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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
4A_249/2023  
 
 
Arrêt du 22 avril 2024  
 
Ire Cour de droit civil  
 
Composition 
Mmes et M. les Juges fédéraux 
Jametti, Présidente, Hohl, Kiss, Rüedi et May Canellas. 
Greffier : M. Botteron. 
 
Participants à la procédure 
A.________ SA, 
représentée par Mes Barbara Klett et Carol Tissot, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________, 
représenté par Me Stéphanie Neuhaus-Descuves, 
intimé. 
 
Objet 
Convention de Lugano, for du lieu de commission de l'acte illicite en matière de responsabilité du fait des produits; for de l'action en constatation de droit négative (art. 5 par. 3 CL), 
 
recours contre l'arrêt rendu le 4 avril 2023 par la IIe Cour d'appel civil du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg (101 2022 309). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. La société A.________ SA (ci-après: la société ou la demanderesse ou la recourante), à..., en Suisse, qui a pour but le développement, la production et la vente d'articles de sport, produit des vélos, en particulier le modèle de course xxx. B.________ (ci-après: le cycliste ou le défendeur ou l'intimé), domicilié à Grossetto, en Italie, qui a acheté un tel vélo en Italie, a eu un accident à Budoni, en Sardaigne, le 5 juin 2017. Il a chuté alors qu'il circulait avec ce vélo et a dû être hospitalisé.  
 
A.b. La société demanderesse allègue dans sa demande qu'elle est en droit d'agir au lieu de son domicile en vertu de l'art. 2 de la Convention de Lugano (CL; RS 0.275.12), comme aussi au lieu où le fait dommageable s'est produit au sens de l'art. 5 par. 3 CL. En relation avec ce dernier for, elle allègue que le cycliste lui réclame un montant de 270'000 euros en invoquant la responsabilité du fait des produits, le vélo en carbone, modèle de course xxx, qu'elle a produit étant prétendument défectueux. Selon l'expertise judiciaire ordonnée en procédure de preuve à futur par un tribunal de Grossetto, en Italie, la chute du cycliste serait due à la rupture de la fourche du vélo, elle-même causée par un défaut du matériel composite, à savoir la fibre de carbone (épaisseur de la fibre carbone ayant une influence sur la résistance de la fourche). La demanderesse conteste tout défaut, arguant que la chute résulte d'un freinage insuffisant provoqué par le remplacement, par le cycliste, des jantes et plaquettes de frein d'origine par des pièces d'un matériau incompatible avec le matériau du vélo. Elle estime nécessaire de procéder à des tests, soit de comparer la fourche endommagée du vélo du défendeur avec des fourches témoins pour déterminer si la première répondait aux normes ISO lors de la mise du vélo sur le marché. Elle considère être le fabricant du vélo, ayant vérifié que le produit répond à toutes les normes de sécurité avant de le lancer sur le marché (complètement conformément à l'art. 105 al. 2 LTF).  
Dans sa réponse, le cycliste défendeur expose qu'il a eu un accident à Budoni, en Sardaigne, avec son vélo de course et qu'il s'est blessé grièvement lors de cette chute. Il invoque une défectuosité du vélo. Il reproche à la demanderesse de l'attraire à un for étranger alors que l'expertise judiciaire effectuée en Italie lui donne entièrement raison (complètement des faits conformément à l'art. 105 al. 2 LTF). 
 
A.c. Selon les constatations de l'arrêt attaqué, la société a conçu le modèle de vélo (xxx) à..., en Suisse, mais la fabrication "matérielle" de celui-ci ne s'effectue pas en Suisse, mais en Chine, voire en Hollande pour ce qui est de l'assemblage du vélo, et la distribution se fait depuis un stock en Belgique.  
Les parties sont en litige au sujet de l'existence et de la nature du défaut et, partant, sur le for de l'action délictuelle (commission de l'acte illicite) en responsabilité du fait des produits au sens de l'art. 5 par. 3 CL. La société, qui admet être la productrice du vélo, conteste l'existence d'un défaut, soutenant que le vélo a été modifié par le cycliste; celui-ci soutient que la fourche du vélo présente un défaut d'épaisseur et donc de résistance. 
 
