Wichtiger Hinweis:
Diese Website wird in älteren Versionen von Netscape ohne graphische Elemente dargestellt. Die Funktionalität der Website ist aber trotzdem gewährleistet. Wenn Sie diese Website regelmässig benutzen, empfehlen wir Ihnen, auf Ihrem Computer einen aktuellen Browser zu installieren.
Zurück zur Einstiegsseite Drucken
Grössere Schrift
 
Urteilskopf

10934/21


Semenya c. Suisse
Arrêt no. 10934/21, 10 juillet 2025

Regeste

Diese Zusammenfassung existiert nur auf Französisch.

SUISSE: Art. 1 et 6 par. 1 CEDH. Absence d'examen particulièrement rigoureux du TF contre la sentence du TAS ayant rejeté la plainte d'une athlète professionnelle présentant des différences du développement sexuel contre un règlement de World Athletics l'obligeant à réduire son taux naturel de testostérone par des traitements hormonaux pour participer à des compétitions internationales dans la catégorie féminine.
La requérante ne relevait pas de la juridiction de la Suisse en ce qui concerne les griefs formulés sur le terrain de l'art. 8 CEDH, pris isolément ou combiné avec l'art. 14 CEDH et de l'art. 13 combiné avec ces dispositions (ch. 118-154).
Conclusion: incompatibilité ratione personae et ratione loci avec les dispositions de la CEDH.
La saisine par la requérante du TF pour contester la sentence du TAS a engendré un lien juridictionnel avec la Suisse, emportant pour cet État l'obligation de garantir le respect des droits protégés par l'art. 6 CEDH dans le cadre de la procédure devant le TF qui est chargé de contrôler la compatibilité de la sentence arbitrale avec l'ordre public matériel.
Selon la Cour, un déséquilibre structurel caractérise la relation entre les sportives et sportifs et les organes de gouvernance du sport. Le respect du droit à un procès équitable exige un examen particulièrement rigoureux de la cause pour les raisons suivantes: la compétence obligatoire et exclusive du TAS lui a été imposée non par la loi, mais par un organe de gouvernance du sport; le litige concerne un ou des droits de caractère civil; ces droits correspondent en droit interne à des droits fondamentaux.
Les particularités de l'arbitrage sportif auquel la requérante était soumise, impliquant la compétence obligatoire et exclusive du TAS, exigeaient que la rigueur du contrôle juridictionnel opéré par la seule juridiction ayant la compétence de contrôler les sentences du TAS soit en rapport avec l'importance des droits individuels en jeu. L'examen de la cause par le TF n'a pas satisfait à l'exigence de rigueur particulière requise dans les circonstances de l'espèce, du fait notamment de son interprétation très restrictive de la notion d'ordre public, qu'il applique également au contrôle des sentences arbitrales rendues par le TAS. Dans ces circonstances, la Cour conclut que la requérante n'a pas bénéficié des garanties prévues par l'art. 6 par. 1 CEDH (ch. 193-239).
Conclusion: Violation de l'art. 6 par. 1 CEDH.
N.B. Cet arrêt de la Grande Chambre fait suite à celui du 10.07.2025 d'une chambre.



