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Ecriture agrandie
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_263/2022  
 
 
Arrêt du 23 juin 2023  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes les Juges fédérales 
Jametti, présidente, Hohl et Kiss. 
Greffier: M. O. Carruzzo 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Mes Fuad Ahmed et Adeline Burrus-Robin, avocats, 
recourante, 
 
contre  
 
1. B.________ SA, 
représentée par Me Olivier Wehrli, avocat, 
2. C.________, 
3. D.________, 
tous deux représentés par Me Alexandre de Senarclens, avocat, 
intimés. 
 
Objet 
exercice par les héritiers de leur droit matériel aux renseignements à l'égard de la banque du défunt (art. 400 al. 1 CO) par la voie d'une intervention accessoire dans un procès entre le tiers titulaire d'un compte et dite banque, 
 
recours contre l'arrêt rendu le 27 avril 2022 par la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (C/29252/2018, ACJC/633/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. En 2002, E.________, né le 4 décembre 1927, détenait plusieurs millions, en dollars américains et en euros, sur un compte nominatif auprès d'une banque, devenue la B.________ SA, à Genève (ci-après: la banque ou la demanderesse). Son neveu, F.________, bénéficiait d'une procuration sur ce compte.  
La société A.________ SA (ci-après: la défenderesse ou la recourante) est une société de droit panaméen, constituée le 24 mars 2009 et dont le siège est à Panama. Son ayant droit économique est la mère de F.________, G.________. Cette société est titulaire d'un compte auprès de la même banque. G.________ dispose d'une procuration sur ce compte. 
 
A.b. Entre 2002 et 2003, tous les avoirs du compte de E.________ auprès de la banque ont été transférés sur un compte de F.________ auprès de la même banque et, de là, ils ont fait l'objet de divers transferts sur des comptes à l'intérieur de la banque jusqu'à celui de la société H.________ SA (ci-après: H.________), dont l'ayant droit économique était F.________, lequel disposait d'une procuration sur ce compte. Puis, en 2010, les avoirs du compte de H.________, d'un montant supérieur à 12'000'000 USD, ont été transférés sur le compte de A.________ SA, toujours auprès de la même banque.  
Le compte de E.________ avait été clôturé le 9 mai 2003; celui de H.________ a également été clôturé après le transfert. 
 
A.c. Dès 2012, F.________ s'est immiscé dans la gestion du compte de A.________ SA, se faisant notamment transmettre des relevés de compte sur instructions de sa mère, ayant droit économique et titulaire de la procuration sur le compte. La banque allègue s'être heurtée à des difficultés pour joindre la mère, car son fils "faisait écran" aux contacts directs entre elle et celle-ci, ce qui est confirmé par les pièces produites.  
 
A.d. E.________ est décédé en Grèce, le 22 février 2014. Il laisse sa veuve D.________ et leur fils C.________.  
 
L'épouse et le fils du défunt sont opposés au neveu de celui-ci dans un procès de nature successorale pendant devant une juridiction civile, en Grèce. Ils allèguent que F.________ a profité de l'état d'incapacité de discernement du de cujus pour détourner les biens de celui-ci à son profit, qu'eux-mêmes sont héritiers réservataires et que leurs réserves ont été lésées (ci-après, dans un souci de simplification: les héritiers réservataires ou les intervenants accessoires). Le neveu du défunt se prévaut pour sa part de deux testaments en sa faveur, datés des 17 avril et 25 novembre 2003, qui l'instituent héritier (ci-après: le neveu ou, par souci de simplification, l'héritier institué), testaments dont les héritiers réservataires contestent la validité. 
Les héritiers réservataires ont également ouvert plusieurs procédures civiles en Suisse afin de retrouver des biens du de cujus. Ils allèguent, notamment, que les avoirs détenus par A.________ SA, dans les livres de la banque, sont issus de la fortune du défunt et font partie des actifs qu'ils recherchent. Ils ont également déposé une plainte pénale visant notamment l'héritier institué; la qualité de lésé du fils héritier a été définitivement écartée par arrêt du Tribunal fédéral du 8 février 2021 (arrêt 1B_507/2020). 
 