B.  
Après l'échec de la conciliation, la société a déposé sa demande en constatation de droit négative contre le cycliste devant le Tribunal de l'arrondissement de la Sarine (en Suisse) le 15 mars 2021, en se basant sur le for de la commission de l'acte illicite au sens de l'art. 5 par. 3 CL, ayant effectué la conception/production du vélo prétendument défectueux à..., en Suisse. Sur le fond, elle conclut à ce qu'il soit constaté que le défendeur n'a à son encontre aucune créance découlant de l'événement du 5 juin 2017. 
Le défendeur conteste la compétence internationale du for de commission de l'acte illicite. Il soutient qu'il doit être attrait soit au lieu de son domicile, en Italie (art. 2 CL), soit au lieu du résultat, c'est-à-dire le lieu de l'accident, en Italie. 
Sur requête du défendeur, la procédure a été limitée à la question de la recevabilité de l'action (compétence internationale du tribunal saisi). 
Par jugement du 27 juin 2022, le Tribunal civil de l'arrondissement de la Sarine a déclaré irrecevable l'action en constatation de droit négative. Il a considéré qu'en vertu de l'art. 5 par. 3 CL, applicable à la responsabilité du fait des produits, le lieu où le fait dommageable s'est produit, c'est-à-dire le lieu de l'événement causal à l'origine du dommage, est le lieu de fabrication du produit en cause, car celui-ci représente un point de rattachement particulièrement étroit avec la contestation. Or, le tribunal a constaté que le lieu de fabrication "matérielle" ne se trouve pas en Suisse, mais, selon les déclarations des représentants de la demanderesse, en Chine, voire en Hollande pour ce qui est de l'assemblage du vélo. Il a estimé ne pas pouvoir prendre en considération le lieu de conception du produit, soit... en Suisse, parce que la conception du vélo n'est pas remise en cause puisque c'est un défaut de fabrication matérielle de la fourche du cycle qui est invoqué et que la cause ne présente donc pas de point de rattachement particulièrement étroit avec la Suisse. 
Statuant sur appel de la société demanderesse le 4 avril 2023, la IIe Cour d'appel civil du Tribunal cantonal du canton de Fribourg l'a rejeté, dans la mesure où il était recevable, et a confirmé la décision de première instance. La cour cantonale s'est limitée à examiner les trois griefs soulevés par la demanderesse appelante. Premièrement, elle a admis qu'il n'était pas nécessaire, au stade de l'examen de la compétence, de déterminer la nature du défaut, que le grief de l'appelante était en soi fondé, mais que cela n'avait pas d'incidence sur l'issue de l'appel. Deuxièmement, elle a considéré qu'il n'y avait pas de violation de la théorie des faits de double pertinence puisque, même si la demanderesse conteste l'existence d'un acte illicite, elle doit établir la localisation d'un tel acte en Suisse puisqu'il s'agit d'un fait simple et que ce n'est pas le fondement de la demande qui est litigieux, mais son rattachement à la Suisse. Troisièmement, la cour cantonale retient qu'il n'y a pas de for de la commission de l'acte dommageable en Suisse: elle se base tout d'abord sur une conception stricte de la fabrication selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et considère que la fabrication du vélo n'a pas eu lieu en Suisse; ensuite, elle considère que le lieu de rattachement particulièrement étroit avec la Suisse doit être écarté car le lieu de commercialisation/acquisition du vélo a été écarté par l'arrêt Kainz de la CJUE. 
 