Sachverhalt

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE SEMENYA c. SUISSE
(Requête no 10934/21)
ARRÊT
Art 1 - Juridiction des États - Requérante ne relevant pas de la juridiction territoriale de l'État défendeur en l'absence de lien territorial entre d'une part la Suisse et d'autre part l'intéressée, l'adoption par World Athletics du règlement régissant la situation de la requérante et ses effets sur elle - Saisine par la requérante du Tribunal fédéral (TF) d'une action civile contre la sentence du Tribunal arbitral du sport (TAS) ayant par exception engendré un lien juridictionnel avec la Suisse au regard de l'art 6 - Absence de circonstances exceptionnelles propres à caractériser un lien juridictionnel en relation avec les griefs tirés des art 8, 13 et 14
Art 6 § 1 (civil) - Procès équitable - Recours devant le TF contre la sentence du TAS ayant rejeté la plainte d'une athlète professionnelle présentant des différences du développement sexuel contre un règlement non étatique l'obligeant à réduire son taux naturel de testostérone pour participer à des compétitions internationales dans la catégorie féminine - Droit à un procès équitable exigeant un examen particulièrement rigoureux en cas de compétence obligatoire et exclusive du TAS imposée à un sportif ou une sportive par un organe de gouvernance du sport, et lorsque le litige concerne un ou des droits « de caractère civil » correspondant en droit interne à des droits fondamentaux - Contrôle du TF limité à la compatibilité de la sentence du TAS avec l'ordre public matériel, notion interprétée très restrictivement - Absence d'un examen particulièrement rigoureux de la cause de la requérante
Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.
STRASBOURG
10 juillet 2025
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
Table des matières
INTRODUCTION
PROCÉDURE
EN FAIT
I. LA GENÈSE DE L'AFFAIRE
II. LA PROCÉDURE DEVANT LE TAS
III. LA PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL FÉDÉRAL
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
I. DROIT ET PRATIQUE INTERNES
A. Articles 8 et 190 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse
B. Droits de la personnalité
C. Arbitrage international
II. ÉLÉMENTS DE DROIT INTERNATIONAL
A. La Convention de New York
B. Le droit de l'Union européenne
III. LA CHARTE OLYMPIQUE
IV. LE RÈGLEMENT DDS
V. LE CODE DE L'ARBITRAGE EN MATIÈRE DE SPORT
EN DROIT
I. SUR L'OBJET DE L'AFFAIRE
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1, 8, 13 ET 14 DE LA CONVENTION
A. Sur la juridiction de la Suisse, au sens de l'article 1 de la Convention, et sur l'exception préliminaire du Gouvernement relative à l'irrecevabilité des griefs tirés des articles 8, 14 et 13 de la Convention comme étant incompatibles ratione personae et ratione loci avec les dispositions de la Convention
1. Thèses des parties
a) Le Gouvernement
b) La requérante
2. Observations des tiers intervenants
3. L'arrêt de la chambre
4. L'appréciation de la Cour
a) Principes applicables
b) Application en l'espèce des principes susmentionnés
i. Sur la juridiction de la Suisse au regard du principe de territorialité
ii. Sur la juridiction de la Suisse par exception au principe de territorialité
α) En ce qui concerne le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention
β) En ce qui concerne les griefs tirés de l'article 8 de la Convention, pris isolément et combiné avec l'article 14
γ) En ce qui concerne le grief tiré de l'article 13 de la Convention
c) Conclusion
B. Sur la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la Convention
1. Questions de recevabilité autres que celle relative à la juridiction de la Suisse
2. Sur le fond
a) Thèses des parties
i. La requérante
ii. Le Gouvernement
b) Observation des tiers intervenants
i. Le Gouvernement britannique
ii. Le Haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies
iii. Mme Tlaleng Mofokeng, rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, Mme Melissa Upreti, présidente du groupe de travail des Nations unies sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles, et M. Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
iv. La Commission sudafricaine des droits de l'homme
v. World Athletics
vi. Athletics South Africa
vii. Le Centre canadien pour l'éthique dans le sport
viii. Le Centre des droits de l'homme de l'université de Gand
ix. La Commission internationale de juristes, Organisation Intersex International Europe et the European Region of International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association-Europe
x. MM. Antoine Duval, Cesare P.R. Romano et Faraz Shahlei
xi. Human Rights Watch, Mme Payoshni Mitra et Mme Katrina Karkazis
xii. Le Vlaamse Ombudsdienst
xiii. Women Sport International, International Association of Physical Education and Sport for Girls and Women et International Working Group for Women in Sport
xiv. World Medical Association et Yale University's Global Health Justice Partnership
c) L'arrêt de la chambre
d) L'appréciation de la Cour
i. Principes généraux relatifs à la fonction de la Cour au regard de l'article 6 de la Convention et à la motivation des décisions des tribunaux
ii. Jurisprudence relative à l'arbitrage
iii. Question particulière de l'arbitrage imposé devant le TAS pour le règlement de litiges internationaux liés au sport
iv. Examen du grief
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
A. Dommage
B. Frais et dépens
C. Intérêts moratoires
DISPOSITIF
OPINION EN PARTIE CONCORDANTE DE LA JUGE ŠIMÁČKOVÁ
« Tribunal » « établi par la loi » ?
Tribunal « indépendant et impartial » ?
Conclusion
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES BOŠNJAK, ZÜND, ŠIMÁČKOVÁ ET DERENČINOVIĆ
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES EICKE ET KUCSKO-STADLMAYER
INTRODUCTION
SUR LA JURIDICTION
SUR LE FOND DU GRIEF TIRÉ DE L'ARTICLE 6 §1
ADDENDUM
En l'affaire Semenya c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Marko Bošnjak,
Síofra O'Leary,
Arnfinn Bårdsen,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Mattias Guyomar,
Faris Vehabović,
Mārtiņš Mits,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jolien Schukking,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Andreas Zünd,
Diana Sârcu,
Kateřina Šimáčková,
Davor Derenčinović,
Sebastian Răduleţu , juges ,
et de Abel Campos, greffier adjoint ,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 avril 2025,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
1. INTRODUCTION
1. La requérante, une athlète sudafricaine de niveau international spécialisée dans les courses de demi-fond, se plaint de ce qu'elle est tenue de réduire son taux naturel de testostérone pour pouvoir participer à des compétitions internationales dans la catégorie féminine, en vertu du « règlement régissant la qualification dans la catégorie féminine (pour les athlètes présentant des différences du développement sexuel) » édicté par l'association internationale des fédérations d'athlétisme ( International Association of Athletics Federations ; « IAAF » ; désormais dénommée World Athletics ), une association de droit privé monégasque, et de ce que ses recours contre ce règlement ont été rejetés par le tribunal arbitral du sport (« TAS »), qui siège en Suisse, puis par le Tribunal fédéral suisse. Dans sa requête, elle invoque l'article 3 de la Convention, l'article 6 § 1 de la Convention, l'article 8 de la Convention pris isolément et combiné avec l'article 14 de la Convention, et l'article 13 de la Convention.
2. PROCÉDURE
2. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 10934/21) dirigée contre la Confédération suisse et dont une ressortissante sud-africaine, Mme Mokgadi Caster Semenya (« la requérante ») a saisi la Cour le 18 février 2021 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
3. La requérante est représentée par Me S. Sfoggia, avocate à Paris. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») est représenté par son agent ad interim , M. A. Scheidegger, de l'Office fédéral de la justice.
4. Le 3 mai 2021, la requête a été communiquée au Gouvernement.
5. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour ; « le règlement »). Le 11 juillet 2023, une chambre de cette section, composée de Pere Pastor Vilanova, président, Yonko Grozev, Georgios A. Serghides, Darian Pavli, Peeter Roosma, Ioannis Ktistakis, et Andreas Zünd, juges, ainsi que de Milan Blaško, greffier de section, a rendu un arrêt, dans lequel elle a rejeté, à la majorité, l'exception préliminaire soulevée par le Gouvernement tirée de l'incompétence ratione personae et loci de la Cour, déclaré, à la majorité, recevables le grief fondé sur l'article 14 combiné avec l'article 8, et le grief fondé sur l'article 13 au regard de l'article 14 combiné avec l'article 8, déclaré, à la majorité, irrecevable le grief tiré de l'article 3 de la Convention, dit, par quatre voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention, dit, par quatre voix contre trois, qu'il y a eu violation de l'article 13 au regard de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention, et dit, par six voix contre une, qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément les griefs formulés sur le terrain de l'article 8 pris isolément, et celui fondé sur l'article 6 § 1 de la Convention. À cet arrêt se trouvait joint l'exposé de l'opinion concordante du juge Pavli, de l'opinion en partie concordante, en partie dissidente, du juge Serghides, et de l'opinion dissidente commune aux juges Grozev, Roosma et Ktistakis.
6. Le 9 octobre 2023, le Gouvernement a sollicité le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre en vertu de l'article 43 de la Convention. Le 6 novembre 2023, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.
7. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
8. Lorsque Siofra O'Leary est arrivée au terme de son mandat de présidente de la Cour, Marko Bošniak lui a succédé à ces fonctions et a pris la présidence de la Grande Chambre dans la présente affaire (article 9 § 2 du règlement). Siofra O'Leary, Gabriele Kucsko-Stadlmayer et Mārtiņš Mits ont continué de siéger après l'expiration de leur mandat, conformément aux articles 23 § 3 de la Convention et 24 § 4 du règlement.
9. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement). Des observations ont également été reçues du Gouvernement britannique, de M. Volker Türk, Haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, de World Athletics , d' Athletics South Africa , du centre canadien pour l'éthique dans le sport, du centre des droits de l'homme de l'université de Gand, de la commission internationale de juristes, Organisation Intersex International Europe et The European Region of International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association-Europe , ensemble, de la commission sudafricaine des droits de l'homme, de MM. Antoine Duval, Cesare PR Romano et Faraz Shahlael, ensemble, de Human Rights Watch , et Mmes Katrina Karkazis et Payoshni Mitra, ensemble, de Mme Tlaleng Mofokeng, rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, Mme Melissa Upreti, présidente du groupe de travail des Nations unies sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles, et M. Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ensemble, du Vlaamse Ombudsdienst , de Women Sport International , International Association of Physical Education and Sport for Girls and Women et International Working Group for Women in Sport , ensemble, et de World Medical Association et Yale University's Global Health Justice Partnership , ensemble, qui avaient été autorisés à intervenir en qualité de tiers dans la procédure écrite (article 36 § 2 de la Convention et articles 44 § 3 et 71 § 1 du règlement) par le président de la chambre ou par la Présidente de la Grande Chambre.
10. Une audience s'est déroulée en public au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 15 mai 2024.
Ont comparu :
- pour le Gouvernement
M. A. Scheidegger, agent ad interim ,
Mme C. Ehrich,
Mme D. Steiger Leuba,
M. N. Meier,
Mme I. Ryser, conseillers ;
- pour la requérante
Mme S. Jolly KC,
Mme C. McCann, conseils ,
M. C. Dargham,
M. C. Sayao
M. G. Nott
M. P. Bracher, conseillers.
La requérante était également présente.
La Cour a entendu M. Scheidegger ainsi que Mmes Jolly KC et McCann en leurs déclarations et en leurs réponses aux questions posées par les juges.
3. EN FAIT
11. La requérante est née en 1991 et réside à Pretoria.
1. LA GENÈSE DE L'AFFAIRE
12. La requérante est une athlète de niveau international spécialisée dans les courses de demi-fond. Elle a notamment remporté la médaille d'or du 800 mètres féminin aux Jeux Olympiques de Londres (2012) et de Rio de Janeiro (2016), et est triple championne du monde de cette discipline (Berlin 2009 ; Daegu 2011 ; Londres 2017).
13. En 2009, dans le contexte des championnats du monde qui se déroulaient à Berlin, des médecins désignés par l'IAAF procédèrent à un examen physique de la requérante, y compris de ses parties génitales, ainsi qu'à des analyses de sang, dans le but de vérifier son sexe biologique. L'IAAF l'informa par la suite qu'il lui fallait abaisser son taux de testostérone en-dessous de 10 nmol/L pour pouvoir participer dans la catégorie féminine à des compétitions internationales sur ses distances de prédilection.
14. La requérante se fit prescrire un contraceptif oral afin de réduire son taux de testostérone. Elle indique que ce traitement hormonal a eu sur elle de sérieux effets secondaires.
15. En dépit de ces effets, la requérante s'imposa dans l'épreuve du 800 mètres féminin lors des championnats du monde de Daegu (2011) et des Jeux Olympiques de Londres (2012).
16. Le 1er mai 2011 entra en vigueur le « règlement de l'IAAF régissant la qualification des femmes présentant une hyperandrogénie pour leur participation dans les compétitions féminines ». Ce règlement prévoyait que, pour pouvoir concourir dans la catégorie féminine, une athlète devait soit avoir un taux de testostérone dans le sérum inférieur à 10 nmol/L, soit, si elle avait un taux de testostérone égal ou supérieur à cette valeur, être en mesure de démontrer qu'elle présentait une résistance à la sensibilité aux androgènes telle que le fait d'avoir des taux hormonaux d'androgènes dans les normes masculines ne lui procurait aucun avantage compétitif. Il mettait en place un processus de vérification à trois niveaux : un examen clinique préalable de l'athlète ; un bilan endocrinien préalable sur échantillons d'urine et de sang ; un bilan clinique complet et une recherche de diagnostic.
17. Le 24 juillet 2015, par une sentence arbitrale intérimaire rendue dans l'affaire Dutee Chand c. AFI et IAAF (CAS 2014/A/3759), le TAS suspendit temporairement ce règlement.
18. Une athlète indienne, Dutee Chand, avait saisi le TAS d'un recours contre une décision de l'IAAF qui, sur le fondement du règlement susmentionné, l'avait déclarée inéligible à la compétition dans la catégorie féminine en raison du taux élevé de testostérone dans son organisme. Au vu de divers avis et expertises scientifiques, le TAS avait conclu qu'il n'avait pas été prouvé de manière suffisante qu'une athlète dont le taux de testostérone dépassait la limite imposée avait un avantage injuste sur ses concurrentes, nécessitant son exclusion des compétitions réservées aux femmes. Selon lui, le lien entre taux de testostérone élevé et performance sportive n'avait pas été suffisamment établi. Il avait en conséquence suspendu ce règlement pour une période maximale de deux ans, durant laquelle l'IAAF avait la possibilité de présenter d'autres preuves et expertises démontrant en particulier l'avantage des athlètes féminines hyperandrogènes en raison de leur taux de testostérone sur les athlètes féminines non-hyperandogènes, faute de quoi le règlement litigieux serait déclaré nul.
19. La requérante mit en conséquence fin à son traitement hormonal.
20. En 2016, la requérante fut une nouvelle fois sacrée championne olympique dans l'épreuve du 800 mètres et, en 2017, championne du monde.
21. Le 23 avril 2018, l'IAAF publia le « règlement régissant la qualification dans la catégorie féminine (pour les athlètes présentant des différences du développement sexuel) » (« règlement DDS » ; paragraphes 70- 79 ci-dessous). Ce règlement prévoit notamment que, pour pouvoir participer dans la catégorie féminine lors d'une compétition internationale à certaines épreuves (400 mètres, 400 mètres haies, 800 mètres, 1 500 mètres, un mile et toute autre épreuve de course sur de distances comprises entre 400 mètres et un mile), ou pour établir un record du monde dans une compétition non internationale, une « athlète concernée » doit, cumulativement : être reconnue officiellement « en tant que femme ou intersexe (ou équivalent) » ; abaisser son taux de testostérone sanguine en-dessous de 5 nmol/L pendant une période ininterrompue d'au moins six mois ; par la suite, maintenir son taux de testostérone sanguine en-dessous de 5 nmol/L en permanence (qu'elle soit ou non en compétition) aussi longtemps qu'elle souhaite pouvoir se qualifier pour participer aux épreuves visées de compétitons internationales dans la catégorie féminine (ou établir un record du monde dans une épreuve visée dans une compétition non internationale).
22. La requérante refusa de se conformer à ce règlement, dès lors qu'il l'obligeait à subir des traitements hormonaux aux effets secondaires encore mal connus.
2. LA PROCÉDURE DEVANT LE TAS
23. Le 18 juin 2018, la requérante déposa une requête devant le TAS, dont le siège se situe à Lausanne, afin de contester le règlement DDS. Elle faisait valoir qu'il entrait en conflit avec des règles supérieures, dont les statuts de l'IAAF, la charte olympique, le droit monégasque et le droit international des droits de l'Homme applicable à Monaco. Elle soutenait qu'il était source de discrimination, fondée sur la naissance ou les caractéristiques naturelles physiques, génétiques ou biologiques, sur le sexe, au détriment des femmes, sur le genre, et sur l'apparence physique, et qu'il discriminait les athlètes féminines qui concourent dans certaines épreuves. La requérante ajoutait que le règlement DDS n'était pas « nécessaire » à la garantie de l'équité de la compétition féminine, qu'il n'était pas « raisonnable » en ce qu'il n'était pas rationnellement connecté à cet objectif, et qu'il n'était pas « proportionné » eu égard à ses conséquences néfastes sur les athlètes féminines présentant une différence du développement sexuel. Sur ce dernier point, la requérante évoquait l'exclusion des intéressées de la compétition, l'atteinte à leur intégrité corporelle par des examens intrusifs, les dommages psychologiques en découlant ainsi que la stigmatisation corollaire, l'intrusion, le jugement et l'humiliation publics, et les dommages physiques et mentaux causés par les traitements pharmacologiques ou chirurgicaux visant à diminuer le taux de testostérone.
24. La fédération sud-africaine d'athlétisme ( Athletics South Africa ; « ASA ») saisit également le TAS le 25 juin 2018, lequel prononça la jonction des causes le 29 juin 2018.
25. Le 23 juillet 2018, le TAS informa les parties des noms des trois arbitres qui composeraient la formation chargée d'examiner l'affaire.
26. En cours de procédure, l'IAAF modifia la liste des différences du développement sexuel couvertes par le règlement DDS, de sorte que celui-ci ne s'applique plus qu'aux athlètes 46 XY DSD . Les athlètes ayant des chromosomes XX mais présentant un taux de testostérone égal ou supérieur au taux prévu par le règlement DDS ne sont donc plus concernées.
27. À l'issue de l'échange d'écritures, une audience eut lieu à Lausanne du 18 au 22 février 2019. La requérante fut entendue en personne.
28. Outre ceux de la requérante elle-même, cinq témoignages produits par elle étaient joints au dossier, dont ceux de la gynécologue et du médecin du sport qui l'avaient suivie lorsqu'elle avait pris un contraceptif oral afin de réduire son taux de testostérone, et celui de l'athlète Dutee Chand (paragraphes 17- 18 ci-dessus). Y figuraient également trente-deux témoignages d'experts médicaux, scientifiques et juridiques, dont quinze à l'initiative de la requérante, huit à l'initiative d'ASA et neuf à l'initiative de l'IAAF.
29. Le 30 avril 2019, le TAS rejeta les requêtes d'arbitrage par une sentence motivée de cent-soixante-trois pages, rédigée en anglais.
30. Le TAS précisa à titre liminaire dans sa sentence que, pour trancher ce litige, il appliquerait, sauf mention contraire spécifique, les statuts et règlementation de l'IAAF combinés avec la charte olympique et, subsidiairement, si nécessaire, le droit monégasque. La sentence est ainsi rédigée sur ce point (traduction du greffe) :
« VII. Le droit applicable
421. L'article R45 du code [de l'arbitrage en matière de sport] dispose ce qui suit : « La formation statue selon les règles de droit choisies par les parties ou, à défaut de choix, selon le droit suisse. Les parties peuvent autoriser la formation à statuer en équité. »
422. Dans leurs observations tant écrites qu'orales, les parties ont expressément cité et invoqué la charte olympique ainsi que les statuts et la règlementation de l'IAAF, dont le règlement DDS. À titre subsidiaire, elles ont également toutes deux invoqué le droit monégasque (et, sur plusieurs points, les législations nationales de la Corée et de la Russie).
423. Par ailleurs, lors des plaidoiries finales, la formation a demandé aux parties si elles acceptaient qu'elle exerce la compétence que lui octroie l'article R45 du code. L'IAAF a refusé de l'y autoriser à ce moment-là. Dans ses observations écrites ayant suivi l'audience, elle a changé de position et laissé entendre qu'elle pourrait consentir à un exercice restreint de cette compétence. Les parties demanderesses n'ont pas accepté un exercice restreint de la compétence découlant de l'article R45, tel que proposé par l'IAAF. Par conséquent, faute d'accord entre les parties, la formation ne peut exercer sa compétence au titre de l'article R45.
424. Partant, pour trancher ce litige, et sauf mention contraire spécifique, la formation ne voit aucune raison de s'écarter du droit choisi par les parties et appliquera les statuts et la réglementation de l'IAAF combinés avec la charte olympique et, à titre subsidiaire, le droit monégasque. »
31. Sur le fond, le TAS considéra ce qui suit (traduction du greffe) :
« A. Introduction
454. Mme Semenya est une femme. Il a été établi à sa naissance qu'elle était de sexe féminin. Elle est donc née femme. Elle a été élevée en tant que femme. Elle a vécu en tant que femme. Elle a couru en tant que femme. Elle est - et a de tout temps été - reconnue légalement comme une femme et s'est toujours identifiée comme telle.
455. En tant qu'athlète, elle dit être née pour courir. Elle a indéniablement connu un succès remarquable dans sa carrière de coureuse de fond d'élite, remportant plusieurs titres lors des jeux olympiques, des championnats du monde, des jeux du Commonwealth et de championnats régionaux. C'est aujourd'hui une femme forte et pleine de dignité, et l'une des athlètes féminines les plus célèbres et les plus accomplies de l'histoire du sport.
456. L'IAAF est chargée d'édicter des règlements visant à faciliter et garantir une administration de l'athlétisme équitable et fondée sur des principes, au profit de tous les athlètes. À cette fin, elle s'est confrontée pendant des années, voire des décennies, à un problème qui, selon elle, doit être résolu. Si les enfants manifestent des aptitudes sportives similaires avant la puberté, la situation change considérablement après la puberté. Certains de ces changements sont évoqués ci-dessous, dans la présente sentence, mais à ce stade il suffit de dire que les athlètes masculins post-pubères surpassent, en général, les athlètes féminines et, à un niveau d'élite, cette différence est insurmontable. En conséquence, afin de permettre aux femmes de concourir à un niveau d'élite, avec tous les avantages qui découlent de ces compétitions et des succès obtenus dans ces compétitions, il a été jugé nécessaire d'instaurer ce que l'IAAF appelle une « classe protégée » d'athlètes féminines. Selon l'IAAF, sans la protection d'un accès restreint à cette catégorie, les athlètes féminines risqueraient de se voir refuser le droit de participer à des compétitions et de réussir au plus haut niveau. Il s'ensuivrait que les athlètes féminines cesseraient de participer à des compétitions où cette protection ne serait pas offerte. En conséquence, la « classe protégée » doit exister et certaines conditions pratiques et efficaces doivent être établies pour déterminer qui peut ou non en faire partie.
457. La réponse semble au premier abord logique et simple : réserver l'accès à la « classe protégée » aux athlètes de sexe féminin, à l'exclusion des personnes de sexe masculin qui peuvent concourir dans leur propre catégorie. En bref, demander à chacun de concourir contre ses semblables. Cette réponse simple suppose toutefois que le sexe est une notion forcément binaire. Tel n'est pas le cas. La situation est plus complexe. Alors que les épreuves d'élite en athlétisme ont été divisées en deux catégories (hommes/femmes), une distinction nette entre les hommes et les femmes n'existe pas en réalité. La classification binaire dans le domaine de l'athlétisme ne coïncide dès lors pas parfaitement avec les diverses caractéristiques sexuelles de la biologie humaine.
458. Au cours des dernières années, la situation s'est encore complexifiée. Les législations régissant la question du sexe légal ont évolué à maints endroits dans le monde entier (...).
459. L'IAAF a essayé de trouver une solution à ce problème et proposé un certain nombre de solutions, qui ont toutes été jugées inappropriées. Le règlement DDS représente la dernière tentative de l'IAAF de mettre en place un moyen efficace et juridiquement défendable pour concilier la division binaire hommes/femmes dans les épreuves d'athlétisme avec le spectre hétéroclite des caractéristiques sexuelles biologiques et les lois nationales de plus en plus complexes et variées régissant le sexe légal.
460. La présente cause soulève donc différentes questions scientifiques, juridiques et éthiques. Des intérêts divergents s'affrontent. Il est impossible de mettre en oeuvre ou de protéger certains droits sans en restreindre d'autres. Pour dire les choses simplement, d'une part, chaque athlète a le droit de concourir, de voir son sexe légal et son identité de genre respectés et de ne pas subir une quelconque forme de discrimination. D'autre part, les athlètes féminines, qui sont biologiquement désavantagées par rapport aux sportifs masculins, ont le droit de pouvoir se mesurer à d'autres athlètes féminines, et non à des athlètes masculins, et de bénéficier des avantages de la réussite sportive, tels que les places sur le podium et les gains qui en résultent. Ce droit de la compétition est souvent décrit (même s'il n'est pas si facile à définir) comme le droit de concourir « sur un pied d'égalité ».
461. En l'espèce, la nécessité de créer une « classe protégée » pour les athlètes féminines n'est pas contestée. Nul ne conteste que les épreuves d'athlétisme sont (et doivent être) divisées en deux catégories distinctes (hommes/femmes) (...) Toutefois, la question de la réglementation du droit de faire partie de la « classe protégée » est complexe. En termes strictement biologiques, tous les individus n'ont pas un corps qui s'intègre clairement et sans ambiguïté dans une classification binaire hommes/femmes. Des questions complexes de biologie se posent donc, nécessitant la prise en compte de questions de génétique, d'endocrinologie et de gynécologie.
462. Nul ne conteste que toute règle déterminant qui peut faire partie de la catégorie des femmes doit être rationnelle, objective et équitable. L'IAAF insiste sur le fait qu'elle ne conteste ni ne remet en question le sexe ou le genre de Mme Semenya ou des athlètes présentant des DDS en général. En revanche, dans le cadre de l'examen de l'éligibilité à participer à certaines épreuves en tant que femme, elle se réfère à ce qu'elle appelle le « sexe sportif » des athlètes féminines, invoquant l'existence de certaines DDS et d'un niveau de testostérone endogène pour introduire une condition supplémentaire de qualification ou d'éligibilité pour l'accès à certaines épreuves de la catégorie féminine (...).
463. Dans l'examen des questions soulevées en l'espèce, il est important de garder à l'esprit que les termes hommes/femmes peuvent avoir plusieurs significations suivant le contexte : ils peuvent faire référence au sexe légal d'une personne (c'est-à-dire son sexe au regard de la loi), à son identité subjective de genre (c'est-à-dire la façon dont une personne s'identifie) ou à d'autres aspects relevant de la physiologie (par exemple les caractéristiques gonadiques ou le profil hormonal). Les différentes significations attachées aux mêmes termes dans des contextes différents expliquent en partie pourquoi les règles régissant l'éligibilité à participer et à concourir dans la catégorie féminine génèrent autant de controverse et de ressentiment. Une règle qui cherche à définir le concept de masculinité ou de féminité dans un certain but peut aisément être perçue (à tort ou à raison) comme une tentative de définir - ou de remettre en cause - la masculinité ou la féminité d'un individu à d'autres fins ou dans d'autres contextes.
464. (...) rien dans la présente sentence ne vise à remettre en question un aspect quelconque du sexe ou du genre d'une personne, ni à se prononcer ou à porter un jugement sur cet aspect. Il s'agit uniquement de répondre aux questions juridiques particulières qui se posent pour trancher celle de la légalité du règlement DDS soulevée par Mme Semenya et l'ASA (...).
B. La décision Chand (...)
C. Les questions factuelles et scientifiques soulevées en l'espèce
473. Plusieurs questions factuelles et scientifiques complexes sont apparues au cours de la procédure (...).
474. Les questions factuelles et scientifiques peuvent être regroupées autour des questions suivantes :
- Quelle est l'influence de la testostérone sur les aptitudes sportives des hommes et des femmes ?
- Quelle est l'influence de la DHT [dihydrotestostérone] sur les aptitudes sportives des hommes et des femmes ?
- Quelles sont les caractéristiques principales d'une athlète présentant une DDS telle que le déficit en 5α-réductase (5-ARD) ?
- Peut-on dire, comme le soutient l'IAAF, qu'une athlète ayant un sexe légal et une identité de genre féminins peut néanmoins avoir un « sexe sportif masculin » ?
- Les athlètes dont les données ont fait l'objet de l'étude BG17 ont-elles donné leur consentement éclairé à l'utilisation de leurs données aux fins de cette étude ?
- Les femmes 46 XY DSD, notamment celles présentant un déficit 5-ARD, bénéficient-elles d'un avantage sportif par rapport aux autres athlètes féminines ?
- Dans l'affirmative, quelle est l'ampleur de cet avantage ?
475. Un certain nombre d'experts éminents de diverses disciplines scientifiques se sont prononcés sur ces questions. Les critiques émises au sujet du manque d'indépendance de certains experts sont rejetées. La formation est convaincue que chaque expert s'est efforcé d'exprimer fidèlement son propre point de vue (...).
476. Certaines questions ne sont finalement pas contestées, comme elles l'étaient entre les experts cités par les parties ; d'autres restent controversées (...).
D. Quelle est l'influence de la testostérone sur les aptitudes sportives des hommes et des femmes ?
488. La question de l'influence de la testostérone sur les aptitudes sportives est au centre des observations et des éléments de preuve produits par chaque partie. L'une des caractéristiques fondamentales invoquée par les parties demanderesses est l'absence d'un critère unique pour distinguer le sexe masculin du sexe féminin et déterminer les aptitudes sportives. Sur ce dernier point, les parties demanderesses soutiennent que des variations génétiques naturelles peuvent fournir de nombreux exemples d'aptitudes sportives accrues qui ont conduit à une réussite remarquable pour des athlètes ou des groupes d'athlètes particuliers.
489. Les parties admettent toutes qu'au moment de la puberté la testostérone en circulation dans l'organisme augmente la taille et la puissance des os et des muscles ainsi que le niveau du taux d'hémoglobine. À partir de cette période, les testicules produisent en moyenne 7 milligrammes (mg) de testostérone par jour, alors que la production quotidienne de testostérone n'est que de 0,25 mg chez les femmes. La concentration ordinaire de testostérone chez une femme, produite essentiellement par les ovaires et les glandes surrénales, est comprise entre 0,06 et 1,68 nmol/L (exception faite des femmes affectées d'un syndrome des ovaires polykystiques [SOPK]). La concentration ordinaire de testostérone chez un homme, produite essentiellement par les testicules, est comprise entre 7,7 et 29,4 nmol/L.
490. Le règlement DDS impose aux athlètes 46 XY présentant un 5-ARD ou une autre DDS, qui souhaitent concourir dans la catégorie féminine, de réduire leur taux de testostérone pour qu'il ne dépasse pas la concentration ordinaire chez les femmes et de le maintenir à ce niveau. Il n'est pas contesté que 5 nmol/L représente un niveau qu'aucune femme 46 XX ne dépasserait (à l'exception de rares cas d'hyperplasie congénitale des surrénales (HCS), que l'IAAF a l'intention de soustraire au champ d'application du règlement DDS, et potentiellement d'une petite fraction de femmes affectées d'un SOPK, qui peuvent parfois avoir un taux de testostérone légèrement supérieur à ce niveau).
491. La testostérone, si elle n'est peut-être pas le seul élément expliquant l'augmentation de la masse corporelle maigre et du taux d'hémoglobine ainsi que l'amélioration des aptitudes sportives, représente néanmoins, selon les experts, le facteur principal à l'origine des avantages physiques susmentionnés.
492. Il n'est enfin pas contesté par les experts cités par les parties que la testostérone est, au moins, un facteur essentiel (...) La majorité écrasante des experts estime que la testostérone est le facteur principal des avantages physiques et donc de la différence entre hommes et femmes au niveau de la performance sportive.
493. Après avoir examiné soigneusement l'ensemble des preuves scientifiques produites par les parties, la formation accepte cette conclusion.
E. Quelle est l'influence de la DHT sur les aptitudes sportives des hommes et des femmes ?
494. Cette question s'est posée dans le contexte des preuves scientifiques concernant les effets du 5-ARD. Les personnes présentant un 5-ARD ont le même taux de testostérone qu'un homme adulte normal. Elles n'ont toutefois pas le même taux de DHT. La question est donc de savoir quelle est l'influence (le cas échéant) de la DHT sur les aptitudes sportives et la performance physique. Comme cela a été relevé ci-dessus, si les experts sont arrivés à une forme d'accord sur certaines questions concernant la DHT, ils n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur la question de savoir si les niveaux de DHT endogène affectent la performance physique (et, dans l'affirmative, quelle pourrait être l'ampleur de cet effet).
495. La formation a soigneusement examiné les preuves produites par les experts cités par les parties sur ce point, qui n'a été mis en évidence qu'à un stade relativement avancé de la procédure. Au vu de ces preuves, la formation n'est pas en mesure d'exclure que la DHT puisse avoir des effets sur la performance physique et les aptitudes sportives. Elle est toutefois convaincue que cet effet (s'il existe) est tout au plus modeste par rapport aux effets de la testostérone. Pour parvenir à cette conclusion, la formation considère que, bien que la DHT figure sur la liste des substances interdites par l'Agence mondiale antidopage, le poids qui peut être attaché à cet élément est faible compte tenu du peu d'exemples de DHT exogène effectivement utilisée à des fins d'amélioration de la performance.
496. La majorité (...) est convaincue que la DHT endogène n'a aucun effet sur la performance athlétique ou qu'elle a tout au plus un effet modeste, d'une ampleur bien différente des effets de la testostérone endogène.
F. Quelles sont les caractéristiques principales d'une athlète 46 XY DSD (en particulier 5-ARD) ?
497. (...) toutes les formes de 46 XY DSD, comme le 5-ARD, sont des formes de mutation génétique susceptibles d'affecter le taux de testostérone. Les personnes présentant un 5-ARD possèdent ce qui est communément identifié comme des chromosomes masculins (XY et non XX), des gonades mâles (des testicules et non des ovaires) et un taux de testostérone circulante correspondant à la concentration ordinaire chez un homme (7,7 à 29,4 nmol/L), qui est significativement plus élevée que chez une femme (0,06 à 1,68 nmol/L).
498. Chez les personnes présentant un 5-ARD, le déficit en 5α-réductase affecte la conversion de la testostérone du foetus mâle en DHT, ce qui a pour conséquence que les tissus génitaux externes ne se développent pas normalement. À la naissance, en fonction de l'examen clinique des organes génitaux externes et souvent après consultation des parents et d'autres experts, la personne se voit assigner au sexe féminin ou masculin. Alors que le déficit enzymatique affecte le développement des gonades mâles in utero , après le début de la puberté, la testostérone circulante a le même effet virilisant sur le corps d'une personne présentant un 5-ARD que sur un homme sans 5-ARD. Les testicules produisent des taux de testostérone normaux chez l'homme. D'après les expertises produites par l'IAAF, 58 à 63 % des personnes présentant un 5-ARD auquel le sexe féminin a été assigné à la naissance changent de sexe lorsque ces caractéristiques sexuelles secondaires se développent à la puberté.
499. Le 5-ARD a des effets particuliers sur les tissus (par exemple en ce qui concerne la formation des organes génitaux) et non des effets généraux. Les effets virilisants de la testostérone circulante après la puberté sur la taille et la force des muscles, la taille et la force des os et la concentration d'hémoglobine sérique ne sont pas affectés. Les personnes présentant un 5-ARD sont toutes totalement sensibles aux androgènes. Par conséquent, toutes les personnes présentant un 5-ARD subissent l'effet virilisant de leur testostérone circulante. En d'autres termes, pour ces athlètes, la question de l'insensibilité partielle ou complète aux androgènes n'est pas pertinente, alors qu'elle l'est pour les autres athlètes 46 XY DSD présentant un niveau élevé de testostérone circulante.
500. Il n'est pas contesté qu'une personne, homme ou femme, présentant un 5-ARD est une personne XY, avec des testicules et non des ovaires et un taux de testostérone endogène circulante correspondant à la concentration ordinaire chez un homme. Ce qui est controversé, c'est la question de savoir si ces différences, et en particulier le taux de testostérone, affectent effectivement la composition corporelle, la masse musculaire et le taux d'hémoglobine dans la même mesure ou dans une mesure similaire que dans la population adulte masculine, et si ces différences ont un impact sur les performances sportives. La formation examinera ci-dessous ces questions controversées.
G. Peut-on dire, comme le soutient l'IAAF, qu'une femme peut avoir un « sexe sportif masculin » ?
(...) 502. Comme expliqué ci-dessus, l'athlétisme est divisé de manière binaire entre hommes et femmes. L'existence et la légitimité de cette division ne sont pas contestées (...).
507. Bien que les observations des parties concernant la validité des notions d'« homme biologique » et de « sexe masculin sportif » fournissent un contexte important aux arguments pour et contre le règlement DDS, la formation note que la validité de ces notions et la pertinence de la terminologie employée par l'IAAF n'exigent pas en elles-mêmes qu'elles soient tranchées en tant que questions de fait. La formation ne juge donc pas nécessaire de déterminer précisément si l'invocation par l'IAAF de la notion de « sexe masculin sportif », qui serait celui d'un « homme biologique », et de « sexe féminin sportif », qui serait celui d'une « femme biologique », est valable ou appropriée. En revanche, la formation estime qu'il convient de déterminer si les femmes 46 XY DSD, notamment celles présentant un 5-ARD, bénéficient d'un avantage sportif par rapport aux autres athlètes féminines et, dans l'affirmative, si l'ampleur de cet avantage est susceptible de compromettre l'équité de la compétition dans certaines épreuves d'athlétisme.
H. Les athlètes dont les données ont fait l'objet de l'étude BG17 ont-elles donné leur consentement éclairé à l'utilisation de leurs données aux fins de cette étude ? (...)
I. Les femmes 46 XY DSD, notamment celles 5-ARD, bénéficient-elles d'un avantage athlétique par rapport aux autres athlètes féminines ? Dans l'affirmative, quelle est l'ampleur de cet avantage ?
517. Le rôle des preuves et de l'évaluation scientifique à l'appui d'un processus décisionnel réglementaire est évidemment d'une grande importance, d'où l'accent mis sur les éléments produits par l'IAAF à l'appui du règlement DDS, en particulier ceux concernant l'existence et l'ampleur de l'avantage athlétique dont les athlètes femmes 46 XY DSD bénéficieraient par rapport aux athlètes féminines ne présentant pas une telle DDS. L'IAAF a fourni une série d'éléments de sources diverses, qui regroupent des preuves scientifiques relatives aux effets physiologiques de certaines pathologies, comme le 5-ARD, et à la relation entre la testostérone endogène, la DHT et la performance athlétique, des données d'observation concernant la corrélation entre les taux de testostérone endogène et les performances athlétiques réalisées lors de deux championnats du monde, des statistiques comparant la prévalence de certaines formes de 46 XY DSD dans la population adulte générale et leur prévalence marquée parmi les femmes athlètes d'élite dans certaines disciplines d'athlétisme. La fiabilité, la signification et l'incidence d'une grande partie de ces éléments de preuve sont fortement contestées par les parties demanderesses, dont les experts ont fourni des contre-éléments détaillés en réponse.
518. Tant Mme Semenya que l'ASA ont vivement contesté les éléments produits par l'IAAF (...).
535. La formation a examiné soigneusement l'ensemble des preuves scientifiques produites par les parties à la présente procédure. Sur la base de cette analyse, la majorité de la formation admet que, selon la prépondérance des preuves, les athlètes féminines présentant un 5-ARD, ou d'autres formes de 46 XY DSD, ont un taux élevé de testostérone circulante équivalant à la concentration ordinaire présente chez un homme. Il en résulte une importante amélioration des aptitudes sportives grâce, par exemple, à une augmentation de la masse et de la taille des muscles ainsi que du taux d'hémoglobine en circulation (...).
536. La majorité conclut qu'en pratique cette amélioration des aptitudes sportives se traduit par un avantage compétitif significatif dans certaines disciplines d'athlétisme visées par le règlement DDS (...).
537. Pour parvenir à cette conclusion, la majorité souligne notamment la surreprésentation statistique frappante des athlètes femmes présentant un 5-ARD (...). Selon la majorité, ces statistiques démontrent de façon convaincante que les caractéristiques physiques associées au 5-ARD donnent aux athlètes féminines affectées par ce déficit un avantage compétitif significatif et souvent déterminant par rapport aux autres athlètes féminines ne présentant pas de 46 XY DSD. La rareté du 5-ARD au sein de la population globale contraste avec le succès écrasant obtenu (...) par les femmes présentant une telle caractéristique et constitue un élément probant important pour démontrer que les athlètes présentant un 5-ARD bénéficient d'un avantage compétitif significatif.
538. Pour aboutir à cette conclusion, la majorité ne prétend pas quantifier précisément le pourcentage exact de l'avantage compétitif que les athlètes féminines d'élite 46 XY DSD ont sur les autres athlètes féminines. La tâche de la formation est d'examiner les éléments produits devant elle et de déterminer si, pris dans leur ensemble, ils étayent la thèse de l'IAAF selon laquelle les athlètes féminines 46 XY DSD possèdent un avantage compétitif significatif par rapport aux autres athlètes féminines, avantage d'une ampleur telle qu'il est susceptible de compromettre l'équité des compétitions dans la catégorie féminine. Après avoir examiné et pris en considération l'ensemble des éléments, la majorité conclut que les preuves recueillies étayent cette thèse (...).
J. Les questions juridiques concernant la validité du règlement DDS
539. (...) Un certain nombre de questions concernant la validité du règlement DDS doivent être tranchées. Elles peuvent être regroupées sous les intitulés suivants :
- Sur qui pèse la charge de la preuve ?
- Le règlement DDS opère-t-il une discrimination ?
- Le règlement DDS est-il nécessaire?
- Le règlement DDS est-il raisonnable et proportionné ?
i) Sur qui pèse la charge de la preuve ?
540. Nul ne conteste que c'est aux parties demanderesses qu'incombe la charge juridique d'établir que le règlement DDS opère une discrimination fondée sur un motif protégé. Il ne fait aucun doute qu'en cas de discrimination la charge de la preuve est transférée à l'IAAF pour qu'elle démontre, sur la base d'éléments de preuve, que le règlement DDS est nécessaire, raisonnable et proportionné (...).
ii) Le règlement DDS opère-t-il une discrimination ?
(...) 543. Selon les principes fondamentaux de l'Olympisme établis par le CIO, la jouissance des droits et libertés énoncés dans la charte olympique « doit être assurée sans discrimination d'aucune sorte, notamment en raison de la race, de la couleur, du sexe, de l'orientation sexuelle, de la langue, de la religion, des opinions politiques ou autres, de l'origine nationale ou sociale, de la fortune, de la naissance ou de toute autre situation ». De même, l'article 4 § 4 des statuts de l'IAAF prévoit que celle-ci doit «[s]'efforcer de garantir qu'aucune discrimination sexuelle, raciale, religieuse, politique ou autre n'existe, ne subsiste ni n'ait la possibilité de se développer dans l'athlétisme, sous quelque forme que ce soit, et s'efforcer de garantir la participation de tous sans considération de sexe, de race, de religion ou de politique ou de tout autre motif extérieur » (...).
547. La formation a soigneusement examiné les observations de l'IAAF et la réponse que les parties demanderesses y ont apporté. Elle conclut que ces dernières se sont acquittées de la charge qui leur incombait d'établir une différence de traitement prima facie fondée sur des caractéristiques protégées, dont il incombe donc à l'IAAF d'établir le caractère nécessaire, raisonnable et proportionné. Les raisons avancées par la formation pour parvenir à cette conclusion peuvent se résumer comme suit :
a) Il n'est pas contesté que le règlement DDS ne s'applique qu'aux athlètes reconnues officiellement en tant que femmes ou intersexes (article 2.3 a) du règlement DDS). Les athlètes dont le sexe légal est masculin ne sont donc pas affectés par le règlement DDS (sauf dans la mesure limitée et indirecte où le règlement DDS prévoit que les athlètes concernées peuvent concourir dans la catégorie masculine pour les épreuves visées, et par conséquent le nombre d'athlètes éligibles pour concourir dans la catégorie masculine est théoriquement légèrement plus élevé qu'il ne l'était avant l'adoption du règlement DDS).
b) Il n'est pas non plus contesté que parmi les personnes reconnues officiellement en tant que femmes ou intersexes le règlement DDS identifie un sous-groupe de personnes auxquelles il impose certaines restrictions et conditions d'éligibilité sur la base de caractéristiques biologiques déterminées que possèdent ces personnes (à savoir présenter l'une des DDS énumérées à l'article 2.2 a) i) du règlement, présenter un taux de testostérone sanguin supérieur ou égal à 5 nmol/L, et posséder une sensibilité aux androgènes suffisante pour présenter, à ces taux de testostérone, un effet androgénisant significatif).
c) Par conséquent, le règlement DDS vise expressément à imposer, et impose effectivement, des conditions et restrictions à un groupe de personnes déterminé au motif que ces personnes i) n'ont pas de sexe légal masculin et ii) possèdent certaines caractéristiques biologiques naturelles que les autres femmes et personnes intersexes ne possèdent pas. En revanche, le règlement DDS n'impose aucune condition ou restriction aux personnes ayant un sexe légal masculin, ou qui sont de sexe féminin ou intersexe mais ne possèdent pas les caractéristiques biologiques énumérées à l'article 2.2 a) du règlement.
d) Étant donné que le règlement DDS fixe des conditions et restrictions qui visent un sous-groupe de la population des athlètes féminines et intersexes et n'impose aucune condition ou restriction équivalente aux athlètes masculins, la formation considère que le règlement DDS est prima facie discriminatoire en ce qu'il crée une différenciation fondée sur le sexe légal. De même, étant donné que le règlement DDS crée des conditions et restrictions qui visent un groupe de personnes dotées de certaines caractéristiques biologiques immuables (à savoir une forme de 46 XY DSD assortie d'un effet androgénisant significatif en découlant), et qui ne s'appliquent pas aux personnes n'ayant pas ces caractéristiques (par exemple les personnes 46 XX avec ou sans DDS), il s'ensuit que le règlement DDS est prima facie discriminatoire en ce qu'il crée une différenciation fondée sur des caractéristiques biologiques innées.
548. La conclusion selon laquelle le règlement DDS est prima facie discriminatoire n'est que le point de départ et non la ligne d'arrivée de l'analyse juridique menée par la formation. En particulier, nul ne conteste qu'une règle qui impose une différence de traitement fondée sur une caractéristique protégée déterminée n'est valable et légale que si elle constitue un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné d'atteindre l'objectif qu'elle poursuit. C'est maintenant sur ces questions que la formation doit se pencher.
a) Les arguments concernant la validité de la procédure d'adoption du règlement DDS
(...)
b) Les arguments concernant la compatibilité du règlement DDS avec diverses législations nationales et internationales en matière de droits de l'homme
(...)
iii) Le règlement DDS est-il nécessaire ?
556. Nul ne conteste que vouloir assurer une compétition équitable dans les épreuves féminines d'athlétisme d'élite est un objectif que l'IAAF peut légitimement poursuivre. Ce point n'a pas été contesté dans l'affaire Chand et il ne l'est pas dans la présente affaire. La formation admet qu'il s'agit d'un objectif important et légitime. La question plus difficile (et controversée) est celle de savoir si le règlement DDS est nécessaire pour atteindre cet objectif.
557. La formation commence par observer qu'une fois que l'on reconnaît la légitimité de la division en deux catégories séparées hommes/femmes lors des compétitions, il s'impose inévitablement de fixer des critères objectifs, justes et effectifs pour ranger les athlètes dans l'une de ces catégories. La formation constate que ce point n'est pas contesté.
558. La formation admet la thèse de l'IAAF selon laquelle la seule référence au sexe légal d'une personne ne constitue pas toujours un moyen de distinction juste et effectif. En effet, comme indiqué ci-dessus, le motif de la séparation en catégories hommes/femmes est en fin de compte fondé sur un statut biologique plutôt que légal. L'institution de catégories séparées a pour but d'éviter que des personnes dépourvues d'avantages compétitifs insurmontables ne doivent affronter des personnes qui possèdent ces avantages compétitifs insurmontables. À cet égard, qu'une personne soit légalement reconnue femme et s'identifie ainsi ne signifie pas nécessairement qu'elle ne dispose pas des avantages compétitifs insurmontables associés à certains traits biologiques prédominant chez les personnes qui sont généralement (mais pas toujours) reconnues légalement hommes et s'identifient de cette manière. C'est la biologie humaine, et non le statut légal ou l'identité de genre, qui détermine quels individus possèdent les traits physiques leur procurant cet avantage insurmontable.
559. Ainsi, l'objectif de la division hommes/femmes dans les compétitions d'athlétisme n'est pas d'éviter que les athlètes ayant un sexe légal féminin n'aient à affronter des athlètes ayant un sexe légal masculin, ni d'éviter que des athlètes ayant une identité de genre féminine n'aient à affronter des athlètes ayant une identité de genre masculine. L'institution de catégories séparées a plutôt pour but de protéger les personnes dont le corps a évolué d'une certaine manière après la puberté, en évitant que celles-ci ne doivent affronter des individus qui, en raison du fait que leur corps s'est développé d'une autre façon, possèdent certaines caractéristiques physiques leur conférant un avantage compétitif tel que toute compétition équitable entre les deux groupes est impossible. Dans la plupart des cas, le premier groupe se compose des personnes ayant un sexe légal et une identité de genre féminins, tandis que le second comprend des individus ayant un sexe légal et une identité de genre masculins. Cela n'est toutefois pas toujours vrai. La biologie humaine ne coïncide pas parfaitement avec le statut légal et l'identité de genre. Cet alignement imparfait entre la nature, le droit et l'identité est à l'origine du casse-tête au coeur de cette affaire.