A.e. Dès 2016, à la suite du refus de la mère du neveu, titulaire de la signature sur le compte de A.________ SA, de signer le formulaire FATCA, le neveu et sa mère ont déclaré vouloir dissoudre la société A.________ SA, clôturer ledit compte et transférer les fonds sur un compte à ouvrir au nom de la mère. La banque a refusé d'y procéder, au motif que des clarifications sur l'origine des fonds et les raisons du changement d'ayant droit économique lors du transfert des avoirs de H.________ (dont l'ayant droit économique était le neveu) à A.________ SA (dont l'ayant droit économique est la mère du neveu) constituaient un préalable nécessaire à l'ouverture d'un compte au nom de la mère. Par la suite, celle-ci a encore plusieurs fois requis le transfert des avoirs du compte de A.________ SA auprès d'une banque tierce.  
En mai 2018, la banque a réitéré sa demande de clarifications concernant la provenance des avoirs crédités sur le compte de A.________ SA et l'identification du bénéficiaire économique dudit compte, indiquant que les fonds crédités sur ce compte faisaient l'objet d'un litige successoral. A.________ SA n'ayant pas déféré à cette demande, la banque n'a pas exécuté l'ordre de transfert des avoirs de ce compte auprès d'une banque tierce. 
A.________ SA a alors fait notifier à la banque un commandement de payer le montant de 4'043'986 fr. plus intérêts à titre de restitution de ses avoirs en compte. La banque a formé opposition au commandement de payer. 
Le Tribunal de première instance du canton de Genève a admis la requête de mainlevée provisoire formée par A.________ SA à concurrence de 3'704'894 fr. 34 avec intérêts par jugement du 22 novembre 2018. Par la suite, la requête de mainlevée de l'opposition sera finalement rejetée par l'arrêt de la Cour de justice du 18 mars 2019, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral du 7 janvier 2020 (5A_388/2019). 
 
B.  
 
B.a. Dans l'intervalle, le 17 décembre 2018, vu le prononcé de mainlevée provisoire du Tribunal de première instance du 22 novembre 2018, la banque a ouvert une action en libération de dette à l'encontre de A.________ SA, concluant à qu'il soit constaté qu'elle ne doit pas lui verser la somme de 3'823'302 USD plus intérêts.  
A.________ SA a conclu au rejet de l'action et au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer à concurrence de 3'704'894 fr. 34 avec intérêts. Reconventionnellement, elle a conclu à la condamnation de la banque à lui restituer le montant de 178'004 USD et à la mainlevée définitive pour le montant qui y correspond en francs suisses. 
 
B.b. Ayant reçu l'arrêt du Tribunal fédéral rejetant définitivement la mainlevée provisoire (5A_388/2019), la banque a informé le Tribunal de première instance, le 18 février 2020, que son action en libération de dette devenait sans objet au vu de cet arrêt. Elle s'est déterminée sur la demande reconventionnelle, en concluant à son rejet.  
 
B.c. Le 12 avril 2021, les héritiers réservataires ont formé une requête en intervention accessoire, souhaitant intervenir aux côtés de la banque. Ils ont fait valoir que c'est à juste titre que celle-ci refuse de transférer à la mère du neveu les avoirs se trouvant sur le compte de A.________ SA. Selon eux, il existe des doutes sur le véritable ayant droit économique de ce compte; les avoirs qui s'y trouvent appartiennent en réalité à E.________, qui a été victime d'une manipulation, et font l'objet d'une procédure pénale, suspendue dans l'attente du résultat des procédures grecques. Les héritiers réservataires estiment qu'ils ont un intérêt juridique à ce que la banque ne se dessaisisse pas de ces avoirs.  
La banque a conclu à l'admission de la requête d'intervention accessoire, tandis que A.________ SA a conclu à son rejet. 
Par jugement du 3 novembre 2021, le Tribunal de première instance a admis la requête d'intervention accessoire des héritiers réservataires, les a autorisés à prendre connaissance de la procédure principale et a ordonné aux parties principales de leur remettre copies de leurs écritures et pièces. 
Statuant le 27 avril 2022, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le recours interjeté par A.________ SA et a confirmé le jugement de première instance. Elle a considéré que le droit des héritiers réservataires d'intervenir dans la procédure a été rendu vraisemblable par trois éléments: premièrement, il est vraisemblable que les fonds se trouvant sur le compte de A.________ SA proviennent d'avoirs qui appartenaient initialement au défunt; deuxièmement, il existe une certaine probabilité que les héritiers réservataires aient un intérêt juridique à ce que la banque ne remette pas les fonds à la société cliente puisqu'ils allèguent que les transferts des avoirs du défunt étaient viciés en raison de l'incapacité de discernement de celui-ci et qu'il n'est pas exclu à ce stade qu'ils obtiennent gain de cause; troisièmement, enfin, il est vraisemblable que les fonds risquent de disparaître s'ils sont remis à A.________ SA. 
 