C.  
Contre cet arrêt, qui lui a été notifié le 11 avril 2023, la société demanderesse a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral, concluant principalement à sa réforme en ce sens que son action en constatation de droit négative soit déclarée recevable, subsidiairement à son annulation et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants, et plus subsidiairement encore au renvoi de la cause à l'autorité de première instance pour instruction complémentaire. Elle soutient que le pays de fabrication ne peut être limité à la fabrication matérielle, que l'arrêt Kainz concernait un vélo produit exclusivement en Allemagne, et que, si le matériau utilisé pour la fourche devait être en cause, il s'agirait d'un défaut de conception, laquelle a eu lieu en Suisse. Elle invoque la violation de la théorie des faits doublement pertinents et la violation de l'art. 5 par. 3 CL sous deux aspects: la notion de pays de fabrication et l'existence d'un lien de proximité avec la Suisse. 
Le défendeur intimé conclut implicitement au rejet du recours. 
La cour cantonale a déclaré n'avoir pas d'observations à formuler. 
La recourante a encore déposé de brèves observations. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
 
1.1. Interjeté en temps utile, par la partie demanderesse (art. 76 al. 1 LTF), l'arrêt attaqué lui ayant été notifié pendant les féries de Pâques (art. 100 al. 1 et 46 al. 1 let. a LTF), contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu sur appel (art. 75 LTF) et confirmant l'irrecevabilité de la demande pour défaut de compétence internationale du tribunal saisi, dans une affaire civile (art. 72 al. 1 LTF), dont la valeur litigieuse dépasse 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le recours en matière civile est recevable au regard de ces dispositions.  
 
1.2. En tant que l'intimé conclut, dans sa réponse, à la constatation que le vélo n'a pas été fabriqué en Suisse, que le défendeur est domicilié en Italie et que le lieu de l'accident se trouve aussi en Italie, de sorte que les fors possibles se trouvent en Italie, à son domicile (art. 2 CL) ou au lieu de l'accident (art. 5 CL) et qu'il n'y a donc pas de for en Suisse, ses conclusions en constatation sont irrecevables (art. 107 al. 2 LTF).  
 
2.  
Le Tribunal fédéral applique en principe d'office le droit (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal (art. 105 al. 1 LTF). Cela ne signifie pas que le Tribunal fédéral examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l'art. 42 al. 2 LTF, il ne traite que les questions qui sont soulevées devant lui par les parties, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 115 consid. 2, 86 consid. 2; 133 III 545 consid. 2.2; arrêt 4A_399/2008 du 12 novembre 2008 consid. 2.1, non publié in ATF 135 III 112). Il n'est en revanche pas lié par l'argumentation juridique développée par les parties ou par l'autorité précédente; il peut admettre le recours, comme il peut le rejeter en procédant à une substitution de motifs (ATF 135 III 397 consid. 1.4). 
 
3.  
Les parties sont en litige au sujet de la compétence internationale du tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit (ou lieu de commission de l'acte; "Handlungsort") au sens de l'art. 5 par. 3 de la Convention de Lugano (CL; RS 0.275.12). La demanderesse recourante estime avoir le droit d'agir devant le tribunal du lieu où elle a conçu et produit le vélo. De son côté, le défendeur intimé conteste l'existence d'un tel for en Suisse; selon lui, le vélo n'est pas fabriqué en Suisse, mais en Chine; il résulte de ses motifs qu'il souhaite agir devant le tribunal du lieu du résultat de l'acte (ou lieu où le dommage s'est produit; "Erfolgsort") au sens de l'art. 5 par. 3 CL, qui, selon lui, se trouve au lieu de l'accident à Budoni, en Sardaigne, en Italie. Ce for du lieu du résultat n'est toutefois pas l'objet de la présente procédure. 
 