560. Une fois que l'on a admis que la raison pour laquelle les compétitions d'athlétisme sont divisées en catégories hommes/femmes repose sur la nécessité d'éviter qu'un groupe de personnes n'ait à affronter des personnes possédant certains avantages compétitifs insurmontables découlant de la biologie plutôt que du statut légal, il s'ensuit qu'il peut être légitime de régler le droit de participer à une compétition dans la catégorie féminine par référence aux facteurs biologiques plutôt qu'au seul statut légal. Étant donné que ces facteurs biologiques ne coïncident pas toujours parfaitement avec le sexe légal, la formation admet l'argument de l'IAAF selon lequel il est parfois nécessaire de définir des conditions d'éligibilité qui ne sont pas exclusivement fondées sur le sexe légal. La formation souligne cependant que le critère de nécessité n'est satisfait que si les preuves établissent, au degré requis, que le facteur biologique auquel se réfère la réglementation procure un avantage compétitif suffisamment significatif dans chaque épreuve couverte par elle. En d'autres termes, si une caractéristique biologique confère un avantage substantiel dans la discipline A mais pas dans la discipline B, un règlement faisant référence à ce critère biologique pour autoriser l'accès à la discipline B ne répondra pas à l'exigence de nécessité.
561. Mme Semenya soutient que les différences génétiques et les réussites exceptionnelles ne sont pas rares dans le sport d'élite. En effet, elles sont généralement, et à juste titre, célébrées. Son témoignage étaye l'argument selon lequel une 46 XY DSD est une forme de mutation génétique qui n'est pas qualitativement différente des autres différences génétiques admises dans le sport et qui, dans de nombreux cas, peuvent être déterminantes pour la réussite athlétique. Elle plaide que la diversité humaine devrait être célébrée dans un esprit d'inclusion et souligne qu'elle a réussi à surmonter l'adversité par la force et la persévérance.
562. La formation souligne que la personnalité de Mme Semenya et ses réalisations exceptionnelles tout au long de sa carrière ne sont aucunement remises en question. L'IAAF cherche plutôt à démontrer par les preuves qu'elle produit que l'avantage compétitif dont bénéficient les athlètes 5-ARD en raison de leur taux élevé de testostérone endogène est le même que l'avantage compétitif que l'hormone confère à tous les athlètes masculins. En conséquence, selon l'IAAF, les athlètes féminines qui bénéficient de cet avantage compétitif masculin doivent réduire leur taux de testostérone afin que l'IAAF puisse respecter son engagement en faveur de l'égalité de traitement entre les sexes, notamment en permettant aux deux sexes de participer en nombre égal aux finales, aux podiums et aux médailles remportées aux championnats. L'IAAF soutient que c'est la raison pour laquelle la catégorie féminine a été conçue et existe, et qu'elle bénéficie aux athlètes féminines, au sport et aux parties prenantes, ainsi qu'à la société dans son ensemble.
563. Selon l'IAAF, tous les différents facteurs qui contribuent à la performance sportive (entraînement, encadrement, nutrition, soutien médical, ainsi que les variations génétiques), à l'exception d'un seul, sont accessibles de la même manière aux hommes et aux femmes. L'IAAF constate que le seul facteur que ne possèdent que les hommes est l'exposition à un taux de testostérone plus élevé qui leur procure des avantages physiques par rapport aux femmes dans le cadre de la performance sportive. Elle soutient que si l'objectif visé par la création d'une catégorie féminine est d'éviter que les athlètes ne possédant pas cet avantage lié au taux de testostérone ne doivent affronter des athlètes jouissant d'un tel avantage, la catégorie féminine perd sa raison d'être si l'on permet aux individus ayant un tel avantage de participer à une compétition dans cette catégorie.
564. La majorité accepte la logique de l'argumentation de l'IAAF, sous réserve que l'IAAF démontre que le degré de l'avantage compétitif lié à un taux de testostérone élevé est si important qu'il nécessite d'éviter que les athlètes qui n'en bénéficient pas aient à affronter ceux qui en bénéficient. Pour les raisons exposées ci-dessus, la formation reconnaît que le critère qui détermine le droit de concourir au sein de la « classe protégée » doit s'aligner sur la raison à l'origine de la création de la catégorie féminine. Si l'existence de cette « classe protégée » est fondée sur l'impact significatif de certaines caractéristiques biologiques sur la performance, dans des disciplines sportives spécifiques, alors il est légitime de régler le droit d'être inclus dans cette « classe protégée » par référence à ces traits biologiques.
(...)
569. (...) Selon la formation, décider de la nécessité du règlement DDS revient à se demander, comme dans la décision Chand, si le degré d'avantage compétitif dont jouissent certaines athlètes, en raison de leur taux de testostérone élevé, est à ce point significatif qu'il commande d'imposer à ces athlètes des restrictions si elles entendent affronter des athlètes féminines qui ne bénéficient pas de cet avantage fondé sur la testostérone. La réponse à cette question implique la résolution d'un problème scientifique controversé (l'existence et l'importance de l'avantage compétitif) et une appréciation (savoir si l'avantage est si important qu'il commande d'instaurer des conditions d'éligibilité pour que les athlètes puissent concourir dans la catégorie féminine) (...).
571. La formation prend soigneusement note des preuves et opinions produites par les différents experts. En particulier, elle relève les critiques concernant le fondement de l'utilisation du taux de testostérone et les conclusions des experts de l'IAAF quant aux effets de ce taux sur la performance athlétique. Après avoir lu les preuves produites devant elle et entendu les experts, qui l'ont grandement assistée, et tenant compte des observations des parties, la majorité conclut qu'elle est convaincue que :
- Le taux de testostérone est significativement plus élevé chez les athlètes masculins que chez les athlètes féminines après la puberté ;
- La testostérone affecte et améliore la performance athlétique en agissant sur la force et la taille des muscles et sur le taux d'hémoglobine en circulation ;
- La testostérone circulante produit un effet sur le corps humain, que la source soit exogène ou endogène ;
- L'action de la testostérone ne dépend pas du sexe ; elle fonctionne de la même manière sur les corps masculins et féminins ;
- La différence du taux de testostérone circulante dans la population masculine et féminine crée un avantage en termes de performance athlétique, ce qui signifie que les athlètes masculins surpassent considérablement les athlètes féminines ;
- Les athlètes 46 XY 5-ARD ont un taux de testostérone circulante au niveau de celui de la population masculine 46 XY, et non de la population féminine 46 XX ;
- Cela donne aux athlètes 46 XY 5-ARD un avantage compétitif significatif sur les athlètes féminines 46 XX.
(...) 575. La majorité conclut donc qu'elle est convaincue que les athlètes féminines 46 XY DSD, sensibles aux androgènes, jouissent d'un avantage compétitif significatif sur les autres athlètes féminines ne présentant pas une telle DDS, et que celui-ci résulte de leur exposition à un taux de testostérone équivalant à la concentration ordinaire présente chez un homme.
576. En ce qui concerne la seconde question (savoir si l'avantage est si important qu'il commande d'instaurer des conditions d'éligibilité pour que les athlètes puissent concourir dans la catégorie féminine) (...) on peut admettre que l'avantage compétitif masculin pertinent ne devrait pas se limiter à un avantage de 10 à 12 %, mais qu'un avantage d'un pourcentage plus faible peut encore être suffisamment important pour vider la compétition de son sens.
579. Pour déterminer si le degré de l'avantage compétitif est si important qu'il commande de restreindre la possibilité pour les athlètes 46 XY DSD d'affronter d'autres athlètes féminines, la majorité porte une attention particulière à la mesure dans laquelle (...) il est démontré que le taux de testostérone élevé que possèdent ces athlètes peut leur conférer un avantage insurmontable par rapport aux autres athlètes féminines ne présentant pas de 46 XY DSD.
580. Sur ce fondement, la majorité admet que l'IAAF s'est acquittée de la charge de prouver que les dispositions régissant les conditions d'éligibilité des athlètes féminines 46 XY DSD à certaines épreuves sont nécessaires afin de préserver l'équité des compétitions féminines d'athlétisme en s'assurant que les athlètes féminines qui ne sont pas exposées à un taux de testostérone circulante équivalant à la concentration ordinaire présente chez un homme adulte susceptible de leur octroyer un avantage compétitif significatif ne doivent pas affronter des athlètes féminines bénéficiant de cet avantage compétitif (...).
iv) Le règlement DDS est-il raisonnable et proportionné ?
(...) 583. Selon Mme Semenya, pour déterminer si les restrictions imposées par le règlement DDS sont raisonnables il convient d'examiner si elles ont un lien rationnel avec leur objectif, qui est d'assurer une compétition équitable dans les épreuves féminines d'athlétisme d'élite. Il convient de noter que le règlement ne s'applique pas à toutes les épreuves mais uniquement aux épreuves visées par lui, pour lesquelles des preuves de l'existence d'un avantage compétitif concret ont été apportées. Il convient donc de répondre par l'affirmative à cette question précise, celle du caractère raisonnable du règlement DDS, pour les mêmes motifs que ceux avancés par la majorité relativement à la nécessité du règlement.
584. Partant, la majorité conclut que le règlement DDS est nécessaire et raisonnable. Le domaine qui soulève le plus de difficultés est celui de la proportionnalité (...).
a. L'effet du règlement DDS sur la société en général (...)
b. Les effets des traitements médicaux réduisant la testostérone
590. Les parties demanderesses soutiennent que les « athlètes concernées », si elles souhaitent pouvoir s'aligner dans une « épreuve visée », doivent se soumettre à un traitement qui n'est à la fois pas nécessaire sous l'angle médical et présente des effets secondaires sérieux et potentiellement dangereux. Elles plaident qu'il s'agit là d'un élément de grande importance pour apprécier le caractère raisonnable et la proportionnalité du règlement contesté.
591. L'IAAF rétorque que le règlement DDS n'exige pas d'une athlète qu'elle subisse la moindre opération chirurgicale. De plus, fait-elle valoir, la prise d'hormones est un traitement reconnu pour les personnes présentant certaines formes de 46 XY DSD (comme les patientes 5-ARD ayant une identité de genre féminine) et pour les femmes transgenres. Les effets secondaires d'un tel traitement sont généralement limités et le statu quo ante revient rapidement lorsque le traitement prend fin.
592. À l'instar des parties, la formation part du principe que la validité du règlement DDS peut être appréciée dans le contexte de la prise de pilules contraceptives, en reconnaissant qu'un tel traitement n'est pas aussi efficace pour réduire le taux de testostérone que l'utilisation d'agonistes de l'hormone de libération des gonadotrophines (GnRH), l'interruption de ce dernier traitement étant probablement susceptible de provoquer des effets secondaires plus importants. Si les contraceptifs oraux ne permettaient pas de maintenir le taux de testostérone au-dessous du plafond de 5 nmol/L - requérant ainsi de l'athlète qu'elle se soumette à un traitement à base d'agonistes de la GnRH ou qu'elle subisse une gonadectomie -, une analyse différente devrait être effectuée au regard du principe de la proportionnalité.
593. Selon les preuves fournies par des personnes qui traitent des individus présentant une DDS, les doses ordinaires de contraceptifs oraux sont efficaces pour réduire la testostérone à des niveaux normaux chez les femmes (...). Toutefois, les preuves relatives aux effets d'un tel traitement sur les athlètes d'élite sont extrêmement limitées ; il s'agit principalement de la prise de pilules contraceptives par Mme Semenya en vue d'abaisser son taux de testostérone. Il n'existe aucune directive actuelle concernant la manière dont un clinicien devrait utiliser des pilules contraceptives afin de réduire le taux de testostérone d'une femme 46 XY DSD au-dessous de 5 nmol/L et de le maintenir à ce niveau, même si certains experts cliniques l'ont fait (...).
594. Mme Semenya n'invoque pas seulement le préjudice important causé aux femmes auxquelles s'applique le règlement DDS et la violation de leurs droits à l'égalité. Elle s'appuie également sur ses propres éléments de preuve, ainsi que sur ceux fournis par et concernant d'autres athlètes DDS, quant aux effets secondaires - tant mentaux que physiques - d'une réduction du taux de testostérone endogène par un traitement hormonal. Lorsqu'elle prenait des contraceptifs oraux, Mme Semenya a souffert de divers effets secondaires, notamment une prise de poids, des symptômes de fièvre et des douleurs abdominales persistantes. En conséquence, elle se sentait constamment mal et était incapable de se concentrer mentalement, ce qui entravait son entraînement et sa performance.
595. La formation admet les preuves produites par les parties demanderesses selon lesquelles l'usage de pilules contraceptives visant à réduire le taux de testostérone peut provoquer une série d'effets secondaires indésirables. Ces effets secondaires peuvent toucher toutes les femmes qui en prennent, qu'elles soient de caryotype XX ou XY DSD. La formation note que les expertises produites par les parties demanderesses décrivent différents effets indésirables pouvant résulter des diverses méthodes pharmacologiques et chirurgicales visant à réduire le taux de testostérone, notamment une diminution de la densité osseuse, une prise de poids importante, de l'hypotension, un dysfonctionnement rénal, des anomalies électrolytiques et une thromboembolie veineuse, ainsi que les problèmes sociaux, mentaux et psychologiques rencontrés par les femmes DDS. Ces preuves corroborent les déclarations de Mme Semenya s'agissant des effets secondaires qu'elle dit avoir rencontrés.
596. Les preuves des effets secondaires ressentis par (...) les athlètes 46 XY DSD concernent les réactions lors de l'abaissement de leur taux de testostérone à moins de 10 nmol/L. Il n'existe pas de preuves (suffisantes) permettant à la formation de déterminer si les effets secondaires augmenteraient en cas d'abaissement du taux de testostérone maximal autorisé à 5 nmol/L. La formation part du principe, à tout le moins, que les effets secondaires seraient aussi importants que ceux subis par Mme Semenya et d'autres.
597. Le témoignage de Mme Semenya est par nature anecdotique mais véridique. Il n'est toutefois pas possible de conclure que tous les effets secondaires rencontrés par elle, lorsqu'elle essayait de réduire son taux de testostérone, étaient dus au traitement hormonal, qu'ils ne pourraient pas être contrôlés autrement, qu'ils perdureraient, que d'autres athlètes (...) subiraient exactement les mêmes effets secondaires (les femmes réagissent différemment aux divers types de pilules contraceptives), ni qu'une autre forme de pilules contraceptives, si elle était prescrite, entraînerait des effets secondaires similaires.
598. Quoi qu'il en soit, certains cliniciens indiquent que les effets secondaires ne sont pas différents, par leur nature, de ceux ressentis par des milliers, voire des millions, d'autres femmes de caryotype XX qui prennent des contraceptifs oraux. Ces cliniciens affirment également que des précautions seraient prises en vue d'individualiser le traitement de manière à minimiser les effets secondaires lors de la prise de contraceptifs oraux destinée à abaisser les niveaux de testostérone des athlètes 46 XY DSD. S'agissant des problèmes sociaux, mentaux et psychologiques, il n'a pas été démontré que ceux-ci sont simplement et exclusivement imputables à l'usage de contraceptifs oraux. De plus, les éléments de preuve n'ont permis ni d'établir la période au cours de laquelle se manifestent les symptômes, ni si ceux-ci peuvent tous être directement attribués à l'utilisation de la pilule contraceptive.
599. La majorité considère que le fait de requérir des athlètes 46 XY DSD qu'elles prennent des pilules contraceptives pour réduire leur taux de testostérone, afin de pouvoir participer aux « épreuves visées » lors de compétitions féminines internationales, n'est pas, en soi, disproportionné. Dans ces circonstances, elle estime, sur la base des preuves actuelles, que les effets secondaires que pourraient rencontrer ces athlètes (...) à la suite de la prise de contraceptifs oraux ne l'emportent pas sur le besoin d'appliquer le règlement DDS en vue d'atteindre l'objectif légitime poursuivi, qui est de protéger et de faciliter une compétition équitable dans la catégorie féminine.
c. L'effet de l'obligation faite aux athlètes concernées de se soumettre à des examens médicaux intimes pour déterminer leur degré de virilisation
600. Les parties demanderesses soutiennent que l'obligation faite aux athlètes ayant un taux de testostérone élevé de se soumettre à des examens intimes pour déterminer leur degré de virilisation serait une forme de test de féminité à la fois subjectif et inapproprié. Ces examens peuvent être très intrusifs et portent une atteinte à l'intégrité physique qui peut provoquer des souffrances psychologiques. Ces souffrances se répètent lorsqu'une athlète saisit le TAS car de nouveaux examens peuvent alors être nécessaires, et de nouvelles discussions détaillées concernant son corps ont lieu. Les parties demanderesses ajoutent que le fait, pour une athlète, de découvrir qu'elle présente une DDS et d'être qualifiée d'athlète 46 XY DSD peut provoquer des souffrances psychologiques.
601. La formation reconnaît les conséquences potentielles décrites et note que subir un examen de virilisation peut être malvenu et angoissant, même si cet examen est effectué avec le soin et la sensibilité nécessaires. Dans le même temps, elle relève aussi que le niveau de testostérone de tous les athlètes est contrôlé à des fins de lutte antidopage, laquelle implique d'identifier l'existence éventuelle de testostérone exogène. Si les résultats des contrôles antidopage font apparaître un taux de testostérone élevé dans l'échantillon fourni par une athlète 46 XY DSD, qui n'est pas au courant de sa condition, de plus amples examens se révéleront probablement nécessaires afin d'exclure tout soupçon de dopage et d'établir que l'athlète présente une DDS. Ces mesures d'investigation auront probablement pour effet d'informer l'athlète de sa condition, que le règlement DDS soit ou non en vigueur. Par conséquent, pour apprécier la proportionnalité du règlement DDS, la formation tient compte à la fois de la probabilité que les « athlètes concernées » subissent des examens non désirés et de la possibilité que ceux-ci puissent, dans certains cas, permettre de révéler des informations médicales susceptibles d'aider les athlètes à prendre des décisions éclairées sur d'éventuels traitements médicaux nécessaires et de les prémunir contre d'éventuelles suspicions de dopage par prise de testostérone exogène.
602. Mme Semenya fait encore valoir que l'exigence d'un examen du degré de virilisation introduit une part inacceptable d'arbitraire dans le processus visant à déterminer si une athlète doit réduire son taux de testostérone pour être autorisée à participer aux épreuves visées. En particulier, dit-elle, il n'existe aucun test objectif permettant d'évaluer le degré de virilisation de manière cohérente pour tous les cas relevant du règlement DDS. L'examen de la virilisation dépendrait ainsi de l'appréciation subjective des cliniciens en charge de celui-ci. Par conséquent, il est inévitable, selon elle, que le règlement DDS soit appliqué de manière arbitraire et incohérente.
603. La formation relève que les conditions d'éligibilité prévues par le règlement DDS s'appliquent uniquement aux athlètes possédant un taux de testostérone supérieur à 5 nmol/L et présentant une sensibilité suffisante aux androgènes. L'examen de cette seconde condition incombe au manager médical de l'IAAF et au panel d'experts, composé de médecins indépendants dûment qualifiés et expérimentés dans ce genre d'évaluations. Il existe une échelle reconnue de virilisation. (...) il n'est pas difficile, pour un expert, d'apprécier le degré de sensibilité aux androgènes, en procédant à un examen physique et à une évaluation en laboratoire. De plus, le règlement DDS prévoit que le bénéfice du doute profitera à l'athlète.
604. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, la majorité considère que les dispositions du règlement DDS concernant l'examen du degré de virilisation ne rendent pas le règlement DDS disproportionné.
d. Le risque de voir le statut des athlètes concernées rendu public
605. La formation admet que l'IAAF a su, avec succès, maintenir confidentielles les informations relatives aux athlètes DDS visées par sa précédente réglementation. Néanmoins, la confidentialité sera probablement vidée de son sens, dans les cas où, par exemple, une « athlète concernée », qui s'est qualifiée à l'échelon national, ne s'aligne pas ensuite dans une « épreuve visée » lors des compétitions féminines internationales. Dans une telle situation, il ne serait en effet pas difficile pour un observateur avisé d'en inférer qu'il s'agit d'une athlète 46 XY DSD ayant refusé (ou n'ayant pas été en mesure) de réduire son taux de testostérone au-dessous de la limite autorisée. La formation estime qu'il s'agit probablement d'un effet préjudiciable inévitable du règlement DDS tel qu'il est actuellement formulé. Elle considère que cet élément en lui-même ne rend pas le règlement DDS disproportionné compte tenu des intérêts légitimes poursuivis par cette réglementation. Pour aboutir à sa conclusion générale quant à la proportionnalité du règlement DDS, elle tient néanmoins compte de la probabilité qu'un certain préjudice puisse découler de la divulgation par inférence d'informations médicales confidentielles.
e. L'application du règlement DDS aux seules épreuves visées
606. L'IAAF déclare avoir accepté les observations formulées dans l'affaire Chand selon lesquelles elle ne devrait appliquer de restrictions que lorsque la preuve d'un avantage compétitif significatif découlant d'un taux de testostérone accru chez les athlètes 46 XY DSD est claire et convaincante. Une grande partie des arguments de l'IAAF, et des preuves qu'elle a produites à l'appui, portent sur une épreuve, le 800 mètres. Les parties demanderesses soutiennent que les « épreuves visées » au sens du règlement DDS ont été sélectionnées de façon arbitraire. Elles soulignent que certaines disciplines, pour lesquelles l'existence d'un avantage compétitif ressort de l'étude BG 17 (tels le lancer du marteau et le saut à la perche), ne figurent pas dans le règlement DDS, tandis que d'autres, comme le 1 500 mètres et le mile, où la preuve d'un tel avantage était moins évidente, ont été incluses dans la liste des « épreuves visées ». Elles ont toutefois elles aussi mis l'accent, dans les preuves et observations produites, sur le 800 mètres et ne se sont pas arrêtées de manière précise et ciblée sur la base empirique qui permettrait d'inclure d'autres épreuves dans la définition des épreuves visées, ce qui est compréhensible puisque le 800 mètres est l'épreuve la plus importante pour Mme Semenya.
607. L'IAAF a fourni des éléments de preuve concernant toutes les « épreuves visées ». Elle indique que les (...) athlètes DDS identifiées (...) ont participé à des épreuves de course sur des distances comprises entre 400 mètres et un mile. Selon elle, la décision de ne pas inclure d'autres épreuves dans le cadre du règlement DDS s'explique par le fait que les preuves disponibles établissent que le nombre d'athlètes 46 XY DSD pratiquant, au niveau international, certaines disciplines d'athlétisme est insuffisant pour justifier l'inclusion de celles-ci dans la liste des « épreuves visées ». L'IAAF affirme que cette approche prudente et conservatrice vise à garantir que le règlement DDS impose le moins possible de restrictions afin d'assurer l'équité des compétitions au sein de la catégorie féminine. Cela illustre, selon elle, la tentative consciencieuse à laquelle elle s'est livrée afin de s'assurer que le règlement DDS n'impose pas des restrictions plus importantes que celles qui sont nécessaires et proportionnées.
608. Sur la base des preuves présentées à la formation, la décision de l'IAAF d'inclure les disciplines du 1 500 mètres et du mile dans les « épreuves visées » semble être fondée, au moins en partie, sur le présupposé que les athlètes qui courent le 800 mètres le font aussi avec succès dans le 1 500 mètres et le mile. Les demanderesses n'ont toutefois présenté aucune observation portant spécifiquement sur l'inclusion de ces deux disciplines dans la liste des « épreuves visées ».
609. La formation a certaines préoccupations concernant l'inclusion de ces deux disciplines dans la catégorie des épreuves visées sur la base (au moins en partie) d'une affirmation spéculative selon laquelle, étant donné que les athlètes féminines qui courent le 800 mètres le font aussi souvent avec succès dans ces épreuves plus longues, les athlètes 46 XY DSD sont susceptibles de bénéficier d'un avantage compétitif significatif sur les autres athlètes féminines dans ces deux disciplines. La majorité considère néanmoins que l'IAAF a apporté une explication globale rationnelle sur la manière dont les « épreuves visées » ont été définies. L'étendue des épreuves visées ne saurait donc être décrite comme arbitraire. Bien qu'elle ait des préoccupations au sujet de la pertinence des preuves invoquées pour inclure le 1 500 mètres et le mile dans la liste des épreuves visées, la formation est consciente qu'elle n'a pas le pouvoir de réécrire le règlement DDS ni d'amender la liste des « épreuves visées » par le règlement. Il lui appartient plutôt d'apprécier, dans sa globalité, la proportionnalité du règlement DDS. Au vu des preuves produites par les parties, la majorité n'estime pas que le choix des « épreuves visées » considéré dans sa globalité serait de nature à rendre ce règlement disproportionné.
f. La justification et l'effet du seuil de 5 nmol/L
610. Une autre source de préoccupation concerne le taux de testostérone endogène autorisé par le règlement DDS. Le taux de testostérone maximal autorisé dans le règlement sur l'hyperandrogénie, examiné dans l'affaire Chand, était de 10 nmol/L. La raison de cette limite antérieure était que 10 nmol/L correspond au niveau minimal ordinairement présent chez l'homme. Le taux maximal prévu dans le règlement DDS a été abaissé à 5 nmol/L. L'IAAF explique ce changement par le fait que le niveau a été déterminé par référence au taux de testostérone présent chez la femme XX. Ainsi, ce seuil minimal représente un niveau significativement plus élevé que le niveau maximal ordinairement présent chez la femme XX (0,06 à 1,68 nmol/L), revu à la hausse pour y inclure le taux de testostérone plus élevé chez les athlètes féminines XX affectées d'un SOPK. L'IAAF souligne qu'une personne ayant un taux supérieur à 5 nmol/L soit a une tumeur sécrétant de la testostérone dans les glandes surrénales ou les ovaires, soit prend de la testostérone exogène, soit est une athlète transgenre, soit présente un caryotype 46 XY DSD et ne réduit pas son taux de testostérone. L'IAAF n'a pas fourni d'autres explications concrètes pour expliquer pourquoi le taux a été abaissé ou pourquoi il n'est pas, par exemple, de 7,7 nmol/L (ce qui correspond au niveau minimal ordinairement présent chez un homme).
611. Il ressort de certains éléments fournis par l'IAAF qu'il existe un avantage compétitif lorsque le taux de testostérone endogène dépasse 5 nmol/L tout en restant inférieur à 10 nmol/L. Certaines données montrent que des doses exogènes pour augmenter la testostérone circulante chez la femme à 7,3 nmol/L ont entraîné une augmentation de 4,4 % de la masse musculaire et une augmentation de 12 à 26 % de la force musculaire, et que l'augmentation de la testostérone endogène de 0,9 à 5, 7 et 10 nmol/L a entraîné une augmentation de l'hémoglobine en circulation de 6,5 %, 7,5 % et 8,9 % respectivement. La formation est donc convaincue que la décision de réduire la limite autorisée de testostérone de 10 nmol/L à 5 nmol/L n'était pas arbitraire.
g. La capacité d'une athlète à maintenir son taux de testostérone au-dessous de 5 nmol/L
612. Une autre question se pose, que les parties n'ont mise en évidence, dans leurs conclusions finales, qu'après l'achèvement de la phase probatoire et des « hot tubs ». Il s'agit de la question des fluctuations involontaires des niveaux de testostérone endogène que Mme Semenya a observées lorsqu'elle prenait un traitement hormonal pour abaisser son taux de testostérone au-dessous de 10 nmol/L. Il a été démontré qu'un entraînement intensif provoque une réduction du taux de testostérone, d'où une réduction du taux de testostérone plus importante que celle causée par le traitement seul. Cependant, le niveau et l'étendue de l'entraînement ne sont pas constants et la pratique courante de « dégressivité » de l'entraînement avant une compétition majeure pourrait entraîner des fluctuations et une augmentation involontaires du niveau de testostérone endogène, même en suivant consciencieusement le traitement prescrit. Des pics de testostérone ont été enregistrés chez Mme Semenya lorsqu'elle suivait régulièrement son traitement hormonal. Des preuves établissent, en particulier, qu'au cours de la période durant laquelle elle prenait régulièrement la pilule contraceptive pour abaisser son taux de testostérone au-dessous de 10 nmol/L conformément au traitement convenu, son taux de testostérone (contrôlé notamment pendant des périodes d'entraînement), bien que toujours inférieur à la valeur de 10 nmol/L alors autorisée, a subi des fluctuations importantes, oscillant entre 0,5 et 7,85 nmol/L.
613. Mme Semenya suggère qu'une athlète pourrait, en raison de ces pics, dépasser involontairement le taux de testostérone maximal de 5 nmol/L autorisé par le règlement DDS, même en suivant consciencieusement le traitement hormonal par pilules contraceptives conçu pour réduire suffisamment son taux de testostérone. Plusieurs scénarios théoriques ont été avancés, notamment celui de la difficulté à maintenir le taux constamment au-dessous de 5 nmol/L, même lorsque le traitement est suivi régulièrement, en raison de la possibilité de pics temporaires, involontaires et inévitables au-dessus de ce niveau. Un autre scénario est la propension admise de certaines femmes à oublier de prendre le traitement un jour donné et la possibilité de fluctuation involontaire pour cette raison. Un autre est la difficulté pour une athlète de surveiller son taux de testostérone lorsque les résultats d'un test, qui peut enregistrer une fluctuation ou un pic non contrôlé, ne lui seraient accessibles que quelques jours plus tard. En outre, le métabolisme individuel et d'autres problèmes gastro-intestinaux pourraient (...) affecter le taux de testostérone, de même que ce qui pourrait être décrit comme des effets pharmacocinétiques potentiels sur l'absorption ou la métabolisation des contraceptifs oraux s'ils étaient pris avec des compléments alimentaires ou d'autres médicaments.
614. La réponse de l'IAAF est que, malgré des fluctuations, le taux de testostérone de Mme Semenya est resté au-dessous de 10 nmol/L (le taux maximal à l'époque) pendant toute la période où elle a scrupuleusement suivi le traitement prescrit. La formation est d'avis que pareille circonstance soulève une question très importante sous l'angle du principe de la proportionnalité, eu égard à la nouvelle limite autorisée de 5 nmol/L. Si une « athlète concernée » suit scrupuleusement le traitement prescrit en vue d'abaisser son taux de testostérone, mais que celui-ci subit des fluctuations qui l'entraînent au-dessus du maximum admis, elle sera malgré tout inéligible selon le règlement DDS, dans sa teneur à la date de l'audience. Il lui sera impossible de démontrer que les fluctuations involontaires de son taux de testostérone n'ont eu aucun impact sur sa performance. De plus, afin de surveiller de telles fluctuations, elle devra en assurer elle-même le contrôle continu, vraisemblablement à ses frais, durant les phases d'entraînement et de repos. Il semble inévitable que l'athlète ne connaisse pas les résultats de ces tests avant plusieurs jours. Partant, il est probable qu'elle puisse participer à une épreuve sans être à même de savoir si son taux de testostérone est inférieur à la limite réglementaire le jour de la compétition. Tout retard dans la communication des résultats du test effectué signifierait inévitablement que l'athlète ne pourrait pas réagir aux fluctuations (telles qu'un pic de testostérone causé par une diminution progressive de l'intensité de l'entraînement avant la compétition) qui se produiraient immédiatement avant les compétitions. Il est sérieusement à craindre dès lors qu'une athlète puisse être disqualifiée - avec toutes les conséquences préjudiciables que cela implique - bien qu'elle ait fait tout son possible pour se conformer au règlement DDS.
615. Aux fins de l'appréciation de la proportionnalité, il convient de mettre en balance les facteurs concurrents. D'un côté, il y a la fixation d'une nouvelle limite du taux de testostérone, arrêtée à 5 nmol/L, rationnellement choisie parce qu'elle correspond au plus haut niveau de testostérone présent ordinairement chez la femme (y compris celles affectées d'un SOPK) ; de l'autre, il y a les effets secondaires liés aux médicaments utilisés afin de réduire le taux de testostérone ainsi que le risque de fluctuations involontaires de celui-ci au-delà de 5 nmol/L, sans parler des difficultés pour une athlète d'élite en compétition à maintenir constamment son taux de testostérone dans les limites de 5 nmol/L, à vérifier de façon adéquate et en temps réel son niveau de testostérone et à supporter le coût de ces contrôles.
616. Les questions de conformité sont très importantes. Si le règlement DDS ne peut être appliqué de façon équitable en pratique, il pourrait s'avérer ultérieurement disproportionné, puisqu'une réglementation qui est impossible ou excessivement difficile à mettre en oeuvre ne constitue pas une atteinte proportionnée aux droits des personnes qui y sont soumises.
617. La formation n'a, par la force des choses, aucune preuve directe de la conformité au règlement DDS, dès lors que celui-ci n'est pas encore entré en vigueur. Néanmoins, le taux maximal de 5 nmol/L et la capacité des athlètes 46 XY DSD à s'assurer, en pratique, que leur niveau de testostérone n'excédera pas cette limite la préoccupent. Cela devra nécessairement faire l'objet d'une surveillance de la part de l'IAAF, qui devra s'assurer que l'application de cette exigence est praticable.
618. En ce qui concerne la mise en oeuvre concrète du règlement DDS par l'IAAF, la formation dispose uniquement du texte de la réglementation et des opinions émises par les différents experts, dont certains, en raison de la pertinence de leur domaine d'expertise, pourraient être appelés à procéder aux examens prévus par le règlement DDS. À cette fin, l'IAAF a identifié un groupe d'experts du monde entier. Il s'agit d'experts médicaux qui doivent déterminer la sensibilité aux androgènes de leurs patients dans le cadre de leur pratique clinique régulière. Certains d'entre eux se sont exprimés devant la formation, témoignant d'un niveau de soins élevé et d'une approche bienveillante s'agissant du traitement des femmes 46 XY DSD. Cet élément, le fait que le bénéfice du doute profite à l'athlète, ainsi qu'une approche pratique lors du contrôle du respect du maintien du taux de testostérone à un niveau n'excédant pas 5 nmol/L, sont d'une importance cruciale pour la formation dans la pesée des intérêts effectuée sous l'angle du principe de la proportionnalité.
619. Quoi qu'il en soit, les problèmes relatifs aux difficultés potentielles de mise en oeuvre pratique du règlement DDS sont de nature spéculative (exception faite de la difficulté possible de prendre la pilule contraceptive pour une athlète lorsqu'elle souffre d'une infection gastro-intestinale) et les preuves font défaut en ce qui concerne la possibilité de respecter concrètement l'exigence liée au taux maximal de testostérone de 5 nmol/L. Le taux choisi par l'IAAF est étayé par des preuves et des explications. La tâche de la formation consiste à examiner le règlement DDS tel qu'édicté, et non encore mis en oeuvre. Les conséquences hypothétiques de la façon dont pourrait être appliquée cette réglementation ne permettent pas d'en conclure que le règlement DDS est actuellement et à première vue disproportionné.
h. Conclusion sur le caractère raisonnable et la proportionnalité
620. Sur la base des preuves recueillies, il apparaît à la majorité que l'IAAF a démontré le caractère raisonnable et à première vue proportionné du règlement DDS. La formation n'en reste pas moins sérieusement préoccupée quant à l'application pratique future du règlement DDS. Quoique les éléments de preuve à sa disposition n'aient pas établi que ces inquiétudes seraient justifiées ou infirmeraient la conclusion tirée, il pourrait en aller autrement à l'avenir, si une attention constante n'était pas portée au caractère équitable de la mise en oeuvre des dispositions réglementaires. À cet égard il est renvoyé aux points examinés ci-dessus.
621. Mme Semenya a soulevé des questions concernant la difficulté à se conformer aux exigences du règlement DDS qui, si elles étaient avérées, pourraient permettre de tirer une conclusion différente sous l'angle de la proportionnalité du règlement. Cependant, en l'état actuel, ces éléments n'ont pas été prouvés, et la majorité considère que les effets secondaires du traitement hormonal, même s'ils sont significatifs pour chaque athlète qui en souffre, ne l'emportent pas sur les intérêts invoqués par l'IAAF à l'appui du règlement DDS. L'IAAF devrait toutefois prendre note des préoccupations exprimées par la formation.
622. Les questions particulièrement préoccupantes pour la formation, qui l'ont incitée à demander aux parties si elles consentiraient à l'application de l'article R45, portaient notamment sur les difficultés évoquées ci-dessus quant à la mise en oeuvre du règlement DDS et sur l'importance de ces difficultés dans le contexte d'un taux de testostérone maximal autorisé de 5 nmol/L au lieu de 10 nmol/L. La formation prend note de la responsabilité objective prévue par le règlement DDS et réitère ses inquiétudes quant à la potentielle incapacité d'une athlète, suivant scrupuleusement le traitement hormonal qui lui a été prescrit, à satisfaire aux exigences prévues par le règlement DDS, et, plus spécifiquement, quant aux conséquences d'un dépassement involontaire et inévitable de la limite de 5 nmol/L.
623. En outre, les preuves d'un avantage athlétique concret (et non théorique) en faveur des athlètes 46 XY DSD dans les disciplines du 1 500 mètres et du mile peuvent êtres décrites comme peu nombreuses. L'IAAF pourrait envisager de différer l'application du règlement DDS à ces deux épreuves jusqu'à ce que des preuves supplémentaires soient disponibles.
624. La formation ne peut statuer en équité, faute d'une autorisation des parties. Elle juge néanmoins approprié de faire part de ses préoccupations sur plusieurs aspects du règlement DDS qui sont ressortis des observations et des preuves produites par les parties au cours de la procédure. La formation encourage fortement l'IAAF à tenir compte de ses préoccupations lors de l'application du règlement DDS. À cet égard, elle prend note de l'affirmation de l'IAAF selon laquelle le règlement DDS est un « instrument vivant ». Dans le même temps, la majorité n'exclut pas que, à l'usage, l'application de la réglementation litigieuse fasse ressortir des éléments, dûment étayés, susceptibles d'influer globalement sur la proportionnalité du règlement DDS, en ce sens qu'ils établiraient la nécessité de modifier certaines dispositions de celui-ci afin d'en garantir une application conforme au principe de la proportionnalité ou qu'ils fourniraient de nouveaux arguments pour ou contre l'inclusion de certaines disciplines dans la liste des « épreuves visées »
K. Conclusion sur la validité du règlement DDS
625. La formation est confrontée à un règlement qui porte sur une division binaire des athlètes pour la compétition (hommes/femmes), dans un monde qui n'est pas aussi nettement divisé. Il ne lui appartient pas de décider s'il convient ou non de mettre en oeuvre une réglementation telle que le règlement DDS. Cette question relève de l'IAAF. La tâche de la formation consiste à déterminer si le règlement DDS, qui est discriminatoire, est nécessaire, raisonnable et proportionné. Cette décision doit être prise sur la base du dossier tel qu'il lui a été soumis par les parties, c'est-à-dire sur la base des éléments de preuve et des arguments produits. La formation est consciente des difficultés que rencontrent toutes les parties, car nombre des éléments de preuve que les parties auraient pu souhaiter produire ne sont malheureusement pas disponibles à ce jour. La formation est également consciente des principes de justice naturelle et d'équité procédurale, ce qui signifie qu'elle ne peut pas formuler de conclusions sur des questions que les parties n'ont pas abordées ou n'ont pas eu l'occasion d'aborder.
626. Pour les raisons exposées ci-dessus, la majorité estime que le règlement DDS est discriminatoire mais qu'au vu des éléments dont dispose la formation cette discrimination est un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné d'atteindre le but de ce qui est décrit comme l'intégrité de l'athlétisme féminin et la défense de la « classe protégée » des athlètes féminines dans certaines épreuves. »
3. LA PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL FÉDÉRAL
32. Le 28 mai 2019, la requérante saisit le Tribunal fédéral suisse d'un recours en matière civile visant à l'annulation de la sentence du TAS du 30 avril 2019. Elle soutenait notamment que cette sentence violait l'ordre public matériel, au sens de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé. Invoquant à cet égard plusieurs garanties de rang constitutionnel, elle faisait valoir que la sentence était contraire au principe de l'interdiction de la discrimination, se disait victime d'une atteinte aux droits de sa personnalité dès lors que la sentence consacrait une violation de plusieurs droits fondamentaux, et dénonçait une atteinte à la dignité humaine. Son recours était assorti d'une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles ainsi que d'une demande d'effet suspensif.
33. Par une ordonnance du 31 mai 2019, la Présidente de la première Cour de droit civil du Tribunal fédéral ordonna à l'IAAF, à titre superprovisionnel, de suspendre immédiatement la mise en oeuvre du règlement DDS à l'égard de la requérante afin de maintenir la situation inchangée jusqu'à décision sur la requête de mesures provisionnelles. Par une ordonnance du 29 juillet 2019, elle rejeta la requête de mesures provisionnelles et d'effet suspensif.
34. Par un arrêt du 25 août 2020, notifié le 7 septembre 2020, le Tribunal fédéral rejeta le recours, concluant que la sentence attaquée n'était pas incompatible avec l'ordre public matériel au sens de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé.
35. Sur la recevabilité, le Tribunal fédéral jugea tout d'abord que la requérante avait qualité à recourir, au sens de l'article 76 de la loi sur le Tribunal fédéral. Il releva à cet égard qu'elle était particulièrement touchée par la décision attaquée puisque le règlement DDS, validé par le TAS, lui imposait de remplir certaines exigences pour s'aligner dans certaines épreuves lors des compétitions internationales d'athlétisme, et qu'elle avait ainsi « un intérêt personnel, actuel et digne de protection à ce que la sentence soit annulée ». Le Tribunal fédéral considéra de plus que l'article 5.5 du règlement DDS selon lequel la décision du TAS ne pouvait faire l'objet d'aucun recours n'était pas opposable à la requérante, une telle renonciation ne pouvant résulter que d'une déclaration expresse.
36. Avant d'examiner les griefs, le Tribunal fédéral précisa ce qui suit sur le cadre juridique du litige, son rôle et l'étendue de son pouvoir d'examen en matière d'arbitrage international :
« 5.1.1. Le règlement DDS a été édicté par l'IAAF, une association de droit privé monégasque. Une athlète domiciliée en Afrique du Sud et sa fédération nationale, constituée elle aussi sous la forme d'une association de droit privé, ont contesté la validité dudit règlement, en initiant une procédure arbitrale contre l'IAAF devant le TAS. Ce dernier n'est ni un tribunal étatique ni une autre institution de droit public suisse, mais une entité, dépourvue de la personnalité juridique, émanant du conseil international de l'arbitrage en matière de sport, c'est à-dire d'une fondation de droit privé suisse (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme Mutu et Pechstein contre Suisse [, nos 40575/10 et 67474/10 ,] 2 octobre 2018, § 65). Dans le cadre de la procédure conduite devant elle, la formation du TAS n'a pas examiné la validité du règlement DDS au regard du droit suisse puisqu'elle a appliqué la réglementation interne de l'IAAF (« IAAF's Constitution and Rules »), la Charte Olympique ainsi que le droit monégasque (sentence, n. 424). Le siège du TAS constitue ainsi l'unique point de rattachement avec la Suisse.
5.1.2. Dans l'arrêt de principe Lazutina du 27 mai 2003, le Tribunal fédéral, après avoir examiné la question par le menu, est arrivé à la conclusion que le TAS est suffisamment indépendant pour que les décisions qu'il rend dans les causes intéressant cet organisme puissent être considérées comme de véritables sentences, assimilables aux jugements d'un tribunal étatique ( ATF 129 III 445 consid. 3.3.4). Depuis lors, cette jurisprudence a été confirmée à maintes reprises (...).
Dans l'affaire Mutu et Pechstein contre Suisse (arrêt précité du 2 octobre 2018), la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : la CourEDH) a été amenée elle aussi à se prononcer sur la question de l'indépendance et de l'impartialité du TAS. Elle a tout d'abord rappelé que le droit d'accès à un tribunal, garanti par l'art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après : CEDH), n'implique pas nécessairement le droit de pouvoir saisir une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires d'un État. L'article 6 § 1 CEDH ne s'oppose ainsi pas à ce que des tribunaux arbitraux soient créés afin de juger certains différends de nature patrimoniale opposant des particuliers (arrêt Mutu et Pechstein , précité, § 93 s.).
Comme la patineuse de vitesse professionnelle Claudia Pechstein n'avait pas eu d'autre choix que d'accepter la clause arbitrale, la CourEDH en a conclu qu'il s'agissait d'un arbitrage forcé, en ce sens qu'il n'existait aucune possibilité pour l'intéressée de soustraire le litige au tribunal arbitral. Si une telle forme d'arbitrage n'est certes pas prohibée, le tribunal arbitral doit cependant offrir les garanties prévues par l'article 6 § 1 CEDH, en particulier celles d'indépendance et d'impartialité (arrêt Mutu et Pechstein , précité, § 95 et 114 s.). Examinant si le TAS peut passer pour un tribunal « indépendant et impartial, établi par la loi » au sens de cette disposition, la CourEDH a jugé qu'il a les apparences d'un tribunal établi par la loi et qu'il est véritablement indépendant et impartial (arrêt Mutu et Pechstein , précité, § 149 et 159), ce qu'elle a du reste confirmé encore récemment ( Michel Platini c. Suisse [(déc.), no 526/18 ,] 11 février 2020, § 65).
5.1.3. Ces précisions étant faites, il y a lieu de garder à l'esprit que les recourantes ont pu porter le litige qui les oppose à l'IAAF devant le TAS, lequel est non seulement un tribunal indépendant et impartial, jouissant d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit, mais aussi une juridiction spécialisée.
5.2. Il convient à présent de rappeler quel est le rôle du Tribunal fédéral lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une sentence arbitrale internationale et quelle est l'étendue de son pouvoir d'examen.
5.2.1. Le recours en matière d'arbitrage international ne peut être formé que pour l'un des motifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 [de la loi fédérale sur le droit international privé] (art. 77 al. 1 let. a LTF). Sont inapplicables à ce recours les art. 90 à 98 LTF, entre autres dispositions (art. 77 al. 2 LTF), ce qui exclut, notamment, la possibilité d'invoquer le moyen pris de l'application arbitraire du droit. L'examen matériel d'une sentence arbitrale internationale, par le Tribunal fédéral, est limité à la question de la compatibilité de la sentence avec l'ordre public ( ATF 121 III 331 consid. 3a) (...).
5.2.2. Le Tribunal fédéral (...) statue sur la base des faits constatés dans la sentence attaquée (cf. art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter d'office les constatations des arbitres, même si les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit (cf. l'art. 77 al. 2 LTF qui exclut l'application de l'art. 105 al. 2 LTF). Les constatations du tribunal arbitral quant au déroulement de la procédure lient aussi le Tribunal fédéral, qu'elles aient trait aux conclusions des parties, aux faits allégués ou aux explications juridiques données par ces dernières, aux déclarations faites en cours de procès, aux réquisitions de preuves, voire au contenu d'un témoignage ou d'une expertise ou encore aux informations recueillies lors d'une inspection oculaire (arrêt 4A_322/2015 du 27 juin 2016 consid. 3 et les précédents cités).
(...) 5.2.4. (...) En matière d'arbitrage, la CourEDH a reconnu que les États membres jouissent d'une marge d'appréciation considérable pour déterminer les motifs d'annulation d'une sentence (arrêt Suovaniemi et autres contre Finlande [ (déc), no 31737/96,] 23 février 1999). Elle a aussi souligné que la loi fédérale sur le droit international privé - dont l'art. 190 règle les motifs d'annulation d'une sentence arbitrale internationale - reflète un choix de politique législative répondant au souhait du législateur suisse d'augmenter l'attractivité et l'efficacité de l'arbitrage international en Suisse et que la mise en valeur de la place arbitrale suisse peut constituer un but légitime (arrêts Mutu et Pechstein , précité, § 97 et Tabbane contre Suisse [ (déc.), no 41069/12,]1er mars 2016, §§ 33 et 36).
S'agissant du recours à l'arbitrage dans le domaine du sport, la CourEDH a souligné qu'il y a un intérêt certain à ce que les différends qui naissent dans le cadre du sport professionnel, notamment ceux qui comportent une dimension internationale, puissent être soumis à une juridiction spécialisée qui soit à même de statuer de manière rapide et économique. En effet, les manifestations sportives internationales de haut niveau sont organisées dans différents pays par des organisations ayant leur siège dans des États différents, et elles sont souvent ouvertes à des athlètes du monde entier. Le recours à un tribunal arbitral international unique et spécialisé facilite une certaine uniformité procédurale et renforce la sécurité juridique (arrêt Mutu et Pechstein , précité, § 98 ; cf. aussi l'arrêt Ali Riza et autres contre Turquie [, no 30226/10 et 4 autres,] 28 janvier 2020, § 179). Cela est d'autant plus vrai lorsque les sentences de ce tribunal arbitral peuvent faire l'objet de recours devant la juridiction suprême d'un seul pays, en l'occurrence le Tribunal fédéral suisse, qui statue définitivement. La CourEDH a ainsi considéré qu'un système prévoyant le recours à une juridiction spécialisée, comme le TAS, en première instance, doublé d'une possibilité de recours, bien que limitée, devant un tribunal étatique, en dernière instance, pouvait représenter une solution appropriée au regard des exigences de l'art. 6 § 1 CEDH (arrêt Mutu et Pechstein , précité, § 98). [Le Tribunal fédéral résume ensuite les décisions Platini , précitée, et Bakker c. Suisse (déc.) [Comité] (no 7198/07, 3 septembre 2019).]
5.2.6. À la lumière des principes qui viennent d'être rappelés, il y a lieu d'admettre que les règles particulières qui régissent le recours dirigé contre une sentence arbitrale internationale - soit notamment la limitation des griefs admissibles (liste exhaustive de l'art. 190 al. 2), un contrôle matériel de la sentence uniquement sous l'angle de la notion restrictive d'ordre public (art. 190 al. 2 let. e), des exigences strictes en matière d'allégation et de motivation des griefs et, de façon générale, un pouvoir d'examen restreint du Tribunal fédéral - sont compatibles avec les garanties de la CEDH. Il découle de ce qui précède que le Tribunal fédéral ne saurait être assimilé à une cour d'appel qui chapeauterait le TAS et vérifierait librement le bien-fondé des sentences en matière d'arbitrage international rendues par cet organe juridictionnel ».
37. Le Tribunal fédéral rappela ensuite ce que recouvre la notion d'ordre public au sens de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé :
« 9.1. Une sentence est incompatible avec l'ordre public si elle méconnaît les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique ( ATF 144 III 120 consid. 5.1 ; 132 III 389 consid. 2.2.3). Tel est le cas lorsqu'elle viole des principes fondamentaux du droit de fond au point de ne plus être conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants (ATF 144 III 120 consid. 5.1). Qu'un motif retenu par un tribunal arbitral heurte l'ordre public n'est pas suffisant ; c'est le résultat auquel la sentence aboutit qui doit être incompatible avec l'ordre public (ATF 144 III 120 consid. 5.1). L'incompatibilité de la sentence avec l'ordre public, visée à l'art. 190 al. 2 let. e) est une notion plus restrictive que celle d'arbitraire (...). Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité ; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable ( ATF 137 I 1 consid. 2.4 ; 136 I 316 consid. 2.2.2 et les références citées). Pour qu'il y ait incompatibilité avec l'ordre public, il ne suffit pas que les preuves aient été mal appréciées, qu'une constatation de fait soit manifestement fausse ou encore qu'une règle de droit ait été clairement violée (...). L'annulation d'une sentence arbitrale internationale pour ce motif de recours est chose rarissime ( ATF 132 III 389 consid. 2.1).