C.  
Contre cet arrêt, A.________ SA a interjeté un recours en matière civile et un recours constitutionnel subsidiaire au Tribunal fédéral le 13 juin 2022. Elle conclut principalement à sa réforme en ce sens que la requête en intervention accessoire des héritiers est rejetée; subsidiairement, elle prend les mêmes conclusions à l'appui de son recours constitutionnel; plus subsidiairement encore, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la Cour de justice pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
Les héritiers réservataires, requérants à l'intervention et intimés, concluent, sur le fond, principalement, à l'irrecevabilité des deux recours et, subsidiairement, à leur rejet. 
La banque demanderesse conclut, sur le fond, à l'irrecevabilité des recours et, subsidiairement, au rejet des conclusions de la défenderesse recourante. 
La recourante a encore déposé des observations sur les réponses des parties adverses, lesquelles ont suscité le dépôt d'une duplique de la part de la banque. 
L'effet suspensif a été accordé au recours par ordonnance du 28 juillet 2022, les mesures provisionnelles requises étant rejetées faute de nécessité. 
Par courrier du 1er juin 2023, la recourante a informé le Tribunal fédéral que la procédure pénale visant notamment l'héritier institué avait été classée par le Ministère public le 28 mars 2023; elle y a joint l'ordonnance de classement. Les intervenants accessoires ont rétorqué que ce courrier n'apportait aucun élément pertinent. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Contrairement à la décision refusant d'autoriser l'intervention accessoire d'un tiers, dans une procédure au fond opposant des parties principales, qui est une décision partielle au sens de l'art. 91 let. b LTF (ATF 134 III 379 consid. 1.1; arrêt 4A_147/2021 du 27 octobre 2021 consid. 1), la décision qui admet l'intervention accessoire d'un tiers est une décision incidente au sens de l'art. 93 LTF (cf. GRÉGORY BOVEY, in Commentaire de la LTF, 3e éd., no 22 ad art. 91 LTF; HEINZMANN/DEMIERRE, Petit Commentaire du CPC, Bâle 2021, no 14 ad art. 75 CPC).  
Une telle décision incidente ne peut faire séparément l'objet d'un recours au Tribunal fédéral que si elle peut causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Cela suppose que la partie recourante soit exposée à un préjudice de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale qui lui serait favorable; un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 138 III 333 consid. 1.3.1; 134 III 188 consid. 2.1 et consid. 2.2). Cette réglementation est fondée sur des motifs d'économie de procédure, le Tribunal fédéral ne devant en principe s'occuper d'une affaire qu'une seule fois, lorsqu'il est certain que la partie recourante subit effectivement un dommage définitif (ATF 134 III 188 consid. 2.2). Il incombe au recourant de démontrer l'existence d'un tel préjudice lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (ATF 137 III 522 consid. 1.3). 
En l'espèce, la décision litigieuse autorise les héritiers réservataires, intervenants accessoires, à prendre connaissance du dossier de la procédure et ordonne aux parties principales de leur remettre copies de leurs écritures et pièces (ch. 2 et 3 du dispositif du jugement de première instance). Dès lors que la prise de connaissance de ces pièces, notamment bancaires, est par nature irréversible, il y a lieu d'admettre l'existence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) par la société cliente, titulaire formelle du compte, qui a succombé dans ses conclusions en rejet de l'intervention accessoire (art. 76 al. 1 LTF), dans une affaire civile (art. 72 al. 1 LTF), de nature pécuniaire, dont la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le présent recours en matière civile est recevable. 
Il s'ensuit que le point de savoir si la cause soulève une question juridique de principe n'a pas lieu d'être examiné et que le recours constitutionnel est irrecevable. 
 
1.2.  
 