3.1. La cause est de nature internationale, puisque le cycliste défendeur est domicilié en Italie et qu'une cause est toujours de nature internationale lorsque l'une des parties possède son domicile à l'étranger (art. 1 al. 1 LDIP; ATF 149 III 371 consid. 4.1; 141 III 294 consid. 4; 135 III 185 consid. 3.1; 131 III 76 consid. 2.3). Il n'est pas contesté que la Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dans sa version révisée du 30 octobre 2007 (art. 63 par. 1 CL; ATF 140 III 115 consid. 3), est applicable (art. 1 al. 2 LDIP) pour déterminer si les tribunaux suisses sont compétents dès lors que le défendeur est domicilié dans un État membre de l'Union Européenne et que la demanderesse a son siège en Suisse, à... (dans le canton de Fribourg).  
 
3.2. Selon la Convention de Lugano, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites devant les juridictions de cet État (art. 2 par. 1 CL), sous réserve des règles énoncées aux sections 2 à 7 (art. 5 à 24 CL). Aux termes de l'art. 5 par. 3 CL, une personne domiciliée sur le territoire d'un État lié par la présente Convention peut être attraite, dans un autre État lié par la présente convention, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.  
Puisque l'art. 5 par. 3 CL correspond en substance à l'art. 5 point 3 du Règlement (CE) N° 44/2001 du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, entré en vigueur le 1er mars 2002 (qui a remplacé la Convention dite de Bruxelles de 1968 portant sur le même objet), la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, anciennement dénommée Cour de justice des Communautés européennes, relative à la disposition réglementaire de l'Union européenne doit être prise en considération comme moyen d'interprétation authentique jusqu'au 30 octobre 2007 (cf. ATF 131 III 227 consid. 3.1). Quant à la jurisprudence relative à l'art. 7 point 2 du Règlement (UE) N° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit Bruxelles Ibis, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, entré en vigueur le 10 janvier 2015, elle peut être prise en compte pour l'interprétation de l'art. 5 par. 3 CL puisque le contenu de cet article est identique à celui de l'art. 7 point 2 (ALEXANDER R. MARKUS, Internationales Zivilprozessrecht, 2e éd., Berne 2020, n. 677 ss). 
 
3.3. Selon une jurisprudence constante, l'expression "lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire" au sens de l'act. 5 par. 3 CL vise à la fois le lieu de l'événement causal qui est à l'origine du dommage, autrement dit le lieu de commission de l'acte (ci-après: le lieu de commission de l'acte) (Handlungsort), et le lieu de la matérialisation du dommage, c'est-à-dire le lieu du résultat de l'acte (Erfolgsort) (ATF 145 III 303 consid. 4; 133 III 282 consid. 4.1; 132 III 778 consid. 3 et les références; arrêts CJUE Bier/Mines de Potasse 21-76 du 30 novembre 1976 n. 19; Pinckney C-170/12 du 3 octobre 2013 n. 26).  
L'action en responsabilité pour le fait des produits est une action délictuelle au sens de l'art. 5 par. 3 CL et elle peut donc être intentée au for du lieu de commission de l'acte (Handlungsort) (CJUE arrêt Zuid-Chemie BV C-189/08 du 16 juillet 2009 n. 27 et 29) ou au for du lieu du résultat de celui-ci (Erfolgsort) (CJUE arrêt Andreas Kainz C-45/13 du 16 janvier 2014 n. 18 et 26). 
Lorsque le lieu de commission de l'acte illicite ("lieu où se situe le fait susceptible d'engager une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle") et le lieu du résultat ("lieu où ce fait a entraîné un dommage") ne sont pas identiques, la CJUE considère que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l'un ou de l'autre de ces deux lieux (CJUE arrêt Zuid-Chemie précité n. 23; arrêt Kainz précité n. 23). Et la CJUE de préciser que l'identification de l'un de ces deux points de rattachement doit permettre d'établir la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis (arrêts Kainz précité n. 24 et Pinckney précité n. 28). Si un lieu de commission ou un lieu de résultat a pu être identifié, le tribunal ne procède pas au cas par cas à l'examen de la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée (ATF 145 III 303 consid. 4.1). 
 