Pour juger si la sentence est compatible avec l'ordre public, le Tribunal fédéral ne revoit pas à sa guise l'appréciation juridique à laquelle le tribunal arbitral s'est livré sur la base des faits constatés dans sa sentence. Seul importe, en effet, pour la décision à rendre sous l'angle de l'art. 190 al. 2 let. e) le point de savoir si le résultat de cette appréciation juridique faite souverainement par les arbitres est compatible ou non avec la définition jurisprudentielle de l'ordre public matériel (arrêt 4A_157/2017 du 14 décembre 2017 consid. 3.3.3).
Il ne faut pas oublier que même lorsque le Tribunal fédéral est appelé à statuer sur un recours dirigé contre une sentence rendue par un tribunal arbitral ayant son siège en Suisse et autorisé à appliquer le droit suisse à titre supplétif, il est tenu d'observer, quant à la manière dont ce droit a été mis en oeuvre, la même distance que celle qu'il s'imposerait vis-à-vis de l'application faite de tout autre droit et qu'il ne doit pas céder à la tentation d'examiner avec une pleine cognition si les règles topiques du droit suisse ont été interprétées et/ou appliquées correctement, comme il le ferait s'il était saisi d'un recours en matière civile dirigé contre un arrêt étatique (...). Ceci vaut à plus forte raison, lorsque, comme en l'espèce, le droit suisse n'était même pas applicable à titre de droit supplétif dans le cadre de la procédure arbitrale.
9.2. C'est le lieu de préciser encore que la violation des dispositions de la CEDH ou de la Constitution ne compte pas au nombre des griefs limitativement énumérés par l'art. 190 al. 2. Il n'est dès lors pas possible d'invoquer directement une telle violation. Les principes qui sous-tendent les dispositions de la CEDH ou de la Constitution peuvent cependant être pris en compte dans le cadre de l'ordre public afin de concrétiser cette notion (...).
Aussi le moyen tiré d'une violation de l'ordre public n'est-il pas recevable dans la mesure où il tend simplement à établir que la sentence incriminée serait contraire aux différentes garanties, tirées de la CEDH et de la Constitution, que la recourante invoque, ce d'autant moins que le droit suisse n'était pas applicable à la procédure arbitrale conduite par le TAS.
38. Passant à l'examen du grief de la requérante selon lequel la sentence du TAS était incompatible avec l'ordre public en ce qu'elle méconnaissait le principe de l'interdiction de la discrimination, le Tribunal fédéral exprima un doute quant à sa recevabilité :
« 9.4. Dans l'ordonnance de mesures provisionnelles du 29 juillet 2019, la Présidente de la Cour de céans a souligné que la différenciation prétendument inadmissible repose en l'occurrence sur un règlement édicté par une association de droit privé. Elle a ajouté qu'il est douteux que la prohibition des mesures discriminatoires entre dans le champ d'application de la notion restrictive d'ordre public lorsque la discrimination est le fait d'une personne privée et survient dans des relations entre particuliers.
Certes, le Tribunal fédéral a, de jurisprudence constante, souligné que l'interdiction de la discrimination fait partie de l'ordre public (cf. par ex. ATF 144 III 120 consid. 5.1 ; 138 III 322 consid. 4.1 ; 132 III 389 consid. 2.2.1 ; 128 III 191 consid. 6b), mais s'il l'a fait, c'est dans l'idée de protéger au premier chef la personne vis-à-vis de l'État.
À cet égard, on peut relever que, sous l'angle du droit constitutionnel suisse, la jurisprudence considère que la garantie de l'interdiction de la discrimination (art. 8 al. 2 Cst.) s'adresse à l'État et ne produit en principe pas d'effet horizontal direct sur les relations entre personnes privées (...), ce qui rejoint l'avis de plusieurs auteurs (...). Aussi est-il loin d'être évident de retenir que l'interdiction de discrimination émanant d'un sujet de droit privé fasse partie des valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique.
La recourante fait cependant valoir, non sans pertinence, que les relations entre un athlète et une fédération sportive mondiale présentent certaines similitudes avec celles qui lient un particulier à l'État. Il est vrai que le Tribunal fédéral a relevé que le sport de compétition se caractérise par une structure très hiérarchisée, aussi bien au niveau international qu'au niveau national. Établies sur un axe vertical, les relations entre les athlètes et les organisations qui s'occupent des diverses disciplines sportives se distinguent en cela des relations horizontales que nouent les parties à un rapport contractuel ( ATF 133 III 235 ). Cela étant, il n'est pas certain que cela suffise pour admettre qu'un athlète puisse se prévaloir de l'interdiction de la discrimination dans le cadre d'un recours en matière civile dirigé contre une sentence arbitrale au titre de la violation de l'ordre public (...) ».
39. Sans trancher ce doute, le Tribunal fédéral jugea que la sentence du TAS ne consacrait pas une discrimination contraire à l'ordre public. Son arrêt est sur ce point motivé comme il suit :
« 9.5. Selon la définition jurisprudentielle, il y a discrimination, au sens de l'article 8 alinéa 2 de la Constitution, lorsqu'une personne est traitée différemment en raison de son appartenance à un groupe particulier qui, historiquement ou dans la réalité sociale actuelle, souffre d'exclusion ou de dépréciation (...). Le principe de non-discrimination n'interdit pas pour autant toute distinction basée sur l'un des critères énumérés à l'art. 8 al. 2 Cst., mais fonde plutôt le soupçon d'une différenciation inadmissible (...). En d'autres termes, distinguer ne signifie pas nécessairement discriminer. Les inégalités qui résultent d'une telle distinction doivent cependant faire l'objet d'une justification particulière (...). En matière d'égalité entre les sexes, un traitement distinct est possible s'il repose sur des différences biologiques excluant catégoriquement un traitement identique ( ATF 126 I 1 consid. 2 et les arrêts cités).
9.6.1. En l'occurrence, le TAS a considéré, au terme d'un examen approfondi et circonstancié, que les conditions d'éligibilité fixées par le règlement DDS étaient prima facie discriminatoires, puisqu'elles créaient une différenciation fondée sur le sexe légal et les caractéristiques biologiques innées, mais qu'elles constituaient une mesure nécessaire, raisonnable et proportionnée en vue d'assurer l'équité et la défense de la « classe protégée » et de garantir une compétition équitable.
9.6.2. S'agissant de la nécessité de la réglementation édictée, la Formation a tenu le raisonnement suivant, tel qu'il a été résumé plus avant dans la partie « Faits » du présent arrêt (cf. let. B.c.e) : elle a rappelé tout d'abord que vouloir assurer une compétition équitable dans les épreuves féminines d'athlétisme est un objectif légitime et qu'une fois la légitimité de la division en deux catégories séparées hommes/femmes admise, il est indispensable de fixer des critères permettant de déterminer quels athlètes peuvent participer à ces épreuves-là. À ce titre, elle a reconnu que la seule référence au sexe légal d'une personne ne constitue pas toujours un moyen de distinction juste et efficace, raison pour laquelle il peut être légitime de régler le droit de participer à une compétition dans la catégorie féminine par référence aux facteurs biologiques plutôt qu'au seul sexe légal. En effet, qu'une personne soit légalement reconnue femme et s'identifie ainsi ne signifie pas nécessairement qu'elle ne dispose pas de l'avantage compétitif insurmontable associé à certains traits biologiques qui prédominent chez les personnes généralement (mais pas toujours) reconnues hommes au point de vue du droit et s'identifiant de cette manière. C'est la biologie humaine, et non le statut légal ou l'identité de genre, qui détermine finalement quels individus possèdent les traits physiques leur procurant cet avantage insurmontable.
La Formation a admis que le critère qui détermine le droit de concourir au sein de la « classe protégée » doit s'aligner sur la raison à l'origine de la création de la catégorie féminine. Si l'existence de cette « classe protégée » est fondée sur l'impact significatif de certaines caractéristiques biologiques sur la performance dans diverses disciplines sportives, alors il est légitime de régler le droit d'appartenir à cette « classe protégée » par référence à ces caractéristiques biologiques.
La Formation a aussi reconnu que la testostérone est le facteur principal des avantages physiques et donc de la différence entre les sexes au niveau de la performance athlétique. Sur la base des éléments avancés par les parties et de l'audition des différents experts, elle a estimé que les athlètes féminines 46 XY DSD, sensibles aux androgènes, jouissent d'un avantage compétitif significatif et que celui-ci résulte de leur exposition à un taux de testostérone équivalant à la concentration ordinaire présente chez un homme. Elle a enfin considéré que les dispositions régissant les conditions d'éligibilité des athlètes 46 XY DSD à certaines épreuves sont nécessaires si l'on veut que les compétitions féminines d'athlétisme puissent se dérouler de manière équitable.
Pour les mêmes raisons, la Formation a considéré que le règlement DDS est raisonnable.
9.6.3. S'agissant du contrôle sous l'angle de la proportionnalité, la formation, comme on l'a indiqué plus haut (cf. let. B.c.f), a ensuite procédé à un examen complet du Règlement DDS, analysant, dans ce cadre-là, toute une série d'aspects, à savoir les effets liés à la prise de contraceptifs oraux, le devoir des athlètes 46 XY DSD de se soumettre à des examens physiques intrusifs, le problème de la confidentialité, le cercle des « Épreuves visées », la limite autorisée du taux de testostérone ainsi que la capacité des athlètes à pouvoir maintenir leur taux de testostérone au-dessous de 5 nmol/L. Pour apprécier la proportionnalité du règlement DDS, elle a estimé qu'une pesée des différents intérêts en présence était nécessaire. Elle a en particulier souligné que les effets secondaires du traitement hormonal, même s'ils sont significatifs, ne sont pas suffisants pour l'emporter sur les intérêts poursuivis par l'IAAF. Au terme de cet examen, elle a considéré que le règlement DDS constituait une mesure appropriée.
(...) 9.8.1. L'argumentation de la recourante (...) appelle une remarque préalable de la Cour de céans. Force est, en effet, de rappeler ici que le moyen pris de l'incompatibilité avec l'ordre public matériel, au sens de l'art. 190 al. 2 let. e de la loi fédérale sur le droit international privé et de la jurisprudence y afférente, n'est pas recevable dans la mesure où il tend uniquement à établir la contrariété entre la sentence attaquée et une norme du droit suisse, fût-elle de rang constitutionnel. Dès lors, toutes les considérations relatives à la portée de l'art. 8 al. 2 Cst. et aux exigences qui en découlent sur le plan du droit interne suisse sont dénuées de pertinence. Aussi ne saurait-on suivre la recourante lorsqu'elle se borne à transposer la jurisprudence rendue sur la base de l'art. 8 al. 2 Cst. à l'arbitrage international. En effet, ce faisant, elle se place sur le terrain du droit constitutionnel suisse, alors que celui-ci n'était pas applicable à la procédure conduite devant le TAS. La seule question à résoudre consiste en réalité à savoir si le résultat auquel a abouti le TAS rend ou non la sentence déférée incompatible avec l'ordre public matériel.
9.8.2. Ces précisions faites, il convient de rappeler que la Formation a procédé notamment aux constatations suivantes :
- la testostérone est le facteur principal des avantages physiques et donc de la différence entre les sexes au niveau de la performance athlétique (sentence, n. 492 s.) ;
- les athlètes féminines 46 XY DSD possèdent des chromosomes masculins (XY), des gonades mâles (c'est-à-dire des testicules et non des ovaires) et un taux de testostérone comparable à celui des hommes (sentence, n. 497) ;
- les athlètes féminines 46 XY DSD, sensibles aux androgènes, jouissent d'un avantage compétitif significatif résultant de leur exposition à un taux de testostérone équivalant à la concentration ordinaire présente chez un homme (sentence, n. 575) ;
- cet avantage peut ne pas être de l'ordre de 10-12 % mais il est suffisant pour permettre aux athlètes ayant un 5-ARD de battre systématiquement les athlètes féminines ne présentant pas de DDS (sentence, n. 574).
Ces constatations de fait lient le Tribunal fédéral. Sur la base des faits souverainement constatés par elle, le raisonnement tenu par la Formation sous l'angle de la nécessité, n'apparaît nullement critiquable. À cet égard, la recourante ne peut être suivie lorsqu'elle tente de relativiser le caractère insurmontable de l'avantage dont jouissent les athlètes 46 XY DSD .
La recourante ne peut pas davantage être suivie lorsqu'elle fait valoir que la sentence attaquée serait contraire à l'ordre public au motif que la liste des « Épreuves visées », entérinée par la Formation, créerait une atteinte disproportionnée aux droits des athlètes 46 XY DSD . Tout d'abord, il est très douteux que cet élément, pris isolément, puisse suffire à retenir une contrariété avec l'ordre public. Ensuite, il est erroné de soutenir, comme le fait la recourante, que la Formation a constaté que les preuves relatives à l'avantage compétitif des athlètes 46 XY DSD dans les disciplines du 1 500 mètres et du mile sont « insuffisantes » (recours, n. 221). Bien que le TAS ait fait part de ses préoccupations quant à l'inclusion de ces deux épreuves dans le règlement DDS et ait indiqué que l'IAAF pourrait envisager de différer l'application de ce règlement auxdites épreuves, il n'en a pas moins considéré que l'IAAF avait fourni des preuves pour toutes les « Épreuves visées » ainsi qu'une explication générale rationnelle sur la façon dont a été définie cette catégorie. Dans ces conditions, on ne saurait qualifier ce résultat de contraire à l'ordre public.
9.8.3.1. S'agissant de l'examen effectué par le TAS sous l'angle du principe de la proportionnalité, la Cour de céans tient tout d'abord à relever que la Formation, à l'issue d'une procédure arbitrale au cours de laquelle elle a tenu audience durant cinq jours et entendu un nombre très important d'experts, a rendu une sentence circonstanciée, comportant pas moins de 165 pages, traitant non seulement des questions scientifiques fort complexes mais aussi des problèmes juridiques extrêmement délicats. Dans ce cadre-là, le TAS a procédé à un examen complet des griefs soulevés par les parties. En outre, les arbitres ont tenu compte de tous les éléments et n'ont négligé aucune circonstance importante. Certes, la Formation n'a pas été en mesure, sur la base des preuves recueillies, d'apporter une réponse à toutes les nombreuses questions que soulève la présente affaire. Cela étant, on ne saurait lui reprocher d'avoir omis d'examiner certains aspects décisifs concernant le règlement DDS. Elle a en effet procédé à une pesée soigneuse des différents intérêts en présence. D'un côté, le TAS a tenu compte de l'intérêt à garantir une compétition équitable au sein de l'athlétisme féminin et à assurer la défense de la « classe protégée », en vue de permettre aux athlètes féminines ne présentant pas de DDS de pouvoir exceller au plus haut niveau. De l'autre, il a pris en considération les effets des contraceptifs oraux sur la santé des athlètes 46 XY DSD , les atteintes liées aux examens physiques intrusifs visant à apprécier la sensibilité aux androgènes, les problèmes relatifs à la confidentialité et la possibilité pour les athlètes 46 XY DSD de réussir à maintenir leur taux de testostérone au-dessous de la limite réglementaire.
9.8.3.2. Il reste à déterminer si le résultat auquel a abouti la Formation est contraire à l'ordre public, c'est-à-dire aux valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique. La question doit être résolue par la négative. En effet, le résultat auquel aboutit la sentence attaquée n'est ni insoutenable ni même déraisonnable.
9.8.3.3. À cet égard, il y a lieu d'insister sur le fait que le souci d'assurer, autant que faire se peut, un sport équitable constitue un intérêt tout à fait légitime. Certes, comme le relève la recourante, il n'existe pas, selon la jurisprudence, un ordre public propre au sport, une « lex sportiva » (arrêt 4A_312/2017, précité, consid. 3.3.2). Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faille pas tenir compte du contexte particulier dans lequel s'inscrit la présente cause, c'est-à-dire le sport de compétition, s'agissant d'apprécier la pondération des intérêts opérée par la Formation et le résultat auquel celle-ci a abouti.
Il est important de relever que la CourEDH elle-même attache un poids particulier à l'équité sportive. Dans un arrêt rendu le 18 janvier 2018, la CourEDH a reconnu que « la recherche d'un sport égalitaire et authentique se rattache au but légitime que constitue la protection des droits d'autrui » ( Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs (FNASS) et autres c. France , [nos 48151/11 et 77769/13 ,] § 166[, 18 janvier 2018]).
(...) Cet arrêt confirme (...) que la recherche d'un sport équitable constitue un objectif important susceptible de justifier de sérieuses atteintes aux droits des sportifs. La présente cause soulève certes une question différente de celle du dopage. Nul ne conteste en effet que les athlètes 46 XY DSD n'ont jamais triché. Cela étant, il ne faut pas perdre de vue que l'avantage naturel qu'elles possèdent est d'une ampleur telle qu'il leur permet, sur les distances comprises entre le 400 mètres et le mile, de battre systématiquement les athlètes féminines ne présentant pas de DDS.
À cet égard, quoi que soutienne la recourante, dans une critique largement appellatoire, en invoquant de surcroît un moyen qu'elle n'a apparemment jamais soulevé devant le TAS, la loyauté et l'équité des compétitions ne concernent pas uniquement les problématiques liées au dopage, à la corruption et autres manipulations externes. Des caractéristiques innées propres aux athlètes d'un groupe déterminé peuvent aussi fausser l'équité des compétitions. Lorsqu'elles édictent des règlements, les fédérations sportives ont pour objectif d'assurer une compétition loyale et équitable (...). Ainsi, l'instauration de catégories séparées a pour but de réduire la différence entre les athlètes. C'est pourquoi, dans certains sports, plusieurs catégories ont été créées sur la base de critères biométriques. Par exemple, les boxeurs sont répartis en plusieurs catégories en fonction de leur poids. De même, dans la plupart des sports, dont l'athlétisme, les femmes et les hommes concourent dans deux catégories séparées, ces derniers étant naturellement avantagés du point de vue physique.
La séparation en deux catégories féminine et masculine implique cependant de devoir fixer une limite et des critères de distinction. Or, toute division binaire entre les hommes et les femmes, comme c'est le cas dans le domaine de l'athlétisme, soulève nécessairement certaines difficultés de classification. La présente affaire en est la parfaite illustration. À cet égard, il est intéressant de relever, au passage, que le droit australien, auquel se réfère l'IAAF dans sa réponse, prévoit expressément que le fait d'interdire à des personnes intersexes de participer à certaines compétitions sportives n'est pas illégal (...). Il est évident que les athlètes ne disposeront jamais des mêmes chances de succès dans les faits. Ainsi, par exemple, un athlète de grande taille sera certainement avantagé s'il joue au basketball, à l'instar d'un sportif aux grands pieds qui pratique la natation. Cela étant, il n'appartient pas au Tribunal fédéral d'opérer, abstraitement, des comparaisons entre les différentes disciplines pour apprécier si tel ou tel sportif dispose d'un avantage rendant la compétition sportive vide de sens. C'est avant tout aux fédérations sportives de déterminer dans quelle mesure tel ou tel avantage physique est susceptible de fausser la compétition (...) et, cas échéant, d'instaurer des règles d'éligibilité, juridiquement admissibles, de nature à remédier à cet état des choses. Aussi la recourante tente-t-elle en vain de tirer des parallèles entre la situation de sportifs pratiquant d'autres sports ou d'autres disciplines d'athlétisme et la sienne.
9.8.3.4. L'objectif poursuivi par l'IAAF à savoir garantir l'équité de la compétition, que la recourante qualifie elle-même d'intérêt public (recours, n. 214), n'est pas le seul qui entre en ligne de compte. En effet, comme l'a souligné la Formation, la présente affaire se caractérise par le fait que des intérêts privés sont en conflit, puisque les intérêts des athlètes 46 XY DSD s'opposent à ceux des autres athlètes féminines ne présentant pas de DDS. Sur ce point, il convient de rappeler que celles-ci sont désavantagées et privées de chances de succès lorsqu'elles doivent affronter des athlètes 46 XY DSD. Les statistiques sont à cet égard particulièrement éloquentes. On ne saurait suivre la recourante lorsqu'elle soutient que la défense de la « classe protégée » tendrait uniquement à défendre les intérêts économiques des autres athlètes féminines. Une telle affirmation est par trop réductrice. En effet, la raison d'être de cette « classe protégée » est de permettre aux athlètes féminines de pouvoir bénéficier des mêmes opportunités que celles dont jouissent les athlètes masculins, afin de les inciter à faire les sacrifices nécessaires pour atteindre le plus haut niveau en matière d'athlétisme. Le triomphe au sein de l'élite internationale permet aux athlètes d'acquérir une notoriété certaine et de devenir des modèles auxquels s'identifient les jeunes sportives de leur pays et du monde entier. La volonté d'exceller au niveau de l'élite sportive n'est ainsi pas mue uniquement par des intérêts financiers. Le sport ne se réduit pas à un simple spectacle commercial ; il n'a pas été créé pour générer des flux monétaires (...). Lorsqu'une athlète s'avance sur la ligne de départ, elle recherche, avant toutes choses, sa satisfaction personnelle en tentant de battre ses adversaires (...).
9.8.3.5. Pour tenter de concilier les intérêts des athlètes 46 XY DSD, ceux des autres athlètes féminines et les impératifs liés au sport de compétition, l'IAAF a édicté le règlement DDS. Ce faisant, elle n'a pas opté pour la solution retenue en droit australien, lequel admet l'exclusion des personnes intersexes de toute activité sportive de compétition dans laquelle la force, l'endurance ou le physique des compétiteurs joue un rôle. Elle a choisi une solution moins drastique, en conditionnant la participation des athlètes 46 XY DSD, à diverses épreuves d'athlétisme (« Épreuves visées »), dans le cadre des compétitions internationales, au respect de certaines exigences. La Formation n'a pas manqué d'exprimer, à plusieurs reprises, certaines préoccupations. Cela étant, après avoir examiné le règlement DDS sous toutes ses coutures, elle a conclu que celui-ci constitue une mesure proportionnée. Dans ce cadre-là, elle n'a négligé aucune circonstance importante, puisqu'elle a notamment tenu compte des effets des contraceptifs oraux sur la santé des athlètes, des atteintes liées aux examens physiques intrusifs et des problèmes de confidentialité. S'agissant de ces différents points, la Cour de céans considère qu'il est important de mettre en exergue certains éléments retenus par le TAS.
Concernant les effets secondaires liés à l'utilisation de contraceptifs oraux, la Formation a admis que ceux-ci sont significatifs et que la recourante en a subi certains lorsqu'elle prenait la pilule contraceptive. Toutefois, elle s'est aussi refusée à conclure que tous les effets secondaires rencontrés par la recourante lorsqu'elle essayait de réduire son taux de testostérone étaient dus au traitement hormonal, que de tels effets ne pourraient pas être contrôlés autrement, qu'ils perdureraient (...) ou qu'un autre type de pilules contraceptives, s'il était prescrit, entraînerait des effets secondaires similaires. Elle a ajouté que ces effets-là ne diffèrent pas, par leur nature, des effets secondaires que ressentent des milliers, voire des millions d'autres femmes de caryotype XX qui prennent des contraceptifs oraux. La Formation a en outre indiqué qu'il n'existe pas de preuves (suffisantes) lui permettant d'admettre que les effets secondaires augmenteraient en cas de réduction du taux de testostérone maximal admissible de 10 à 5 nmol/L. Ainsi, la Cour de céans est liée par la constatation du TAS selon laquelle l'augmentation de tels effets n'est pas démontrée. Lorsque la recourante reproche au TAS de ne pas avoir établi si les symptômes de sevrage provoqués par l'intervention hormonale sont uniquement temporaires, si les athlètes 46 XY DSD vont devoir prendre des doses plus élevées de contraceptifs oraux que celles normalement prescrites, si certains effets secondaires sont plus importants lorsque la dose de contraceptifs est importante ou encore si les contraceptifs ont une autre incidence sur la performance athlétique, elle formule une critique de type purement appellatoire et, partant, irrecevable. Au demeurant, quand elle argumente sur la base des règles du fardeau de la preuve, la recourante perd de vue que cette question est soustraite à l'examen du Tribunal fédéral appelé à connaître d'un recours en matière civile visant une sentence arbitrale internationale, car de telles règles ne font pas partie de l'ordre public matériel au sens de l'art. 190 al. 2 let. e de la loi fédérale sur le droit international privé (arrêt 4A_616/2015 du 20 septembre 2016 consid. 4.3.1 et les précédents cités).
S'agissant des examens visant à déterminer le degré de virilisation, la Formation a reconnu que ceux-ci présentent un caractère très intrusif et que le fait de subir un tel examen peut être malvenu et angoissant, même si cet examen est effectué avec soin. Dans le même temps, elle a toutefois évoqué la possibilité que pareils examens puissent, dans certains cas, avoir des effets bénéfiques en permettant de révéler des informations médicales susceptibles d'aider les athlètes qui ignorent présenter une DDS à prendre des décisions éclairées sur d'éventuels traitements médicaux nécessaires, mais également de les prémunir contre d'éventuelles suspicions de dopage.
La Formation a encore admis que l'IAAF avait réussi à maintenir confidentielles les informations relatives aux athlètes visées par sa précédente réglementation. Cela étant, elle a relevé qu'il ne serait pas difficile pour un « observateur averti » de déduire de l'absence d'une athlète lors d'une compétition internationale qu'elle présente une DDS, estimant ainsi qu'il s'agissait là d'un effet préjudiciable inévitable du règlement DDS.
Quant à la possibilité concrète pour les athlètes 46 XY DSD de pouvoir maintenir leur taux de testostérone au-dessous de 5 nmol/L, la Formation a fait part de ses préoccupations. Elle a néanmoins considéré que les difficultés potentielles d'application du règlement DDS étaient, essentiellement, de nature spéculative. Elle a ajouté que sa mission consistait à examiner le règlement DDS tel qu'édicté et non encore mis en oeuvre. Cela étant, le TAS a souligné que le Règlement DDS pourrait s'avérer, ultérieurement, disproportionné au cas où il serait impossible ou excessivement difficile de l'appliquer. Force est dès lors d'admettre que le TAS n'a pas validé, une fois pour toutes, le règlement DDS mais a, au contraire, expressément réservé la possibilité d'effectuer, cas échéant, un nouvel examen sous l'angle de la proportionnalité lors de l'application de cette réglementation dans un cas particulier. À cet égard, on relèvera que la recourante mentionne elle-même dans ses écritures que l'IAAF a tenu compte des préoccupations émises par la Formation puisqu'elle a décidé de réviser le règlement DDS afin de permettre, à certaines conditions, de renoncer à la disqualification d'une athlète dont le taux de testostérone dépasserait involontairement la limite autorisée.
9.8.3.6. À l'issue de l'examen des différents intérêts en présence, on ne saurait affirmer que certains d'entre eux l'emporteraient clairement sur d'autres. C'est le lieu de rappeler que les athlètes 46 XY DSD n'ont pas l'obligation de réduire leur taux de testostérone en suivant un traitement hormonal, sauf si elles désirent prendre part à une « Épreuve visée » dans la catégorie féminine lors d'une compétition internationale. Par conséquent, la solution retenue par la Formation, au terme d'une pesée soigneuse des différents intérêts en présence, n'est ni insoutenable, c'est-à-dire arbitraire, ni, a fortiori, contraire à l'ordre public. »
40. S'agissant du grief de la requérante selon lequel elle serait victime d'une atteinte aux droits de sa personnalité, le Tribunal fédéral jugea ce qui suit :
« 10. Toujours au titre de la violation de l'ordre public, la recourante se plaint encore d'une violation de ses droits de la personnalité en raison des atteintes injustifiées portées à son intégrité corporelle, à son identité, à sa sphère intime et à sa liberté économique.
10.1. En matière de sport de haut niveau, le Tribunal fédéral reconnaît que les droits de la personnalité (art. 27 s. du code civil suisse [CC ; RS 210]) incluent le droit à la santé, à l'intégrité corporelle, à l'honneur, à la considération professionnelle, à l'activité sportive et, s'agissant de sport professionnel, le droit au développement et à l'épanouissement économique ( ATF 134 III 193 consid. 4.5). Suivant les circonstances, une atteinte aux droits de la personnalité du sportif peut être contraire à l'ordre public matériel ( ATF 138 III 322 consid. 4.3.1 et 4.3.2). Selon la jurisprudence, la violation de l'art. 27 al. 2 CC n'est toutefois pas automatiquement contraire à l'ordre public matériel ; encore faut-il que l'on ait affaire à un cas grave et net de violation d'un droit fondamental ( ATF 144 III 120 consid. 5.4.2).
[Sur l'intégrité physique et psychique :]
10.2. S'agissant des atteintes à son intégrité physique et psychique, la recourante dénonce à la fois le devoir de subir des examens intrusifs humiliants visant à déterminer la sensibilité d'une athlète aux androgènes et l'obligation qui lui est imposée de prendre des contraceptifs oraux afin d'abaisser son taux de testostérone au-dessous de la limite réglementaire. Il est clair que de telles mesures portent sérieusement atteinte au droit à l'intégrité physique des athlètes 46 XY DSD. Cela étant, on ne saurait suivre la recourante lorsqu'elle soutient que ces atteintes sont telles qu'elles affecteraient l'essence même du droit à l'intégrité physique, rendant toute justification impossible.
Pour ce qui est des examens intrusifs, il faut relever que ceux-ci seront menés par des médecins dûment qualifiés et ne seront en aucun cas effectués si une athlète s'y oppose. Aussi, le parallèle que tente de tirer l'intéressée entre une fouille corporelle effectuée par un agent de sécurité et la présente espèce n'est pas pertinent, dès lors que les types d'examens, le contexte dans lequel ceux-ci s'inscrivent, et les personnes chargées de les pratiquer, ne sont nullement comparables. En outre, la Formation a évoqué la possibilité que ces examens puissent, dans certains cas, avoir des effets bénéfiques en permettant de révéler des informations médicales susceptibles d'aider les athlètes, ignorant qu'elles présentent une DDS, à prendre des décisions éclairées sur d'éventuels traitements médicaux nécessaires et en prémunissant ces athlètes contre d'éventuelles suspicions de dopage. Enfin, on relèvera qu'indépendamment de l'existence ou non du règlement DDS, le corps d'une sportive professionnelle est déjà passablement scruté aux fins de la lutte antidopage. Tous ces éléments conduisent à relativiser l'ampleur de l'atteinte au droit à l'intégrité physique et psychique, quand bien même celle-ci demeure importante.
Quant à la prise de contraceptifs oraux, il est exact qu'elle ne répond, dans le présent contexte, à aucune nécessité médicale. Ni le TAS ni les parties ne le contestent. Cependant, on ne saurait suivre la recourante, lorsqu'elle soutient que la présente cause est « similaire » aux cas de traitements forcés ou quand elle se borne à y transposer la jurisprudence fédérale, rendue sous l'angle du droit constitutionnel suisse, en rapport avec le traitement des personnes schizophrènes contre leur gré. Qu'une athlète décide, fût-ce de mauvaise grâce, de se plier aux exigences fixées par l'IAAF pour pouvoir participer à certaines compétitions et, partant, accepte de prendre des contraceptifs oraux pour réduire son taux de testostérone sur la base d'un consentement qu'elle n'a pas exprimé de façon entièrement libre est une chose. Qu'un traitement soit imposé de force à une personne à son corps défendant en est une autre. S'il est vrai que le consentement de l'athlète, faute d'être complètement libre, ne saurait, en l'occurrence, justifier à lui seul l'atteinte à l'intégrité physique, cela ne signifie pas pour autant que des intérêts publics prépondérants ou la nécessité de protéger les droits de tiers ne puissent pas légitimer une telle atteinte.
En ce qui concerne les effets liés à la prise de contraceptifs oraux, tels qu'ils ont été rappelés plus haut (cf. consid. 9.8.3.5), la recourante, par une critique de type purement appellatoire, s'en prend à l'appréciation de la Formation quant à la gravité de l'intervention hormonale. Il ne sera dès lors pas tenu compte d'une telle critique qui méconnaît la nature du recours en matière d'arbitrage international.
Il résulte de ce qui précède que si la prise de contraceptifs oraux implique des effets secondaires significatifs et ne repose pas sur un consentement complètement libre et éclairé, au point de constituer une atteinte sérieuse au droit à l'intégrité physique des athlètes concernées, on ne saurait en revanche admettre qu'une telle mesure affecte l'essence même de ce droit, excluant toute justification.
Ceci étant précisé, on rappellera, encore une fois, que le règlement DDS constitue une mesure nécessaire et proportionnée pour atteindre les buts visés par l'IAAF. À cet égard, les considérations émises par la Cour de céans sur la nécessité et la proportionnalité de la mesure contestée, au regard du principe de l'interdiction de la discrimination, valent ici mutatis mutandis . Par conséquent, la sentence attaquée n'apparaît pas non plus contraire à l'ordre public sous l'angle du droit à l'intégrité physique.
[Sur l'identité :]
10.3. L'argumentation développée par la recourante sous l'angle du droit au respect de l'identité sociale et de genre tombe à faux. En effet, le règlement DDS ne vise nullement à « redéfinir », voire à remettre en cause l'identité sexuelle ou de genre des athlètes féminines 46 XY DSD. Il instaure seulement des règles d'éligibilité destinées à garantir l'équité sportive et l'égalité des chances entre toutes les athlètes féminines. En tout état de cause, il ne s'agit nullement d'un cas grave et net de violation.
[Sur la sphère intime :]
10.4. S'agissant de la protection de la sphère intime, la Formation a reconnu qu'il ne sera pas difficile pour un observateur averti de déterminer si une athlète est concernée par le règlement DDS. À cet égard, elle a conclu qu'il s'agit probablement d'un effet préjudiciable du règlement DDS. Elle a néanmoins considéré que celui-ci constituait une mesure nécessaire et proportionnée. Un tel résultat n'est pas contraire à l'ordre public. Sur ce point, on peut reprendre mutatis mutandis les considérations déjà émises en lien avec le principe d'interdiction de la discrimination.
[Sur la liberté économique :]
10.5. Sous l'angle de la liberté économique, on relèvera que les nouvelles règles d'éligibilité restreignent la possibilité pour la recourante de s'aligner dans les « Épreuves visées » lors des compétitions internationales, alors qu'elle était, jusqu'à présent, totalement libre d'y participer. Ce faisant, le règlement DDS, validé par le TAS, porte atteinte à sa liberté économique. Cependant, pour qu'une restriction de la liberté économique puisse être considérée comme excessive au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral, il faut qu'elle livre celui qui s'est obligé à l'arbitraire de son cocontractant, supprime sa liberté économique ou la limite dans une mesure telle que les bases de son existence économique sont mises en danger (arrêt 4A_312/2017, précité, consid. 3.1 et les précédents cités). Or, force est de constater que les conditions d'éligibilité ne rendent pas la participation de la recourante aux « Épreuves visées » impossible. En outre, l'intéressée peut s'aligner dans d'autres disciplines non visées par le règlement DDS, et ce, même à l'échelon international. Il n'est ainsi pas évident de retenir que son existence économique serait réellement mise en péril. Quoi qu'il en soit, le règlement DDS constitue, de toute manière, une mesure apte, nécessaire et proportionnée aux buts visés justifiant ainsi l'atteinte à la liberté économique. Les considérations faites ci-dessus au sujet de la nécessité et la proportionnalité de la mesure, sous l'angle du principe de l'interdiction de la discrimination, peuvent être reprises ici.
Pour le surplus, quoi que soutienne la recourante, sa situation n'est pas comparable à celle du footballeur brésilien Matuzalem, lequel s'était vu menacer d'une suspension illimitée de toute activité footballistique pour le cas où il ne paierait pas une indemnité supérieure à 11 millions d'euros, intérêts en sus, à son ancien club à bref délai ( ATF 138 III 322 ). Dans cette affaire, la FIFA [fédération internationale de football association] cherchait à faciliter l'exécution forcée d'une sentence arbitrale. Cette mesure visait à protéger directement les intérêts du club afin qu'il puisse obtenir le paiement de dommages-intérêts de la part du joueur défaillant et, indirectement, l'intérêt de l'association sportive à ce que les footballeurs respectent le principe de la fidélité contractuelle. Examinant la question de sa proportionnalité sous l'angle de l'ordre public, le Tribunal fédéral a mis en doute que pareille mesure permette de favoriser le recouvrement de la créance en dommages-intérêts lorsque le joueur ne dispose pas des fonds nécessaires au paiement de celle-ci, étant donné que la suspension de toute activité footballistique prive le joueur de la possibilité de percevoir un salaire, en exerçant son métier, en vue de désintéresser son créancier. Il a considéré que la sanction n'était pas nécessaire pour atteindre le but visé, puisque le créancier pouvait obtenir l'exécution forcée de la sentence par le biais de la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (RS 0.277.12). Enfin, il a estimé que l'intérêt, abstrait, de la FIFA à ce que les footballeurs respectent le principe de la fidélité contractuelle vis-à-vis de leur employeur était clairement moins important (« eindeutig weniger gewichtig ») que celui du joueur à ne pas devoir subir une suspension illimitée dans le temps et l'espace.
La situation est sensiblement différente en l'espèce puisque le règlement DDS, entériné par le TAS, constitue une mesure apte, nécessaire et proportionnée aux buts légitimes que sont l'équité sportive et le maintien de la « classe protégée ». On ne saurait qualifier d'ailleurs de tels intérêts de « clairement moins importants » par rapport aux droits des athlètes 46 XY DSD (...) ».
41. Enfin, s'agissant de l'atteinte à la dignité humaine alléguée par la requérante, le Tribunal fédéral jugea ce qui suit :
« 11. En dernier lieu, la recourante soutient que la sentence attaquée porte atteinte à sa dignité humaine, laquelle entre sans conteste dans la notion d'ordre public.
11.1. Dans une première branche de ce moyen, la recourante fait valoir que la sentence véhiculerait des stéréotypes de genre. Selon elle, le raisonnement du TAS négligerait sa dignité humaine, puisque seules les femmes possédant des caractéristiques biologiques correspondant au stéréotype de la femme seraient autorisées à concourir librement dans la « classe protégée », c'est-à-dire comme des vraies femmes (recours, n. 189). Il faut toutefois préciser que la sentence ne cherche nullement à remettre en cause le sexe féminin des athlètes 46 XY DSD ou à déterminer si celles-ci sont suffisamment « femmes ». La question n'est pas de savoir ce qu'est une femme ou une personne intersexuée. Le seul problème à résoudre est de déterminer si le fait de créer certaines règles d'éligibilité, à des fins d'équité sportive et d'égalité des chances, applicables uniquement à certaines femmes jouissant d'un avantage insurmontable, découlant de certaines caractéristiques biologiques innées, est contraire à la dignité humaine.
On ne saurait admettre que le résultat auquel a abouti le TAS, sur la base du raisonnement critiqué par la recourante, serait, per se , incompatible avec la garantie de la dignité humaine. Dans certains contextes aussi particuliers que celui du sport de compétition, on peut admettre que les caractéristiques biologiques puissent, exceptionnellement et à des fins d'équité et d'égalité des chances, éclipser le sexe légal ou l'identité de genre d'une personne. À ce défaut, l'idée même d'une division binaire hommes/femmes, présente dans l'immense majorité des sports, perdrait sa raison d'être. Dans ces conditions, le fait de restreindre l'accès des athlètes féminines 46 XY DSD, qui possèdent naturellement un avantage insurmontable par rapport aux autres femmes, à certaines compétitions, n'apparaît pas contraire à la dignité humaine de ces athlètes.
11.2. Dans la seconde branche du même moyen, la recourante se plaint de ce que les athlètes féminines 46 XY DSD serviraient de « cobayes humains ».
Le Tribunal fédéral a certes reconnu qu'un traitement médicamenteux administré contre la volonté d'un individu constitue une atteinte grave à la liberté personnelle et touche au coeur même de la dignité ( ATF 130 I 16 consid. 3). Cela étant, il ne faut pas perdre de vue que les pilules contraceptives ne sont, ici, pas prescrites de force aux athlètes féminines 46 XY DSD. Celles-ci conservent en effet toujours la possibilité de refuser de suivre un tel « traitement ». S'il est vrai que pareil refus débouchera sur l'impossibilité de prendre part à certaines compétitions d'athlétisme, on ne saurait admettre qu'une telle conséquence puisse, à elle seule, porter atteinte à la dignité humaine d'une personne.
Par ailleurs, il ne s'agit pas, en l'occurrence, de tester les effets d'un nouveau médicament, totalement inconnu, sur un groupe de personnes. Aussi, la référence à des « expériences pharmacologiques humiliantes » ou à la notion de « cobaye humain » apparaît-elle déplacée.
11.3. Par conséquent, le moyen pris d'une atteinte à la dignité humaine doit être écarté. »
42. Le Tribunal fédéral conclut en ces termes :
« 12. Il résulte de l'examen qui précède auquel la Cour de céans a procédé dans les limites que la jurisprudence impose à sa cognition que la sentence attaquée n'est pas incompatible avec l'ordre public matériel au sens de l'article 190 alinéa 2 lettre e de la loi fédérale sur le droit international privé, de quelque côté qu'on l'aborde ».
4. LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
1. DROIT ET PRATIQUE INTERNES
1. Articles 8 et 190 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse
43. Les articles 8 et 190 de la Constitution fédérale sont ainsi rédigés :
Article 8 - Égalité
« 1. Tous les êtres humains sont égaux devant la loi.
2. Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d'une déficience corporelle, mentale ou psychique.
3. L'homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l'égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L'homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale.
4. La loi prévoit des mesures en vue d'éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées. »
Article 190 - Droit applicable
« Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international ».
2. Droits de la personnalité
44. La « protection de la personnalité » est régie par les articles 27 à 38 du code civil. Les deux premiers de ces articles sont ainsi libellés :
Article 27
1. Nul ne peut, même partiellement, renoncer à la jouissance ou à l'exercice des droits civils.
2. Nul ne peut aliéner sa liberté, ni s'en interdire l'usage dans une mesure contraire aux lois ou aux moeurs.
Article 28
1. Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe.
2. Une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi.
45. Le Tribunal fédéral a précisé que l'article 28 alinéa 1 du code civil confère à celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité le droit d'agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe, et que cette garantie s'étend à l'ensemble des valeurs essentielles de la personne qui lui sont propres par sa seule existence et peuvent faire l'objet d'une atteinte. Il a ajouté qu'en matière de sport de haut niveau, les droits de la personnalités visés par les articles 27 et suivants du code civil englobent plus particulièrement le droit à la santé, à l'intégrité corporelle, à l'honneur, à la considération professionnelle, à l'activité sportive et, s'agissant de sport professionnel, le droit au développement et à l'épanouissement économique (ATF [arrêt du tribunal fédéral] 134 III 193, considérant 4.5). Dans l'arrêt qu'il a rendu en l'espèce le 25 août 2020 (point 10.1 ; paragraphe 40 ci-dessus), renvoyant à cette jurisprudence, il a examiné la cause de la requérante à l'aune du droit au respect de l'intégrité physique et psychique, de l'identité, de la sphère intime, de la liberté économique et de la dignité humaine.
3. Arbitrage international
46. Selon l'article 77 alinéa 1 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral, s'agissant de l'arbitrage international, le recours en matière civile est recevable contre les décisions de tribunaux arbitraux - dont le TAS ( G. c. Fédération Equestre Internationale et Tribunal Arbitral du Sport ; 15 mars 1993, ATF 119 II 271 ) - dans les conditions prévues par les articles 190 à 192 de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé.
47. Le chapitre 12 de la loi fédérale sur le droit international privé (articles 176 à 194) est consacré à l'arbitrage international. Il comprend notamment les dispositions suivantes (version applicable à l'époque des faits) :
Article 176
« 1. Les dispositions du présent chapitre s'appliquent à tout arbitrage si le siège du tribunal arbitral se trouve en Suisse et si au moins l'une des parties n'avait, au moment de la conclusion de la convention d'arbitrage, ni son domicile, ni sa résidence habituelle en Suisse.
2. Les dispositions du présent chapitre ne s'appliquent pas lorsque les parties ont exclu par écrit son application et qu'elles sont convenues d'appliquer exclusivement les règles de la procédure cantonale en matière d'arbitrage.
3. Les parties en cause ou l'institution d'arbitrage désignée par elles ou, à défaut, les arbitres déterminent le siège du tribunal arbitral. »
Article 190
« 1. La sentence est définitive dès sa communication.
2. Elle ne peut être attaquée que :
a. lorsque l'arbitre unique a été irrégulièrement désigné ou le tribunal arbitral irrégulièrement composé ;
b. lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent ;
c. lorsque le tribunal arbitral a statué au-delà des demandes dont il était saisi ou lorsqu'il a omis de se prononcer sur un des chefs de la demande ;
d. lorsque l'égalité des parties ou leur droit d'être entendues en procédure contradictoire n'a pas été respecté ;
e. lorsque la sentence est incompatible avec l'ordre public.
3. En cas de décision incidente, seul le recours pour les motifs prévus à l'al. 2, let. a et b, est ouvert ; le délai court dès la communication de la décision. »
Article 191
« Le recours n'est ouvert que devant le Tribunal fédéral. La procédure est régie par l'article 77 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral. »
48. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente. Il ne peut rectifier ou compléter d'office les constatations des arbitres, même si les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit (articles 77 alinéa 2 et 105 § 2 de la loi sur le Tribunal fédéral combinés).
49. Le Tribunal fédéral a constaté à maintes reprises que l'énumération des griefs figurant à l'article 190 alinéa 2 de la loi fédérale sur le droit international privé est exhaustive (voir ses arrêts 4A_370/2007, du 21 février 2008, considérant 5.3.2, et 4A_198/2012, du 14 décembre 2012, considérant 3.1, 4A_320/2009 du 2 juin 2010). L'examen matériel d'une sentence arbitrale internationale par le Tribunal fédéral est ainsi limité à la question de la compatibilité de la sentence avec l'ordre public. Cette notion est plus étroite que celle de l'interdiction de l'arbitraire ( ATF 121 III 331 , considérant 3a). Selon la pratique du Tribunal fédéral, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable (ATF 137 I 1, considérant 2.4). Il ne suffit pas non plus que les preuves aient été mal appréciées, qu'une constatation de fait soit manifestement fausse ou encore qu'une règle de droit ait été clairement violée ( ATF 144 III 120 , considérant 5.1).
50. Une sentence arbitrale est incompatible avec l'ordre public au sens de l'article 190 alinéa 2 de la loi fédérale sur le droit international privé si elle méconnaît les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique. On distingue entre un ordre public procédural et un ordre public matériel (ATF 144 III 120 at 5.1; ATF 132 III 389 considérant 2.2.1).
51. L'ordre public procédural garantit aux parties le droit à un jugement indépendant sur les conclusions et l'état de fait soumis au tribunal arbitral d'une manière conforme au droit de procédure applicable. Il y a violation de l'ordre public procédural lorsque des principes fondamentaux et généralement reconnus ont été violés, ce qui conduit à une contradiction insupportable avec le sentiment de la justice, de telle sorte que la décision apparaît incompatible avec les valeurs reconnues dans un État de droit (ATF 132 III 389 considérant 2.2.1).
52. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, une sentence est contraire à l'ordre public matériel lorsqu'elle viole des principes fondamentaux du droit de fond au point de ne plus être conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants ; au nombre de ces principes figurent, notamment, la fidélité contractuelle, le respect des règles de la bonne foi, l'interdiction de l'abus de droit, la prohibition de mesures discriminatoires ou spoliatrices ainsi que la protection des personnes civilement incapables. La liste d'exemples ainsi dressée par le Tribunal fédéral pour décrire le contenu de l'ordre public matériel n'est pas exhaustive. Le Tribunal fédéral y a d'ailleurs déjà intégré d'autres principes fondamentaux qui en sont absents, tels que l'interdiction du travail forcé et le respect de la dignité humaine (ATF 144 III 120, considérant 5.1). Comme le Tribunal fédéral l'a souligné en l'espèce (paragraphe 40 ci-dessus), suivant les circonstances, une atteinte aux droits de la personnalité du sportif peut être contraire à l'ordre public matériel (ATF 138 III 322 considérants 4.3.1 et 4.3.2). La violation de l'art. 27 alinéa 2 du code civil n'est toutefois pas automatiquement contraire à l'ordre public matériel ; encore faut-il que l'on ait affaire à un cas grave et net de violation d'un droit fondamental (ATF 144 III 120 considérant 5.4.2).
53. Dans la cause opposant un footballeur brésilien à la FIFA, le Tribunal fédéral a par ailleurs rappelé qu'en tant que bien juridique fondamental, la personnalité humaine doit être placée sous la protection du droit. Il a précisé qu'en Suisse elle est notamment protégée constitutionnellement par la garantie fondamentale de la liberté personnelle qui, outre le droit à l'intégrité physique et psychique et la liberté de mouvement, protège toutes les facultés élémentaires dont l'exercice est indispensable à l'épanouissement de la personne humaine. En relève également la liberté économique qui garantit le libre choix d'une profession et le libre accès à une activité économique (privée) et son libre exercice ( Francelino da Silva Matuzalem c. Fédération Internationale de Football Association ; 27 mars 2012 ; ATF 138 III 322 , considérant 4.3.1).