1.2.1. Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté, à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). Cette exception vise les faits qui sont rendus pertinents pour la première fois par la décision attaquée; peuvent notamment être introduits des faits nouveaux concernant le déroulement de la procédure devant l'instance précédente, afin d'en contester la régularité (par exemple une violation du droit d'être entendu lors de mesures probatoires) ou encore des faits postérieurs à l'arrêt attaqué permettant d'établir la recevabilité du recours (ATF 139 III 120 consid. 3.1.2; 136 III 123 consid. 4.4.3; arrêt 4A_434/2021 du 18 janvier 2022 consid. 2.2 et les références). En revanche, le recourant - ou l'intimé - ne saurait introduire des faits ou moyens de preuve qu'il a négligé de soumettre aux autorités cantonales (ATF 136 III 123 consid. 4.4.3).  
 
1.2.2. Les pièces nouvelles produites par la recourante sont irrecevables, aucune exception au sens de l'art. 99 al. 1 in fine LTF n'étant réalisée.  
 
1.3. Il sied par ailleurs de préciser qu'il n'appartient pas à la juridiction suisse, saisie d'une "requête d'intervention" formée par des héritiers désireux d'obtenir des renseignements sur les avoirs présumés du défunt dans le cadre d'une procédure qui oppose une cliente à sa banque, de statuer sur l'incapacité de discernement alléguée du défunt ou sur l'existence éventuelle de vices du consentement ayant prétendument affecté sa volonté en 2002-2003, questions qui font l'objet d'une procédure encore pendante en Grèce. La cour cantonale ne saurait donc avoir violé le droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) de la recourante en ne se penchant pas sur la capacité de discernement du défunt.  
 
2.  
Saisi d'un recours en matière civile, le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'argumentation juridique développée par les parties ou par l'autorité précédente; il peut admettre le recours, comme il peut le rejeter en procédant à une substitution de motifs (ATF 135 III 397 consid. 1.4). 
 
3.  
Dans le procès au fond, la société cliente, titulaire formelle du compte, fait valoir son droit à obtenir de la banque la restitution de ses avoirs en compte, par une action en exécution du contrat ( Erfüllungsklage; art. 107 al. 1 CO; cf. ATF 146 III 387 consid. 3.2). La banque s'y refuse en l'état, car des héritiers réservataires prétendent avoir des droits sur ces avoirs, qui proviendraient d'un compte du défunt, et elle craint d'engager sa responsabilité à l'égard de ces héritiers réservataires si elle s'exécute.  
 
4.  
Est présentement litigieuse la question de savoir si les héritiers réservataires, qui soutiennent que les avoirs figurant sur le compte de la société cliente proviennent d'avoirs du défunt, peuvent intervenir à titre accessoire au procès principal, aux côtés de la banque, pour avoir ainsi accès aux pièces du dossier, notamment aux documents bancaires concernant le compte de cette société. 
 
4.1. Il est admis qu'en droit suisse, les héritiers - qu'ils soient réservataires ou non - ont un droit matériel, de nature contractuelle, aux renseignements et pièces à l'égard de la banque du défunt en ce qui concerne les avoirs de celui-ci existant au jour du décès, et ce en vertu de l'art. 400 al. 1 CO (qu'ils ont acquis de plein droit conformément à l'art. 560 CC) ou conformément aux conditions générales de la banque, insérées dans le contrat et contenant généralement une clause d'élection de droit en faveur du droit suisse (ATF 135 III 185 consid. 3.4.2; arrêt 4A_522/2018 du 18 juillet 2019 consid. 4.2.1, publié in PJA 2019 1345). En revanche, en ce qui concerne les transferts effectués antérieurement au décès du de cujus, seuls les héritiers réservataires, dont la réserve est lésée ou qui ont un droit au rapport à l'égard d'autres héritiers, peuvent exiger de la banque, en se fondant sur l'art. 400 al. 1 CO, qu'elle leur communique le nom des tiers bénéficiaires de transferts ordonnés par le de cujus; à cet égard, il importe peu que le transfert ait eu lieu vers un compte ouvert dans une banque tierce ou qu'il ait été effectué sur un compte auprès de la même banque, ou même que le défunt ait connu l'identité du tiers (arrêt 4A_522/2018 précité consid. 4.5.2; ATF 142 III 116 consid. 3.1.2).  
 
4.2. Se pose dès lors la question de savoir si ce droit matériel aux renseignements et pièces peut être exercé par le biais d'une intervention accessoire au sens des art. 74 ss CPC dans le cadre d'un procès principal.  
 