3.4. L'interprétation des notions de lieu de commission de l'acte et de lieu du résultat doit se faire en fonction du système de compétences prévu par la Convention de Lugano et par le Règlement européen susmentionné (consid. 3.2), qui sont fondés sur la règle générale selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État et que ce n'est que par dérogation à cette règle générale que les art. 5 à 7, dont notamment l'art. 5 par. 3, prévoient des règles de compétences spéciales (cf. aussi arrêt Kainz précité n. 21). Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s'articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l'autonomie des parties justifient un autre critère (cf. arrêt Kainz précité n. 3). Les règles de compétence spéciales sont donc d'interprétation stricte et ne permettent pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite. Ainsi, selon la CJUE, en aucun cas, la recherche d'une cohérence avec le Règlement (CE) N° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit Rome II) ne saurait conduire à donner aux dispositions du Règlement sur la compétence une interprétation étrangère au système et aux objectifs de celui-ci (arrêt Kainz précité n. 19-22); l'interprétation ne saurait prendre en compte l'intérêt de la personne lésée en lui permettant d'introduire son action au lieu de son domicile (forum actoris), l'art. 5 par. 3 ne tendant pas précisément à offrir à la partie la plus faible une protection renforcée (arrêt Kainz précité n. 30-31 avec référence à l'arrêt CJUE Folien Fischer et Fofitec C-133/11 du 25 octobre 2012, n. 46). Enfin, la CJUE a relevé que le lieu de commission ne saurait être celui où le produit en cause a été transféré au consommateur final ou au revendeur (arrêt Kainz précité n. 31). L'exclusion d'un point de rattachement au domicile du demandeur lésé est d'ailleurs conforme à l'art. 2 par. 1 CL qui prévoit que la compétence de la juridiction du domicile du défendeur doit prévaloir (arrêt Kainz précité n. 32 qui renvoie au n. 21).  
 
3.5. Le demandeur à l'action en constatation de droit négative peut opter entre les fors déduits de l'art. 5 par. 3 CL de la même manière que le demandeur à l'action condamnatoire. L'art. 5 par. 3 CL vise aussi bien l'action de la prétendue victime d'un acte délictuel que l'action en constatation de droit négative du débiteur potentiel d'une créance fondée sur cet acte délictuel. Le demandeur, qu'il s'agisse de la victime ou du débiteur, peut donc choisir entre le for du lieu de commission de l'acte et le for du lieu du résultat. Si le Tribunal fédéral s'est prononcé dans ce sens dans le cadre d'une action en constatation de droit négative fondée sur le droit des cartels (ATF 145 III 303 consid. 4.2), la CJUE l'a admis dans le cadre d'une demande en constatation de droit négative portant sur une absence de responsabilité délictuelle en matière de concurrence (CJUE arrêt Folien précité n. 2 n. 55).  
Certes, selon la jurisprudence, le rôle des parties à l'action en constatation de droit négative est inversé, mais le demandeur cherche seulement à établir l'absence des conditions de la responsabilité dont résulterait le droit à réparation du défendeur. L'inversion des rôles n'est donc pas de nature à exclure une action en constatation de droit négative du champ d'application de la règle de compétence en matière délictuelle. Les objectifs de prévisibilité du for et de la sécurité juridique poursuivis par cette règle de compétence n'ont trait ni à l'attribution des rôles des parties, ni à la protection de l'un d'eux. Il ne s'agit pas d'une règle tendant à offrir une protection renforcée à la partie faible; elle ne suppose pas que la prétendue victime doive ouvrir l'action. L'action positive et l'action en constatation de droit négative portent essentiellement sur les mêmes éléments de fait et de droit; elles ont le même objet et la même cause. La juridiction de l'un des deux lieux visés par cette règle est compétente, indépendamment du fait que l'action a été introduite par le débiteur potentiel et non par la prétendue victime de l'acte délictuel (ATF 145 III 303 consid. 4.2.3; CJUE arrêt Folien précité n. 41-52). 
L'arrêt Kainz (précité n. 31) rendu sur l'action positive, d'un cycliste contre le fabricant d'une bicyclette, fait le lien avec l'arrêt Folien (précité n. 46) rendu sur une action en constatation de droit négative, en précisant que, dans les deux cas, la règle de compétence ne tend pas à offrir à la partie la plus faible une protection renforcée, ni ne vise à permettre au consommateur final de pouvoir saisir en toute hypothèse les juridictions de son propre domicile (arrêt Kainz précité n. 31). L'art. 5 par. 3 CL vaut donc tant pour l'action positive en responsabilité du fait des produits que pour l'action en constatation de droit négative portant sur l'absence de responsabilité du fait des produits. 
 