54. Dans cette affaire, dans le contexte d'un litige opposant un club de football (le « club A ») et un joueur de football professionnel pour rupture injustifiée de contrat, le TAS avait ordonné à ce dernier et au club de football qui l'avait ensuite employé (le « club B ») de payer solidairement presque 12 000 000 d'euros au club A, plus des intérêts. La sentence n'ayant pas été exécutée et le club B ayant fait faillite, la commission de discipline de la FIFA avait ensuite ordonné au footballeur de payer le montant dû dans un délai de quatre-vingt-dix jours sous peine, sur simple requête du club A, de l'interdiction de toute activité en lien avec le football. Le Tribunal fédéral a annulé sur le fondement de l'article 190 alinéa 2 e) la sentence du TAS qui avait confirmé cette décision. Il a constaté qu'une telle interdiction avait pour effet de priver l'intéressé des revenus qui lui auraient permis de payer sa dette, qu'elle n'était pas nécessaire puisque le club A pouvait obtenir l'exécution forcée de la sentence par le biais de la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, et qu'elle était illégitime dès lors que les intérêts que la FIFA entendait garantir ne justifiaient pas l'atteinte grave aux droits de la personnalité qu'elle induisait, le but, abstrait, que les footballeurs respectent le principe de la fidélité contractuelle vis-à-vis de leur employeur ayant clairement moins de poids que l'interdiction pour le recourant, illimitée dans le temps et l'espace, d'exercer toute activité professionnelle liée au football. Selon le Tribunal, la menace d'une telle interdiction constituait une atteinte flagrante et grave aux droits de la personnalité ; en l'absence de paiement, la sentence conduirait non seulement à ce que l'intéressé soit exposé à l'arbitraire de son ancien employeur, mais aussi à une limitation de sa liberté économique telle que les bases mêmes de sa subsistance seraient en péril, sans qu'un tel résultat puisse trouver une justification dans un intérêt prépondérant de la FIFA ou de ses membres. Il a conclu que la sentence du TAS contenait une violation manifeste et grave des droits de la personnalité et était contraire à l'ordre public.
55. Pour déterminer si une sentence est compatible avec l'ordre public, le Tribunal fédéral ne revoit pas à sa guise l'appréciation juridique à laquelle le tribunal arbitral s'est livré sur la base des faits qu'il a constatés. Seul importe, en effet, pour la décision à rendre sous l'angle de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé, le point de savoir si le résultat de cette appréciation juridique faite souverainement par les arbitres est compatible ou non avec la définition jurisprudentielle de l'ordre public matériel (arrêt 4A_157/2017 du 14 décembre 2017, considérant 3.3.3).
56. Au vu du caractère exhaustif de l'énoncé des griefs figurant à l'article 190 al. 2 de la loi fédérale sur le droit international privé, une partie à une procédure arbitrale ne peut pas se plaindre directement, dans le cadre d'un recours devant le Tribunal fédéral, de ce que les arbitres auraient violé la Convention. Toutefois, les principes découlant de celle-ci peuvent servir, le cas échéant, à concrétiser les garanties invoquées sur la base de l'article 190 alinéa 2 de la loi fédérale sur le droit international privé ( ATF 142 III 363 , considérant 4.1.2). Ainsi, le Tribunal fédéral applique la Convention de façon indirecte dans des affaires de ce type (arrêt 4A_370/2007 du 21 février 2008, considérant 5.3.2).
57. Comme cela a été rappelé ci-dessus, le Tribunal fédéral statue sur la base des faits constatés dans la sentence attaquée (article 105 § 1 de la loi sur le tribunal fédéral). Les constatations du tribunal arbitral quant au déroulement de la procédure lient aussi le Tribunal fédéral, qu'elles aient trait aux conclusions des parties, aux faits allégués ou aux explications juridiques données par ces dernières, aux déclarations faites en cours de procès, aux réquisitions de preuves, voire au contenu d'un témoignage ou d'une expertise ou encore aux informations recueillies lors d'une inspection oculaire (ATF 4A_322/2015 du 27 juin 2016, considérant 3). La mission du Tribunal fédéral, lorsqu'il est saisi d'un recours en matière civile visant une sentence arbitrale internationale, ne consiste pas à refaire le procès, à l'instar d'une juridiction d'appel, mais uniquement à examiner si les griefs recevables formulés à l'encontre de la sentence sont fondés ou non (arrêt 4A_386/2010 du 18 juillet 2012, considérant 3.2).
58. Dans plusieurs arrêts, le Tribunal fédéral a encore considéré que, quand bien même il était appelé à statuer sur un recours dirigé contre une sentence rendue par un tribunal arbitral autorisé à appliquer le droit suisse à titre supplétif, il était tenu d'observer, quant à la manière dont ce droit avait été mis en oeuvre, la même distance que celle qu'il s'imposerait vis-à-vis de l'application de tout autre droit et qu'il ne devait pas céder à la tentation d'examiner avec une pleine cognition si les règles pertinentes du droit suisse avaient été interprétées ou appliquées correctement, comme il le ferait s'il était saisi d'un recours en matière civile dirigé contre un arrêt d'un tribunal ordinaire suisse (arrêt 4A_318/2018 du 4 mars 2019, considérant 4.5.1). Comme l'a relevé en l'espèce le Tribunal fédéral dans son arrêt du 25 août 2020, cela vaut à plus forte raison lorsque le droit suisse n'était même pas applicable à titre de droit supplétif dans le cadre de la procédure arbitrale.
59. Dans un arrêt du 22 mars 2007 (4P_172/2006), le Tribunal fédéral a constaté que les sportifs professionnels n'ont en général d'autre choix que de recourir à l'arbitrage en cas de litige avec l'organisation sportive dont dépend leur discipline. Dans cette affaire, un joueur de tennis professionnel avait été sanctionné par une décision du tribunal antidopage de l' ATP Tour ( Association of Tennis Professional Tour ). La règlementation antidopage de l' ATP prévoyait la possibilité de saisir le TAS des décisions de cet organe, et le requérant avait signé un document par lequel il déclarait consentir notamment à la compétence exclusive du TAS pour tout litige issu d'une décision du tribunal antidopage notamment. Le Tribunal fédéral a en particulier souligné ce qui suit (considérant 4.3.2.2) :
« (...) Le sport de compétition se caractérise par une structure très hiérarchisée, aussi bien au niveau international qu'au niveau national. Établies sur un axe vertical, les relations entre les athlètes et les organisations qui s'occupent des diverses disciplines sportives se distinguent en cela des relations horizontales que nouent les parties à un rapport contractuel ( ATF 129 III 445 consid. 3.3.3.2 p. 461). Cette différence structurelle entre les deux types de relations n'est pas sans influence sur le processus volitif conduisant à la formation de tout accord. En principe, lorsque deux parties traitent sur un pied d'égalité, chacune d'elles exprime sa volonté sans être assujettie au bon vouloir de l'autre. Il en va généralement ainsi dans le cadre des relations commerciales internationales. La situation est bien différente dans le domaine du sport. Si l'on excepte le cas - assez théorique - où un athlète renommé, du fait de sa notoriété, serait en mesure de dicter ses conditions à la fédération internationale régissant le sport qu'il pratique, l'expérience enseigne que, la plupart du temps, un sportif n'aura pas les coudées franches à l'égard de sa fédération et qu'il devra se plier, bon gré mal gré, aux desiderata de celle-ci. Ainsi l'athlète qui souhaite participer à une compétition organisée sous le contrôle d'une fédération sportive dont la réglementation prévoit le recours à l'arbitrage n'aura-t-il d'autre choix que d'accepter la clause arbitrale, notamment en adhérant aux statuts de la fédération sportive en question dans lesquels ladite clause a été insérée, à plus forte raison s'il s'agit d'un sportif professionnel. Il sera confronté au dilemme suivant : consentir à l'arbitrage ou pratiquer son sport en dilettante (sur la problématique de l'arbitrage forcé, cf. Antonio Rigozzi, L'arbitrage international en matière de sport, n. 475 ss et n. 811 ss, avec de nombreuses références aux différentes opinions émises à ce sujet). Mis dans l'alternative de se soumettre à une juridiction arbitrale ou de pratiquer son sport dans son jardin (François Knoepfler/Philippe Schweizer, Arbitrage international, p. 137 i.f.), en regardant les compétitions à la télévision (Rigozzi, op. cit., p. 250, note 1509 et le premier auteur cité), l'athlète qui souhaite affronter de véritables concurrents ou qui doit le faire parce que c'est là son unique source de revenus (prix en argent ou en nature, recettes publicitaires, etc.) sera contraint, dans les faits, d'opter, nolens volens , pour le premier terme de cette alternative (...). »
2. ÉLÉMENTS DE DROIT INTERNATIONAL
1. La Convention de New York
60. Les articles II et V de la Convention pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (conclue à New York le 10 juin 1958, et à laquelle la Suisse est partie) sont ainsi libellés :
Article II
« 1. Chacun des États contractants reconnaît la convention écrite par laquelle les parties s'obligent à soumettre à un arbitrage tous les différends ou certains des différends qui se sont élevés ou pourraient s'élever entre elles au sujet d'un rapport de droit déterminé, contractuel ou non contractuel, portant sur une question susceptible d'être réglée par voie d'arbitrage.
2. On entend par « convention écrite » une clause compromissoire insérée dans un contrat, ou un compromis, signés par les parties ou contenus dans un échange de lettres ou de télégrammes.
3. Le tribunal d'un État contractant, saisi d'un litige sur une question au sujet de laquelle les parties ont conclu une convention au sens du présent article, renverra les parties à l'arbitrage, à la demande de l'une d'elles, à moins qu'il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d'être appliquée ».
Article V
« 1. La reconnaissance et l'exécution de la sentence ne seront refusées, sur requête de la partie contre laquelle elle est invoquée, que si cette partie fournit à l'autorité compétente du pays où la reconnaissance et l'exécution sont demandées la preuve :
a) Que les parties à la convention visée à l'article II étaient, en vertu de la loi à elles applicable, frappées d'une incapacité, ou que ladite convention n'est pas valable en vertu de la loi à laquelle les parties l'ont subordonnée ou, à défaut d'une indication à cet égard, en vertu de la loi du pays où la sentence a été rendue ; ou
b) Que la partie contre laquelle la sentence est invoquée n'a pas été dûment informée de la désignation de l'arbitre ou de la procédure d'arbitrage, ou qu'il lui a été impossible, pour une autre raison, de faire valoir ses moyens ; ou
c) Que la sentence porte sur un différend non visé dans le compromis ou n'entrant pas dans les prévisions de la clause compromissoire, ou qu'elle contient des décisions qui dépassent les termes du compromis ou de la clause compromissoire ; toutefois, si les dispositions de la sentence qui ont trait à des questions soumises à l'arbitrage peuvent être dissociées de celles qui ont trait à des questions non soumises à l'arbitrage, les premières pourront être reconnues et exécutées ; ou
d) Que la constitution du tribunal arbitral ou la procédure d'arbitrage n'a pas été conforme à la convention des parties, ou, à défaut de convention, qu'elle n'a pas été conforme à la loi du pays où l'arbitrage a eu lieu; ou
e) Que la sentence n'est pas encore devenue obligatoire pour les parties ou a été annulée ou suspendue par une autorité compétente du pays dans lequel, ou d'après la loi duquel, la sentence a été rendue.
2. La reconnaissance et l'exécution d'une sentence arbitrale pourront aussi être refusées si l'autorité compétente du pays où la reconnaissance et l'exécution sont requises constate :
a) Que, d'après la loi de ce pays, l'objet du différend n'est pas susceptible d'être réglé par voie d'arbitrage ; ou
b) Que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence serait contraire à l'ordre public de ce pays. »
2. Le droit de l'Union européenne
61. Dès les années 1970, ce qui était alors la Cour de justice des Communautés européennes a été appelée à statuer sur l'applicabilité des principes de non-discrimination et de liberté de circulation en vigueur dans la Communauté économique européenne (CEE) à des rapports juridiques ne relevant pas du droit public, tels que ceux établis entre les sportifs professionnels et les organes de gouvernance du sport. Elle a jugé que la prohibition de la discrimination fondée sur la nationalité édictée par la CEE s'imposait non seulement à l'action des autorités publiques mais s'étendait également aux réglementations d'une autre nature visant à régler, de façon collective, le travail salarié et les prestations de services ( Walrave et Koch , C-36/74, ECLI:EU:C:1974:140, paragraphe 17). Elle a également estimé que l'article 39 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) - l'ancien article 48 du Traité CEE - s'appliquait à des règles édictées par des associations sportives déterminant les conditions d'exercice d'une activité salariée par des sportifs professionnels ( Bosman , C-415/93, ECLI:EU:C:1995:463, paragraphe 87).
62. Plus récemment, le Tribunal et la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ont été saisis de recours directs ou indirects portant sur l'arbitrage dans le domaine du sport et sur le contrôle des sentences du TAS par le Tribunal fédéral.
63. Le 21 décembre 2023, la CJUE a rendu l'arrêt d'appel Union internationale de patinage c. Commission Européenne (C-124/21 P, EU:C:2023:1012), dans lequel elle a examiné des questions relatives à l'arbitrage à l'aune du droit de l'Union. Le contexte de cet arrêt d'appel est le suivant.
64. L'union internationale de patinage (« ISU »), une association de droit privé qui a son siège en Suisse, se présente comme étant l'unique fédération sportive internationale reconnue par le comité international olympique dans le domaine du patinage artistique ainsi que du patinage de vitesse sur glace. Chapeautant les associations nationales en charge de ces deux disciplines, qui en sont membres, l'ISU s'est donné pour objet statutaire de réglementer, d'administrer, de gérer et de promouvoir ces disciplines à l'échelle mondiale. Elle exerce, en parallèle, une activité économique consistant, notamment, à organiser différentes épreuves de patinage de vitesse ainsi que de patinage sur glace dans le cadre de compétitions internationales, telles que les championnats d'Europe et du monde ainsi que les Jeux olympiques d'hiver.
65. Conformément à son objet statutaire, l'ISU a édicté et publié un ensemble d'actes instituant une réglementation, qui comporte, notamment, des règles d'autorisation préalable ainsi que des règles d'éligibilité. Ces règles déterminent les conditions d'organisation des compétitions internationales de patinage sur glace et les conditions de participation des athlètes à de telles compétitions. Afin d'assurer leur respect de ces règles, la réglementation édictée par l'ISU comporte un régime de sanctions. Enfin, l'ISU s'est également dotée de règles instituant un mécanisme de règlement arbitral des différends (ci-après les « règles d'arbitrage »), qui confère au TAS une compétence exclusive pour en connaître.
66. Saisie d'une plainte formée par deux patineurs professionnels, la Commission européenne a considéré, par une décision du 8 décembre 2017, que les règles d'autorisation préalable et d'éligibilité de l'ISU étaient incompatibles avec l'article 101 TFUE en ce qu'elles avaient pour objet de restreindre la concurrence. Elle a enjoint à l'ISU, sous peine d'astreinte, de mettre fin à l'infraction ainsi constatée. Elle a de plus estimé que les règles d'arbitrage renforçaient cette infraction en ce qu'elles ne permettaient pas aux personnes concernées d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif, au regard des règles de concurrence de l'Union, des décisions adoptées par l'ISU.
67. Par un arrêt du 16 décembre 2020, le Tribunal de l'Union européenne a jugé en substance que la décision de la Commission européenne du 8 décembre 2017 n'était pas entachée d'illégalité en ce qu'elle portait sur les règles d'autorisation préalable et d'éligibilité de l'ISU, mais qu'elle était illégale en ce qui concernait les règles d'arbitrage.
68. La CJUE a annulé l'arrêt du 16 décembre 2020 en ce qui concerne les règles d'arbitrage. L'arrêt apporte des précisions sur les obligations incombant aux fédérations sportives au regard de l'article 101, paragraphe 1, TFUE, lorsque celles-ci ont institué, dans l'exercice des pouvoirs qu'elles détiennent en vertu de leurs statuts, des règles d'autorisation et de contrôle, assorties de sanctions, relatives à l'organisation des compétitions sportives, tout en exerçant en parallèle une activité économique dans ce domaine. Il précise notamment que l'exigence fondamentale selon laquelle de telles règles doivent pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel effectif implique, en présence de dispositions conférant une compétence obligatoire et exclusive à un organe arbitral en vue du règlement des différends concernant l'application des règles en cause, de veiller à ce que la juridiction appelée à contrôler les sentences rendues par cet organe soit en mesure, d'une part, de s'assurer du respect des dispositions d'ordre public du droit de l'Union, parmi lesquelles figurent les règles de concurrence, et, d'autre part, de saisir, s'il y a lieu, la Cour à titre préjudiciel, en application de l'article 267 TFUE. Les extraits pertinents de l'arrêt sont les suivants :
« (...) 125. Il découle de la jurisprudence de la Cour que le maintien ou le développement non faussé de la concurrence dans le marché intérieur ne peut être garanti que si l'égalité des chances entre les entreprises est assurée. Or, le fait de conférer à une entreprise qui exerce une activité économique donnée le pouvoir de déterminer, de jure ou même de facto , quelles autres entreprises sont autorisées à exercer elles aussi cette activité ainsi que de fixer les conditions dans lesquelles cette dernière peut être exercée la place dans une situation de conflit d'intérêts et lui donne un avantage évident sur ses concurrents, en lui permettant de les empêcher d'accéder au marché concerné ou de favoriser sa propre activité (...)
188. (...) l'appréciation générale et indifférenciée selon laquelle les règles d'arbitrage peuvent se justifier par des intérêts légitimes liés à la spécificité du sport, en ce qu'elles confèrent au TAS une compétence obligatoire et exclusive pour contrôler les décisions que l'ISU peut adopter en vertu de ses pouvoirs d'autorisation préalable et de sanction, fait abstraction (...) des exigences qui doivent être respectées pour qu'un mécanisme d'arbitrage tel que celui en cause en l'espèce puisse être considéré, d'une part, comme permettant d'assurer le respect effectif des dispositions d'ordre public que comporte le droit de l'Union et, d'autre part, comme étant compatible avec les principes qui structurent l'architecture juridictionnelle de l'Union.
189. À cet égard, il importe de rappeler que (...) les règles d'arbitrage imposées par l'ISU visent, notamment, deux types de différends qui sont susceptibles de survenir dans le cadre d'activités économiques consistant, l'une, à vouloir organiser et commercialiser des compétitions internationales de patinage de vitesse sur glace et, l'autre, à vouloir participer, en tant qu'athlète professionnel, à de telles compétitions. Ces règles s'appliquent donc à des litiges portant sur l'exercice d'un sport en tant qu'activité économique et relèvent, à ce titre, du droit de la concurrence de l'Union. Partant, lesdites règles doivent respecter celui-ci, pour les raisons énoncées aux points 91 à 96 du présent arrêt, dans la mesure où elles sont mises en oeuvre sur le territoire auquel les traités UE et FUE s'appliquent, indépendamment du lieu où les entités qui les ont adoptées sont établies (...).
190. C'est, par conséquent, uniquement la mise en oeuvre de telles règles dans le contexte de tels litiges et sur le territoire de l'Union qui est en cause en l'espèce et non pas la mise en oeuvre de ces règles sur un territoire autre que celui de l'Union, leur mise en oeuvre dans le cadre d'autres types de litiges, tels que des litiges intéressant uniquement le sport en tant que tel et ne relevant donc pas du droit de l'Union ou, à plus forte raison, la mise en oeuvre de règles d'arbitrage dans des domaines différents.
191. Par ailleurs, (...) lesdites règles sont en cause en l'espèce non pas en tant qu'elles soumettent le contrôle en premier ressort des décisions rendues par l'ISU à l'organe arbitral qu'est le TAS, mais seulement en ce qu'elles soumettent le contrôle des sentences arbitrales rendues par le TAS et le contrôle en dernier ressort des décisions de l'ISU au Tribunal fédéral, à savoir une juridiction d'un État tiers.
192. À cet égard, la Cour a itérativement jugé que les articles 101 et 102 TFUE sont des dispositions d'effet direct qui engendrent des droits dans le chef des justiciables, que les juridictions nationales doivent sauvegarder (...).
193. C'est pourquoi, tout en relevant qu'un particulier a la possibilité de souscrire une convention qui soumet, dans des termes clairs et précis, tout ou partie des litiges liés à celle-ci à un organe arbitral, en lieu et place de la juridiction nationale qui aurait été compétente pour se prononcer sur ces litiges en vertu des règles de droit interne applicables, et que les exigences tenant à l'efficacité de la procédure arbitrale peuvent justifier que le contrôle juridictionnel des sentences arbitrales revête un caractère limité (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1999, Eco Swiss , C-126/97, EU:C:1999:269, point 35, et du 26 octobre 2006, Mostaza Claro , C-168/05, EU:C:2006:675, point 34), la Cour n'en a pas moins rappelé qu'un tel contrôle juridictionnel doit, en tout état de cause, pouvoir porter sur la question de savoir si ces sentences respectent les dispositions fondamentales qui relèvent de l'ordre public de l'Union, dont font partie les articles 101 et 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss , C-126/97, EU:C:1999:269, point 37). Une même exigence s'impose à plus forte raison quand un tel mécanisme d'arbitrage doit être considéré comme étant, en pratique, imposé par un sujet de droit privé, tel qu'une association sportive internationale, à un autre, tel qu'un athlète.
194. En effet, en l'absence d'un tel contrôle juridictionnel, le recours à un mécanisme d'arbitrage serait de nature à porter atteinte à la protection des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit de l'Union et au respect effectif des articles 101 et 102 TFUE, tels que ceux-ci doivent être assurés - et seraient donc assurés en l'absence d'un tel mécanisme - par les règles nationales relatives aux voies de recours.
195. Le respect de cette exigence d'un contrôle juridictionnel effectif vaut tout particulièrement pour des règles d'arbitrage comme celles imposées par l'ISU.
196. En effet, la Cour a déjà relevé que, tout en disposant d'une autonomie juridique leur permettant d'adopter des règles relatives, notamment, à l'organisation des compétitions, à leur bon déroulement et à la participation des sportifs à celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du 11 avril 2000, Deliège , C-51/96 et C-191/97, EU:C:2000:199, points 67 et 68, ainsi que du 13 juin 2019, TopFit et Biffi , C-22/18, EU:C:2019:497, point 60), des associations sportives ne sauraient, ce faisant, limiter l'exercice des droits et des libertés que le droit de l'Union confère aux particuliers (voir, en ce sens, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman , C-415/93, EU:C:1995:463, points 81 et 83, ainsi que du 13 juin 2019, TopFit et Biffi , C-22/18, EU:C:2019:497, point 52), parmi lesquels figurent les droits qu'engendrent les articles 101 et 102 TFUE.
197. Pour cette raison, des règles telles que les règles d'autorisation préalable et d'éligibilité doivent être assorties d'un contrôle juridictionnel effectif, comme il découle des points 127 et 134 du présent arrêt.
198. Cette exigence de contrôle juridictionnel effectif implique que, dans le cas où de telles règles sont assorties de dispositions conférant une compétence obligatoire et exclusive à un organe arbitral, la juridiction qui est compétente pour contrôler les sentences rendues par cet organe puisse vérifier que ces sentences respectent les articles 101 et 102 TFUE. En outre, elle implique que cette juridiction réponde à l'ensemble des exigences requises à l'article 267 TFUE, de manière à pouvoir ou, le cas échéant, à devoir saisir la Cour lorsqu'elle estime qu'une décision de celle-ci est nécessaire sur une question de droit de l'Union qui est soulevée dans une affaire pendante devant elle (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 1982, Nordsee , 102/81 , EU:C:1982:107, points 14 et 15, ainsi que du 1er juin 1999, Eco Swiss , C-126/97, EU:C:1999:269, point 40).
199. Ainsi, en se limitant à considérer, de façon indifférenciée et abstraite, que les règles d'arbitrage « peuvent se justifier par des intérêts légitimes liés à la spécificité du sport » en ce qu'elles confient le contrôle des différends liés à la mise en oeuvre des règles d'autorisation préalable et d'éligibilité à une « juridiction spécialisée », sans chercher à s'assurer que ces règles d'arbitrage étaient conformes à l'ensemble des exigences mentionnées aux points précédents du présent arrêt et permettaient ainsi un contrôle effectif du respect des règles de concurrence de l'Union, alors même que la Commission s'était appuyée à bon droit sur ces exigences (...) pour fonder sa conclusion selon laquelle lesdites règles renforçaient l'infraction caractérisée à l'article 1er de cette décision, le Tribunal a commis des erreurs de droit (...) ».
3. LA CHARTE OLYMPIQUE
69. Formulés dans la Charte Olympique, les « principes fondamentaux de l'Olympisme » comprennent les principes suivants :
« 4. La pratique du sport est un droit de l'homme. Chaque individu doit avoir la possibilité de pratiquer un sport sans discrimination d'aucune sorte, au regard des droits humains reconnus au plan international dans le cadre des attributions du Mouvement olympique. L'esprit olympique exige la compréhension mutuelle, l'esprit d'amitié, de solidarité et de fair-play. »
« 6. La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Charte Olympique doit être assurée sans discrimination d'aucune sorte, notamment en raison de la race, la couleur, le sexe, l'orientation sexuelle, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
4. LE RÈGLEMENT DDS
70. Publiée par l'IAAF le 23 avril 2018, la version applicable à l'époque des faits du « règlement régissant la qualification dans la catégorie féminine (pour les athlètes présentant des différences du développement sexuel) » (« règlement DDS ») est entrée en vigueur le 1er novembre 2018. Sa partie introductive est rédigée comme il suit :
« 1.1 (...) Ce règlement reflète les impératifs suivants :
a) Afin de préserver l'égalité des chances au sein des compétitions d'athlétisme, celles-ci doivent être organisées en catégories qui favorisent l'égalité des chances et garantissent que la victoire soit le fruit du talent, de la détermination, du dépassement de soi et des autres valeurs et caractéristiques incarnées et honorées par le sport. En particulier :
i) L'IAAF souhaite inciter les athlètes à s'engager au plus haut point et à faire les sacrifices nécessaires pour exceller dans leur discipline, de manière à motiver les générations futures à pratiquer ce sport et aspirer au même niveau d'excellence. Elle voudrait éviter que ces aspirations puissent être découragées en raison de conditions de compétition non équitables n'offrant pas aux athlètes des chances égales de remporter la victoire.
ii) Étant donné qu'à partir de la puberté, les hommes sont, en moyenne, considérablement avantagés par rapport aux femmes en termes de taille, de force et de puissance, principalement du fait d'un taux largement supérieur de testostérone circulante, et au vu de l'incidence potentielle de ces différences sur les performances sportives, il est communément reconnu que la mise en compétition d'athlètes masculins et féminins ne serait pas juste et pertinente et risquerait de dissuader les femmes de participer aux épreuves. C'est pour cette raison qu'au-delà des différentes catégories d'âge, l'IAAF a également créé des catégories de compétition distinctes pour les athlètes masculins et féminins.
b) L'IAAF reconnaît toutefois que :
i) La notion de sexe biologique est un terme générique qui recouvre les différents aspects du sexe chromosomique, gonadique, hormonal et phénotypique, chacun étant fixe et l'ensemble de ces aspects étant généralement uniformisé dans le système conventionnel binaire homme-femme.
ii) Il existe cependant des individus présentant des anomalies congénitales causant un développement atypique du sexe chromosomique, gonadique et/ou anatomique (dit différence du développement sexuel - DDS, et parfois désignés comme « intersexe »).
iii) En conséquence, certains systèmes juridiques nationaux reconnaissent désormais des sexes officiels autres que masculin et féminin (par exemple, « intersexe », « X » ou « autre »).
c) L'IAAF respecte la dignité de tous les individus, y compris ceux présentant une DDS. Elle souhaite en outre que l'athlétisme soit un sport aussi inclusif que possible et veut ouvrir la voie pour que chacun puisse y participer. Aussi, l'IAAF entend-elle poser des conditions de participation dans la mesure strictement nécessaire à la garantie d'une compétition juste et pertinente. C'est pour cette raison que l'IAAF a émis le présent règlement, qui vise à faciliter la participation des athlètes présentant une DDS.
d) Il existe un large consensus médical et scientifique, étayé par les données revues par les pairs en la matière, selon lequel les taux sanguins élevés de testostérone endogène des athlètes ayant des DDS sont susceptibles d'améliorer significativement leurs performances sportives. De ce fait, le présent règlement permet à ces athlètes de participer à la compétition dans la catégorie féminine à condition, pour les épreuves dans lesquelles leur différence a la plus grande incidence au vu des données actuelles, de répondre aux conditions de qualification définies ci-après.
e) Le présent règlement a pour unique finalité de garantir une compétition juste et pertinente au sein de la catégorie féminine, au profit de l'ensemble des athlètes féminines. Il n'a aucune visée de jugement ou de remise en question de l'identité sexuelle ou de genre d'une athlète, quelle qu'elle soit. Au contraire, l'IAAF considère essentiel de respecter et de préserver la dignité et la vie privée des athlètes présentant une DDS, c'est pourquoi toutes les situations visées par ce règlement doivent être examinées et résolues d'une manière juste, cohérente et confidentielle, dans le respect du caractère sensible de ces questions. Toute violation de la confidentialité, acte de discrimination et/ou de stigmatisation fondée sur l'identité sexuelle ou de genre sera considérée comme une violation grave du code de conduite en matière d'intégrité de l'IAAF et entraînera l'application de mesures disciplinaires appropriées à l'encontre du fautif.
1.2 Ce Règlement s'applique à l'échelle mondiale et régit les conditions de participation aux épreuves visées dans les compétitions internationales. À cet égard, le règlement doit être interprété et appliqué non pas au vu des législations nationales ou locales, mais en tant que texte indépendant et autonome et de manière à protéger et promouvoir les exigences précisées ci-dessus. Dans le cas où une question non prévue par le présent règlement verrait le jour, il conviendra de la traiter de la même manière.
1.3 Toutes les situations visées par ce règlement seront traitées par le département santé et sciences de l'IAAF et non par la fédération nationale de l'athlète intéressée ou tout autre organisme d'athlétisme, qu'il s'agisse ou non de la première participation de l'athlète à une compétition internationale. Chaque fédération nationale est liée par ce règlement et doit coopérer avec l'IAAF et lui apporter son soutien dans la mise en application du règlement, en respectant rigoureusement les obligations de confidentialité prévues ci-après.
1.4 (...) Le Règlement a caractère obligatoire et doit être respecté par les athlètes, les Fédérations nationales, les Associations Continentales, les Représentants des athlètes, les Officiels des Fédérations Membres et toute autre Personne concernée. Il fera l'objet d'une révision périodique et pourra être modifié avec l'approbation du Conseil de l'IAAF en temps opportun de manière à tenir compte de tous les nouveaux éléments et/ou des évolutions scientifiques et médicales pertinentes (...) ».
71. La deuxième partie du règlement DDS fixe les critères particuliers que doit remplir une « athlète concernée » afin de pouvoir prendre part dans la catégorie féminine à une « épreuve visée » (les courses de 400 mètres, 400 mètres haies, 800 mètres, un mile, et toutes les épreuves de course sur des distances comprises entre 400 mètres et un mile (inclus), en course individuelle, en relai ou en épreuve combinée ; article 2.2 (b)) lors d'une compétition internationale ou d'établir un record du monde dans une compétition non internationale. Selon l'article 2.2 a), une « athlète concernée » est une athlète qui répond aux trois critères cumulatifs suivants :
i) elle présente l'une des sept différences du développement sexuel énumérées par cette disposition ;
ii) et son taux de testostérone sanguin est supérieur ou égal à 5 nanomoles par litre de sang ;
iii) et elle possède une sensibilité aux androgènes suffisante pour présenter, à ces taux de testostérone, un effet androgénisant significatif.
72. En cas de doute concernant la réalisation des trois conditions précitées, celui-ci profite à l'athlète, qui peut alors concourir librement (article 23 de l'annexe 3).
73. Afin de se qualifier pour concourir à une épreuve visée dans la catégorie féminine lors d'une compétition internationale, ou pour établir un record du monde dans une compétition non internationale, une « athlète concernée » doit remplir chacune des conditions suivantes :
i) être reconnue officiellement en tant que femme ou intersexe (ou équivalent) ;
ii) abaisser son taux de testostérone sanguine au-dessous de 5 nmol/L pendant une période ininterrompue d'au moins six mois (par exemple en utilisant une contraception hormonale) ;
iii) maintenir son taux de testostérone sanguine au-dessous de 5 nmol/L en permanence (qu'elle soit ou non en compétition) aussi longtemps qu'elle souhaite pouvoir participer aux « épreuves visées » dans la catégorie féminine lors d'une compétition internationale (ou établir un record du monde dans une épreuve visée dans une compétition non internationale).
74. L'article 2.4 précise expressément que « les modifications anatomiques chirurgicales ne sont requises en aucune circonstances », et l'article 2.5, qu'« aucune athlète ne sera forcée à se soumettre à des analyses et/ou à suivre un traitement quelconque dans le cadre de ce règlement, [et qu']il est de la responsabilité de l'athlète, en consultation étroite avec son équipe médicale, de décider si elle souhaite ou non passer des examens et/ou suivre un traitement quelconque ».
75. Selon l'article 2.6, une « athlète concernée » qui ne remplit pas les conditions de qualification prévues par le Règlement DDS peut néanmoins prendre part :
a) dans la catégorie féminine :
i) à toutes les épreuves, y compris les « épreuves visées », lors de compétitions non internationales ;
ii) à toutes les épreuves, exception faite des « épreuves visées », lors de compétitions internationales ;
b) dans la catégorie masculine : à toutes les épreuves, sans restriction, y compris à l'échelon international ;
c) dans toute catégorie intersexe ou similaire : à toutes les épreuves, sans restriction, y compris au niveau international.
76. La troisième partie du règlement concerne la procédure à suivre pour déterminer si une personne est une « athlète concernée ». Elle prévoit notamment qu'une athlète qui pense être concernée doivent avertir le manager médical de l'IAAF si elle souhaite participer à une épreuve visée dans une compétition internationale dans la catégorie féminine, de manière à ce que sa situation puisse être évaluée en vertu de ce règlement ; la fédération nationale de l'athlète est également soumise à cette obligation (article 3.1). Le manager médical de l'IAAF peut procéder à tout moment à une investigation (y compris, à titre non exhaustif, par l'analyse d'échantillons de sang et/ou d'urine prélevés chez des athlètes qui participent ou sont inscrites à une épreuve visée dans la catégorie féminine dans le cadre d'une Compétition internationale) afin de vérifier si une athlète qui ne l'a pas prévenu est une athlète concernée dont la situation doit être évaluée au regard du règlement (article 3.2). L'article 3.8 du règlement résume la « procédure standard » d'évaluation des dossiers (le cadre d'évaluation est détaillé dans l'annexe 3 au règlement) :
« (a) Une évaluation initiale est menée par un médecin dûment qualifié, avec un examen clinique initial de l'athlète et le renseignement de ses données cliniques et d'anamnèse ainsi qu'un bilan endocrinien préliminaire.
(b) S'il apparaît que l'athlète peut être une athlète concernée, le manager médical de l'IAAF rend alors le dossier anonyme et l'envoie au président, qui convoque un panel d'experts afin de décider si une évaluation complémentaire est nécessaire pour établir le statut d'athlète concernée.
(c) Si le panel d'experts se prononce en ce sens, l'athlète est alors renvoyée vers l'un des centres de référence spécialisés énumérés à l'Annexe 4 de ce règlement pour la suite de l'évaluation, afin de parvenir à un diagnostic de l'origine du taux élevé de testostérone sanguine de l'athlète et d'examiner son niveau d'insensibilité aux androgènes (le cas échéant).
(d) Le rapport du centre de référence spécialisé est ensuite renvoyé au Panel d'experts pour examen. »
77. Aux termes des articles 3.18 et 3.19 du règlement :
Article 3.18
« Tout athlète souhaitant concourir dans la catégorie féminine à une épreuve visée lors d'une compétition internationale et/ou être éligible pour établir un record du monde d'une épreuve visée dans une compétition non internationale, accepte comme condition à cette participation/qualification :
(a) de se conformer entièrement au présent règlement ;
(...) (d) de suivre les procédures fixées au paragraphe 5 [paragraphe 79 ci-dessous] pour contester ce règlement et/ou faire appel des décisions prises en vertu de ce Règlement, et de ne pas intenter d'action en justice ou devant une autre instance d'une manière incompatible avec ce paragraphe ».
Article 3.19
« Sur demande de l'IAAF, l'athlète confirmera par écrit son accord sur les points indiqués au paragraphe 3.18, sous la forme demandée par l'IAAF au moment opportun. Son accord sera cependant effectif et contraignant même s'il n'a pas été confirmé par écrit. »
78. La quatrième partie du règlement, relative à la confidentialité, prévoit notamment que toutes les investigations menées et les informations recueillies dans le cadre du règlement sont traitées dans le respect de la plus grande confidentialité (article 4.1) et que l'IAAF ne commente pas publiquement les éléments d'une affaire sauf en réaction à des déclarations publiques d'une athlète ou de ses représentants (article 4.2).
79. Consacrée à la résolution des litiges, la cinquième et dernière partie du règlement DDS est rédigée comme il suit :
« 5.1 Toute violation du présent règlement par une fédération nationale ou une association continentale sera traitée selon les dispositions applicables des statuts de l'IAAF. Toute autre violation du présent règlement équivaut à une violation du code de conduite d'intégrité de l'IAAF et fera donc l'objet d'une enquête menée par l'unité d'intégrité de l'athlétisme dans le cadre des règles relatives aux enquêtes et poursuites de l'unité d'intégrité de l'athlétisme de l'IAAF (antidopage) et pourra faire l'objet de poursuites devant le tribunal disciplinaire de l'IAAF conformément aux règles dudit tribunal.
5.2 Tout litige survenant entre l'IAAF et une athlète concernée (et/ou sa fédération membre) en lien avec le présent règlement sera soumis à la compétence exclusive du TAS. En particulier (à titre non exhaustif), la validité, la légalité et/ou la bonne interprétation ou application du règlement ne peut être contestée que (a) par voie d'action ordinaire intentée devant le TAS et/ou (b) dans le cadre d'un recours formé devant le TAS en vertu du paragraphe 5.3.
5.3 L'athlète concernée peut faire appel des décisions suivantes (et uniquement de celles‐là) prises en vertu du présent règlement devant le TAS conformément aux dispositions du présent paragraphe 5, en interjetant appel auprès du TAS et de l'IAAF dans les trente jours suivant la date de communication des motifs écrits de la décision en question (l'IAAF sera alors le défendeur en appel) :
(a) une décision selon laquelle une athlète est une athlète concernée qui ne remplit pas les conditions de qualification et ne peut donc pas être admise pour participer aux épreuves visées de compétitions internationales dans la catégorie féminine ou établir un record du monde dans une épreuve visée dans une compétition non internationale ;
(b) une décision selon laquelle une athlète à laquelle le manager médical de l'IAAF a demandé de se soumettre à une évaluation au titre du présent règlement et a manqué ou refusé de le faire (ou n'a pas coopéré pleinement et de bonne foi à l'investigation/évaluation au titre de ce règlement) ne peut pas être admise pour participer aux épreuves visées de compétitions internationales dans la catégorie féminine ou établir un record du monde dans une épreuve visée dans une compétition non internationale ;
(c) une décision selon laquelle une athlète concernée n'a pas rempli de manière ininterrompue les conditions de qualification, avec les conséquences fixées au paragraphe 3.13 ;
(d) une décision d'annulation des résultats au titre du paragraphe 3.14.
5.4 Le TAS entendra et statuera définitivement sur le litige ou le recours dans le respect des dispositions applicables du code d'arbitrage relatif aux sports du TAS, sous réserve que pour tout recours, l'athlète dispose de quinze jours à partir du dépôt de la déclaration d'appel pour déposer son exposé des faits relatifs à l'appel et que l'IAAF dispose de trente jours à compter de sa réception de cet exposé des faits pour déposer son mémoire en réponse. Le litige ou le recours sera régi par les statuts de l'IAAF et les règles et règlements de l'IAAF (y compris le présent règlement), le droit monégasque s'appliquant à titre subsidiaire et, en cas de conflit entre l'un des textes susmentionnés et le code du TAS en vigueur, les textes précités prévaudront. Les procédures devant le TAS seront conduites en langue anglaise, sauf accord différent des parties. Dans l'attente du règlement du litige ou du recours par le TAS, le règlement et la décision attaquée resteront pleinement effectifs sauf ordonnance contraire du TAS.
5.5 La décision du TAS sera définitive et contraignante pour toutes les parties, et ne pourra faire l'objet d'aucun recours. Toutes les parties renoncent irrévocablement à tout droit de recours, de réexamen ou d'appel quel qu'il soit, mené par ou devant tout tribunal ou autorité judiciaire à l'égard de cette décision, dans la mesure où ce renoncement peut être légitimement prononcé ».
80. L'IAAF, devenue World Athletics , a modifié le règlement DDS à plusieurs reprises. Intitulée « règlement régissant l'admissibilité à concourir dans la catégorie féminine (athlètes présentant des différences du développement sexuel) », la version actuelle, en vigueur depuis le 31 mars 2023, prévoit notamment que, pour être admises à concourir dans la catégorie féminine lors d'une compétition comptant pour le classement mondial (ou pour faire reconnaître une performance de record du monde réalisée lors d'une compétition qui n'est pas une compétition comptant pour le classement mondial), les athlètes présentant une différence du développement sexuel doivent avoir maintenu en continu leur taux de testostérone sérique en deçà de 2,5 nmol/L pendant une période d'au moins 24 mois. Cela concerne toutes les épreuves relevant de son champ d'action.
5. LE CODE DE L'ARBITRAGE EN MATIÈRE DE SPORT
81. Édicté par le conseil international de l'arbitrage en matière de sport (« CIAS »), le code de l'arbitrage en matière de sport est composé de quatre parties : A. Dispositions communes (articles S1-S3) ; B. Le conseil international de l'arbitrage en matière de sport (articles S4-S11) ; C. Le TAS (articles S12-S22) ; D. Dispositions diverses (articles S23-S26). S'y ajoute un « règlement de procédure » (articles R27-R70).
82. Les dispositions pertinentes du code de l'arbitrage en matière de sport sont les suivantes (version applicable à l'époque des faits [2] ) :
« (...) B. Le Conseil International de l'Arbitrage en matière de Sport (CIAS)
1. Composition
S4. Le CIAS est composé de vingt membres, juristes expérimentés, désignés de la manière suivante :
a. quatre membres sont désignés par les Fédérations Internationales (FI), à savoir trois par l'Association des FI olympiques d'été (ASOIF) et un par l'Association des FI olympiques d'hiver (AIOWF), choisis en leur sein ou en dehors ;
b. quatre membres sont désignés par l'Association des Comités Nationaux Olympiques (ACNO), choisis en son sein ou en dehors ;
c. quatre membres sont désignés par le Comité International Olympique (CIO), choisis en son sein ou en dehors ;
d. quatre membres sont désignés par les douze membres du CIAS figurant ci-dessus, après des consultations appropriées, en vue de sauvegarder les intérêts des athlètes ;
e. quatre membres sont désignés par les seize membres du CIAS figurant ci-dessus, choisis parmi des personnalités indépendantes des organismes désignant les autres membres du CIAS.
S5. Les membres du CIAS sont désignés pour une ou plusieurs période(s) renouvelable(s) de quatre ans. Les nominations doivent avoir lieu au cours de la dernière année de chaque cycle de quatre ans.
Lors de leur désignation, les membres du CIAS signent une déclaration selon laquelle ils/elles exerceront leur fonction à titre personnel, en toute objectivité et indépendance, et en conformité avec les dispositions du présent Code. Ils/elles sont, en particulier, tenu(e)s à l'obligation de confidentialité prévue à l'article R43.
Les membres du CIAS ne peuvent figurer sur la liste des arbitres ou des médiateurs du TAS, ni agir comme conseil d'une partie dans une procédure devant le TAS.
Si un membre du CIAS démissionne, décède ou est empêché d'assurer ses fonctions pour toute autre cause, il/elle est remplacé(e), pour la période restante de son mandat, selon les modalités applicables à sa désignation.
Le CIAS peut attribuer le titre de Membre Honoraire à un ancien membre du CIAS ayant contribué de manière exceptionnelle au développement du CIAS ou du TAS. Le titre de Membre Honoraire peut être attribué à titre posthume.
2. Attributions
S6. Le CIAS exerce les fonctions suivantes :
1. Il adopte et modifie le présent Code ;
(...)
4. Il désigne les arbitres constituant la liste des arbitres du TAS et les médiateurs(-rices) constituant la liste des médiateurs du TAS sur proposition de la Commission de nomination des membres du TAS. Il peut également les retirer de ces listes ;
5. Il tranche les questions de récusation et de révocation des arbitres par l'intermédiaire de la Commission de récusation et exerce les autres fonctions que lui confère le Règlement de procédure ;
6. Il est responsable du financement et des états financiers du TAS. À cet effet, en particulier :
[6].1 il reçoit et gère les fonds affectés à son fonctionnement ;
[6].2 il approuve le budget du TAS préparé par le Greffe du TAS et par le Greffe de la Chambre anti-dopage du TAS ;
[6].3 il approuve les rapports annuels et les états financiers du CIAS préparés conformément aux règles du droit suisse ;
7. Il nomme le/la Secrétaire Général(e) du TAS et peut mettre fin à ses fonctions sur proposition du/de la Président(e) ;
8. Il exerce la haute surveillance sur les activités du Greffe du TAS et sur celles du Greffe de la Chambre anti-dopage du TAS ;
(...)
C. Le tribunal arbitral du sport
(...)
2 Arbitres et médiateurs
S13. Les personnalités désignées par le CIAS, conformément à l'article S6, paragraphe 3, figurent sur la liste du TAS pendant une ou plusieurs période(s) renouvelable(s) de quatre ans. Le CIAS procède à la révision générale de cette liste tous les quatre ans (...).
Les arbitres doivent être au nombre de cent cinquante au moins (...).
S14. En constituant la liste des arbitres du TAS, le CIAS devra faire appel à des personnalités ayant une formation juridique appropriée, une compétence reconnue en matière de droit du sport et/ou d'arbitrage international, une bonne connaissance du sport en général et la maîtrise d'au moins une des langues de travail du TAS, dont les noms et qualifications sont portés à l'attention du CIAS, notamment par le CIO, les FI, les CNO, ainsi que par les commissions d'athlètes du CIO, des FI et des CNO. Le CIAS peut identifier les arbitres ayant une spécialisation particulière pour traiter certains types de litiges.
(...)
S18. (...) Lors de leur désignation, les arbitres (...) du TAS signent une déclaration officielle selon laquelle ils/elles exerceront leurs fonctions à titre personnel, en toute objectivité, indépendance et impartialité, et en conformité avec les dispositions du présent Code.
Les arbitres (...) du TAS ne peuvent pas agir comme conseil d'une partie devant le TAS.
S19. Les arbitres (...) du TAS sont tenu(e)s à l'obligation de confidentialité prévue dans le présent Code et notamment ne doivent pas divulguer à des tiers des faits ou autres informations ayant trait à des procédures du TAS.
Le CIAS peut retirer, provisoirement ou définitivement, un(e) arbitre (...) de la liste des membres du TAS s'il/elle viole une disposition du présent Code ou si son action porte atteinte à la réputation du CIAS et/ou du TAS.
3. Organisation du TAS
(...)
S21. Le/la Président(e) de l'une ou l'autre des chambres du TAS peut être récusé(e) lorsque les circonstances permettent légitimement de douter de son indépendance ou de son impartialité à l'égard d'une des parties à un arbitrage attribué à sa chambre. Il/elle doit se récuser spontanément lorsqu'est attribué à sa chambre un arbitrage dans lequel figure, comme partie, un organisme sportif auquel il/elle appartient ou dans lequel un membre du cabinet d'avocats auquel il/elle appartient est arbitre ou conseil.
(...)
Règlement de procédure
A. Dispositions générales
(...)
R33 Indépendance et qualifications des arbitres
Tout arbitre doit être et demeurer impartial(e) et indépendant(e) des parties et a l'obligation de révéler immédiatement toute circonstance susceptible de compromettre son indépendance à l'égard des parties ou de l'une d'elles (...).
R34 Récusation
Un(e) arbitre peut être récusé(e) lorsque les circonstances permettent de douter légitimement de son indépendance ou de son impartialité. La récusation doit être requise dans les sept jours suivant la connaissance de la cause de récusation.
La récusation est de la compétence de la Commission de récusation qui peut décider librement de renvoyer un cas au CIAS. La récusation d'un(e) arbitre doit être demandée par une partie (...). La Commission de récusation ou le CIAS tranche, après avoir invité l'autre (les autres) partie(s), l'arbitre concerné(e) et les autres arbitres éventuel(le)s à prendre position par écrit. Ces observations sont communiquées par le Greffe du TAS ou par le Greffe de la Chambre anti-dopage du TAS aux parties et, le cas échéant, aux autres arbitres. La Commission de récusation ou le CIAS rend une décision sommairement motivée et peut décider de la publier.
R35. Révocation
Tout(e) arbitre peut être révoqué(e) par la Commission de récusation s'il/elle refuse ou s'il/elle est empêché(e) d'exercer ses fonctions ou s'il/elle ne remplit pas ses fonctions conformément au présent Code dans un délai raisonnable. La Commission de récusation invite les parties, l'arbitre concerné(e) et les autres arbitres éventuel(le)s à prendre position par écrit et rend une décision sommairement motivée. La révocation d'un(e) arbitre ne peut pas être demandée par une partie.
(...)
B Dispositions particulières à la procédure d'arbitrage ordinaire
(...)
R40. Constitution de la Formation
R40.1. Nombre d'arbitres
La Formation est composée d'un(e) ou trois arbitres. Si la convention d'arbitrage ne précise pas le nombre d'arbitres, le/la Président(e) de la Chambre en décide en tenant compte des circonstances de l'affaire. Le/la Président(e) de Chambre peut alors choisir de nommer un(e) arbitre unique lorsque la partie demanderesse le requiert et que la partie défenderesse ne paie pas sa part des avances de frais dans le délai fixé par le Greffe du TAS.
R40.2. Désignation des arbitres
Les parties conviennent du mode de désignation des arbitres figurant sur la liste du TAS. À défaut de convention, les arbitres sont désigné(e)s selon les alinéas suivants.
Si, en vertu de la convention d'arbitrage ou d'une décision du/de la Président(e) de la Chambre, il y a lieu de désigner un(e) arbitre unique, les parties le/la désignent d'entente dans un délai de quinze jours fixé par le Greffe du TAS après réception de la requête. A défaut d'entente dans ce délai, le/la Président(e) de la Chambre procède à la désignation.
Si, en vertu de la convention d'arbitrage ou d'une décision du/de la Président(e) de la Chambre, il y a lieu de désigner trois arbitres, la partie demanderesse désigne un(e) arbitre dans la requête ou dans le délai fixé lors de la décision sur le nombre d'arbitres, à défaut de quoi la requête d'arbitrage est réputée retirée. La partie défenderesse désigne un(e) arbitre dans le délai fixé par le Greffe du TAS dès réception de la requête. A défaut d'une telle désignation, le/la Président(e) de la Chambre procède à la désignation en lieu et place de la partie défenderesse. Les deux arbitres ainsi désigné(e)s choisissent d'entente le/la Président(e) de la Formation dans un délai fixé par le Greffe du TAS. A défaut d'entente dans ce délai, le/la Président(e) de la Chambre désigne le/la Président(e) de la Formation.
(...)
R45. Droit applicable au fond
La Formation statue selon les règles de droit choisies par les parties ou, à défaut de choix, selon le droit suisse. Les parties peuvent autoriser la Formation à statuer en équité.
(...) ».


