justice, cette dernière disposition met d'une manière générale en oeuvre l'
art. 14 al. 2 let. b LFo en ce sens qu'elle a pour but de prévoir une série de circonstances caractérisant la notion de "grande manifestation", en raison d'une pression accrue sur l'espace forestier, comme le nombre de participants, l'usage exclusif ou accru du territoire, la durée de la manifestation, mais aussi les effets externes particuliers (jeux de combat, projectiles, manifestations canines de plus de 10 chiens). Chaque critère de l'art. 23 al. 3 RForêts/GE a précisément pour but d'appréhender les rassemblements organisés dont l'ampleur ou la nature serait suffisamment significative pour représenter une grande manifestation au sens de l'
art. 14 al. 2 let. b LFo, soit en raison du nombre de participants (critère de la let. a), soit en regard de l'importance des impacts potentiels de l'activité sur les forêts (critères des let. b à g).
4.7.3 La let f. de l'art. 23 al. 3 RForêts/GE, qui nous intéresse plus particulièrement, prévoit que les rassemblements organisés consistant en des "jeux de combat et/ou utilisation de projectiles" constituent
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des grandes manifestations et, partant, sont soumis à autorisation préalable. La recourante critique tout particulièrement ce point, estimant en substance que le critère du jeu de combat serait sans pertinence au regard de la protection de la forêt, à tout le moins dans la mesure où l'activité visée n'utilise pas de projectiles ou de faisceau visible.
L'argument ne convainc pas car les jeux de combat, même sans projectiles, peuvent être considérés comme une activité présentant un potentiel important d'atteinte à la forêt, pour les motifs qui suivent.
Tout d'abord, et comme l'a relevé de manière convaincante la Cour de justice, en se fondant sur le rapport de la sous-commission de la flore, la nécessité pour chaque joueur de se défendre dans les sports de combat entraîne forcément une baisse des égards ordinairement témoignés au milieu naturel. L'affrontement d'équipes suppose en outre de très nombreux mouvements et une occupation accrue de l'espace forestier. Par leur seule présence et leurs déplacements spécifiques à l'activité, les participants aux jeux de combat sont particulièrement susceptibles de porter atteinte à la faune et à la flore, et cela même s'ils n'utilisent pas de projectiles.
La doctrine avait d'ailleurs identifié, il y a plusieurs années déjà, le développement de jeux de combat en forêt de toute sorte comme étant potentiellement nuisibles pour la forêt, tout comme d'ailleurs les courses d'orientation en forêt (cf. en ce sens JENNI, Wald, op. cit., p. 49. cf. aussi ZUFFEREY, op. cit., p. 339 et p. 346).
À cela s'ajoute que, comme retenu dans l'arrêt entrepris, l'Office cantonal a relevé que les forêts genevoises subissent de fortes pressions anthropogènes d'une ampleur incomparable avec celles que pourraient subir les forêts d'autres cantons, en raison de l'omniprésence du public dans les forêts en lien avec un territoire cantonal restreint, ce qui provoque un piétinement généralisé du sol. Cet élément peut être pris en compte par le canton, en tant que particularité locale, pour se montrer strict dans la soumission d'activités à risque à autorisation (cf. supra consid. 4.7.1).
4.7.4 Au vu de ces éléments, la soumission à autorisation des jeux de combat avec ou sans projectiles selon l'
art. 23 al. 3 let. f RForêts/GE est conforme à l'
art. 14 al. 2 LFo.
4.7.5 La recourante tente encore de contester la conformité du droit cantonal (soit l'
art. 23 al. 3 let. f RForêts/GE) au droit fédéral en
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invoquant qu'il existe d'autres activités que les jeux de combats qui ont un impact sur la forêt et qui ne sont pas soumises à autorisation, ainsi qu'en indiquant que d'autres cantons n'ont pas soumis l'organisation de jeux de combat en forêt à autorisation. Or, on ne voit pas en quoi cela pourrait être constitutif d'un violation du principe de la primauté du droit fédéral, ce d'autant que chaque canton peut tenir compte de ses spécificités locales pour asseoir sa propre législation (cf. supra consid. 4.7.1).
4.8 Encore faut-il se demander si le fait de considérer le lasergame comme un jeu de combat ne va pas au-delà du cadre posé par l'
art. 14 al. 2 LFo, comme le prétend la recourante.
La Cour de justice a à juste titre relevé que la notion de jeux de combat ne concerne pas uniquement les combats visant à porter effectivement des coups à son adversaire par contact physique ou par des projectiles. D'autres manières de toucher son adversaire peuvent être visées (par exemple par un laser ou un infrarouge). Comme on l'a vu, c'est la forme même du combat, soit le déploiement de joueurs exerçant une emprise accrue sur le territoire, indépendamment du recours à des projectiles, qui est susceptible d'entraîner des effets sur l'environnement forestier (cf. supra consid. 4.7.3).
Le lasergame en forêt répond à ces caractéristiques de sorte qu'il peut être considéré comme une activité dont l'organisation nécessite une autorisation délivrée par le canton, à l'instar de tout jeu de combat, sans aller au-delà du cadre imposé par le droit fédéral, à l'art. 14 al. 2 LFo.
Au vu de ce qui précède, la décision entreprise, en tant qu'elle confirme que l'activité de lasergame proposée par la recourante répond à la notion de grande manifestation et peut donc être soumise à autorisation ponctuelle préalable, est conforme aux exigences posées par l'art. 14 al. 2 LFo.
4.9 Le grief de la recourante relatif à la violation du principe de la primauté du droit fédéral est ainsi rejeté.