4.2.1. De longue date, le Tribunal fédéral a jugé qu'un droit matériel aux renseignements et pièces doit faire l'objet d'une procédure permettant un examen complet de la cause en fait et en droit, puisque le juge règle alors définitivement le sort de ce droit, qui, par nature, "s'épuise" avec la communication des renseignements et pièces (ATF 120 II 352 consid. 2b). Tel est le cas du droit matériel, dit de reddition de compte, fondé sur l'art. 400 al. 1 CO, qui est donc de nature contractuelle (ATF 141 III 564 consid. 4.2.2; 138 III 728 consid. 2.7; 126 III 445 consid. 3b).  
Ce droit matériel ne peut donc être invoqué, ni par la voie d'une procédure de mesures provisionnelles des art. 261 ss CPC (ATF 138 III 728 consid. 2.7), ni par celle d'une procédure de preuve à futur de l'art. 158 al. 1 let. b CPC (ATF 141 III 564 consid. 4.2.2), puisque ces deux voies ne permettent pas un examen complet de l'existence du droit matériel. 
A l'évidence, un tel droit ne peut pas l'être non plus par le biais d'une intervention accessoire des art. 74 ss CPC dans le cadre d'une procédure pendante entre un client et sa banque. En effet, puisque l'admission de l'intervention accessoire n'est subordonnée qu'à la simple vraisemblance ( glaubhaft) de l'intérêt juridique de l'intervenant (art. 74 al. 1 CPC; ATF 143 III 140 consid. 4.1.3), lequel repose et présuppose l'existence d'un droit matériel aux renseignements et pièces, cette institution ne permet pas un examen complet de ce droit matériel.  
 
4.2.2. La cour cantonale a constaté qu'il est vraisemblable que les fonds se trouvant sur le compte de la société cliente, défenderesse, appartenaient au défunt, puisqu'ils proviennent du compte de H.________, dont l'ayant droit économique était le neveu du défunt (disposant d'une procuration sur ce compte) et qui avait été alimenté par des avoirs prélevés sur le compte du défunt en 2002 et 2003. Elle a considéré qu'il existe une certaine probabilité, fondée sur des indices objectifs, que les requérants à l'intervention aient un intérêt juridique à ce que la banque ne remette pas les fonds à la société cliente puisqu'ils allèguent que les transferts des avoirs du défunt étaient viciés en raison de son incapacité de discernement, ce qu'ils ont fait valoir devant les tribunaux grecs. Elle a en outre estimé qu'il n'est pas exclu à ce stade qu'ils obtiennent gain de cause, que leurs droits d'héritiers sont susceptibles d'être lésés - ce qu'ils n'ont pas à établir à ce stade par la production d'une décision judiciaire finale attestant d'une atteinte à leur réserve - et qu'ils ont ouvert action devant les tribunaux grecs. La cour cantonale a enfin jugé que le risque que les fonds disparaissent était vraisemblable.  
 
4.2.3. Force est de constater que les héritiers (réservataires) veulent obtenir de la banque des renseignements et pièces au sujet d'avoirs du défunt qui ont été transférés du vivant de celui-ci sur le compte de son neveu, puis retransférés sur celui de la société cliente. La procédure d'intervention est donc, par nature, inadaptée au but poursuivi, le juge ne pouvant pas statuer sur le droit matériel de ces héritiers avec autorité de la chose jugée. La requête d'intervention doit donc être déclarée irrecevable.  
Ce que la cour cantonale a fait en réalité, comme le lui reproche la recourante, c'est d'avoir confirmé en quelque sorte une mesure conservatoire de blocage (privé) du compte bancaire. Cela revient à utiliser une institution dans un but contraire à celui qui lui a été assigné par la loi. 
 
5.  
Il s'ensuit que le recours doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et réformé en ce sens que la requête d'intervention accessoire est déclarée irrecevable. Les frais judiciaires et les dépens seront donc mis solidairement à la charge des intimés qui succombent (art. 66 al. 1 et 5 ainsi que 68 al. 1 et 4 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et réformé en ce sens que la requête d'intervention accessoire est irrecevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires de la procédure fédérale, arrêtés à 5'500 fr., sont mis solidairement à la charge des intimés. 
 
3.  
Les intimés verseront solidairement à la recourante une indemnité de 6'500 fr. à titre de dépens pour la procédure fédérale. 
 
4.  
La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les frais et dépens des instances cantonales. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de Cour de justice du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 23 juin 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : O. Carruzzo