Erwägungen

5. EN DROIT
1. SUR L'OBJET DE L'AFFAIRE
83. La question de savoir si la requérante a eu accès à un « tribunal » « établi par la loi » et « indépendant et impartial », au sens de l'article 6 § 1, en particulier si le TAS répond à cette exigence, s'est présentée au cours de la procédure écrite et orale devant la Grande Chambre.
84. Il est nécessaire de vérifier si cette question entre dans le champ de l'affaire soumise par la requérante à la Cour.
85. L'objet d'une affaire « soumise » à la Cour dans l'exercice du droit de recours individuel est délimité par le grief soumis par le requérant. Un grief comporte deux éléments : des allégations factuelles et des arguments juridiques. En vertu du principe jura novit curia , la Cour n'est pas tenue par les moyens de droit avancés par le requérant en vertu de la Convention et de ses Protocoles, et elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d'un grief en examinant celui-ci sur le terrain d'articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par le requérant. Elle ne peut toutefois pas se prononcer sur la base de faits non visés par le grief car cela reviendrait à statuer au-delà de l'objet de l'affaire ou, autrement dit, à trancher des questions qui ne lui auraient pas été « soumises » au sens de l'article 32 de la Convention ( Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12 , § 126, 20 mars 2018).
86. En conséquence, il incombe à la partie requérante de dénoncer une action ou omission comme contraire aux droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles, de telle manière que la Cour n'ait pas à spéculer sur la question de savoir si tel ou tel grief a été ou non soulevé. Cela signifie que la Cour n'a pas le pouvoir de se substituer à la partie requérante et de retenir des griefs nouveaux sur la seule base des arguments et des faits exposés ( Grosam c. République tchèque [GC] (no 19750/13, §§ 90-91, 1er juin 2023).
87. Par ailleurs, les griefs que la partie requérante entend tirer de l'article 6 de la Convention doivent contenir tous les paramètres nécessaires pour permettre à la Cour de délimiter la question qu'elle sera appelée à examiner. Elle a souligné à cet égard que le champ d'application de l'article 6 de la Convention est très large et que son examen est nécessairement délimité par les griefs précis présentés devant elle ( ibidem , § 89).
88. Or, dans sa requête devant la Cour, invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, la requérante se borne à faire valoir que lorsqu'un requérant soumet un grief défendable relatif à la violation d'un droit garanti par la Convention, l'ordre juridique interne doit pouvoir offrir à la fois un « accès effectif » et un « recours effectif » ; elle souligne que, soit le caractère limité du contrôle de la compatibilité des sentences arbitrales avec l'ordre public en application de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé ne le permet pas, soit le Tribunal fédéral n'est pas parvenu à fournir un tel accès ou ouvrir un tel recours ; se référant à l'arrêt Camenzind c. Suisse (16 décembre 1997, § 54, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII), elle ajoute que la portée du contrôle dont elle a bénéficié était excessivement restrictive et, se référant à l'arrêt Smith et Grady c. Royaume -Uni (nos 33985/96 et 33986/96 , § 138, CEDH 1999-VI), que le Tribunal fédéral ne pouvait pas ou n'a pas voulu examiner le bien-fondé de chacun de ses griefs basés sur la Convention.
89. Il apparaît ainsi que, tel qu'il est formulé dans la requête, le grief de la requérante, fondé indistinctement sur l'article 6 § 1 et l'article 13 de la Convention, vise l'insuffisance alléguée du contrôle de la sentence du TAS par le Tribunal fédéral. Cela ressort aussi de ses observations écrites devant la Grande Chambre.
90. La requérante n'a pas exposé dans la requête qu'elle a introduite devant la Cour un grief tiré d'un défaut d'accès à un « tribunal indépendant et impartial, établi par la loi », au sens de l'article 6 § 1.
91. Il s'en déduit que cette question ne fait pas partie de l'objet de l'affaire dont la Cour est saisie, si bien que la Grande Chambre n'est pas conduite, dans le cadre de la présente affaire, à examiner si le TAS est un « tribunal indépendant et impartial, établi par la loi », au sens de l'article 6 § 1.
92. Par ailleurs, dans ses observations écrites et au cours de l'audience, la requérante a demandé à la Grande Chambre d'examiner le grief tiré de l'article 3 de la Convention qu'elle avait soulevé devant la chambre et que la chambre avait déclaré irrecevable comme étant manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention.
93. La Cour rappelle que la Grande Chambre ne peut pas examiner les parties d'une requête que la chambre a déclarées irrecevables (voir par exemple Savran c. Danemark [GC], no 57467/15 , § 169, 7 décembre 2021, ainsi que les références qui y sont citées). Elle ne voit aucune raison de s'écarter de ce principe en l'espèce.
94. Dès lors, dans le cadre de la présente affaire, la Cour n'est pas compétente pour connaître du grief soulevé sous l'angle de l'article 3 de la Convention. La demande de la requérante tendant au réexamen de ce grief doit donc être rejetée.
2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1, 8, 13 ET 14 DE LA CONVENTION
95. Invoquant l'article 8 de la Convention, la requérante soutient que le règlement DDS porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée, en ce qu'il affecte son intégrité et son identité physiques et psychologiques, son droit à l'autodétermination et son droit d'exercer son activité professionnelle. Elle dénonce un manquement de l'État défendeur à son obligation positive de garantir le respect des droits découlant de cette disposition à toute personne relevant de sa juridiction, considérant que le Tribunal fédéral a omis d'analyser ces atteintes à son droit au respect de sa vie privée à la lumière des critères dégagés par la Cour en la matière.
96. Invoquant l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8, la requérante soutient par ailleurs que le règlement DDS génère une différence de traitement discriminatoire fondée, d'une part, sur le sexe, entre les athlètes féminines et les athlètes masculins, dès lors qu'il n'y a pas de restriction équivalente pour ces derniers, et, d'autre part, sur l'intersexuation, et/ou les caractéristiques physiques ou biologiques, et/ou l'identité de genre et/ou ces caractéristiques croisées, entre les athlètes féminines présentant des différences du développement sexuel et les athlètes féminines ne présentant pas de différences du développement sexuel. Elle ajoute que ce règlement caractérise une discrimination indirecte fondée sur la race, l'ethnicité ou la couleur, dont elle aurait à souffrir dès lors que le règlement DDS affecterait de manière disproportionnée les athlètes féminines issues du sud global ( Global South ). Selon elle, l'État défendeur a violé l'article 14 combiné avec l'article 8, en ce que ces dispositions mettent à la charge des États parties l'obligation positive de garantir à toute personne relevant de leur juridiction le droit de ne pas être discriminée dans la jouissance du droit au respect de la vie privée. Elle fait valoir à cet égard, comme dans le cadre du grief tiré de l'article 8 pris isolément, que le Tribunal fédéral a omis d'analyser cette atteinte à ses droits à la lumière des critères dégagés par la Cour en la matière.
97. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, la requérante dénonce une violation de son droit d'accès à un tribunal et de son droit à un recours effectif, résultant du caractère excessivement limité du contrôle effectué par le Tribunal fédéral sur le fondement de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé.
1. Sur la juridiction de la Suisse, au sens de l'article 1 de la Convention, et sur l'exception préliminaire du Gouvernement relative à l'irrecevabilité des griefs tirés des articles 8, 14 et 13 de la Convention comme étant incompatibles ratione personae et ratione loci avec les dispositions de la Convention
98. La Cour constate que la requérante est de nationalité sudafricaine, réside en Afrique du Sud et n'indique pas avoir un lien personnel avec la Suisse, et que la Suisse n'a joué aucun rôle dans l'élaboration ou l'application du règlement DDS, lequel a été édicté par une organisation de droit privé monégasque. Par ailleurs, la requérante ne soutient pas avoir été empêchée de participer à une compétition internationale organisée en Suisse en raison de ce règlement. Les liens de l'affaire avec la Suisse se limitent aux circonstances suivantes : d'une part, le fait que le TAS, qui siège à Lausanne, a été saisi par la requérante ; comme l'a rappelé le Tribunal fédéral en l'espèce (paragraphe 36 ci-dessus), se référant à l'arrêt Mutu et Pechstein (précité, § 65), le TAS n'est pas un tribunal étatique suisse ou une autre institution de droit public suisse, mais une entité émanant d'une fondation de droit privé, à savoir le Conseil international de l'arbitrage en matière de sport ; d'autre part, le fait que le Tribunal fédéral suisse a ensuite, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de vérifier la compatibilité de la sentence du TAS avec l'ordre public matériel, examiné le recours en matière civile dirigé contre cette sentence dont la requérante l'avait saisi.
99. Dans ces circonstances, la première question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si la requérante relevait de la juridiction de la Suisse, au sens de l'article 1 de la Convention et, conséquemment, si la Cour est compétente pour connaître des griefs qu'elle soulève. La Cour rappelle à cet égard que la question de la juridiction de l'État défendeur est une question préliminaire qui doit être tranchée avant que les allégations matérielles puissent être examinées au fond, au stade de la recevabilité (voir, notamment, Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres (déc.) [GC], no 39371/20 , § 197, 9 avril 2024, Ukraine et Pays-Bas c. Russie (déc.) [GC], nos 8019/16 et 2 autres, § 506, 30 novembre 2022, et Ukraine c. Russie (Crimée) (déc.) [GC], nos 20958/14 et 38334/18 , §§ 264 et 340, 16 décembre 2020).
1. Thèses des parties
1. Le Gouvernement
100. Le Gouvernement déclare ne pas contester que la requête relève de la juridiction de la Suisse pour autant qu'elle vise l'article 6 § 1, mais estimer le contraire en ce qu'elle vise l'article 8, pris isolément et combiné avec l'article 14, et l'article 13. Il invite en conséquence la Cour à déclarer les griefs tirés de ces trois dernières dispositions irrecevables comme étant incompatibles rationne personae et ratione loci avec les dispositions de la Convention.
101. S'agissant du grief tiré de l'article 8, pris isolément et combiné avec l'article 14, le Gouvernement souligne, premièrement, qu'en vertu de l'article 190 alinéa 2 de la loi fédérale sur le droit international privé, le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral des sentences arbitrales internationales est limité, celles-ci ne pouvant être attaquées matériellement qu'en ce qu'elles sont incompatibles avec l'ordre public, cette notion étant plus étroite que la notion d'arbitraire. Il précise que la jurisprudence distingue entre l'ordre public procédural et l'ordre public matériel, et qu'une sentence est contraire à l'ordre public matériel lorsqu'elle viole des principes fondamentaux du droit de fond - notamment la prohibition des mesures discriminatoires et le respect de la dignité humaine - « au point de ne plus être conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants ». Une partie ne peut pas se plaindre directement de ce que les arbitres auraient violé la Convention, mais le Tribunal fédéral admet que « les principes découlant de celle-ci peuvent servir, le cas échéant, à concrétiser les garanties invoquées sur la base de l'article 190 alinéa 2, en conséquence de quoi les garanties de la Convention sont, « au moins indirectement, importantes pour concrétiser l'ordre public dans le cadre du contrôle judiciaire des sentences arbitrales internationales ».
102. Le Gouvernement précise qu'en matière d'arbitrage interne, le contrôle du Tribunal arbitral est plus large, puisqu'il est possible de faire valoir que la sentence arbitrale est « arbitraire dans son résultat ».
103. Deuxièmement, le Gouvernement constate que les faits à l'origine de l'affaire n'ont aucun lien avec la Suisse, et que le seul élément la rattachant à la Suisse est la circonstance que l'affaire a été traitée par le TAS dont le siège est à Lausanne parce que le règlement DDS prévoit sa compétence contentieuse exclusive, puis par le Tribunal fédéral dans le cadre de son pouvoir d'examen limité.
104. Il estime que la jurisprudence de la Cour selon laquelle, lorsqu'un État partie ouvre une enquête en vertu du droit interne à la suite d'un décès survenu hors sa juridiction, cette procédure suffit, dans certaines circonstances, pour établir un lien juridictionnel aux fin de l'article 1 s'agissant des obligations procédurales de l'article 2, ne peut être transposée à la présente affaire, surtout parce que, dans les affaires concernées, la procédure avait été entièrement menée par les autorités de l'État et était prévue dans sa législation.
105. Le Gouvernement constate de plus que, jusqu'ici, la Cour n'a jamais déduit la juridiction d'un État s'agissant de garanties matérielles de la Convention du fait qu'une procédure civile ou arbitrale a été menée dans celui-ci, alors que les faits objets de la procédure s'étaient entièrement déroulés hors de cet État et que les parties n'y étaient pas domiciliées et n'en possédaient pas la nationalité. Selon lui, rompre avec cette approche conduirait à une forme de juridiction universelle et illimitée que les parties contractantes à la Convention n'ont jamais envisagée. Il souligne que la Suisse n'a pas d'influence sur les activités de protagonistes tels que World Athletics , et estime que la Convention ne saurait lui imposer l'obligation de protéger, sur le plan des garanties matérielles de la Convention, des athlètes du monde entier dans les nombreuses configurations qui peuvent donner lieu à des procédures devant la TAS. La Suisse ne serait du reste pas en mesure d'assumer une telle obligation dès lors que la plupart des acteurs du sport ne sont soumis ni à sa souveraineté ni à son pouvoir législatif, et que le Tribunal fédéral n'est pas compétent pour procéder à un examen matériel complet des mesures adoptées dans ce domaine avec les garanties matérielles de la Convention. Admettre la juridiction de la Suisse alors qu'elle n'a pas d'influence sur les acteurs impliqués et les normes applicables dans le domaine du sport et n'a pas les moyens de garantir la mise en oeuvre d'un éventuel constat de violation, reviendrait à établir « une sorte de fiction ». Cela pourrait de plus provoquer le déplacement du TAS vers un État non-signataire de la Convention, voire pousser les acteurs concernés à se tourner vers des instances extra-européennes pour les arbitrages internationaux en matière commerciale.
106. Troisièmement, le Gouvernement estime que la chambre a contredit dans son arrêt plusieurs principes établis par la jurisprudence de la Cour. Il note tout d'abord que la chambre a procédé à une interprétation erronée de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé et méconnu le principe selon lequel il appartient au premier chef aux juridictions internes d'interpréter la législation interne. Il relève ensuite qu'elle s'est fondée sans motif sur les arrêts Markovic et autres c. Italie [GC] (no 1398/03 , CEDH 2006-XIV), Arlewin c. Suède (no 22302/10 , 1er mars 2016) et Naït -Liman c. Suisse [GC] (no 51357/07 , 15 mars 2018) pour trancher la question de la juridiction de la Suisse dans le contexte des articles 8 et 14 alors que ces arrêts ne concernent que l'article 6 § 1. La chambre se serait également de manière inexacte fondée sur l'affaire Platini c. Suisse (déc.) (no 526/18 , 11 février 2020), qui n'a pas été soumise au contradictoire s'agissant d'une décision d'irrecevabilité de plano , et qui ne concerne pas l'arbitrage international mais l'arbitrage interne. Il déplore ensuite que la chambre ait retenu que, s'agissant d'arbitrage forcé, une déclaration d'incompétence risquait de priver les sportives professionnelles d'accès à la Cour. D'après lui, cela ne saurait justifier la création d'un nouveau titre de juridiction extraterritoriale. La chambre se serait de plus fondée à cet égard sur l'arrêt Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC] (no 5809/08 , 21 juin 2016), qui, à la différence de la présente affaire, concernait des actes et omissions d'organes de l'État suisse et uniquement l'article 6. Enfin, il ne serait pas établi que la requérante n'avait pas d'autre possibilité que de s'adresser au TAS puis au Tribunal fédéral, et on ne saurait exclure que des tribunaux étatiques étrangers se considèrent non-liés par la clause d'arbitrage forcée du règlement DDS. Le Gouvernement cite à cet égard l'exemple de la requérante dans l'affaire Mutu et Pechstein c. Suisse (nos 40575/10 et 67474/10 , 2 octobre 2018) qui, à la suite d'une mesure de suspension prononcée à son égard par une commission de discipline et confirmée par le TAS et par le tribunal fédéral suisse, avait saisi les juridictions allemandes d'une action en dommages et intérêts. Par un arrêt du 3 juin 2022, la Cour constitutionnelle fédérale allemande avait jugé qu'au vu de l'absence d'audience publique dans la procédure devant le TAS, laquelle avait donné lieu au constat de violation par la Cour, la clause arbitrale était nulle, et que les tribunaux allemands étaient compétents pour examiner l'action de la requérante.
107. Enfin, selon le Gouvernement, l'affaire ne relevant pas de la juridiction de la Suisse en ce qui concerne les articles 8 et 14, elle n'en relève pas non plus s'agissant de l'article 13, étant donné le caractère accessoire de cette disposition.
2. La requérante
108. La requérante estime que la juridiction de la Suisse est établie au regard de toutes les dispositions de la Convention qu'elle invoque.
109. Elle souligne préliminairement qu'il s'agit dans son cas d'un arbitrage obligatoire. Elle indique qu'au vu de l'article 5.2 du règlement DDS, elle n'avait pas d'autre possibilité que de saisir le TAS, d'autant moins que les organes de gouvernance du sport contrôlent l'accès au sport international. Saisir des juridictions étatiques requerrait que l'athlète mettant en cause ce règlement engage une procédure contre la fédération nationale dont elle dépend (qui est elle-même contrainte par l'article 5.2 du règlement DDS), ce qui ne serait possible que dans l'hypothèse où la fédération nationale applique le règlement DDS, ou engage des procédures dans chaque État dans lesquels ont lieu des compétitions organisées par World Athletics auxquelles elle souhaite participer. Cela serait difficile au regard des délais et coûts procéduraux, et serait en décalage avec le fait que les athlètes d'élite participent à des compétitions internationales qui ont lieu dans divers États et qui relèvent des instances dirigeantes du sport. Elle rappelle aussi que le Tribunal fédéral est compétent en vertu du droit suisse pour examiner la validité des sentences du TAS, que la Cour a jugé dans l'affaire Mutu et Pechstein précitée qu'il leur donne force de chose jugée, et qu'il examine dans ce contexte le respect des droits garantis par la Convention, dans le cadre certes limité de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé. Elle ajoute que, contrairement à l'arbitrage commercial, l'arbitrage obligatoire dans le domaine du sport est caractérisé par un déséquilibre des forces entre l'athlète et l'organe de gouvernance sportive en cause, ce que le Tribunal fédéral aurait d'ailleurs relevé en sa cause. Elle renvoie de plus à l'arrêt Union internationale de patinage c. Commission Européenne du 21 décembre 2023 (paragraphes 64- 68 ci-dessous), dans lequel la CJUE a jugé que les règles en matière d'arbitrage adoptées par les association sportives ne peuvent limiter l'exercice des droits et libertés individuels garantis par le droit de l'Union, qu'elles doivent pouvoir être soumises à un contrôle judiciaire effectif de compatibilité avec le droit de l'Union, que, lorsqu'elle contiennent des dispositions conférant une compétence obligatoire et exclusive à l'organe d'arbitrage, le contrôle opéré par le Tribunal fédéral ne remplissait pas cette condition, et qu'en conséquence, l'obligation de soumettre les litiges au TAS était, en l'absence de contrôle par des juridictions internes de l'Union européenne, contraire au droit de l'Union. Se référant à d'autres arrêts rendus à cette dernière date par la CJUE, la requérante ajoute qu'il ressort de la jurisprudence de cette juridiction que les règlementations adoptées par les organes privés de gouvernance du sport doivent être rédigées et appliquées dans le respect des principes généraux du droit de l'Union, dont ceux de non-discrimination et de proportionnalité. Elle estime que cela vaut par analogie pour la Convention. Elle considère que le Tribunal fédéral est tenu par la Convention de donner pleinement effet à ses dispositions dans son analyse et son examen des affaires ; lorsqu'il est saisi sur le fondement des dispositions garantissant des droits substantiels, il est tenu de les examiner, que le droit interne autorise ou non l'appelant à invoquer directement la Convention. Selon elle, aucun principe de base ne fonde à cet égard une distinction entre les droits procéduraux garantis par la Convention et les droits substantiels garantis par la Convention.
110. La requérante avance ensuite que la Cour a jugé dans les affaires Platini et Mutu et Pechstein précitées que les sentences rendues par le TAS sont sous le contrôle de la Suisse puisque le droit suisse leur donne effet et qu'elles sont susceptibles de recours devant le Tribunal fédéral. Elle ajoute que, comme l'illustre notamment la décision Platini , il n'y a pas lieu de considérer que cela ne déclenche la juridiction de la Suisse qu'au titre de l'article 6 § 1. Elle soutient que la juridiction est déterminée par les mêmes circonstances factuelles que celles qui déclenchent des obligations positives au titre des articles 8 et 14. Le critère de compétence est rempli et les actes ou omissions en cause engagent les obligations positives de la Suisse de prendre les mesures appropriées pour garantir le respect des droits et libertés consacrés par la Convention, précisément en raison de l'insertion et de l'institutionnalisation dans la structure juridique suisse d'un arbitrage obligatoire devant le TAS, soumis au contrôle exclusif du Tribunal fédéral. Cela conduit la Suisse à exercer son autorité et son contrôle sur les droits fondamentaux d'une athlète internationale, qui se trouve être ressortissante d'Afrique du Sud et résider dans ce pays, mais qui pourrait aussi bien avoir une autre nationalité et habiter ailleurs. Elle ajoute que, vu le faible nombre d'athlètes susceptible d'invoquer la Convention dans le cadre d'un litige l'opposant aux organes de gouvernance du sport, il n'y a pas de risque de consacrer ainsi une juridiction extraterritoriale de la Suisse pour toutes les affaires d'arbitrage international dans le domaine du sport.
111. La requérante soutient alternativement que la juridiction de la Suisse est engagée même si la Cour conclut que sa situation relève de l'extraterritorialité. Renvoyant à la jurisprudence selon laquelle des circonstances exceptionnelles appellent des exceptions au principe de territorialité, elle évoque en sa cause les circonstances qui suivent. Premièrement, la Suisse contrôle et influence les intérêts de la requérante au regard de la Convention dès lors que le mécanisme de résolution des conflits entre les athlètes et World Athletics est intégré dans son système judiciaire, et elle n'a pas choisi mais était tenue de passer par le système judiciaire suisse pour faire valoir ses droits au regard de la Convention. Deuxièmement, la Suisse a, via le Tribunal fédéral, l'exclusivité du contrôle du TAS. Troisièmement, la saisine obligatoire du TAS puis du Tribunal fédéral a généré un lien de jure entre elle et la Suisse. Quatrièmement, il y a un lien de causalité direct et prévisible entre les actes et omissions de la Suisse et les effets sur les droits de la requérante au regard de la Convention. Cinquièmement, sa situation ne serait pas différente si elle était une athlète suisse. Sixièmement, on ne saurait en l'espèce déduire l'absence de juridiction de la Suisse des arrêts Markovic et autres (précité) et Hanan c. Allemagne [GC] (no 4871/16 , 6 février 2021) ou de la décision Chagos Islanders c. Royaume-Uni (no 35622/04, 11 décembre 2012), au vu des motifs qui y sont exposés. Septièmement, il faut prendre en compte le fait que la requérante fait partie d'une minorité vulnérable de personnes qui se présentent devant le TAS, le Tribunal fédéral et la Cour pour demander que leurs droits fondamentaux soient protégés, en tant que femmes et en tant qu'athlètes. La requérante fait valoir qu'elle ne demande pas à la Cour d'élargir sa compétence d'une manière qui serait illogique ou inadmissible, mais soutient que lorsque la fédération sportive se trompe d'une manière qui viole la Convention, et qu'une athlète qui souhaite contester les conditions d'admission à la compétition n'a d'autre option que de saisir le TAS, lequel a son siège en Suisse, cet État doit remédier efficacement à toute violation injustifiée des droits de l'Homme. Elle demande à la Cour de veiller à ce que le seul État ayant la capacité juridique de garantir que ses droits au titre de la Convention soient protégés et réparés, remplisse ses propres obligations au regard de la Convention.
2. Observations des tiers intervenants
112. Le gouvernement britannique soutient que le fait qu'un tribunal d'un État contractant supervise un arbitrage ne suffit pas pour que cet État ait juridiction au sens de l'article 1 sur l'objet sous-jacent de l'arbitrage. Il admet que, lorsque le droit d'un État contractant permet aux parties de faire déterminer leurs droits et obligations de caractère civil par arbitrage, l'État est tenu de veiller à ce que la procédure d'arbitrage soit conforme aux droits garantis par l'article 6 § 1, de sorte que les parties à un arbitrage à Londres relèvent de la « juridiction » du Royaume-Uni, au sens de l'article 1 en ce qui concerne son déroulement. En revanche, renvoyant aux affaires Markovic et autres (précitée, § 54), Chagos Islanders (précitée, § 66) et Hanan (précitée, § 143) et faisant valoir que l'affaire Platini (précitée, § 37) n'avait pas d'aspect transfrontalier, il soutient qu'en cas d'arbitrage international, la juridiction de l'État contractant ne s'étend pas aux autres droits garantis par la Convention qui sont en jeu dans le cadre du litige.
113. Le Haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies fait valoir que, lorsqu'un État contractant est le siège d'un arbitrage, il est juridiquement à la fois le territoire sur lequel se déroule l'arbitrage et le territoire sur lequel une sentence arbitrale est rendue, et seuls ses tribunaux peuvent contrôler l'arbitrage et annuler la sentence. Il en déduit que les États contractants ont l'obligation positive de garantir le respect des droits et libertés aux personnes soumises à un arbitrage sur leur territoire. La juridiction, au sens de l'article 1, découlerait ainsi du lieu où se déroule légalement l'arbitrage ou du lieu où la sentence arbitrale se voit donner un effet juridique via le processus de reconnaissance et d'exécution judiciaire.
114. World Athletics admet que la Cour a la compétence d'examiner le grief tiré de l'article 6 § 1. Renvoyant à l'opinion dissidente jointe à l'arrêt de la chambre et aux arguments du Gouvernement suisse, elle estime en revanche que la Cour est incompétente pour examiner les griefs tirés des articles 8, 14 et 13.
115. Les autres tiers intervenants n'abordent pas la question de la juridiction de la Suisse, au sens de l'article 1 de la Convention.
3. L'arrêt de la chambre
116. La chambre a, à la majorité, rejeté l'exception préliminaire du Gouvernement. Elle a observé que le Tribunal fédéral était tenu d'appliquer le droit international, dont la Convention, et que dans la pratique, il l'appliquait de manière indirecte dans ce type d'affaire. Se référant notamment à l'arrêt Markovic et autres (précité, §§ 49-55), elle a rappelé qu'à partir du moment où une personne introduit une action devant les juridictions civiles d'un État, il existe indiscutablement un « lien juridictionnel » entre cette personne et l'État, et ce même en dépit d'un éventuel caractère extraterritorial des faits à l'origine de l'action ; elle a noté qu'ainsi, en l'espèce, le recours en matière civile contre la sentence arbitrale du TAS avait, a priori , fait entrer en jeu la juridiction de la Suisse, au sens de l'article 1 de la Convention. Renvoyant en outre aux affaires Mutu et Pechstein (précitée) et Platini (précitée), la chambre a retenu que le fait que l'IAAF n'est pas une association de droit privé suisse était sans conséquence sur la compétence ratione personae et loci de la Cour, en particulier dans la mesure où son examen porterait avant tout sur la procédure devant le TAS et le Tribunal fédéral. Elle a constaté par ailleurs que, s'agissant d'un arbitrage forcé qui privait la requérante de la possibilité de saisir les juridictions ordinaires dans son propre pays ou ailleurs, en particulier en Suisse ou à Monaco, la seule voie qui lui était ouverte était celle d'un recours devant le TAS puis le Tribunal fédéral. Elle en a déduit que, si elle se déclarait incompétente pour connaître de ce type de requêtes, elle risquerait de couper de l'accès à la Cour toute une catégorie de personnes, à savoir les sportives professionnelles, ce qui ne pouvait être conforme à l'esprit, à l'objet et au but de la Convention.
117. En conclusion sur cette question, la chambre s'est dite consciente du fait que la requérante mettait en cause devant elle la conformité à la Convention d'un règlement édicté par l'IAAF et entériné par le TAS, deux acteurs non étatiques. Elle a néanmoins jugé que, dans la mesure où les conclusions du TAS avaient fait l'objet d'un examen par le Tribunal fédéral quant aux griefs soulevés par la requérante, la cause de cette dernière relevait de la « juridiction » de la Suisse au sens de l'article 1 de la Convention, et ce même si la haute juridiction suisse ne s'était pas explicitement référée aux dispositions de la Convention et si, en vertu de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé, elle n'avait qu'un pouvoir de contrôle restreint, limité à la question de la compatibilité de la sentence attaquée avec l'ordre public suisse.
4. L'appréciation de la Cour
1. Principes applicables
118. La Cour renvoie à la décision Duarte Agostinho et autres [GC], précitée (§§ 168-176), pour un exposé complet des principes généraux relatifs à la notion de juridiction, au sens de l'article 1 de la Convention, ainsi notamment qu'aux arrêts Markovic et autres [GC], précité, et H.F. et autres c. France [GC] (nos 24384/19 et 44234/20 , 14 septembre 2022), et aux décisions Ukraine et Pays-Bas c. Russie [GC], précitée, M.N. et autres c. Belgique [GC] (no 3599/18 , 5 mai 2020), et Ukraine c. Russie (Crimée) [GC], précitée, qui y sont mentionnés.
119. Il en ressort que la juridiction d'un État, au sens de l'article 1, est principalement territoriale. Il faut en principe que les faits dénoncés par le requérant dans le cadre des griefs qu'il formule devant la Cour se soient produits sur le territoire de l'État défendeur.
120. Des circonstances exceptionnelles, appréciées au regard des faits particuliers d'une affaire, peuvent toutefois amener la Cour à conclure qu'un État a exercé sa juridiction en dehors de son territoire, s'agissant d'actes ou omissions pouvant lui être attribués, accomplis ou produisant des effets en dehors de son territoire.
121. La Cour a ainsi jugé que le principe en vertu duquel la juridiction d'un État partie est limité à son propre territoire connait une exception, d'une part, lorsque cet État exerce un contrôle effectif sur une zone située en dehors de son territoire national, et, d'autre part, lorsque, en dehors du territoire national, un agent de cet État a exercé une autorité ou un contrôle sur la victime.
122. Par ailleurs, des circonstances particulières d'ordre procédural ont pu déclencher la juridiction d'un État au titre d'événements qui ont eu lieu en dehors de son territoire.
123. La Cour a ainsi jugé dans l'affaire Markovic et autres [GC] (précitée, §§ 53-54), dans le cadre de griefs tirés de l'article 6 § 1 de la Convention, que même si les faits à l'origine d'une affaire ont eu lieu en dehors du territoire de l'État défendeur, la juridiction de ce dernier est établie à partir du moment où un individu introduit une action civile devant les tribunaux de cet État lorsque le droit interne reconnaît la possibilité d'engager une telle action et qu' a priori , le droit revendiqué a les caractéristiques requises par cette disposition ; en raison de l'existence d'une procédure civile devant les juridictions nationales, l'État est tenu de par l'article 1 de la Convention de garantir dans le cadre de cette procédure le respect des droits protégés par l'article 6. La Cour a estimé notamment « qu'à partir du moment où une personne introduit une action civile devant les juridictions d'un État, il existe indiscutablement un « lien juridictionnel » au sens de l'article 1 de la Convention, et ce sans préjuger de l'issue de la procédure ». En d'autres termes, dans le cadre de cette action civile, cette personne relève de la juridiction de cet État en ce qui concerne le respect des droits garantis par l'article 6 § 1 de la Convention. Dans cette affaire, des proches de personnes qui avaient péri lors de frappes aériennes opérées sur Belgrade en 1999 par des avions de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (« OTAN ») qui avaient décollé de bases situées sur le territoire italien, avaient introduit une procédure en responsabilité civile devant les juridictions judiciaires italiennes contre l'État italien.
124. Dans la décision qu'elle a rendu le 12 juin 2003 sur la recevabilité de cette même affaire, la Cour a en revanche jugé que le fait que les juridictions italiennes avaient été saisies par les requérants ne suffisait pas pour déclencher la juridiction de l'Italie au regard des griefs qu'ils développaient sur le terrain des articles 2, 10 et 17 de la Convention. Elle a renvoyé à l'affaire Banković et autres c. Belgique et autres (déc.) [GC] (no 52207/99, CEDH 2001-XII), dans laquelle elle avait déclaré l'inexistence d'un « lien juridictionnel » au sens de l'article 1 dans le cadre de griefs tirés des articles 2, 10 et 17 entre des victimes des mêmes frappes aériennes et des États membres de l'OTAN, se fondant sur le principe selon lequel la juridiction d'un État, au sens de l'article 1, est principalement territoriale, et sur l'absence de circonstances exceptionnelles propres à faire conclure à un exercice extraterritorial de leur juridiction par les États défendeurs.
125. En outre, la Cour a admis une exception lorsque l'article 2, relatif au droit à la vie, est invoqué dans son volet procédural contre un État contractant alors que le décès est intervenu en dehors de son territoire. Elle s'est fondée sur le constat que l'obligation procédurale que recèle cette disposition de mener une enquête effective était devenue une obligation distincte et indépendante, qui pouvait être considérée comme une obligation détachable résultant de l'article 2 et pouvait s'imposer à l'État même lorsque le décès est survenu en dehors de sa juridiction. En pareil cas, la question qui se pose est celle de savoir s'il existe un « lien juridictionnel » aux fins de l'article 1 de la Convention. À cet égard, la Cour a jugé que, si les autorités d'enquête ou les organes judiciaires d'un État contractant ouvrent au sujet d'un décès qui s'est produit en dehors de la juridiction de cet État leur propre enquête pénale ou leurs propres poursuites en vertu de leur droit interne (par exemple sur le fondement de dispositions relatives à la compétence universelle ou du principe de la personnalité active ou passive), l'ouverture de cette enquête ou de cette procédure suffit à établir un lien juridictionnel aux fins de l'article 1 entre l'État en question et les proches de la victime qui saisissent ultérieurement la Cour ( Güzelyurtlu et autres c. Chypre et Turquie [GC], no 36925/07, §§ 188-189, 29 janvier 2019).
126. La Cour a ajouté que lorsque pareilles enquête ou poursuites n'ont pas été ouvertes dans un État contractant, des circonstances propres à l'espèce peuvent néanmoins entraîner l'existence d'un lien juridictionnel en relation avec l'obligation procédurale d'enquêter que recèle l'article 2 (ibidem, § 190). Il en va de même lorsque le principe énoncé au paragraphe 125 ci-dessus est inapplicable aux faits de l'espèce (Hanan précité, §§ 135-145).
2. Application en l'espèce des principes susmentionnés
1. Sur la juridiction de la Suisse au regard du principe de territorialité
127. La Cour constate qu'il n'y a pas de lien territorial entre, d'une part, la Suisse, et, d'autre part, la requérante, l'adoption du règlement DDS et ses effets sur la situation de cette dernière, à l'exception des procédures introduites devant le TAS et le Tribunal fédéral, examinées ci-après. Il est donc manifeste que la requérante ne relevait pas de la juridiction territoriale de l'État défendeur.
2. Sur la juridiction de la Suisse par exception au principe de territorialité
1. En ce qui concerne le grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention
128. Comme indiqué au paragraphe 123 ci-dessus, lorsqu'une personne introduit une action civile devant les tribunaux d'un État partie, que le droit de cet État lui reconnaît la possibilité d'engager une telle action et que le droit qu'elle revendique est un droit ayant a priori les caractéristiques requises par l'article 6 de la Convention, cette personne relève de la juridiction de cet État en ce qui concerne le respect des droits garantis par cette disposition même si les faits à l'origine de l'affaire ont eu lieu en dehors du territoire de ce dernier.
129. En l'espèce, la Cour constate que le TAS, dont le siège est en Suisse, est un tribunal arbitral au sens du droit suisse (paragraphe 46 ci-dessus), encadré à ce titre par les dispositions du chapitre 12 de la loi fédérale sur le droit international privé, relatif à l'arbitrage international.
130. Elle relève qu'il résulte des articles 77 alinéa 1 de la loi sur le Tribunal fédéral et de l'article 190 alinéa 2 de la loi fédérale sur le droit international privé que, dans le domaine de l'arbitrage international, le droit suisse ouvre un recours en matière civile devant le Tribunal fédéral contre les sentences des tribunaux arbitraux dont le siège se trouve en Suisse, permettant non seulement l'examen du respect de certaines exigences procédurales mais aussi un examen matériel portant sur leur compatibilité avec l'ordre public au sens de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé (l'ordre public au sens de cette disposition ayant un volet procédural et un volet matériel ; paragraphes 46- 47 et 50-52 ci-dessus).
131. La requérante a ainsi exercé un recours en matière civile contre la sentence rendue par le TAS en sa cause le 30 avril 2019, que le Tribunal fédéral a examiné.
132. La Cour note ensuite que les droits revendiqués par la requérante devant le TAS et le Tribunal fédéral présentaient les caractéristiques requises par l'article 6 de la Convention dès lors notamment que, comme elle le constate aux paragraphe 158- 163 ci-dessous, la contestation que soulevait la requérante dans le cadre de son recours en matière civile portait sur « ses droits (...) de caractère civil » au sens de cette disposition.
133. Ainsi, la saisine du Tribunal fédéral à la suite du TAS par la requérante a engendré un lien juridictionnel avec la Suisse, emportant pour la Suisse l'obligation, en vertu de l'article 1 de la Convention, de garantir le respect des droits protégés par l'article 6 de la Convention dans le cadre de la procédure qui s'est déroulée devant le Tribunal fédéral.
134. Au surplus, la Cour observe que le Gouvernement déclare ne pas contester la juridiction de la Suisse au regard de ce grief (paragraphe 100 ci-dessus).
135. En conclusion, au vu de la jurisprudence rappelée aux paragraphes 123 et 128 ci-dessus, la requérante relevait de la juridiction de la Suisse s'agissant de son grief tiré de l'article 6 § 1.
2. En ce qui concerne les griefs tirés de l'article 8 de la Convention, pris isolément et combiné avec l'article 14
136. D'une part, la Cour constate que les exceptions énoncées aux paragraphes 121 et 125- 126 ci-dessus n'entrent pas en jeu en l'espèce : l'affaire ne s'inscrit dans le contexte ni du contrôle par un État d'un territoire situé en dehors du territoire national, ni de l'exercice sur une personne d'un contrôle ou d'une autorité par un agent d'un État en dehors des frontières de cet État, et elle ne concerne pas l'obligation procédurale d'enquêter que comprend l'article 2 de la Convention.
137. D'autre part, la Cour observe que l'approche suivie par la majorité de la chambre (paragraphes 116- 117 ci-dessus) revient à retenir que, dès lors qu'une juridiction d'un État examine un recours concernant des allégations de manquement à une disposition de la Convention relative à un droit substantiel, telle que les articles 8 et 14, à raison de faits qui se sont produits en dehors de cet État, la victime alléguée de la violation de ces dispositions, partie à la procédure, relève de sa juridiction au regard des obligations procédurales inhérentes à ces dispositions.
138. Sur ce tout dernier point, il ressort certes de la jurisprudence de la Cour que, parmi les obligations positives découlant de l'article 8 de la Convention, figure celle de mettre en place un cadre juridique de protection de la vie privée contre les ingérences de personnes privées comprenant un recours apte à fournir une protection suffisante, et, d'autre part, que les individus victimes d'un traitement discriminatoire au sens de l'article 14 de la Convention doivent pouvoir contester ce traitement et intenter une action en justice pour obtenir à cet égard une indemnisation ou une autre forme de réparation (voir, par exemple, s'agissant toutefois d'affaires qui concernent des circonstances sans rapport avec la présente affaire : pour l'article 8 pris isolément, Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, §§ 78-85, ECHR 2013 ; pour l'article 14, Zakharova et autres c. Russie , no 12736/10 , § 35, 8 mars 2022 ; voir aussi Danilenkov et autres c. Russie , no 67336/01 , § 124, CEDH 2009 (extraits), cité dans l'arrêt de chambre).
139. Ainsi, dans l'affaire Platini (précitée, § 62), dans laquelle le requérant avait contesté devant le TAS puis le Tribunal fédéral une sanction que la FIFA lui avait infligée, la Cour a jugé sur le terrain de l'article 8 de la Convention, qu'il convenait en particulier de vérifier s'il avait disposé des garanties institutionnelles et procédurales suffisantes, soit d'un système de juridictions devant lesquelles il avait pu faire valoir ses griefs, et si ces juridictions avaient rendu des décisions dûment motivées et tenant compte de la jurisprudence de la Cour. En la présente espèce, la majorité des membres de la chambre a considéré que cela valait aussi dans le cadre de l'article 14 de la Convention (paragraphe 164-166 de l'arrêt de chambre).
140. Ceci étant, la Cour observe que l'approche de la majorité de la chambre sur la question de la juridiction de la Suisse en ce qui concerne les griefs tirés des articles 8 et 14 de la Convention (paragraphe 137 ci-dessus) ne repose sur aucun précédent.
141. Elle note à cet égard que la majorité de la chambre s'est fondée sur l'affaire Platini (précitée), dans laquelle la Cour s'est jugée compétente pour connaitre des griefs du requérant « quant aux actes et omissions du TAS, entérinés par le Tribunal fédéral », y compris un grief tiré de l'article 8 de la Convention. Or, à la différence de la présente espèce, il y avait dans cette affaire un lien entre les faits dénoncés par le requérant sous l'angle de cette disposition et la Suisse. Elle concernait en effet des sanctions prises contre le requérant par les instances de la FIFA, une personne morale de droit suisse dont le siège se trouve en Suisse, pour infraction au code d'éthique de cette dernière dans le cadre de fonctions qu'il avait exercé en son sein et alors qu'il en était le vice-président. Comme cela est précisé dans la décision de la Cour dans cette affaire (paragraphes 22 et 37), il s'agissait non d'un cas d'arbitrage international, régi par la loi fédérale sur le droit international privé, mais d'un cas d'arbitrage interne, régi par le code de procédure civile.
142. La jurisprudence de la Cour relative à la juridiction des États contractants dans le contexte du volet procédural de l'article 2 (paragraphe 125 ci-dessus) n'apporte pas non plus de précédent susceptible d'être pertinent dans le cadre des obligations procédurales que comprennent les article 8 et 14. L'exception au principe de territorialité qu'elle consacre est en effet liée à la nature de l'obligation procédurale de mener une enquête effective lorsqu'une personne est décédée dans des conditions violentes ou suspectes que recèle cette disposition, qui est devenue une obligation distincte et indépendante, « détachable » du volet matériel de l'article 2, et qui peut ainsi s'imposer à un État partie alors même que le décès est survenu en dehors de sa juridiction.
143. La Cour estime par ailleurs que l'on ne peut déduire une exception générale au principe de territorialité de l'exception énoncée par l'arrêt Markovic et autres [GC] dans le contexte spécifique de l'article 6 § 1 (paragraphe 123 ci-dessus).
144. L'article 6 § 1, relatif au droit à un procès équitable, se distingue en effet de la plupart des autres dispositions de la Convention - notamment des articles 8 et 14 dont il est question en l'espèce - en ce qu'il porte exclusivement sur des droits procéduraux. C'est sur cette spécificité que repose le raisonnement de la Cour selon lequel la juridiction d'un État est établie pour ce qui concerne le respect des droits procéduraux énoncés par l'article 6 § 1, lorsque le droit de cet État ouvre la possibilité d'une action civile devant ses tribunaux au regard de faits qui se sont produits en dehors de son territoire, que le requérant a exercé une telle action civile, et que l'action civile qu'il a exercée concernait a priori une contestation sur un droit de caractère civil au sens de cette disposition.
145. La Cour estime en conséquence que le fait que le Tribunal fédéral a examiné le recours en matière civile de la requérante visant à l'annulation de la sentence du TAS du 30 avril 2019 ne suffit pas pour établir la juridiction de la Suisse à l'égard de la requérante dans le cadre des griefs qu'elle formule sur le terrain des articles 8 et 14 de la Convention.
146. Par ailleurs, la Cour ne décèle pas en l'espèce de circonstances propres qui, séparément ou associées à cette circonstance procédurale, pourraient caractériser un lien juridictionnel en relation avec ces griefs.
147. De fait, excepté la circonstance que le TAS a son siège en Suisse et que le Tribunal fédéral a examiné le recours en matière civile de la requérante visant à l'annulation de la sentence du 30 avril 2019, aucune circonstance propre à l'espèce ne la rattache à la Suisse.
148. Ce n'est du reste que de manière très exceptionnelle que la Cour peut être amenée à conclure à la juridiction extraterritoriale d'un État en dehors des circonstances rappelées aux paragraphes 121 et 123- 126. Les affaires M.N. et autres c. Belgique [GC] (précitée, §§ 113-126), H.F. et autres c. France [GC] (précitée, §§ 205-214) et Duarte Agostinho et autres [GC] (décision précitée, §§ 184-213) en offrent l'illustration.
149. La Cour relève que la requérante fait notamment valoir que l'État défendeur contrôlait et influençait ses intérêts au regard de la Convention dès lors qu'elle était tenue de passer par le système judiciaire suisse pour défendre ses droits (paragraphes 110- 111 ci-dessus). La Cour rappelle toutefois que la notion de juridiction extraterritoriale au sens de l'article 1 de la Convention exige un contrôle sur la personne elle-même et non sur ses intérêts en tant que tels. Hormis les affaires particulières relatives aux cas d'homicide volontaire, par des agents de l'État, relevant de l'article 2, rien dans la jurisprudence de la Cour ne vient accréditer la thèse selon laquelle le critère de « contrôle sur les intérêts protégés par la Convention » pourrait servir de fondement à l'établissement de la juridiction extraterritoriale d'un État ; et la Cour considère que la portée de la juridiction extraterritoriale ne peut être ainsi élargie. Admettre cette thèse reviendrait en effet à s'écarter radicalement des principes établis relativement à l'article 1 (Duarte Agostinho et autres [GC], décision précitée, § 205).
150. Enfin, la Cour note qu'en conclusion de son raisonnement relatif à l'article 1 de la Convention, la majorité de la chambre a jugé, après avoir constaté que la seule voie ouverte à la requérante était un recours devant le TAS puis devant le Tribunal fédéral, que la Cour risquait, en contradiction avec l'esprit, l'objet et le but de la Convention, de couper l'accès à la Cour à toute une catégorie de personnes, à savoir les sportives professionnelles, si elle se déclarait incompétente pour connaître de ce type de requêtes. Cette circonstance n'est cependant pas de nature à rattacher l'espèce à la Suisse de manière à caractériser un lien juridictionnel entre cet État et la requérante (concernant le rejet par la Cour d'une argumentation similaire, voir Duarte Agostinho et autres [GC], décision précitée, §§ 196-197). On ne saurait donc en tirer argument sur le terrain de l'article 1 de la Convention en ce qui concerne l'article 8 de la Convention, pris isolément ou combiné avec l'article 14. Par ailleurs, retenir l'approche suivie par la chambre sur ce point reviendrait là-aussi à élargir la portée de la juridiction extraterritoriale et à s'écarter des principes établis relativement à l'article 1, en l'absence pourtant de motifs propres à justifier une évolution de la jurisprudence existante relative à la juridiction extraterritoriale.
151. Partant, la requérante ne relevait pas de la juridiction de la Suisse pour autant que sont concernés les griefs tirés de l'article 8 pris isolément ou combiné avec l'article 14.
3. En ce qui concerne le grief tiré de l'article 13 de la Convention
152. Il se déduit de la conclusion de la Cour selon laquelle la requérante ne relevait pas de la juridiction de la Suisse en ce qui concerne les griefs qu'elle formule sur le terrain des articles 8 et 14 de la Convention, qu'elle n'en relevait pas non plus en ce qui concerne le grief relatif à l'article 13 de la Convention combiné avec ces dispositions (voir M.N. et autres c. Belgique [GC], décision précitée, § 125).
3. Conclusion
153. La requérante relevait de la juridiction de la Suisse en ce qui concerne le grief qu'elle formule sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention.
154. Elle n'en relevait en revanche pas en ce qui concerne les griefs qu'elle formule sur le terrain de l'article 8, pris isolément et combiné avec l'article 14, et de l'article 13 combiné avec ces dispositions. Il convient donc d'accueillir l'exception préliminaire du Gouvernement relative à l'incompatibilité ratione personae et loci de cette partie de la requête avec les dispositions de la Convention et de la déclarer irrecevable en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
2. Sur la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la Convention
155. L'article 6 § 1 est ainsi rédigé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».
1. Questions de recevabilité autres que celle relative à la juridiction de la Suisse
156. Le Gouvernement ne met pas en cause la recevabilité du grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention. Renvoyant à l'arrêt Mutu et Pechstein précité, il déclare en particulier ne pas contester l'applicabilité de l'article 6 § 1, dès lors que la procédure litigieuse concernait un droit de caractère civil, celui de pratiquer une profession.
157. La Cour en prend acte. Elle rappelle toutefois qu'il lui faut à chaque stade de la procédure examiner sa compétence et que la question de l'applicabilité de tel ou tel article de la Convention ou d'un Protocole se rattache à sa compétence ratione materiae (voir, par exemple, Grosam , précité, §§ 106-107).
158. La Cour, qui souligne qu'elle a déjà jugé l'article 6 § 1 applicable dans son volet civil à des litiges soumis à l'arbitrage, y compris à des contentieux internationaux dans le domaine du sport (voir notamment, Ali Riza c. Suisse , no 74989/11 , §§ 63-65, 13 juillet 2021, Bakker c. Suisse (déc.) [Comité], §§ 27-29, 3 septembre 2019, et Mutu et Pechstein , précité, §§ 56-59), rappelle que les critères d'applicabilité de cette disposition sont les suivants : il faut qu'il y ait « contestation » sur un « droit » que l'on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne, que ce droit soit ou non protégé par la Convention ; il doit s'agir d'une contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien l'existence même d'un droit que son étendue ou ses modalités d'exercice ; de plus, l'issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l'article 6 § 1 ( Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 44, 25 septembre 2018, et références citées, et Grzęda c. Pologne [GC], no 43572/18, § 257, 15 mars 2022, et références citées). Enfin, le droit doit revêtir un caractère « civil » ( Grzęda , précité, § 257 ; pour une référence récente, voir Fabbri et autres c. Saint-Marin [GC], nos 6319/21 et 2 autres, § 76, 24 septembre 2024). La jurisprudence de la Cour a évolué au profit d'une application du volet civil de l'article 6 à des affaires ne portant pas à première vue sur un droit de caractère civil mais pouvant avoir des répercussions directes et importantes sur un droit de caractère privé d'un individu ( De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, § 151, 23 février 2017, et références citées ; voir aussi Denisov , précité, §§ 51-52, et références citées).
159. En l'espèce, il s'agit d'un litige entre personnes privées, dont l'objet est notamment les droits de la requérante au respect de son identité, de son intimité, de son intégrité physique et psychique et de sa dignité, et son droit d'exercer son activité professionnelle.
160. Le Tribunal fédéral, qui était saisi d'un recours en matière civile sur le fondement de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé (paragraphe 47 ci-dessus), était conduit à juger si la sentence rendue par le TAS en la cause de la requérante était « incompatible avec l'ordre public » matériel. Dans son arrêt du 25 août 2020, il a tout d'abord rappelé sa jurisprudence selon laquelle, d'une part, une atteinte grave aux « droits de la personnalité » du sportif, au sens des articles 27 et suivants du code civil suisse, peut être contraire à l'ordre public, et, d'autre part, en matière de sport de haut niveau, les droits de la personnalité incluent les droits à la santé, à l'intégrité corporelle, à l'honneur, à la considération professionnelle et à l'activité sportive et, s'agissant de sport professionnel, le droit au développement et à l'épanouissement économique (paragraphe 40 ci-dessus). Renvoyant à cette jurisprudence, il a examiné la cause de la requérante à l'aune des droits au respect de l'intégrité physique et psychique, de l'identité, de la sphère intime, de la liberté économique et de la dignité humaine.
161. Il s'en déduit que la contestation visait des droits de caractère civil reconnus en droit interne.
162. Quant au sérieux de cette contestation, il résulte du fait que le Tribunal fédéral était compétent pour apprécier la compatibilité de la sentence du 30 avril 2019 avec l'ordre public, au sens de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi sur le droit international privé, qui comprend notamment le respect de la dignité humaine et des droits de la personnalité, et du raisonnement qu'il a déployé pour écarter cette contestation. Il ne fait par ailleurs aucun doute que l'issue de la procédure était déterminante pour les droits susmentionnés, tant il est manifeste que la possibilité pour la requérante de participer aux épreuves internationales dans la catégorie féminine dans les disciplines dans lesquelles elle excelle dépendait de son résultat.
163. L'article 6 § 1 est donc applicable dans son volet civil.
164. Constatant par ailleurs que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Thèses des parties
1. La requérante
165. La requérante soutient que le TAS et le Tribunal fédéral ne l'ont pas protégée contre les violations de ses droits garantis par la Convention et qu'en raison de leur analyse erronée de son cas ou du caractère limité du contrôle effectué par le Tribunal fédéral sur le fondement de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé, qui ne permet pas d'invoquer directement la violation des droits garantis par la Convention, il y a eu violation de son droit d'accès à un tribunal ou de son droit à un recours effectif.
166. Selon la requérante, si le système mis en place par la Suisse pour résoudre les différends dans le sport professionnel international pourrait être approprié, tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, le litige concerne des violations substantielles des droits garantis par la Convention et que le recours devant le Tribunal fédéral ne permet pas que ces droits soient directement invoqués ou que les normes issues de la Convention soient correctement évaluées et appliquées. Elle renvoie à l'arrêt de la CJUE du 21 décembre 2023 mentionné aux paragraphes 64- 68 ci-dessus, dont elle déduit que cette dernière considère qu'un contrôle trop limité en droit ou en fait, tel que celui effectué par le Tribunal fédéral sur les sentences du TAS, prive le sportif concerné d'une partie essentielle du champ de protection des droits que lui confère le droit de l'Union. Elle invite la Cour à opter pour une analyse analogue.
167. La requérante souligne que son grief principal est que, dans les circonstances limitées où le recours devant le Tribunal fédéral concerne des violations substantielles de la Convention ab initio , et dès lors que la saisine du TAS est obligatoire, la Convention exige que le Tribunal fédéral, en tant qu'instance d'appel, soit en mesure de revoir en fait et en droit les conclusions de ce dernier.
168. Par ailleurs, dans le cadre de ses observations relatives aux articles 8 et 14 de la Convention, la requérante fait notamment valoir qu'alors qu'il avait relevé que les preuves présentées par World Athletics n'établissaient pas de relation causale entre des niveaux élevés de testostérone et un avantage de performance et reconnu qu'elles présentaient un certain nombre de lacunes, le TAS a conclu que cela ne réfutait pas la thèse de World Athletics selon laquelle il y aurait un lien entre testostérone et avantage athlétique au profit des athlètes féminines qui présentent une différence de développement sexuelle 46 XY DSD . Il aurait en outre refusé de préciser la mesure dans laquelle un taux élevé de testostérone augmenterait les performances de ces dernières. De plus, alors qu'il avait relevé l'absence de consensus scientifique sur des questions clés, le manque de preuves convaincantes, des preuves erronées et le conflit d'intérêts dans lequel se trouvaient les conseillers scientifiques sur lesquels s'appuyait World Athletics , le TAS aurait inexplicablement conclu que le règlement DDS était nécessaire au regard du but avancé par World Athletics , à savoir l'organisation de la compétition internationale autour de deux catégories, masculine et féminine.
169. Refusant de s'ingérer dans les conclusions du TAS, le Tribunal fédéral se serait borné à les approuver à la lumière du concept très limité d'ordre public qu'il avait employé. Comme le TAS, le Tribunal fédéral aurait omis de mettre l'accent sur la nécessité de preuves solides s'agissant des critères d'éligibilité. En raison du caractère restreint de son examen, le Tribunal fédéral n'aurait pas été en mesure de constater que le règlement DDS était disproportionné par rapport à son but, et que cette disproportion résultait : des graves conséquences du règlement sur les droits de la requérante au regard de l'article 8 de la Convention ; du fait que les preuves relatives à l'impact des contraceptifs oraux sur les athlètes d'élite présentant une différence du développement sexuel 46 XY DSD étaient extrêmement limitées et qu'il n'y avait pas de directive indiquant aux cliniciens comment les utiliser pour réduire et maintenir les niveaux de testostérone ; du fait que les traitements hormonaux ont des effets secondaires significatifs, comme l'a relevé le TAS ; de la difficulté pratique pour les athlètes concernées de se conformer au règlement, également constatée par le TAS ; du fait que la visibilité de l'exclusion d'une athlète concernée d'une des épreuves visées privait la confidentialité de sens ; du fait que les preuves d'une corrélation entre la testostérone endogène et un avantage athlétique au bénéfice des athlètes présentant une différence du développement sexuel 46 XY DSD dans les disciplines du 1 500 mètres et du mile étaient rares.
170. La requérante estime que le TAS et le Tribunal fédéral auraient dû exiger de World Athletics qu'elle fournisse une justification très solide, et qu'en raison du caractère excessivement restreint du contrôle effectué par le Tribunal fédéral à l'aune de l'ordre public, au sens de l'article 190 alinéa 2 de la loi fédérale sur le droit international privé, ou de l'approche qu'il a de ce contrôle, la Suisse a manqué à son obligation de la protéger contre la violation de ses droits.
2. Le Gouvernement
171. S'agissant du pouvoir limité du Tribunal fédéral, le Gouvernement rappelle que la Convention ne garantit pas le droit à un double degré de juridiction. Il souligne ensuite notamment que le contrôle de la sentence arbitrale internationale limité à l'ordre public représente le standard mondialement reconnu en matière d'arbitrage, le législateur suisse s'étant inspiré des standards de contrôle de la Convention de New York pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères, et met en exergue l'intérêt de l'arbitrage sportif, dont la Cour a fait le constat dans les arrêts Mutu et Pechstein et Ali Rıza et autres précités. Enfin, renvoyant à la décision Bakker [Comité] précitée, le Gouvernement fait valoir que le TAS et le Tribunal fédéral ont procédé, dans le cadre de leur pouvoir d'examen respectif, à un examen complet des griefs de la requérante, y compris ceux relatifs à la violation de ses droits fondamentaux, en procédant notamment à une véritable pesée des intérêts pertinents et en répondant de manière motivée aux critiques de la requérante.