3.6. En l'espèce, à ce stade de l'examen de la compétence, on peut retenir que tant le cycliste, par l'action délictuelle positive, que la société, par l'action en constatation de droit négative, peuvent ouvrir action au lieu de commission de l'acte illicite.  
 
4.  
Il reste à déterminer où se trouve le lieu de commission de l'acte illicite selon l'art. 5 par. 3 CL en matière de responsabilité pour le fait des produits. La demanderesse soutient qu'il s'agit du lieu où elle a conçu ce vélo de course et où elle en a vérifié la conformité aux normes ISO avant sa mise sur le marché, et non le lieu où elle fait fabriquer ces vélos (en Chine) ou assembler leurs éléments (en Hollande) ou les distribue (depuis la Belgique). Le défendeur soutient que le lieu de commission se trouve au lieu de fabrication matérielle, comme l'a retenu la cour cantonale. 
 
4.1. Les dispositions de la Convention de Lugano doivent être interprétées de manière autonome en se référant au système et aux objectifs visés par les règles de compétence de cette convention (ATF 134 III 214 consid. 2.3; CJUE arrêts Zuid-Chemie précité n. 17; Kainz précité n. 19 et Pinckney précité n. 23). Comme tout traité, la Convention de Lugano doit être interprétée de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but (art. 31 al. 1 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [CV; RS 0.111]) (ATF 135 III 324 consid. 3.1; 131 III 227 consid. 3.1 et les arrêts cités).  
Comme on vient de le voir (cf. consid. 3.4 et 3.5 ci-dessus), l'art. 5 par. 3 CL ne tend pas à protéger la partie faible en lui permettant d'ouvrir action à son propre domicile (forum actoris). Les règles de compétence doivent s'articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur, ce qui doit également valoir pour l'action en constatation de droit négative dont l'objet est en réalité la créance en indemnisation du lésé; dans un tel cas, il ne faut pas perdre de vue que les règles de compétence doivent aussi s'articuler autour de la compétence du tribunal du domicile du débiteur potentiel, les fors de l'art. 5 par. 3 CL n'étant justifiés qu'aux conditions strictes de cette disposition. La cohérence avec la réglementation sur la loi applicable ne doit pas aboutir à interpréter les règles de compétence contrairement aux objectifs poursuivis par la Convention de Lugano, respectivement le Règlement européen sur la compétence. 
 