172. Par ailleurs, dans le cadre de ses observations relatives aux articles 8 et 14 de la Convention, le Gouvernement souligne que le TAS a rendu une sentence circonstanciée comportant 165 pages et traitant non seulement de questions scientifiques complexes mais aussi de problèmes juridiques délicats, à l'issue d'une audience de cinq jours au cours de laquelle de nombreux experts ont été entendus, et qu'il a procédé à un examen complet des griefs et à une pesée soigneuse des différents intérêts en présence ; il est arrivé à la conclusion que le règlement DDS créait certes une différence de traitement, mais qu'il constituait néanmoins un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné d'atteindre les buts poursuivis par World Athletics , à savoir assurer une compétition équitable. D'après le Gouvernement, il ressort des motifs de la sentence que les arbitres ont tenu compte de tous les éléments et n'ont négligé aucune circonstance ; bien que le TAS n'ait pas été en mesure d'apporter une réponse exhaustive à l'ensemble des questions que soulève l'affaire et a parfois exprimé certains doutes, il faut en déduire qu'il a minutieusement analysé les arguments de la requérante et leur a accordé l'attention requise. Le Gouvernement ajoute que la requérante a pu ensuite saisir le Tribunal fédéral d'un recours en matière civile, lequel, dans un arrêt dûment motivé de soixante-dix pages, a examiné si elle était victime d'une différence de traitement inadmissible et si la sentence consacrait une éventuelle violation de ses droits de la personnalité. Le Tribunal fédéral a reconnu qu'en matière de sport de haut niveau, les droits de la personnalité incluaient le droit à la santé, à l'intégrité corporelle, à l'honneur, à la considération professionnelle, à l'activité sportive et, s'agissant de sport professionnel, le droit au développement et à l'épanouissement économique et a admis qu'une atteinte aux droits de la personnalité du sportif pouvait être contraire à l'ordre public matériel, à condition toutefois qu'il s'agisse d'un « cas grave et net de violation d'un droit fondamental » ; cependant, au terme d'une pesée soigneuse des intérêts en présence, il a conclu que tel n'était pas le cas en l'espèce.
173. Le Gouvernement constate aussi que le Tribunal fédéral a admis que subir un « examen de virilisation » constituait une atteinte au droit à l'intégrité physique ou psychique, mais a considéré qu'elle n'affectait pas l'essence même de ce droit de manière à rendre toute justification impossible, dès lors que les examens prévus par le règlement DDS sont réalisés par des médecins qualifiés, ne sont pas effectués si une athlète s'y oppose et peuvent avoir des effets bénéfiques, et que le corps d'une sportive professionnelle est déjà passablement scruté aux fins de la lutte antidopage. Il relève aussi que le TAS et le Tribunal fédéral ont pris en compte les effets secondaires des pilules contraceptives dans leur pesée des intérêts, et que ce dernier a similairement conclu que si la prise de contraceptifs oraux implique des effets secondaires significatifs et ne repose pas sur un consentement complètement libre et éclairé, au point de constituer une atteinte sérieuse au droit à l'intégrité physique des athlètes concernées, on ne saurait en revanche admettre que cela affecte l'essence même de ce droit, excluant toute justification. Le Gouvernement note aussi, notamment, que le Tribunal fédéral a examiné le grief d'une atteinte au droit au respect de l'identité sociale et de genre, rappelant à ce titre que le Règlement DDS et la sentence « ne cherchaient pas à remettre en cause le sexe féminin des athlètes 46 XY DSD » ou à déterminer si elles sont suffisamment « femmes », la question n'étant pas de savoir ce qu'est une femme ou une personne intersexuée.
174. Le Gouvernement souligne de plus que la requérante a pu faire valoir ses griefs devant le TAS et le Tribunal fédéral, lesquels ont procédé à une véritable pesée des intérêts pertinents en jeu et ont répondu à tous ses griefs dans le cadre de décisions dûment motivées. Il relève en particulier que le premier a examiné si le règlement DDS était discriminatoire, nécessaire, raisonnable et proportionné, procédant à une pesée des intérêts en présence. Il juge d'autant moins compréhensible la critique de la chambre selon laquelle le TAS ne s'est pas référé dans son analyse à l'article 14 et à la jurisprudence de la Cour, que la requérante n'avait pas invoqué la Convention devant lui, et conteste l'interprétation de la chambre selon laquelle le TAS aurait laissé planer des doutes sur certains points. Il ajoute qu'il ressort clairement de l'arrêt du Tribunal fédéral que celui-ci a également examiné si la requérante avait été victime d'une différence de traitement inadmissible et procédé à une mise en balance des intérêts en présence, avant de conclure que la solution retenue par le TAS « n'était ni insoutenable, c'est-à-dire arbitraire, ni a fortiori contraire à l'ordre public ». Il juge infondé le reproche formulé par la chambre selon lequel le Tribunal fédéral se serait pour l'essentiel contenté d'entériner, à l'aune de la notion très restreinte d'ordre public, les conclusions de l'instance inférieure, sans se livrer à son propre examen des questions litigieuses, et se dit surpris que la chambre n'ait pas tenu compte dans son arrêt des buts légitimes visés par le règlement DDS. Le Gouvernement souligne par ailleurs que, malgré les doutes que le TAS et le Tribunal fédéral ont exprimé, leurs conclusions ne paraissent ni arbitraires ni manifestement déraisonnables, et poursuivaient l'objectif légitime de garantir une compétition équitable au sein de l'athlétisme féminin.
2. Observation des tiers intervenants
1. Le Gouvernement britannique
175. Le gouvernement intervenant souligne que l'arbitrage joue un rôle vital dans le commerce international, particulièrement en matière contractuelle, et renvoie à l'article II.3 de la convention de New York pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères. Selon lui, exiger qu'en matière d'arbitrage commercial les juridictions internes procèdent au contrôle qu'appelle l'arrêt de la chambre en l'espèce aurait de graves conséquences négatives sur l'efficacité de l'arbitrage commercial et sur l'attractivité des États contractants en tant que lieux d'arbitrage. Il invite en conséquence la Grande Chambre, si elle confirme la décision de la chambre, à préciser que cette approche est spécifique à l'arbitrage forcé entre les sportifs et les instances dirigeantes qui contrôlent les activités dont ils tirent leur subsistance, que l'arbitrage commercial n'est pas concerné, et que dans ce domaine, les États contractants continuent de jouir d'un « pouvoir discrétionnaire considérable » quant aux motifs d'ingérence dans une sentence arbitrale.
2. Le Haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies
176. Le Haut-commissaire expose que dans les situations telles celle de l'espèce, l'arbitrage n'est pas une forme alternative de règlement des différends choisie par les parties, mais la seule forme de règlement des différends possible, imposée aux athlètes par leur instance dirigeante. Il estime que, lorsqu'il y a ainsi arbitrage obligatoire, il ne peut être question d'une renonciation volontaire aux droits que confère la Convention, que l'arbitrage obligatoire devant un tribunal arbitral de droit privé ne peut pas avoir pour effet pratique de priver une victime de ses droits humains, et qu'il incombe nécessairement aux juridictions du siège de l'arbitrage d'assurer le contrôle et la protection de ces droits, ce qui peut se faire par le biais de l'interprétation de la notion d'ordre public à la lumière de ses obligations au titre de la Convention. S'agissant en particulier du TAS, il constate que sa compétence dépasse les litiges purement commerciaux, et comprend les décisions et règlementations adoptées par les instances dirigeantes du sport, lesquelles peuvent, comme le montre la présente affaire, avoir un impact significatif et direct sur un large éventail de droits fondamentaux, y compris sur l'accès d'un individu au sport ou sur sa capacité à exercer sa profession. D'après-lui, en matière d'arbitrage obligatoire, comme c'est le cas en matière de sport, l'État du siège de l'arbitrage a la responsabilité de superviser non seulement l'arbitrage (par l'intermédiaire de ses tribunaux) mais aussi l'exercice effectif des droits garantis par la Convention et éventuellement d'autres droits internationaux de l'homme. Il ajoute que, si la portée des obligations positives imposées à l'État dans un cas donné doit dépendre de la nature des droits garantis par la Convention concernés, l'État a toujours l'obligation de garantir l'accès des individus à des recours effectifs.
3. Mme Tlaleng Mofokeng, rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, Mme Melissa Upreti, présidente du groupe de travail des Nations unies sur la discrimination à l'égard des femmes et des filles, et M. Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
177. Les intervenants avancent que le droit international des droits de l'homme oblige les États à préserver les athlètes féminines, y compris celles qui présentent des variations du développement sexuel, d'examens médicaux et interventions attentatoires à la dignité humaine, à l'égalité, à l'autonomie et à l'intégrité physique et psychologique de la personne. Ils soulignent qu'au titre de leur obligation positive de protéger les personnes contre la violation de leur droit à la vie privée par des entités privées, les États doivent interdire et prévenir les interférences résultant de règlementations qui exposent les athlètes féminines à des examens et interventions médicales non-consensuelles ou à l'exclusion de leur activité professionnelle, et y remédier le cas échant. Ils ajoutent que ces règlementations doivent aussi être examinées à la lumière des obligations positives des États d'interdire la discrimination à l'égard des femmes dans le sport et de la réparer, même lorsqu'elle émane d'organisations sportives privées. Ils soutiennent de plus qu'en vertu des articles 6 § 1 et 13, les États ont, en matière d'arbitrage sportif aussi, l'obligation positive de garantir un examen rigoureux, complet et substantiel du respect des droits protégés par la Convention. L'examen des sentences arbitrales dans le domaine du sport ne devrait pas être limité par des considérations de politique ou d'ordre public qui méconnaissent les normes de droit international des droits de l'homme, ou par des restrictions du contrôle des sentences arbitrales par les juridictions internes aboutissant à ce qu'il n'y ait pas d'examen complet et substantiel des griefs relatifs aux droits de l'homme.
4. La Commission sudafricaine des droits de l'homme
178. L'intervenante observe que le « principe d'intersectionnalité » est au coeur de l'affaire et expose les principes qui résultent de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sudafricaine en la matière.
5. World Athletics
179. L'intervenante indique que les athlètes masculins produisent naturellement plus de testostérone que les athlètes féminines, qu'il est scientifiquement démontré que cela leur donne un avantage physique significatif, que leurs performances sportives dépassent en conséquence celles des athlètes féminines de 9 à 18 %, et que la seule manière de garantir l'égalité des chances à ces dernières est de créer des catégories de compétitions distinctes, l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes. Or dans deux cas, une athlète dont l'« identité légale de sexe et de genre » est féminine a un « sexe chromosomique masculin » et donc un « sexe gonadique masculin » (elle n'a pas d'ovaires mais des testicules) et un « sexe hormonal masculin » (son taux de testostérone correspond non à la norme féminine, bas, mais à la norme masculine, élevé). Il s'agit d'une part, des athlètes transgenres 46 XY et, d'autre part, des athlètes 46 XY qui présentent un certain type de différence du développement sexuel. Elle souligne que, plutôt que d'exclure les athlètes 46 XY DSD de la catégorie féminine, elle a décidé, dans une optique inclusive, de conditionner leur éligibilité à la compétition dans certaines disciplines dans cette catégorie à la réduction de leur taux de testostérone en-dessous de la norme masculine. Elle ajoute que le règlement DDS ne les force pas à subir des examens de vérification ou à suivre des traitements et qu'il contient des dispositions destinées à protéger leur dignité et leur intimité, que la réduction du taux de testostérone correspond au traitement médical habituel des personnes qui sont 46 XY DSD et qui ont une identité féminine, et que cela n'a pas d'effet secondaire significatif démontré. Elle estime notamment qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 dès lors que le TAS et le Tribunal fédéral ont examiné l'affaire conformément à ses exigences.
6. Athletics South Africa
180. L'intervenante est l'organisation qui réglemente l'athlétisme en Afrique du Sud. Membre de World Athletics , elle dit être tenue d'appliquer le règlement DDS aux athlètes auxquelles elle entend accorder une licence pour participer à des compétitions internationales organisées par cette dernière. Elle estime que la Suisse n'a pas fourni à la requérante les garanties institutionnelles et procédurales que requiert la Convention. Elle indique que le règlement DDS l'oblige à surveiller les athlètes susceptibles d'être concernées et à s'assurer que leur taux de testostérone ne dépasse pas le maximum fixé, sous peine de sanctions, pouvant aller jusqu'à la suspension de son adhésion à World Athletics avec pour conséquence l'impossibilité pour les athlètes sudafricains de participer aux compétitions organisées par ce dernier ou d'homologuer un record du monde. Elle rappelle qu'un traitement médical non librement consenti est constitutif d'une ingérence dans la vie privée. Or le consentement des athlètes concernées par le règlement DDS n'est pas libre et éclairé puisque leur carrière sportive est en jeu et que la question des effets secondaires sur le long terme des traitements de normalisation sexuelle est en cours d'étude. Elle note par ailleurs qu'il n'est pas démontré que le fait d'avoir un taux de testostérone dépassant le maximum fixé par le règlement DDS confère aux athlètes concernées un avantage aussi important que ce qu'invoque World Athletics pour le justifier, et souligne le caractère arbitraire du choix des épreuves. Elle relève ensuite que, dès lors que le règlement DDS s'applique uniquement aux athlètes féminines présentant une différence du développement sexuel, celles-ci sont traitées moins favorablement que les autres athlètes féminines et les athlètes masculins.
7. Le Centre canadien pour l'éthique dans le sport
181. L'intervenant note qu'en-dessous de la catégorie « elite senior », toutes les fédérations sportives organisent les compétions en fonction de l'âge et en considération du niveau de compétence. Pour la catégorie « elite senior », l'âge n'est plus un critère et, à part le poids dans le cas de l'haltérophilie, de la dynamophile, de sports de combat et de l'aviron, le règlement DDS de World Athletics est le seul exemple où un trait physique inné ou une caractéristique génétique constituent un critère d'éligibilité à la participation à des événements sportifs. Il en déduit que le règlement DDS doit faire l'objet d'une évaluation éthique, au regard des valeurs essentielles du sport que sont la sécurité, l'inclusion et l'équité, afin de vérifier si les restrictions qu'il impose à certaines athlètes présentant des différences du développement sexuel reposent sur une justification objective et raisonnable.
8. Le Centre des droits de l'homme de l'université de Gand
182. Selon l'intervenant, un des thèmes centraux de l'affaire est celui de l'instauration d'une responsabilité en matière de droits de l'homme dans le domaine de la gouvernance et de l'arbitrage privés transnationaux du sport. Il observe que le monde du sport est gouverné par de nombreuses règles, qu'une grande partie de ces règles n'est pas issue d'autorités publiques mais d'entités de gouvernance privées, et que cette règlementation privée est mise en application par des organes d'arbitrage privés. Il y voit le risque que les règles et décisions de la lex sportiva échappent à tout contrôle à l'aune des droits de l'homme, et estime que la Cour, comme d'autres organes supranationaux de défense des droits de l'homme, a la possibilité et la responsabilité de prévenir ce risque et d'y remédier. Il met de plus l'accent sur le fait qu'il y a « discrimination intersectionnelle », soulignant que les critères d'éligibilité hormonaux dans le sport, tels que ceux fixés par le règlement DDS, ont un impact disproportionné sur les athlètes féminines noires.
9. La Commission internationale de juristes, Organisation Intersex International Europe et the European Region of International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association-Europe
183. Les intervenants estiment que le règlement DDS discrimine les athlètes intersexuées sur le fondement du sexe et des caractéristiques sexuelles. Ils notent que depuis 2011 cette règlementation évolue vers une limitation de plus en plus marquée de l'accès des personnes intersexuées au sport, sans raisons particulièrement solides et convaincantes. Ils font valoir que le règlement DDS a potentiellement des conséquences négatives sur d'autres que les athlètes intersexuées de haut niveau, notamment sur les jeunes personnes intersexuées, qui se heurtent dans la pratique du sport à des obstacles d'ordre social, psychologique et physiologique. Ils soulignent de plus que, si le droit d'accès à la justice et le droit à un recours effectif garantis par les articles 6 et 13 de la Convention ne sont pas absolus, le contrôle judiciaire qu'ils garantissent ne doit pas être conduit de telle sorte qu'ils soient vidés de leur contenu.
10. MM. Antoine Duval, Cesare P.R. Romano et Faraz Shahlei
184. Les intervenants, qui indiquent dans leurs observations intervenir au nom de l' International Human Rights Center of Loyola Law School (Los Angeles) et de l' International Sport Law Center of the T.M.C. Asser Instituut (La Haye), consacrent leurs observations à l'exposé des raisons pour lesquelles ils estiment que le TAS n'est pas un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 6 § 1. Ils soulignent dans ce cadre que la compétence du TAS est dans la plupart des cas imposée aux athlètes qui, s'ils veulent concourir à l'échelle internationale, n'ont d'autre choix que d'accepter l'arbitrage.
11. Human Rights Watch, Mme Payoshni Mitra et Mme Katrina Karkazis
185. Les intervenants observent que les athlètes concernées par le règlement DDS ont été identifiées à la naissance comme étant des femmes, s'identifient comme telles, et ont toujours participé à des compétitions sportives dans la catégorie féminine. Ils relèvent que les tests de vérification du sexe dans le sport, qui existent depuis 1966 et sont de plus en plus stricts, s'inscrivent dans le cadre plus large des maltraitances médicales auxquelles sont confrontées les femmes présentant une différence du développement sexuelle, exposées aux USA à partir des années 1950 puis en Europe à des interventions médicales de normalisation dénuées de nécessité thérapeutique. Évoquant notamment des témoignages recueillis auprès d'athlètes ayant subi des tests de vérification du sexe, ils dénoncent l'impact des pratiques telles que celles résultant de la règlementation DDS sur les droits protégés notamment par les articles 8 et 14 de la Convention.
12. Le Vlaamse Ombudsdienst
186. L'intervenante constate que les critères d'éligibilité aux compétitions sportives, fondés sur la biologie et la binarité, contrastent avec le caractère multidimensionnel du sexe et du genre et l'évolution de la société et du droit. Elle observe notamment que, confrontées à un dilemme, certaines athlètes intersexuées qui souhaitent participer à des compétitions en tant que femmes suivent des traitements hormonaux ou subissent une gonadectomie, sans nécessité médicale, s'exposant à des effets secondaires, optent pour une autre discipline sportive que celle dans laquelle elles excellent, ou renoncent à la compétition internationale. Elle souligne que les critères d'éligibilité à la compétition, qui perpétuent la perception de l'intersexuation comme étant une anomalie, au risque de renforcer la stigmatisation, ne sont pas de simples règles administratives, mais ont un réel impact sur les droits et libertés des personnes intersexuées. Selon elle, il faut préserver les athlètes atypiques de procédures longues et couteuses destinées à démontrer leur éligibilité à la compétition sportive et opter pour une présomption d'éligibilité, et renvoie aux modalités d'éligibilité dans le domaine de l'handisport.
13. Women Sport International, International Association of Physical Education and Sport for Girls and Women et International Working Group for Women in Sport
187. Les intervenantes se présentent comme étant parmi les plus importantes et anciennes ONG oeuvrant pour l'inclusion des femmes et filles dans le sport. Elles indiquent réclamer continuellement le retrait des règlements adoptés par les instances sportives tels que le règlement DDS. Elles soulignent que le règlement DDS a de graves conséquences pour les femmes et les filles dans le sport. Selon elles, il conduit au profilage et au ciblage des femmes en fonction de stéréotypes de genre en empêchant les femmes perçues comme « trop masculines » de participer à des compétitions, sauf à se conformer à des pratiques non scientifiques et contraires à l'éthique, en violation flagrante du droit des droits de l'homme. Ils font valoir que le droit de participer à des sports est un droit humain, comme le reconnaît le quatrième principe fondamental du mouvement olympique, qui affirme également que chaque individu doit avoir la possibilité de pratiquer un sport sans aucune discrimination.
14. World Medical Association et Yale University's Global Health Justice Partnership
188. Les intervenants présentent World Medical Association comme étant une fédération d'associations médicales nationales représentant des millions de médecins. Ils indiquent qu'elle s'est opposée sans équivoque au règlement DDS et qu'elle a invité les médecins à ne pas collaborer à son application. Ils constatent que ce règlement, qui implique les médecins à tous les stades -l'identification des athlètes concernées, leur examen et leur traitement -, conduit ceux qui participent à sa mise en oeuvre à méconnaître des principes essentiels de l'éthique médicale, qui sont en lien avec les droits garantis par les articles 8 et 14 de la Convention notamment. Ils évoquent le respect de l'autonomie du patient et du médecin, le principe de bienfaisance et le principe de non-malfaisance. Ils observent qu'en général, un traitement qui n'est pas médicalement nécessaire ne répond pas au meilleur intérêt du patient, et qu'il en va d'autant plus ainsi des procédures de réduction du taux de testostérone dans le seul but de se conformer au règlement DDS, qui sont intrinsèquement non-nécessaires médicalement, étant donné leurs effets secondaires, dont ils font le détail. Les intervenants estiment en outre que le règlement DDS pousse les médecins à méconnaître les principes éthiques de justice et de non-discrimination.
3. L'arrêt de la chambre
189. Ayant conclu à une violation de l'article 13 au regard de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention en raison notamment du contrôle limité du Tribunal fédéral, la chambre a considéré que, dans la mesure où la requérante alléguait essentiellement pour le même motif une violation de son droit d'accès à un tribunal, ce grief ne soulevait pas de question distincte, et qu'il n'y avait donc pas lieu de statuer séparément sur l'article 6 § 1.
190. S'agissant de l'article 13, la chambre a déclaré conclure à la violation du droit à un recours effectif essentiellement pour les mêmes raisons que celles qui l'avaient amenée à constater une violation de l'article 14 combiné avec l'article 8 de la Convention : l'absence de garanties institutionnelles et procédurales suffisantes en Suisse.
191. Elle a rappelé à cet égard que, dans le contexte d'un arbitrage qui lui était imposé, la requérante n'avait pas eu d'autre choix que de s'adresser au TAS pour contester la validité du Règlement DDS. Or, en jugeant que celui-ci était certes discriminatoire mais qu'il constituait néanmoins un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné d'atteindre les buts poursuivis par l'IAAF, le TAS n'avait pas apprécié la validité du règlement en cause à la lumière des exigences de la Convention et, en particulier, n'avait pas répondu aux allégations de discrimination à la lumière de l'article 14 de la Convention, et ce en dépit des griefs bien étayés et crédibles de la requérante. Quant au Tribunal fédéral, son contrôle avait été très restreint puisqu'il avait été limité à la question de savoir si la sentence du TAS était contraire à l'ordre public au sens de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi sur le droit international public.
192. La chambre a ensuite constaté qu'à la différence des affaires Platini et Bakker précitées, les griefs formulés par la requérante devant le TAS et le Tribunal fédéral étaient bien étayés et s'appuyaient directement ou en substance sur la Convention, de sorte qu'en particulier, le Tribunal fédéral avait été mis en mesure de se prononcer préalablement sur les griefs dont est saisie la Cour. Or comme le TAS avant lui, le Tribunal fédéral, notamment en raison de son pouvoir de contrôle très limité, n'avait pas répondu de manière effective aux allégations étayées et crédibles, entre autres de discrimination, formulées par la requérante. La chambre a conclu, dans le cadre du rôle restreint de gardienne de l'ordre public européen de la Cour, que, considérés dans leur ensemble et dans les circonstances particulières du cas d'espèce, les recours internes ouverts à la requérante n'avaient pas été effectifs au sens de l'article 13 de la Convention.
4. L'appréciation de la Cour
1. Principes généraux relatifs à la fonction de la Cour au regard de l'article 6 de la Convention et à la motivation des décisions des tribunaux
193. La Cour rappelle qu'elle a pour seule tâche, aux termes de l'article 19 de la Convention, d'assurer le respect des engagements résultant pour les États contractants de la Convention. Il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention ( Paroisse gréco -catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 90, 29 novembre 2016, et López Ribalda et autres c. Espagne [GC], nos 1874/13 et 8567/13 , § 149, 17 octobre 2019, et références citées), par exemple si elles peuvent s'analyser en un manque d'équité incompatible avec l'article 6 de la Convention ( De Tommaso , précité, § 170). La Cour ne peut apprécier elle-même les éléments de fait ayant conduit une juridiction nationale à adopter telle décision plutôt que telle autre, sinon elle s'érigerait en juge de quatrième instance et elle méconnaîtrait les limites de sa mission ( Avotiņš c. Lettonie [GC], no 17502/07, § 99, 23 mai 2016). Si l'article 6 de la Convention garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales. En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour ( De Tommaso , précité, § 170, et références citées). Il en va de même de la valeur probante des éléments de preuve et de la charge de la preuve ( Grosam , précité, § 131). La Cour n'a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance, et elle ne remet pas en cause, sous l'angle de l'article 6 § 1, l'appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables ( De Tommaso , précité, § 170, et López Ribalda et autres , précité § 149, et références citées). La Cour a pour seule fonction, au regard de l'article 6 de la Convention, d'examiner les requêtes alléguant que les juridictions nationales ont méconnu des garanties procédurales spécifiques énoncées par cette disposition ou que la conduite de la procédure dans son ensemble n'a pas garanti un procès équitable au requérant ( De Tommaso , précité, § 171).
194. Il convient également de rappeler que le droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention, englobe, entre autres, le droit des parties au procès à présenter les observations qu'elles estiment pertinentes pour leur affaire. La Convention ne visant pas à garantir des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs, ce droit ne peut passer pour effectif que si ces observations sont vraiment « entendues », c'est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi. Autrement dit, l'article 6 implique notamment, à la charge des « tribunaux », au sens de cette disposition, l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence (voir, par exemple, Perez c. France [GC], no 47287/99 , § 80, CEDH 2004-I, et Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg , no 76240/01 , § 89). Ils ont ainsi une obligation de motiver leurs décisions, obligation dont le respect s'analyse à la lumière des circonstances de chaque espèce. S'ils ne sont pas tenus d'exposer les motifs de rejet de chaque argument des parties, ils ne sont pour autant pas dispensés d'examiner dûment et de répondre aux principaux moyens qu'elles soulèvent ( Wagner et J.M.W.L. précité, §§ 90 et 96), et les parties doivent pouvoir s'attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l'issue de la procédure ( Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 185, 6 novembre 2018).
2. Jurisprudence relative à l'arbitrage
195. Reconnaissant les avantages des clauses contractuelles d'arbitrage pour les intéressés comme pour l'administration de la justice, la Cour a jugé qu'elles ne se heurtaient pas en principe à la Convention, et que l'article 6 ne s'opposait pas à la création de tribunaux arbitraux afin de juger certains différends de nature patrimoniale opposant des particuliers (voir, notamment, Tabbane c. Suisse (déc.), no 41069/12 , § 25, 1er mars 2016, et Mutu et Pechstein , précité, § 94, ainsi que les références qui y figurent).
196. Le recours à l'arbitrage peut cependant avoir pour corolaire la perte du bénéfice de certains des droits et garanties que les procédures judiciaires offrent aux justiciables, dont ceux que consacre l'article 6 § 1 de la Convention. Il n'est donc en principe admissible au regard de cette disposition que s'il résulte de l'accord des parties.
197. La Cour a ainsi souligné que, lorsqu'il s'agit d'un « arbitrage volontaire consenti librement », il ne se pose guère de problème sur le terrain de l'article 6. En effet, les parties à un litige sont libres de soustraire aux juridictions ordinaires certains différends pouvant naître de l'exécution d'un contrat. En souscrivant à une clause d'arbitrage, les parties renoncent volontairement à certains droits garantis par la Convention. Telle renonciation ne se heurte pas à la Convention pour autant qu'elle soit libre, licite et sans équivoque. De plus, pour entrer en ligne de compte sous l'angle de la Convention, la renonciation à certains droits garantis par la Convention doit s'entourer d'un minimum de garanties correspondant à sa gravité (voir, précités, Tabbane § 27, et Mutu et Pechstein , § 96, ainsi que les références qui y figurent). Il résulte ainsi de l'arrêt Beg S.p.a. c. Italie (no 5312/11 , §§ 135-138, 20 mai 2021) que la renonciation au droit à un tribunal indépendant et impartial ne se déduit pas de l'acceptation de l'arbitrage en tant que telle ; il faut qu'il y ait renonciation spécifique à ce droit.
198. Ceci étant, la jurisprudence de la Cour n'exclut pas que l'arbitrage puisse être imposé par la loi, de telle sorte que les parties n'ont aucune possibilité de soustraire leur litige à la décision d'un tribunal arbitral. Il faut toutefois dans ce cas que le tribunal arbitral offre les garanties prévues par l'article 6 § 1 de la Convention (voir, précités, Tabbane § 26, et Mutu et Pechstein , § 95, ainsi que les références qui y figurent).
3. Question particulière de l'arbitrage imposé devant le TAS pour le règlement de litiges internationaux liés au sport
199. Le fait que l'arbitrage soit imposé par une entité privée plutôt que par la loi, comme c'est le cas s'agissant des litiges internationaux liés au sport, pour lesquels le recours à l'arbitrage et la saisine du TAS sont en général imposés aux sportives et sportifs par l'organe de gouvernance du sport dont relève la discipline qu'elles ou ils pratiquent, ne suffit pas à emporter violation de l'article 6 § 1. Comme la Cour l'a souligné dans l'arrêt Mutu et Pechstein précité (§ 98), il y a un intérêt certain à ce que les différends qui naissent dans le cadre du sport professionnel, notamment ceux qui comportent une dimension internationale, puissent être soumis à une juridiction spécialisée qui soit à même de statuer de manière rapide et économique. Elle a observé à cet égard que, les manifestations sportives internationales de haut niveau étant organisées dans différents pays par des organisations ayant leur siège dans des États différents, et étant souvent ouvertes à des sportives et sportifs du monde entier, le recours à un tribunal arbitral international unique et spécialisé facilitait une certaine uniformité procédurale et renforçait la sécurité juridique, d'autant plus lorsque les sentences de ce tribunal peuvent faire l'objet de recours devant la juridiction suprême d'un seul pays, en l'occurrence le Tribunal fédéral suisse. La Cour a ainsi admis qu'un mécanisme non étatique de règlement des conflits en première ou deuxième instance, avec une possibilité de recours, bien que limitée, devant un tribunal étatique, en dernière instance, pourrait constituer une solution appropriée en ce domaine.
200. Il faut cependant tenir compte de la circonstance que l'arbitrage en matière de sport s'inscrit dans le contexte du déséquilibre structurel qui marque souvent la relation entre les sportives et sportifs et les organisations dont dépendent les sports qu'ils pratiquent. Le Tribunal fédéral a ainsi relevé que le sport de compétition se caractérise par une structure très hiérarchisée, aussi bien au niveau international qu'au niveau national, et qu'établies sur un axe vertical, les relations entre les sportives et sportifs et les organes de gouvernance du sport se distinguent en cela des relations horizontales que nouent les parties à un rapport contractuel (paragraphes 38 et 59 ci-dessus).
201. De fait, les organes de gouvernance du sport exercent dans le domaine de la compétition sportive internationale un pouvoir qui s'apparente au pouvoir réglementaire ; en particulier, ils déterminent qui peut participer aux épreuves et dans quelles conditions. La prescription par ces organes, le cas échéant, de la compétence obligatoire et exclusive du TAS pour l'examen des litiges les opposant aux sportives et sportifs s'inscrit d'ailleurs dans l'exercice de ce pouvoir.
202. Dans le domaine de la compétition sportive internationale, on se trouve donc dans une situation où, de fait, des entités privées, qui ne sont pas régies par le droit public, règlementent l'activité d'individus et ont la capacité de restreindre l'exercice de leurs droits, exerçant ainsi un pouvoir proche de celui d'un organisme public.
203. À cela s'ajoute la prédominance structurelle des organes de gouvernance du sport dans le système d'arbitrage international en matière de sport : le TAS a été créé sous l'égide du CIO ; les membres du CIAS, qui a notamment pour fonction d'adopter et modifier le code de l'arbitrage en matière de sport et de désigner les arbitres constituant la liste des arbitres du TAS, sont désignés directement ou indirectement par les associations des fédérations internationales olympiques, l'association des comités nationaux olympiques et le CIO ; la gestion et le financement du TAS sont confiés au CIAS en vertu du code de l'arbitrage en matière de sport, que ce dernier a lui-même édicté, lequel régit le TAS et fixe son règlement de procédure (paragraphe 81 ci-dessus).
204. Les organes de gouvernance du sport sont par conséquent dans une position leur permettant de dicter leurs conditions dans leur relation avec les sportives et sportifs, en ce qu'ils règlementent la compétition sportive internationale, ont la possibilité d'imposer la compétence exclusive du TAS pour l'examen des litiges relatifs à cette règlementation, et dominent structurellement le système d'arbitrage international en matière de sport.
205. Ainsi, à plus forte raison encore que dans le cas où l'arbitrage est imposé par la loi, une sportive ou un sportif qui se voit imposer la compétence exclusive du TAS pour régler un litige l'opposant à une organisation sportive, doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par l'article 6 § 1 de la Convention.
206. Selon la Cour, cette exigence revêt une importance particulière lorsque le ou les droits « de caractère civil » sur lesquels portent la contestation correspondent en droit interne à des droits fondamentaux.
207. Sur ce point, d'une part, la Cour note la position importante qu'occupe le respect des droits fondamentaux dans la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à l'« ordre public », au sens de l'article 190 alinéa 2 de la loi fédérale sur le droit international privé (paragraphe 47 ci-dessus). Il en ressort en effet qu'une sentence arbitrale est contraire à l'ordre public matériel lorsqu'elle viole gravement des principes fondamentaux du droit du fond, parmi lesquels figurent le respect de la dignité humaine (paragraphe 52 ci-dessus) et, plus largement, le respect des droits de la personnalité garantis par les articles 27 et suivants du code civil suisse. Le Tribunal fédéral l'a rappelé en l'espèce, soulignant qu'une atteinte aux droits de la personnalité du sportif constitutive d'un cas grave et net de violation d'un droit fondamental est contraire à l'ordre public, au sens de l'article 190 alinéa 2 de la loi fédérale sur le droit international privé (paragraphes 40 et 54 ci-dessus).
208. D'autre part, la Cour observe que, comme l'illustre la présente affaire, l'enjeu des litiges internationaux liés au sport dont le TAS est conduit à connaître est susceptible de dépasser l'exercice des droits patrimoniaux ou économiques habituellement en cause en matière d'arbitrage commercial, et de porter sur l'exercice de droits « de caractère civil » ayant trait par exemple au respect de l'intimité, de l'intégrité physique et psychique et de la dignité humaine.
209. Par suite, étant donné le déséquilibre structurel qui caractérise la relation entre les sportives et sportifs, d'une part, et les organes de gouvernance du sport dont dépendent les sports qu'ils pratiquent, d'autre part, la Cour considère que lorsque la compétence obligatoire et exclusive du TAS est imposée à une sportive ou à un sportif par un organe de gouvernance du sport, avec pour conséquence la compétence du Tribunal fédéral suisse pour connaître d'un recours en matière civile contre la sentence rendue par le TAS, conformément à l'article 190 de la loi fédérale sur le droit international privé, que le litige les opposant concerne un ou des droits « de caractère civil », au sens de l'article 6 § 1, de cette sportive ou de ce sportif, et que ce ou ces droits « de caractère civil » correspondent, en droit interne, à des droits fondamentaux, le respect du droit à un procès équitable de l'intéressé exige un examen particulièrement rigoureux de sa cause.
210. La tâche de la Cour consiste alors à vérifier si l'examen par le Tribunal fédéral de la cause de la sportive ou du sportif concernés a rempli cette exigence de rigueur particulière.
4. Examen du grief
211. Quant à savoir s'il s'agissait en l'espèce d'un cas d'arbitrage imposé, la Cour constate que le règlement DDS ne laissait pas d'autre possibilité à la requérante que de saisir le TAS. En effet, d'une part l'article 5.2 du règlement DDS (paragraphe 79 ci-dessus) prévoit expressément que tout litige entre l'IAAF et une athlète concernée relatif notamment à la validité, la légalité, la bonne interprétation ou l'application du règlement, est « soumis à la compétence exclusive TAS ». D'autre part, l'article 3.18 précise que toute athlète souhaitant concourir dans la catégorie féminine à une épreuve visée lors d'une compétition internationale et/ou être éligible pour établir un record du monde d'une épreuve visée dans une compétition non internationale « accepte comme condition à cette participation/qualification : (a) de se conformer entièrement au présent règlement ; (...) (d) de suivre les procédure fixées au paragraphe 5 [dont l'article 5.2 susmentionné] pour contester ce règlement (...) et de ne pas intenter d'action en justice ou devant une autre instance d'une manière incompatible avec ce paragraphe » (paragraphe 77 ci-dessus). L'article 3.19 ajoute que, « sur demande de l'IAAF, l'athlète confirmera par écrit son accord sur les points indiqués au paragraphe 3.18 sous la forme demandée par l'IAAF au moment opportun » et que « son accord sera cependant effectif et contraignant même s'il n'a pas été confirmé par écrit » (paragraphe 77 ci-dessus).
212. Le Tribunal fédéral a du reste constaté qu'en règle générale, une sportive ou un sportif qui souhaite participer à une compétition organisée sous le contrôle d'une fédération sportive dont la règlementation prévoit le recours à l'arbitrage n'a pas d'autre choix que d'accepter la clause d'arbitrage (paragraphe 59 ci-dessus).
213. La requérante se trouvait à cet égard dans la même situation que la requérante dans l'affaire Pechstein : tenter une autre voie que l'arbitrage pour contester le règlement DDS, à supposer même qu'il y en eut une, l'aurait exposée au risque d'être exclue de la compétition internationale (voir l'arrêt Mutu et Pechstein précité, § 113-114).
214. Il apparait ainsi qu'en l'espèce le recours à l'arbitrage était imposé, et qu'il ne l'était pas par la loi mais par le règlement DDS, c'est-à-dire par une règlementation édictée par une entité privée, partie au différend soumis à l'arbitrage qui plus est.
215. La Cour constate ensuite que le Tribunal fédéral a examiné l'affaire à l'aune notamment du droit au respect de la dignité humaine, et des droits au respect de l'intégrité physique et psychique, de l'identité sociale et de genre, de la sphère intime et de la liberté économique, qui sont des droits « de caractère civil », au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, comme constaté au paragraphe 161 ci-dessus, figurant parmi les droits de la personnalité relevant des articles 27 et suivants du code civil suisse, dont le Tribunal fédéral contrôle le respect au titre de l'ordre public matériel (comme il l'a rappelé en l'espèce, « suivant les circonstances, une atteinte aux droits de la personnalité du sportif peut être contraire à l'ordre public » ; paragraphe 40 ci-dessus).
216. Il ressort de ce qui précède qu'il s'agissait en l'espèce d'un cas d'arbitrage imposé, qui concernait un litige relatif à des droits « de caractère civil », au sens de l'article 6 § 1, correspondant en droit interne à des droits fondamentaux. Il s'en déduit que le Tribunal fédéral était tenu de procéder à un examen particulièrement rigoureux du recours en matière civile dont la requérante l'avait saisi.
217. De l'avis de la Cour, deux autres éléments viennent en l'espèce conforter la nécessité d'un examen particulièrement rigoureux de la cause de la requérante : le fait que l'atteinte à des droits « de caractère civil » qu'elle dénonçait trouvait sa cause dans une règlementation restrictive de tels droits édictée par une personne privée ; le fait que son intimité, son intégrité corporelle et sa dignité étaient en jeu, comme l'a constaté le Tribunal fédéral dans son arrêt du 25 août 2020 (paragraphes 40 et 160 ci-dessus). La Cour tient à souligner singulièrement que les faits de la cause posent une question au regard du droit au respect de la dignité dès lors que le règlement DDS ne laisse d'autre choix aux athlètes concernées qui souhaitent poursuivre une carrière internationale que de se soumettre à un examen intrusif, et d'ingérer des substances chimiques ou subir une intervention chirurgicale.
218. Il revient donc à la Cour de vérifier si l'examen de la cause de la requérante par le Tribunal fédéral, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de vérifier la compatibilité de la sentence du TAS avec l'ordre public matériel, a satisfait à l'exigence de rigueur particulière qu'appelaient les circonstances de l'espèce, et eu égard à la nature de l'arbitrage obligatoire et exclusif en matière de sport qui a abouti à cette sentence. Son évaluation sera précédée par des précisions relatives à l'examen de l'affaire par le TAS ainsi qu'à la sentence de ce dernier, que le Tribunal fédéral suisse était appelé à examiner.
219. La Cour relève tout d'abord la longueur de la sentence du TAS (163 pages, dont 46 consacrées à l'examen au fond) et de l'arrêt du tribunal fédéral (70 pages, dont 38 consacrées au raisonnement juridique). Cela tend à montrer l'attention que l'un et l'autre ont accordé à l'examen de la contestation de la requérante.
220. La Cour note aussi que le TAS a pris en compte les déclarations d'une trentaine d'experts médicaux, scientifiques et juridiques appelés par les parties, dont une quinzaine par la requérante.
221. Elle constate ensuite qu'il ressort des motifs de la sentence du 30 avril 2019 que le TAS a examiné la majeure partie des moyens soulevés par la requérante.
222. Il apparaît de plus que, s'agissant du moins de la discrimination alléguée par la requérante, les critères appliqués par le TAS sont en substance proches de ceux qui résultent de la jurisprudence de la Cour.
223. La Cour note à cet égard qu'ayant souligné que la requérante était une femme et expliqué sur quoi il se fondait pour retenir que le taux de testostérone était déterminant en matière de performances sportives dans certaines disciplines d'athlétisme et que les athlètes 46 XY DSD possédaient de ce fait un avantage significatif par rapport aux autres athlètes féminines de nature à compromettre l'équité des compétitions (points 488-493 et 517-538 de la sentence du 30 avril 2019 ; voir aussi les points 569-580 ; paragraphe 31 ci-dessus), le TAS a constaté que le règlement DDS était prima facie discriminatoire en ce qu'il créait une « différenciation fondée sur le sexe légal et certaines caractéristiques biologiques innées ». Il en a déduit qu'il appartenait à l'IAAF de démontrer qu'il « constituait un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné d'atteindre l'objectif » poursuivi, reconnaissant qu'assurer une compétition équitable dans les épreuves féminines d'athlétisme était un but légitime. Ensuite, dans le cadre de l'examen de la proportionnalité, le TAS a procédé à une pesée des intérêts antagonistes en présence. Ce faisant, il a pris en compte les obligations imposées aux athlètes concernées, et examiné dans ce cadre les effets secondaires indésirables que la prise de pilules contraceptives visant à réduire le taux de testostérone pouvait avoir, le caractère intrusif des examens de virilisation, le fait que le règlement DDS emportait le risque de rendre public un élément de leur identité intime, et la difficulté qu'il pouvait y avoir pour elles de maintenir le taux de testostérone au-dessous du taux maximal.
224. La Cour relève toutefois que, dans le cadre de l'évaluation du caractère raisonnable et de la proportionnalité du règlement DDS, le TAS a laissé ce tout dernier point en suspens, alors qu'il était non seulement au coeur de l'argumentation circonstanciée de la requérante, mais qu'il était aussi déterminant pour l'issue de la contestation qu'elle soulevait.
225. Le TAS a souligné avec justesse qu'« une réglementation qui est impossible ou excessivement difficile à mettre en oeuvre ne constitue pas une atteinte proportionnée aux droit des athlètes 46 XY DSD » (point 616 de la sentence). Or il a relevé qu'il avait été prouvé que durant la période pendant laquelle la requérante avait régulièrement pris les contraceptifs oraux prescrits pour faire baisser son niveau de testostérone en-dessous des 10 nmol/L alors prévus, son niveau de testostérone avait significativement fluctué, entre 0,5 et 7,85 nmol/L (point 612 de la sentence) ; il a considéré que cela posait « une question très importante sur le terrain de la proportionnalité », eu égard au niveau maximum de 5 nmol/L prévu par le règlement DDS, dès lors qu'il y avait un « risque réel » qu'une athlète puisse être disqualifiée alors même qu'elle ferait de son mieux pour se conformer à ce règlement (point 614 de la sentence). Il a exprimé avec force des doutes quant à la capacité pour une athlète concernée qui suit scrupuleusement le traitement hormonal qui lui est prescrit de maintenir de manière continue son taux de testostérone en-dessous de la limite de 5 nmol/L comme l'exige le règlement DDS (points 617, 620 et 622 de la sentence). Il a néanmoins écarté ces considérations au motif que les questions soulevées quant aux difficultés potentielles de se conformer au règlement DDS étaient spéculatives.
226. Comme l'explique l'arrêt du Tribunal fédéral du 25 août 2020 (point 9.1 ; paragraphes 36 et suivant ci-dessus ; voir aussi l'exposé de la jurisprudence du Tribunal fédéral aux paragraphes 48- 58 ci-dessus) et comme l'a relevé la chambre (paragraphe 175 de son arrêt), le contrôle subséquent du Tribunal fédéral était limité sur le plan matériel à la question de savoir si la sentence du TAS était « incompatible avec l'ordre public » au sens de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé (l'ordre public procédural - voir les paragraphes 50- ci-dessus - n'était pas en cause en l'espèce). Or, telle qu'interprétée par le Tribunal fédéral, la notion d'ordre public matériel est plus étroite encore que la notion d'arbitraire : pour être incompatible avec l'ordre public matériel, une sentence doit méconnaitre les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique. Une sentence est ainsi contraire à l'ordre public matériel lorsqu'elle viole des principes fondamentaux du droit de fond - dont la prohibition de mesures discriminatoires, la dignité humaine, la personnalité humaine et la liberté économique - « au point de ne plus être conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants ». Le Tribunal fédéral a précisé que, pour qu'il y ait incompatibilité avec l'ordre public, il ne suffit pas que les preuves aient été mal appréciées, qu'une constatation de fait soit manifestement fausse ou encore qu'une règle de droit ait été clairement violée. Il a également précisé que, dans le cadre de son contrôle, il ne revoit pas à sa guise l'appréciation juridique à laquelle le tribunal arbitral s'est livré sur la base des faits constatés dans sa sentence, mais se borne à vérifier « si le résultat de cette appréciation juridique faite souverainement par les arbitres est compatible ou non avec la définition jurisprudentielle de l'ordre public matériel ». Il a spécifié en l'espèce que « l'annulation d'une sentence arbitrale internationale pour ce motif de recours [était] chose rarissime ».
227. D'après les éléments dont dispose la Cour, le Tribunal fédéral n'a à ce jour annulé qu'une seule sentence du TAS sur le fondement de l'ordre public.
228. Le Tribunal fédéral s'est en conséquence limité en l'espèce à rechercher si, à la lumière des faits établis par le TAS, le résultat auquel aboutissait la sentence était « insoutenable ». Ce faisant, s'agissant tout particulièrement de la question de la capacité pour les athlètes qui présentent une différence du développement sexuel 46 XY DSD de maintenir de manière continue leur taux de testostérone en-dessous de la limite de 5 nmol/L, le Tribunal fédéral s'est borné à relever que le TAS n'avait pas validé, une fois pour toutes, le règlement DDS mais avait expressément réservé la possibilité d'effectuer un nouvel examen sous l'angle de la proportionnalité lors de l'application du règlement DDS dans un (autre) cas particulier (voir le point 9.8.3.5 de son arrêt du 25 août 2020).
229. Il en ressort qu'alors que le TAS avait exprimé de très forts doutes, marquant ainsi d'ambiguïté son raisonnement relatif à la proportionnalité, le Tribunal fédéral n'a effectué qu'un contrôlé limité de ce volet de la sentence.
230. Il apparait ainsi que l'examen de cet aspect essentiel et circonstancié de la contestation de la requérante par le Tribunal fédéral, dans le cadre de l'exercice de sa compétence de contrôler la compatibilité de la sentence avec l'ordre public matériel, n'a pas fait l'objet de l'examen particulièrement rigoureux qu'appelaient les circonstances de l'espèce.
231. Le TAS a laissé en suspens d'autres questions sur lesquelles il s'était pourtant dit préoccupé dans le cadre de son examen du caractère raisonnable et proportionné du règlement DDS, et le Tribunal fédéral n'a pas suffisamment pris en compte les doutes exprimés.
232. Le TAS a constaté que l'inclusion dans les épreuves visées du 1 500 mètres - une des distances sur lesquelles courait la requérante - et du mile, reposait au moins en partie sur l'hypothèse spéculative que, puisque les athlètes féminines qui courent avec succès le 800 mètres courent souvent aussi avec succès sur ces distances, les athlètes 46 XY DSD sont susceptibles d'avoir un avantage performanciel significatif sur les autres athlètes féminines sur ces deux distances. Il a néanmoins constaté que l'IAAF avait fourni une explication globale rationnelle sur la manière dont les épreuves visées avaient été définies, de sorte que « l'étendue des épreuves visées ne saurait être décrite comme arbitraire ». Il a souligné qu'il n'avait pas le pouvoir de réformer le règlement DDS et conclu qu'il ne considérait pas que « le choix des « épreuves visées » considéré dans sa globalité [était] de nature à rendre ce règlement disproportionné ». Toutefois, réitérant son doute au vu de la faiblesse des éléments probatoires produits, il a invité l'IAAF à différer l'application du Règlement DDS à ces épreuves jusqu'à ce que davantage de preuves soient disponibles (voir les points 606-609 et 623 de la sentence ; paragraphe 31 ci-dessus).
233. Malgré les doutes exprimés par le TAS, le Tribunal fédéral a accordé peu d'attention à la question de savoir si les « épreuves visées » avaient été définies arbitrairement, se bornant à constater que le résultat auquel était parvenu le TAS sur ce point ne pouvait être qualifié de contraire à l'ordre public (point 9.8.2 de son arrêt ; paragraphe 39 ci-dessus). La question de savoir, au vu des épreuves sélectionnées, si le Règlement DSD ciblait spécifiquement la requérante était pourtant au coeur de sa requête devant le TAS. Compte tenu des implications de toute décision en la matière sur sa participation à des compétitions internationales, il était essentiel que sa contestation fasse l'objet d'un examen rigoureux par le Tribunal fédéral. Aussi étroite que soit la notion d'ordre public retenue par ce dernier, il a montré dans une affaire antérieure qu'il est susceptible d'annuler pour incompatibilité avec l'ordre public une sentence du TAS constitutive d'une violation manifeste et grave des droits de la personnalité (voir paragraphe 54 ci-dessus).
234. Dans le même ordre d'idées, la Cour note que le TAS a constaté que le règlement DDS pouvait avoir pour conséquence la divulgation publique du statut des athlètes féminines présentant une différence du développement sexuel, qui pouvait se déduire par exemple du fait qu'une athlète qualifiée à l'échelon national pour une des épreuves visées ne concourait pas dans cette épreuve au plan international dans la catégorie féminine. Bien qu'ayant observé qu'il pouvait de la sorte y avoir divulgation par inférence d'informations médicales confidentielles, il s'est borné à considérer, sans plus d'analyse de la proportionnalité, qu'« il s'agi[ssai]t probablement d'un effet inévitable du règlement DDS », et que cet élément en lui-même ne rendait pas le règlement disproportionné compte tenu des intérêts légitimes poursuivis. Or, là non plus, le Tribunal fédéral n'a pas suffisamment pris en compte le fait que le TAS n'avait pas pleinement tranché cette question, malgré les conséquences fondamentales que cela avait pour la requérante et sa capacité à concourir. Abordant cette question à l'aune de la « protection de la sphère intime », il s'est contenté de déclarer que le résultat auquel était parvenu le TAS n'était pas contraire à l'ordre public et à renvoyer mutatis mutandis à ses considérations relatives au principe de l'interdiction de la discrimination (paragraphe 40 ci-dessus).
235. A d'autres égards encore, l'examen effectué par le Tribunal fédéral dans le cadre de son contrôle de la compatibilité de la sentence du TAS avec l'ordre public matériel n'atteint pas le niveau de rigueur requis. La Cour observe ainsi que le Tribunal fédéral a écarté sans procéder à un examen approfondi l'argument que la requérante tirait de la comparaison de son cas avec l'affaire Francelino da Silva Matuzalem c. Fédération Internationale de Football Association dans laquelle il avait jugé une sentence du TAS contraire à l'ordre public (paragraphe 53 ci-dessus). Il pourrait pourtant sembler qu'étaient en jeu dans ce cas comme dans l'autre, la capacité d'une sportive ou d'un sportif de remplir les conditions fixées par l'organisation de gouvernance du sport compétente pour pouvoir poursuivre son activité professionnelle, et la proportionnalité de ces conditions eu égard à leur incidence sur l'exercice de droits fondamentaux.
236. La Cour relève aussi que, dans son arrêt du 25 août 2020, le Tribunal fédéral a considéré au point 10.3 que « le règlement DDS ne vise nullement à « redéfinir », voire à remettre en cause l'identité sexuelle ou de genre » des athlètes concernées (paragraphe 40 ci-dessus) puis, de même, au point 11.1, que « la sentence ne cherche nullement à remettre en cause le sexe féminin des athlètes 46 XY DSD ou à déterminer si celles-ci sont suffisamment « femmes » » (paragraphe 41 ci-dessus), pour refuser d'admettre, s'appuyant ainsi sur l'objet des règles litigieuses, que « le résultat auquel a abouti le TAS (...) serait, per se, incompatible avec la garantie de la dignité humaine ». La Cour décèle, dans un tel raisonnement, une absence d'examen suffisamment rigoureux de la compatibilité du résultat litigieux avec les droits fondamentaux, composante de l'ordre public, dans la mesure où il porte non sur les conséquences dénoncées par la requérante mais sur l'objet théorique des règles qui y ont mené et ce, d'autant plus, que le Tribunal admet aussitôt après qu'en vertu de ce règlement, les « caractéristiques biologiques » peuvent conduire à « éclipser le sexe légal ou l'identité de genre d'une personne ».
237. En définitive, la Cour constate que le chapitre 12 de la loi fédérale sur le droit international privé relatif à l'arbitrage international, dans lequel s'inscrit l'article 190, relatif au recours en matière civile dont le Tribunal fédéral peut être saisi, couvre indistinctement toutes les situations d'arbitrage international (paragraphe 47 ci-dessus). Les dispositions qui s'appliquent en cas d'arbitrage international dans le domaine du sport, y compris lorsque l'arbitrage est imposé et que le litige porte sur le respect de droits « de caractère civil » correspondant à des droits fondamentaux, sont ainsi les mêmes que celles qui s'appliquent en cas d'arbitrage international dans le domaine des contrats commerciaux. Ainsi, dans le premier cas comme dans le second, l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé limite l'examen matériel des sentences par le Tribunal fédéral à la question de leur compatibilité avec l'« ordre public ». Par ailleurs, lorsqu'il procède à l'examen de la compatibilité d'une sentence du TAS avec l'« ordre public », le Tribunal fédéral suit la même approche restrictive qu'en cas d'arbitrage commercial.
238. En somme, les particularités de l'arbitrage sportif auquel la requérante était soumise, qui impliquaient la compétence obligatoire et exclusive du TAS, exigeaient que la rigueur du contrôle juridictionnel opéré par la seule juridiction ayant la compétence de contrôler les sentences du TAS soit en rapport avec l'importance des droits individuels en jeu. L'examen de la cause de la requérante par le Tribunal fédéral n'a pas satisfaisait à l'exigence de rigueur particulière requise dans les circonstances de l'espèce, du fait notamment de son interprétation très restrictive de la notion d'ordre public, qu'il applique également au contrôle des sentences arbitrales rendues par le TAS. Dans ces circonstances, la Cour conclut que la requérante n'a pas bénéficié des garanties prévues par l'article 6 § 1 de la Convention.
239. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
3. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
240. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
1. Dommage
241. La requérante n'a présenté une demande pour dommages ni devant la chambre ni devant la Grande Chambre. La Cour en prend acte.
2. Frais et dépens
242. La requérante demande 482 513,97 euros (« EUR ») pour l'ensemble de ses frais et dépens. Elle produit des listes datées de montants relatifs notamment à des honoraires d'avocats et à des frais de traduction, de déplacement et de logement, ainsi que divers justificatifs. Les montants dont la date est postérieure à celle de la décision de renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre sont les suivants : 18 692,82 dollars canadiens (environ 12 635 EUR), 183 092,44 livres sterling (environ 216 762 EUR), 102 209,95 rands sudafricains (environ 5 070 EUR) et 7 524,70 EUR.
243. Le Gouvernement déclare ne pas mettre en question le montant de 60 000 EUR accordé par la chambre au titre des frais et dépens encourus devant le TAS, le Tribunal fédéral et la chambre. S'agissant des demandes relatives à la procédure devant la Grande Chambre, il relève qu'elles comprennent le mémoire, la préparation de la plaidoirie et la participation à l'audience de la requérante et six avocats, ainsi que des frais de traduction. Il fait valoir que les frais de traduction ne constituent pas des frais nécessaires au redressement d'une éventuelle violation de la Convention, que, même si l'affaire revêtait une certaine complexité, le concours de six avocats ne correspondait pas à une nécessité - il renvoie sur ce point à l'arrêt Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96 , § 56, CEDH 2000-XI -, et qu'à ce stade de la procédure, les avocats étaient familiers avec son objet. Il estime en conséquence que le montant demandé par la requérante pour la procédure devant la Grande Chambre est excessif, et propose de retenir 8 000 EUR à ce titre soit 68 000 EUR au total.
244. La Cour partage l'avis du Gouvernement selon lequel le montant réclamé par la requérante est excessif. Elle rappelle que selon sa jurisprudence, la partie requérante ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, elle estime raisonnable d'accorder 80 000 EUR à la requérante, tous frais et dépens confondus.
3. Intérêts moratoires
245. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.


Entscheid

6. PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Rejette , à l'unanimité, la demande de la requérante tendant au réexamen du grief tiré de l'article 3 de la Convention ;
2. Accueille , par treize voix contre quatre, l'exception préliminaire du Gouvernement relative à l'incompatibilité ratione personae et ratione loci de la requête avec les dispositions de la Convention en ce qu'elle concerne les griefs tirés de l'article 8, pris isolément ou combiné avec l'article 14 de la Convention, et de l'article 13 combiné avec ces dispositions, et déclare ces griefs irrecevables ;
3. Déclare , à l'unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit , par quinze voix contre deux, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
5. Dit , à l'unanimité,
a) que l'État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 80 000 EUR (quatre-vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d'impôt, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette , à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'homme à Strasbourg, le 10 juillet 2025, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Abel Campos Marko Bošnjak
Greffier adjoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes :
- opinion en partie concordante de la juge Šimáčková ;
- opinion en partie dissidente commune aux juges Bošnjak, Zünd, Šimáčková et Derenčinović ;
- opinion en partie dissidente commune aux juges Eicke et Kucsko-Stadlmayer.
M.B.
A.C.
OPINION EN PARTIE CONCORDANTE DE
LA JUGE ŠIMÁČKOVÁ
1. J'ai voté avec la majorité pour la violation de l'article 6 § 1. Je souscris pleinement aux motifs de l'arrêt sur ce point.
2. J'estime cependant que la Grande Chambre aurait dû avant tout vérifier si la requérante a eu accès à un « tribunal » « établi par la loi » et « indépendant et impartial » au sens de cette disposition, et en particulier si le TAS répondait à cette exigence.
3. Procédant à une application particulièrement stricte des critères dégagés dans les affaires Radomilja et autres c. Croatie ([GC], nos 37685/10 et 22768/12 , 20 mars 2018) et Grosam c. République tchèque ([GC], no 19750/13, 1er juin 2023), la Grande Chambre a considéré que cette question ne faisait pas partie de l'objet de l'affaire dont la Cour était saisie, faute pour la requérante de l'avoir expressément posée dans le cadre du grief relatif à l'article 6 § 1 énoncé dans son formulaire de requête.
4. Je ne peux souscrire à la conclusion selon laquelle la requérante n'a pas présenté suffisamment d'arguments pour que la Cour puisse examiner, sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention, la question de savoir si le TAS est un « tribunal » « établi par la loi » et « indépendant et impartial ». Étant donné que la requérante a fait valoir que l'arbitrage lui a été imposé et a dénoncé le caractère excessivement limité du contrôle effectué par le Tribunal fédéral, la Cour aurait dû vérifier si le TAS remplissait ces conditions.
5. Il convient de rappeler à cet égard que, selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu'un organe juridictionnel chargé d'examiner des contestations portant sur des « droits et obligations de caractère civil » ne remplit pas toutes les exigences de l'article 6 § 1, il n'y a pas violation de la Convention si la procédure devant cet organe a fait l'objet d'un contrôle ultérieur par un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article (pour l'énoncé de ce principe, voir, par exemple, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 65, 25 septembre 2018). Par suite, si le fait qu'une contestation en matière civile ne puisse faire l'objet que d'un contrôle restreint en deuxième instance n'est pas en soi problématique au regard de la Convention, qui n'exige pas un double degré de juridiction en matière civile, il le devient si l'organe qui a examiné la contestation en première instance ne remplit pas les exigences de l'article 6 § 1.
6. La question de savoir si le TAS est un « tribunal » « établi par la loi » et « indépendant et impartial ». au sens de l'article 6 § 1, qui a de plus été soulevée dans l'une des tierces interventions, a été examinée par le Tribunal fédéral et débattue par les parties devant la Grande Chambre, tant dans leurs observations écrites qu'au cours de l'audience.
7. La Cour pouvait donc l'examiner. Plus encore, elle devait le faire, dès lors que la requérante faisait valoir que la compétence du TAS lui avait été imposée par l'IAAF.
« Tribunal » « établi par la loi » ?
8. Les principes applicables à cette notion ont été clarifiés par la Grande chambre dans l'arrêt Gudmundur Andri Ástrádsson c. Islande [GC] (no 26374/18, §§ 218-234, 1er décembre 2020).
9. Il en ressort qu'un « tribunal » se caractérise au sens matériel par son rôle juridictionnel : trancher, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence. Il doit aussi remplir des conditions relatives à l'indépendance - notamment à l'égard de l'exécutif, à l'impartialité et à la durée du mandat de ses membres -, et être composé de juges sélectionnés sur la base du mérite (c'est-à-dire de juges qui, grâce à leurs compétences professionnelles et à leur intégrité morale, sont aptes à exercer les fonctions judiciaires associées à cette charge dans un État régi par la prééminence du droit). Ensuite, il faut comprendre l'expression « établi par la loi » comme renvoyant non seulement à la base légale de l'existence même du tribunal, mais aussi au respect par celui-ci des règles particulières qui le régissent et qui gouvernent la composition de la formation de jugement dans chaque affaire. Le tribunal saisi d'une affaire doit avoir une « base légale en droit interne » et les « prescriptions de la législation interne pertinentes régissant [sa] constitution et [son] fonctionnement doivent être respectées » (le tribunal doit être « établi conformément à la loi »). La Grande Chambre a par ailleurs souligné que le droit à un « tribunal établi par la loi » a un lien étroit avec les garanties d'indépendances et d'impartialité, relevant notamment qu'un organe juridictionnel qui ne satisfait pas aux exigences d'indépendance et d'impartialité ne peut même pas être qualifié de tribunal au sens de l'article 6 § 1.
10. La question de savoir si le TAS est un « tribunal établi par la loi », au sens de l'article 6 § 1, a été examinée par la Cour dans l'arrêt Mutu et Pechstein c. Suisse (nos 40575/10 et 67474/10 , § 149, 2 octobre 2018). La Cour y a tout d'abord rappelé que l'expression « établi par la loi » reflète le principe de l'État de droit en ce sens qu'« un organe n'ayant pas été établi conformément à la volonté du législateur serait nécessairement dépourvu de la légitimité requise dans une société démocratique pour entendre la cause des particuliers ». Elle y a ajouté, par renvoi à l'arrêt Sramek c. Autriche (22 octobre 1984, § 36, série A no 84) dans lequel elle avait jugé, au sujet de l'Autorité régionale des transactions immobilières auprès du gouvernement du Tyrol, qui était établie par la loi mais « qui ne figur[ait] point parmi les juridictions de l'État défendeur », qu'une telle autorité peut « aux fins de l'article 6 § 1, s'analyser néanmoins en un « tribunal » au sens matériel du terme ». Elle y a ensuite précisé notamment qu'un « tribunal » se caractérise au sens matériel par son rôle juridictionnel : trancher, sur la base de normes de droit, avec plénitude de juridiction et à l'issue d'une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence », « la compétence de décider étant inhérente à la notion même de « tribunal » ». Enfin, la Cour y a jugé que, « par le jeu combiné de la [loi fédérale sur le droit international privé] et de la jurisprudence du Tribunal fédéral, le TAS avait « les apparences d'un « tribunal établi par la loi » ». Pour parvenir à cette conclusion, elle a pris en compte les éléments suivants : même s'il était l'émanation d'une fondation de droit privé, le TAS bénéficiait de la plénitude de juridiction pour connaître, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, de toute question de fait et de droit soumise dans le cadre des litiges dont il était saisi ; ses sentences apportaient une solution de type juridictionnel à ces litiges et pouvaient faire l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral dans des circonstances limitativement énumérées aux articles 190 à 192 de la loi sur le droit international privé ; le Tribunal fédéral considérait les sentences du TAS comme de « véritables jugements, assimilables à ceux d'un tribunal étatique ».
11. La Cour s'est ainsi limitée, dans l'arrêt Mutu et Pechstein (précité), à constater qu'au sens matériel du terme, le TAS est un « tribunal ». Cet arrêt n'aborde pas pleinement la question de savoir si le TAS est « établi par la loi » (à l'inverse de l'arrêt Ali Rıza et autres c. Turquie (nos 30226/10 et 4 autres, §§ 202-204, 28 janvier 2020), s'agissant de la Commission d'arbitrage de la Fédération turque de football).
12. Or le TAS n'est pas issu de la volonté du législateur suisse ; il n'a pas été établi dans son « existence » - pour reprendre le terme figurant dans l'énoncé des principes généraux de l'arrêt - par la loi suisse (ni du reste par aucune autre loi). Il trouve son fondement actuel dans la Convention relative à la constitution du Conseil international de l'arbitrage en matière de sport - signée le 22 juin 1994 par les présidents respectifs du Comité international olympique, de l'Association des fédérations internationales olympiques de sport d'été, de l'Association des fédérations internationales olympiques de sport d'hiver et de l'Association des comités nationaux olympiques - dont le préambule expose que « dans le but de faciliter la résolution des litiges dans le domaine du sport, il a été créé une institution d'arbitrage dénommée « Tribunal arbitral du sport » (ci-après le TAS) (...) », et que « dans le but d'assurer la sauvegarde des droits des parties devant le TAS ainsi que l'entière indépendance de cette institution, les parties ont décidé d'un commun accord de créer une fondation pour l'arbitrage international en matière de sport, désignée par « Conseil international de l'arbitrage en matière de sport » (...) sous l'égide duquel sera désormais placé le TAS [3] ». Comme l'a souligné le Tribunal fédéral en l'espèce, le TAS « n'est ni un tribunal étatique ni une autre institution de droit public suisse, mais une entité, dépourvue de la personnalité juridique, émanant du conseil international de l'arbitrage en matière de sport, c'est à-dire d'une fondation de droit privé suisse » (voir aussi Mutu et Pechstein , précité, §§ 29, 65 et 149). C'est de plus le Conseil international de l'arbitrage en matière de sport qui a adopté - et qui peut modifier - le code de l'arbitrage en matière de sport, lequel fixe le statut du TAS.
13. Pour conclure dans l'arrêt Mutu et Pechstein (précité, §§ 23, 44 et 149) que le TAS avait « les apparences d'un « tribunal établi par la loi » », la Cour a notamment relevé que le Tribunal fédéral considérait les sentences du TAS comme de « véritables jugements, assimilables à ceux d'un tribunal étatique », renvoyant à un arrêt du Tribunal fédéral du 27 mai 2003 ( ATF 129 III 445 , point 3.3.4) dans lequel ce dernier avait jugé que le TAS était « suffisamment indépendant du CIO, comme de toutes les autres parties qui font appel à ses services, pour que les décisions qu'il rend dans les causes intéressant cet organisme puissent être considérées comme de véritables sentences, assimilables aux jugements d'un tribunal étatique » Toutefois, à supposer que la Cour ait ainsi estimé que cette considération du Tribunal fédéral conférait un ersatz de fondement légal au TAS, cela ne suffit pas au regard des exigences énoncées par la Grande Chambre dans l'arrêt Gudmundur Andri Ástrádsson (précité), et on ne saurait en tout état de cause se contenter d'apparences en la matière.
14. Je renvoie par ailleurs à l'opinion séparée des juges Keller et Serghides dans l'arrêt Mutu et Pechstein (précité, points 18-25). Je partage leur interrogation quant à la possibilité de reconnaître la qualité de « tribunal établi par la loi » au sens de l'article 6 § 1 à une entité privée, créée et financée par une personne de droit privé. Je relève de plus comme eux que dans l'affaire Suda c. République tchèque (no 1643/06, 28 octobre 2010), la Cour a jugé qu'un tribunal arbitral composé d'arbitres inscrits sur la liste d'une société à responsabilité limitée ne constituait pas un tribunal « établi par la loi ».
Tribunal « indépendant et impartial » ?
15. S'agissant de l'indépendance et de l'impartialité du TAS, la Cour a jugé dans l'arrêt Mutu et Pechstein (précité, §§ 151-159), par analogie avec le fait que les juridictions étatiques sont financées par le budget de l'État, qu'on ne pouvait déduire un manque d'indépendance et d'impartialité du seul fait que le TAS était financé par les instances sportives. Elle a émis des doutes quant aux modalités d'établissement de la liste des arbitres alors en vigueur, qui étaient dans les mains des instances sportives, notant aussi que leurs mandats étaient renouvelables et révocables par le Conseil international de l'arbitrage en matière de sport, lui-même issu des instances sportives. Elle a indiqué que, si elle était prête à reconnaître que les organisations susceptibles de s'opposer aux athlètes dans le cadre de litiges portés devant le TAS exerçaient une réelle influence dans le mécanisme de nomination des arbitres en vigueur à l'époque des faits, elle ne pouvait conclure que, du seul fait de cette influence, la liste des arbitres était composée, ne serait-ce qu'en majorité, d'arbitres ne pouvant pas passer pour indépendants et impartiaux, à titre individuel, objectivement ou subjectivement, vis-à-vis de ces organisations. Elle a conclu qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 6 § 1 en raison d'un manque allégué d'indépendance et d'impartialité du TAS.
16. Je ne suis pas convaincue par cette approche, qui met l'accent sur l'impartialité subjective alors qu'il me semble que la question essentielle qui se pose est celle de l'indépendance structurelle du TAS. Cette approche diffère sur ce point de celle suivie ultérieurement par la Cour dans l'arrêt Ali Rıza et autres (précité, §§ 201-222), dans lequel elle a procédé à un examen structurel détaillé de l'organe d'arbitrage de la Fédération turque de football et a conclu à la violation de l'article 6 § 1 en raison de l'absence de garanties adéquates au regard de l'exigence d'indépendance et d'impartialité.
17. Postérieurement à l'arrêt Mutu et Pechstein (précité), la Cour a mis en exergue dans l'arrêt Gudmundur Andri Ástrádsson (précité) les liens étroits qu'il y a entre un « tribunal établi par la loi » et les garanties d'indépendance et d'impartialité. Elle a souligné qu'un organe juridictionnel qui ne satisfait pas aux exigences d'indépendance - en particulier vis-à-vis du pouvoir exécutif - et d'impartialité ne peut même pas être qualifié de « tribunal » au sens de l'article 6 § 1 ; de même, la loi par laquelle un « tribunal » peut être réputé « établi » comprend toute disposition de droit interne - y compris, en particulier, celles concernant l'indépendance des membres d'une juridiction - dont le non-respect rendrait « irrégulière » la participation d'un ou de plusieurs juges à l'examen d'une affaire.
18. Pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l'article 6 § 1, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l'existence d'une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s'il y a ou non apparence d'indépendance (voir, par exemple, Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 144, 6 novembre 2018). D'autre part, l'exigence d'indépendance vise non seulement l'indépendance par rapport à l'exécutif et au législatif, mais aussi l'indépendance par rapport aux parties (voir, par exemple, Sramek précité, § 42, et Şahiner c. Turquie , no 29279/95, § 45, CEDH 2001-IX).
19. Le statut du TAS, qui constitue l'une des parties du code de l'arbitrage en matière de sport, est élaboré et modifié non par le législateur mais par le Conseil international de l'arbitrage en matière de sport, c'est-à-dire par une entité privée, composée de 20 membres (tous des juristes expérimentés), dont quatre sont désignés par les fédérations internationales olympiques, quatre par l'Association des comités nationaux olympiques, quatre par le Comité international olympique, quatre membres par les 12 membres ci-dessus, « après des consultations appropriées », en vue de sauvegarder les intérêts des athlètes. Ces 16 membres désignent à leur tour les quatre autres membres « parmi des personnalités indépendantes des organismes désignant les autres membres ». Ils sont désignés pour quatre ans renouvelables (articles S4 et S5 du code). Lors de leur désignation, ils signent une déclaration selon laquelle ils exerceront leur fonction à titre personnel, en toute objectivité et indépendance.
20. C'est le Conseil international de l'arbitrage en matière de sport qui désigne les arbitres du TAS, qui tranche les questions de leur récusation et de leur révocation, qui est responsable de son financement et de ses états financiers (il reçoit et gère les fonds affectés à son financement et approuve son budget), qui nomme et démet son Secrétaire général, et, notamment, qui exerce la haute surveillance sur les activités de son greffe (article S6 du code). La liste des arbitres du TAS est composée d'au moins 150 personnes, désignées pour une ou plusieurs périodes renouvelables de quatre ans. Il doit s'agir de « personnalités ayant une formation juridique appropriée, une compétence reconnue en matière de droit du sport ou d'arbitrage international, une bonne connaissance du sport en général et la maîtrise d'au moins une des langues de travail du TAS, dont les noms et qualifications sont portés à l'attention du Conseil international de l'arbitrage en matière de sport, notamment par le Comité international olympique, les fédérations internationales [olympiques], les comités nationaux olympiques, ainsi que par les commissions d'athlètes du Comité international olympique, des fédérations internationales et des comités nationaux olympiques [ ;] Ce Conseil international de l'arbitrage peut identifier les arbitres ayant une spécialisation particulière pour traiter certains types de litiges ». Je renvoie pour le détail au code de l'arbitrage en matière de sport, en partie reproduit au paragraphe 82 de l'arrêt.
21. Il apparaît ainsi que, par le biais du Conseil international de l'arbitrage en matière de sport, la place des instances sportives dans le système arbitral du sport est structurellement prépondérante. Celles-ci assurent le financement du TAS, comme l'a noté la Cour dans l'arrêt Mutu et Pechstein (précité), mais ce n'est pas tout : elles déterminent le cadre de son fonctionnement puisqu'elles ont la maîtrise de son statut, désignent ses membres, et peuvent les démettre ou, leur mandat étant court et renouvelable, décider de ne pas les reconduire ; de plus, elles nomment son Secrétaire général.
22. Le système arbitral du sport - même s'il offre certaines garanties - donne ainsi un avantage à l'une des parties lorsque le TAS intervient dans un contentieux opposant une instance sportive à un sportif (voir sur ce point, mutatis mutandis , l'arrêt Ali Rıza et autres (précité, §§ 201-223 et 241-242), où la Cour a jugé qu'en raison de déficiences structurelles et malgré certaines garanties, l'instance d'arbitrage de la Fédération turque de football ne répondait pas à l'exigence d'indépendance et d'impartialité de l'article 6 § 1, et où elle a conclu à la violation de cette disposition et a fait application de l'article 46).
23. à ce déséquilibre structurel s'ajoute une interrogation quant à l'indépendance d'une formation dont le ou les membres sont désignés par les parties (ou, à défaut, par le président de la chambre, lui-même étant désigné par des instances sportives).
24. Même si le code arbitral du sport précise que les arbitres exercent leurs fonctions à titre personnel, en toute objectivité, indépendance et impartialité, cela pose question, pour le moins sur le plan de la théorie des apparences, selon laquelle il doit être visible que la justice est rendue impartialement.
Conclusion
25. Je suis consciente qu'il n'appartient pas à la Cour de trancher la question de l'équité dans le sport, mais il lui incombait de vérifier pleinement l'équité de la procédure où étaient en cause les droits de la requérante. Je me félicite de ce que la Cour ait conclu à une violation de l'article 6 § 1 de la Convention dans le chef de la requérante, mais j'estime qu'elle aurait dû examiner de manière plus approfondie le grief de la requérante tiré du manque d'équité de l'arbitrage qui lui avait été imposé et de l'insuffisance du contrôle exercé par le Tribunal fédéral, et, ce faisant, constater que le TAS ne constituait pas un « tribunal indépendant et impartial établi par la loi » et que la saisine du Tribunal fédéral n'y avait pas remédié. Cela aurait dû constituer un motif de violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
26. En conclusion, je voudrais souligner que la requérante se trouvait dans une position de désavantage par rapport à l'IAAF, non seulement comme athlète professionnelle pour les raisons indiquées dans l'arrêt, mais aussi parce qu'il s'agit d'une femme, de couleur, originaire du Sud global.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES BOŠNJAK, ZÜND, ŠIMÁČKOVÁ
ET DERENČINOVIĆ
1. Nous souscrivons sans réserve à la conclusion de la majorité selon laquelle les droits procéduraux de la requérante ont été violés, mais nous sommes convaincus que les circonstances de l'affaire auraient dû conduire la Grande Chambre à juger que les conclusions de fond auxquelles le TAS est parvenu dans sa sentence arbitrale relevaient de la compétence de la Cour en vertu de l'article 8 pris isolément ou combiné avec l'article 14. Il n'est pas possible que des juridictions nationales statuant sur le territoire européen se prononcent sans tenir compte des obligations internationales en matière de droits fondamentaux dans le domaine de la protection de l'intégrité physique, de l'égalité et de la dignité humaine, même lorsque des procédures très spécialisées - un arbitrage sportif en l'occurrence - sont en jeu.
2. La majorité reconnaît la juridiction de la Suisse et de la Cour en ce qui concerne l'article 6 de la Convention, mais la décline pour les articles 8 et 14 aux motifs que la requérante est de nationalité sudafricaine et que la fédération sportive concernée a son siège à Monaco. Nous ne souscrivons pas à cette approche ambivalente. Nous relevons le rôle spécifique et important que joue la Suisse dans le domaine du sport. Le Comité international olympique y a son siège, de même qu'une grande partie des fédérations internationales sportives. Le Tribunal arbitral du sport, qui a compétence exclusive pour régler les litiges entre les sportives et sportifs et les fédérations sportives, a aussi son siège en Suisse. Et le Tribunal fédéral, la plus haute juridiction du pays, relève bien évidemment de l'ordre juridique suisse. à notre avis, ces éléments auraient dû suffire à la Cour pour constater que le litige dont elle était saisie relevait de la juridiction de la Suisse, au sens de l'article 1 de la Convention, non seulement sous l'angle de l'article 6, mais aussi sur le terrain des articles 8 et 14. Nous exposerons ci-après les raisons sur lesquelles se fonde notre point de vue.
3. Le TAS, instance d'arbitrage sportif, a été créé par des organes de gouvernance du sport qui sont à la fois parties au litige et auteurs des règles que les athlètes doivent respecter. Cette instance décide du sort des athlètes, alors que sa compétence leur a été imposée et exclut la saisine de toute juridiction ordinaire (étatique). Le règlement DDS, qui a été examiné par le TAS dans cette affaire, confère à ce dernier compétence exclusive pour statuer sur les litiges qui en relèvent. En outre, il visait spécifiquement la requérante, car il ne concernait que les distances de course dans lesquelles elle concourait : le fait qu'il s'agisse en fait d'une sorte de lex Semenya montre bien le caractère arbitraire de l'ensemble de ce règlement.
4. La fédération sportive concernée, à savoir World Athletics , a son siège à Monaco, mais un certain nombre de compétitions sportives internationales soumises à ses réglementations se déroulent en Suisse. En d'autres termes, les athlètes tenus de se conformer au règlement DDS participent à des compétitions qui ont lieu, entre autres, sur le territoire suisse (Weltklasse Zürich et Athletissima Lausanne, par exemple), et tant le TAS que le Tribunal fédéral ont leur siège en Suisse.
5. Tous ces éléments, y compris les caractéristiques de l'arbitrage sportif telles que décrites aux paragraphes 199 à 210 de l'arrêt, auraient dû conduire à ce que la Suisse ne puisse s'exonérer de sa responsabilité de respecter le noyau dur des droits fondamentaux des athlètes tels qu'elle les définit elle-même dans son ordre juridique interne, c'est-à-dire non seulement ceux garantis par l'article 6 de la Convention, mais aussi ceux garantis par l'article 8, pris isolément ou combiné avec l'article 14.
6. Nous regrettons que la majorité n'ait pas partagé notre conviction que les droits fondamentaux des athlètes doivent être protégés effectivement, d'autant plus que toute la réputation de la réglementation du sport international repose précisément sur le fait que les organes de gouvernance du sport et le TAS ont leur siège en Suisse ou dans d'autres États membres du Conseil de l'Europe et que cette réglementation est soumise au contrôle du Tribunal fédéral et de la Cour. Comme l'a souligné l'opinion majoritaire, en droit positif suisse, la notion d'ordre public, au sens de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé, englobe la protection de l'intégrité physique, de l'égalité des personnes et de la dignité humaine. La requérante pouvait donc s'attendre à ce que ces droits fondamentaux et ces valeurs fondamentales de la civilisation européenne soient protégés dans le cadre d'une procédure devant le Tribunal fédéral suisse. Nous sommes déçus que ses attentes n'aient pas été satisfaites.
7. Pour être clair : nous partageons entièrement l'avis de la chambre et de la majorité de la Grande Chambre selon lequel la Suisse ne peut être tenue pour responsable du contenu du règlement DDS dès lors qu'elle n'avait pas la mainmise sur l'adoption de celui-ci. En revanche, parmi les obligations positives qui découlent de l'article 8 pris isolément et combiné avec l'article 14 figure celle de mettre en place un cadre juridique protégeant la vie privée contre les ingérences de personnes privées et comprenant un recours apte à fournir une protection suffisante ( Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, §§ 78-85, ECHR 2013). Le fait que le Tribunal fédéral ait examiné le recours en matière civile de la requérante contre la sentence du TAS a créé un lien juridictionnel avec la Suisse, lequel est en relation avec l'obligation évoquée ci-dessus d'offrir un recours aux personnes qui se disent victimes d'une violation de l'article 8 pris isolément ou combiné avec l'article 14.
8. Dans une affaire telle que celle sous examen, qui présente un élément d'extraterritorialité, la juridiction d'un État est établie dès lors que des juridictions de cet État ont été saisies et ont statué, non seulement au regard de l'article 6 § 1 ou des obligations procédurales de l'article 2, mais aussi au regard des obligations procédurales résultant des autres dispositions matérielles de la Convention, y compris les dispositions qui portent sur des droits susceptibles de restrictions telles que l'article 8.
9. Étant donné que la seule voie ouverte à la requérante, confrontée à un arbitrage forcé, était un recours devant le TAS, puis devant le Tribunal fédéral, la Grande Chambre risque de priver d'accès à la Cour toute une catégorie de personnes - à savoir les sportives professionnelles - en se déclarant incompétente pour connaître de ce type de requêtes, en contradiction avec l'esprit, l'objet et le but de la Convention (voir l'arrêt de chambre, § 111).
10. Le fait que la règlementation et l'arbitrage transnationaux du sport soient de nature privée ne saurait exonérer ses acteurs de toute responsabilité en matière de droits fondamentaux (en ce qui concerne les spécificités de l'arbitrage sportif international et le déséquilibre structurel entre les athlètes et les fédérations sportives par rapport à la relation classique de droit privé, voir les paragraphes 199 à 204 de l'arrêt). La protection offerte par le droit international des droits fondamentaux serait illusoire si elle pouvait être contournée simplement par des acteurs privés générant leur système privé de règles et leur mécanisme de jugement privé. La Cour devrait être en mesure de protéger les droits fondamentaux des personnes contraintes de se soumettre à la juridiction du TAS.
11. Le Tribunal fédéral est compétent en vertu du droit suisse pour examiner la validité des sentences du TAS, auxquelles sa validation confère force de chose jugée ( Mutu et Pechstein c. Suisse , nos 40575/10 et 67474/10 , § 66, 2 octobre 2018). Il peut examiner dans ce contexte le respect des droits garantis par la Convention, dans le cadre certes limité de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé.
12. Les actes ou omissions ici en cause mettent en jeu les obligations positives de la Suisse en matière d'adoption de mesures appropriées pour garantir le respect des droits et libertés consacrés par la Convention, précisément en raison de l'insertion et de l'institutionnalisation dans l'ordre juridique suisse d'un arbitrage obligatoire devant le TAS, soumis au contrôle exclusif du Tribunal fédéral. Cela conduit la Suisse à exercer son autorité et son contrôle sur les droits fondamentaux d'une athlète internationale, qui se trouve être ressortissante d'Afrique du Sud et résider dans ce pays, mais qui pourrait aussi bien avoir une autre nationalité et habiter ailleurs.
13. Nous nous félicitons de ce que la Cour ait adopté dans son arrêt, sous l'angle de l'article 6, une approche qui a permis de relever certains défauts de l'arrêt du Tribunal fédéral. Se reconnaître compétente sur le terrain des articles 8 et 14 aurait permis à la Cour de mettre au jour, d'une part, les ingérences dans la vie privée de la requérante et, d'autre part, la confusion que le gouvernement défendeur et World Athletics ont faite entre la situation de la requérante et celle des athlètes transgenres. Comme la chambre l'a pertinemment relevé, l'avantage des athlètes transgenres découle de leur constitution biologique initiale de type masculin, et le traitement qui leur est demandé par le règlement DDS afin de faire baisser leur taux de testostérone correspond à un traitement qu'ils suivent de leur propre gré, tandis que la requérante est forcée de suivre un traitement sans aucune valeur médicale contre sa propre volonté (voir l'arrêt de chambre, §§ 196-199).
14. Lors de l'audience, la requérante a expliqué en ces termes pourquoi elle avait saisi la Cour :
« J'espère que l'issue sera favorable pour les jeunes filles qui sont et seront assujetties au règlement. J'espère que l'issue sera favorable pour toutes les femmes car elles se rendront compte que ce règlement les affecte aussi (...). Je suis Mokgadi Caster Semenya. Rappelez-vous ce que signifie mon nom : je suis celle qui renonce à ce qu'elle veut pour que d'autres puissent avoir ce dont ils ont besoin ».
Cette déclaration montre clairement à quel point les décisions et les règles des fédérations sportives ont une influence sur la vie privée des athlètes de haut niveau. Elle témoigne également de l'importance que jouent les organes d'arbitrage et judiciaires dans la protection de ce droit. Le rôle de la Cour est de protéger les droits fondamentaux. En décidant de s'abstenir d'examiner au fond la question des droits de la requérante tels que garantis par les articles 8 et 14 de la Convention, la Cour n'a pas rempli son rôle dans cette affaire.
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES EICKE ET KUCSKO-STADLMAYER
(Traduction)
INTRODUCTION
1. Il va sans dire que la présente affaire revêt une grande signification personnelle pour la requérante, une brillante femme athlète qui craignait d'être exclue, par l'effet du règlement régissant la qualification dans la catégorie féminine (pour les athlètes présentant des différences du développement sexuel) (« le règlement DDS »), de certaines compétitions sportives dans la catégorie féminine en raison de ses caractéristiques biologiques innées. Nous tenons à souligner d'emblée que ni notre conclusion sur la requête introduite par la requérante devant la Cour ni les motifs de cette conclusion ne cherchent en aucune manière à minimiser le sentiment très réel de grief et d'injustice de l'intéressée ou à préjuger, de quelque manière que ce soit, du fond de son grief de discrimination et d'atteinte à son droit au respect de sa vie privée.
2. Toutefois, la requête sous examen est à bien des égards singulière et soulève des difficultés juridiques considérables du point de vue de l'appréciation de la recevabilité et du fond des griefs qui s'y trouvent formulés.
3. En effet, force est de constater que les circonstances de l'affaire n'ont aucun lien significatif ou pertinent avec la Haute Partie contractante défenderesse, à savoir la Suisse, si ce n'est qu'elles ont trait :
a) à un arbitrage international, et plus précisément à une sentence arbitrale rendue par le Tribunal arbitral du sport (« TAS »), dont le siège se trouve en Suisse, à Lausanne ; et
b) à l'application, par le Tribunal fédéral suisse (« TFS »), de l'article 190 alinéa 2 e) de la loi fédérale suisse du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (« PILA »), qui, transposant l'article V 2) b) de la Convention des Nations unies de 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (« Convention de New York », prévoit un droit très limité de « recours » contre une sentence qui « serait contraire à l'ordre public ».
4. En dehors de ces deux éléments, le circonstances de l'affaire n'ont aucun lien factuel ou juridique avec la Suisse :
a) la requérante est une ressortissante sud-africaine résidant en Afrique du Sud ;
b) le recours exercé par la requérante devant le TAS était dirigé contre le règlement DDS, édicté par l'Association internationale des fédérations d'athlétisme (International Association of Athletics Federations - « IAAF », désormais dénommée World Athletics ), une association de droit privé ayant son siège à Monaco, et non en Suisse ;
c) le TAS n'est ni un tribunal étatique ni une autre institution de droit public suisse, mais une entité émanant d'une fondation de droit privé, à savoir le Conseil international de l'arbitrage en matière de sport (« CIAS ») ;
d) le règlement en question n'a pas empêché la requérante de participer à une compétition internationale organisée en Suisse. En effet, il est à noter que le recours de l'intéressée était dirigé contre l'adoption et les dispositions du DDS in abstracto, et non contre l'application qui lui en a été faite dans un cas précis et qui l'aurait empêchée de participer à une compétition ; et
e) les autorités suisses n'ont joué aucun rôle dans l'élaboration ou l'adoption du règlement DDS, et n'en ont pas davantage fait application (voir, entre autres, le paragraphe 98 du présent arrêt).
5. à cet égard, il est peut-être également utile de signaler que la requérante n'a exercé aucune procédure parallèle ou indépendante devant les juridictions d'une autre Haute Partie contractante (avec laquelle elle avait ou aurait eu davantage de rapports ou de liens) pour faire examiner la validité de la clause compromissoire obligatoire du règlement DDS en introduisant un recours dirigé de manière générale contre l'adoption et les dispositions dudit règlement ou contre une décision qui, en application de celui-ci, l'aurait empêchée de participer à une compétition internationale (voir, mutatis mutandis , Platini c. Suisse (déc.), no 526/18 , 11 février 2020, et l'arrêt rendu le 3 juin 2022 par la Cour constitutionnelle fédérale allemande ( Pechstein ) [4] ).
6. Dans ces conditions, nous partons de la position que de nombreux aspects de l'arrêt de la majorité nous agréent, et même sans aucune réserve. En revanche, nous ne pouvons suivre l'approche adoptée par la majorité dans son analyse du fond du grief tiré de l'article 6 § 1, approche qui consiste à introduire une nouvelle exigence d'« examen particulièrement rigoureux » (paragraphe 209 du présent arrêt) ou de « rigueur du contrôle juridictionnel » ( ibidem , paragraphe 238) dans le cadre du contrôle de l' « ordre public matériel » exercé sur le terrain de l'article 190 alinéa 2) e) de la PILA, puis à constater que ce critère n'a pas été respecté pour conclure en définitive à la violation de l'article 6 § 1 en l'espèce. Nous exposerons brièvement ci-après les raisons sur lesquelles se fonde notre position.
SUR LA JURIDICTION
7. Nous souscrivons à la conclusion à laquelle la majorité est parvenue en suivant l'approche adoptée dans l'arrêt Markovic et autres c. Italie ([GC], no 1398/03, CEDH 2006-XIV), selon laquelle « la saisine du Tribunal fédéral à la suite du TAS par la requérante a engendré un lien juridictionnel avec la Suisse, emportant pour la Suisse l'obligation, en vertu de l'article 1 de la Convention, de garantir le respect des droits protégés par l'article 6 de la Convention dans le cadre de la procédure qui s'est déroulée devant le Tribunal fédéral » (paragraphe 133 du présent arrêt), ce que n'a d'ailleurs pas contesté le gouvernement défendeur.
8. De même, nous partageons pleinement l'avis de la majorité (et celui de la minorité des juges de la chambre) d'où il ressort que :
a) l'approche sur la question de la juridiction de la Suisse en ce qui concerne les griefs tirés des articles 8 et 14 de la Convention ne repose sur aucun précédent dans la jurisprudence constante de la Cour (paragraphe 140 du présent arrêt) ;
b) le fait que le Tribunal fédéral a examiné le recours exercé par la requérante sur le fondement de l'article 190 alinéa 2) e) de la PILA ne suffit pas pour établir la juridiction de la Suisse à l'égard de la requérante dans le cadre des griefs formulés par elle sur le terrain des articles 8 et 14 de la Convention ( ibidem , paragraphe 145) ; et
c) il n'existe pas en l'espèce de circonstances propres qui pourraient caractériser un lien juridictionnel en relation avec ces griefs ( ibidem , paragraphe 146).
SUR LE FOND DU GRIEF TIRÉ DE L'ARTICLE 6 §1
9. La majorité ayant fait application des principes énoncés dans l'arrêt Markovic et autres (précité) pour conclure à l'existence d'un lien juridictionnel suffisant pour emporter pour la Suisse l'obligation de garantir à la requérante le respect de ses droits tels que garantis par l'article 6 § 1 de la Convention - sous le seul angle de l'équité procédurale -, il nous paraît évident qu'elle aurait dû poursuivre jusqu'à son terme l'approche adoptée dans cet arrêt. Au lieu de cela, il nous semble qu'elle :
a) a cherché à mettre à la charge des tribunaux (et en définitive de la Cour) une obligation nouvelle ou supplémentaire leur imposant d'examiner les doléances exprimées par la requérante au regard des garanties matérielles des articles 8 et 14 ; et
b) a procédé à une analyse approfondie de la proportionnalité, comme l'exigent ces articles, alors pourtant qu'ils échappaient à sa compétence et qu'ils n'entraient donc pas en jeu en l'espèce.
La majorité est parvenue à ce résultat en introduisant une nouvelle exigence d'« examen particulièrement rigoureux » (paragraphe 209 du présent arrêt) ou de « rigueur du contrôle juridictionnel » ( ibidem , paragraphe 238). Faisant application de ce nouveau critère au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1, la majorité s'est ensuite employée à analyser en détail la motivation de la sentence du TAS et de l'arrêt rendu par le TFS ( ibidem , paragraphes 224-239).
10. Notre divergence avec la majorité commence là où celle-ci, après avoir conclu que la Cour était compétente et que le recours ici en cause portait sur un « droit de caractère civil » faisant entrer en jeu le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1, a éludé certaines étapes essentielles de l'analyse à opérer.
11. à ce stade, la majorité a constaté que la relation entre les sportifs et les organes de gouvernance du sport était marquée par un déséquilibre structurel, observant que les « droits de caractère civil » ici en cause étaient le « droit au respect de la dignité humaine, et [l]es droits au respect de l'intégrité physique et psychique, de l'identité sociale et de genre, de la sphère intime et de la liberté économique, qui sont des droits « de caractère civil », au sens de l'article 6 § 1 de la Convention » (paragraphe 215 du présent arrêt). À partir de là, elle a de but en blanc :
a) conclu « qu'il s'agissait en l'espèce d'un cas d'arbitrage imposé, qui concernait un litige relatif à des droits « de caractère civil », au sens de l'article 6 § 1, correspondant en droit interne à des droits fondamentaux. Il s'en déduit que le Tribunal fédéral était tenu de procéder à un examen particulièrement rigoureux du recours en matière civile dont la requérante l'avait saisi » ( ibidem , paragraphe 216) ; et
b) examiné en détail la question de savoir si l'arrêt du TFS et la sentence du TAS satisfaisaient à l'exigence d'un « examen particulièrement rigoureux » et elle y a répondu par la négative ( ibidem , paragraphe 217 et suiv.).
12. Or nous estimons pour notre part que les étapes omises par la majorité étaient indispensables pour circonscrire la portée des « droits de caractère civil » en cause et, par conséquent, celle de l'analyse de la Cour sur le terrain de l'article 6 § 1 (voir, notamment, Markovic et autres , précité, § 94). À cet égard, il importe de garder à l'esprit que l'article 6 § 1, qui garantit le droit à un procès équitable, se distingue de la plupart des autres dispositions de la Convention - notamment des articles 8 et 14 - en ce qu'il porte exclusivement sur des droits procéduraux (comme le reconnaît le paragraphe 144 du présent arrêt). La base matérielle de la portée de l'appréciation de l'équité par la Cour est à rechercher dans la définition des « droits de caractère civil » donnée par le droit interne, qui déclenche l'applicabilité de l'article 6 § 1.
13. Lorsqu'il lui incombe de mener cette étape fondamentale de son analyse, la Cour applique systématiquement deux importants principes :
a) pour apprécier s'il existe un « droit » de caractère civil et, dans l'affirmative, déterminer quelle est la qualification (matérielle ou procédurale) à donner à la restriction litigieuse au droit en question, il faut prendre pour point de départ les dispositions du droit national pertinent et l'interprétation qu'en font les juridictions internes ( Markovic et autres , précité, § 95, et Masson et Van Zon c. Pays-Bas , 28 septembre 1995, § 49, série A no 327-A); et
b) dès lors que les juridictions nationales supérieures ont analysé de façon complète et convaincante la nature précise de la restriction, et ce en s'appuyant sur la jurisprudence pertinente issue de la Convention et sur les principes qui en découlent, la Cour doit avoir des motifs très sérieux pour s'écarter de leurs conclusions en substituant aux leurs ses propres vues sur une question d'interprétation du droit interne ( Z et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95 , § 101, CEDH 2001-V).
14. À notre avis, l'application de ces principes au cas d'espèce doit nécessairement conduire à la conclusion selon laquelle la portée d'un recours dirigé contre une sentence arbitrale internationale sur le fondement de l'article 190 alinéa 2) e) de la PILA est circonscrite à la démonstration de l'incompatibilité de la sentence litigieuse avec l' « ordre public matériel » (le volet pertinent de l'ordre public). Il s'agit là d'une « restriction légitime » au droit d'accès à un tribunal (analogue aux « délais légaux de prescription, [aux] ordonnances prescrivant le versement d'une caution judicatum solvi , [et aux] réglementations concernant les mineurs ou les handicapés mentaux », voir Markovic et autres , précité, § 99, et Mutu et Pechstein c. Suisse , nos 40575/10 et 67474/10 , § 97, 2 octobre 2018), et non d'une « immunité » juridictionnelle. Cette restriction ne saurait être contournée dans une affaire telle que la présente espèce, où aucun grief tiré d'un défaut d'accès à un tribunal n'a été soulevé (paragraphes 90-91 du présent arrêt) et où la Cour devait se borner à contrôler le respect du droit à un procès équitable ( ibidem , paragraphes 193-194 et 209). Comme l'a reconnu la majorité, à tout le moins implicitement, la limitation de la portée du contrôle du TFS au respect de l'« ordre public », dans son aspect matériel - notion encore plus restrictive que la notion d'arbitraire -, n'emporte pas ipso facto violation de l'article 6 § 1. L'approche bien établie de la Cour a pour corolaire nécessaire que les dispositions de l'article 190 alinéa 2) e) de la PILA, telles qu'interprétées par le TFS, illustrent la portée (et les limites) du contrôle que les tribunaux peuvent exercer sur les sentences arbitrales ( Markovic et autres , précité, § 114).
15. Il s'ensuit nécessairement que le « droit de caractère civil » dont la requérante se prévalait en l'espèce et, par conséquent, la portée de l'analyse qu'il incombait à la Cour de mener sur le terrain de l'article 6 § 1 auraient dû se limiter, d'une part, au contrôle du respect de l' « ordre public » au sens de l'article 190 alinéa 2) e) de la PILA (et donc au sens de l'article V de la Convention de New York) tel qu'interprété par le TFS et, d'autre part, à l'application qui en a été faite en l'espèce. En effet, d'après la jurisprudence constante de la Cour, l'article 6 n'assure aux droits et obligations de caractère civil aucun contenu matériel particulier dans les ordres juridiques internes (contrairement au droits garantis par d'autres articles, tels que ceux qui garantissent le droit au respect de la vie familiale (l'article 8), ou le droit de propriété (l'article 1 du Protocole no 1), voir Z et autres , précité, § 98, et Markovic , précité, § 113). Il convient de relever que la requérante semble avoir elle-même reconnu que son recours était d'une portée limitée (limitée par l'étendue du contrôle pouvant être exercé par le TFS, voir les paragraphes 88 et 89 du présent arrêt). Bien que cette limitation n'ait pas été remise en cause dans son principe, la majorité a invoqué un autre argument, selon lequel les « droits de caractère civil » sur lesquels portaient la contestation « correspond[ai]ent en droit interne à des droits fondamentaux » ( ibidem , paragraphes 206, 209 et 216). Mais il s'agit là de l'interprétation donnée par la majorité au droit interne, jugée non pertinente par le TFS, et cette interprétation modifie le contenu même du « droit de caractère civil » en cause. Elle ne saurait donc l' « emporter » sur la restriction susmentionnée et étendre le champ du contrôle, par la Cour, du respect de l'article 6 § 1.
16. Au vu de ce qui précède, la seule conclusion à tirer pour nous est que la Cour n'avait en l'espèce aucune base pour substituer ses propres vues aux conclusions auxquelles le TFS est parvenu, en exerçant la compétence que lui reconnaissait l'article 190 2 e) de la PILA, dans un arrêt dont la majorité a souligné la longueur et la minutie (paragraphe 219 du présent arrêt). Cela d'autant plus que, comme l'a relevé la majorité, la longueur de l'arrêt du TFS, une juridiction supérieure nationale dotée d'une large expérience de l'application du critère de l'ordre public retenu par l'article 190 alinéa 2 e) de la PILA et l'article V 2) b) de la Convention de New York, montre l'attention qu'il a accordé à l'examen de la contestation de la requérante. En conséquence, nous avons voté contre le constat de violation de l'article 6 § 1 en l'espèce, faute de quoi nous nous serions érigés en juges de « quatrième instance ».
ADDENDUM
17. La majorité a déployé de louables efforts pour tenter de limiter les incidences de l'introduction, par l'intermédiaire de l'article 6 § 1, de l'exigence d'un « examen particulièrement rigoureux » ou de « rigueur du contrôle juridictionnel » applicable à un recours fondé sur l'article 190 alinéa 2) e) de la PILA et dirigé contre un « arbitrage obligatoire et exclusif » en matière de sport (paragraphe 218 du présent arrêt). Toutefois, il nous semble qu'il existe en principe un risque réel de tentation de transposer cette exigence à d'autres recours ou appels formés contre des sentences arbitrales (de quelque nature que ce soit) sur le fondement de l'article 190 alinéa 2) e) de la PILA (et/ou de l'article V 2) b) de la Convention de New York), à tout le moins ceux pouvant être qualifiés de « contestations portant sur des droits de caractère civil » - au sens de l'article 6 § 1 - « correspondant en droit interne à des droits fondamentaux » (paragraphe 216 du présent arrêt). Une telle transposition ne refléterait certainement pas l'intention de la Grande Chambre et serait extrêmement indésirable.
2.
La version applicable en l'espèce est la version en vigueur le 1er janvier 2019. Une version modifiée est entrée en vigueur le 1er juillet 2020.
3.
https://www.tas-cas.org/fr/informations-generales/historique-du-tas.html
4.
1 BvR 2103/16
(https://www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/EN/2022/06/rk20220603_1bvr210316en.html)

Referenzen

BGE: 144 III 120, 138 III 322, 132 III 389, 129 III 445 mehr...

Artikel: art. 190 al. 2 let, Art. 1 et 6 par. 1 CEDH, art. 8 al. 2 Cst., art. 6 par. 1 CEDH mehr...