4.2. En matière de responsabilité du fait des produits, la détermination du lieu de commission de l'acte n'est pas aisée car le défaut du produit peut dépendre d'actes ou d'omissions se produisant au stade de la conception, de la fabrication ou de la commercialisation du produit. La localisation du lieu de commission peut donc être ardue (cf. ANDREA BONOMI, Commentaire romand LDIP/CL, n. 7 ad art. 135 LDIP).  
Dans l'affaire Kainz précitée, la CJUE a statué qu'"en cas de mise en cause de la responsabilité d'un fabricant du fait d'un produit défectueux, le lieu de l'événement causal à l'origine du dommage est le lieu de fabrication du produit en cause". Cette notion de lieu de fabrication n'était, dans cet arrêt, ni délicate, ni équivoque, ni controversée en tant que telle: en effet, la bicyclette avait été entièrement fabriquée en Allemagne et seulement achetée par le cycliste auprès d'un détaillant en Autriche, et l'accident était aussi survenu en Allemagne. La seule question était de savoir si le lieu de commission de l'acte illicite ("la détermination du lieu de l'événement causal") se situait au lieu de la fabrication de la bicyclette défectueuse, en Allemagne, ou au lieu de l'acquisition de celle-ci auprès d'un détaillant, en Autriche. Or, comme le relève la recourante, force est de constater que la CJUE a commencé par affirmer que ce n'est qu'"en principe" que l'événement causal survient au lieu où le produit en cause est fabriqué. Il faut donc retenir qu'elle n'a généralisé cette notion dans sa subsomption en cette affaire que parce qu'il n'y avait qu'un seul lieu de fabrication, en Allemagne. 
Il s'impose donc d'interpréter, selon la bonne foi et en tenant compte des objectifs poursuivis par les règles de compétence, les termes de concepteur/producteur/fabricant et de lieu de conception/production/ fabrication lorsque le produit prétendument défectueux est réalisé dans plusieurs lieux. On ne saurait déduire de l'art. 5 par. 3 CL, ni que le lésé doive ouvrir action, ni que le producteur puisse être attrait dans tous les États de fabrication matérielle de toutes les pièces détachées qui composent le produit. Dans la chaîne des causes du défaut, il y a lieu de considérer que le lieu de commission de l'acte dépend à la fois du concepteur/producteur dont le lésé met en cause la responsabilité et du lieu où celui-ci a agi, et non de tous les lieux où celui-ci a fait réaliser ses produits par des tiers. 
 
4.3. En l'espèce, il résulte des constatations de fait de l'arrêt attaqué que la société demanderesse "produit" des vélos, en particulier le modèle de course xxx, que la conception du produit est effectuée à..., en Suisse, que la société le fait fabriquer en Chine, voire en Hollande où il est assemblé.  
Le cycliste défendeur entend bien mettre en cause la responsabilité de cette société, qui a conçu et produit le vélo de course en question, et non celle d'une société dont le nom lui est certainement inconnu, en Chine ou en Hollande, qui aurait fabriqué des pièces du vélo, respectivement assemblé celles-ci. C'est bien à la société demanderesse que le cycliste réclame 270'000 euros, et non à un quelconque autre fabricant. La qualité d'obligée de la société demanderesse - qui aurait la qualité pour défendre à l'action miroir du cycliste - est nécessairement liée à la qualité de concepteur/producteur du vélo. Les fabricants de pièces détachées et l'assembleur ne sont que des auxiliaires de la société demanderesse, dont celle-ci est responsable vis-à-vis de l'acquéreur du produit fini. 
Puisqu'il est constaté dans l'arrêt attaqué que le responsable auquel le cycliste impute le défaut du vélo a conçu et produit ce vélo à..., en Suisse, il y a lieu d'admettre que le lieu de commission de l'acte illicite au sens de l'art. 5 par. 3 CL se trouve à ce lieu, en Suisse. C'est donc à tort que la cour cantonale a retenu que le lieu de commission se trouvait au lieu de fabrication matérielle de la fourche du vélo en Chine, voire en Hollande au lieu de son assemblage, autrement dit hors de Suisse. 
 
4.4. Comme l'a retenu la cour cantonale, il n'est pas nécessaire au stade de la détermination de la compétence de se préoccuper de la nature du défaut: il suffit de constater que le cycliste réclame une indemnité à la société demanderesse parce qu'il allègue que cette société qui produit le vélo en question est responsable du défaut de ce vélo, directement ou du fait de ses auxiliaires.  
Il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur la violation de la théorie des faits doublement pertinents. En effet, c'est parce qu'elle avait une fausse conception de la notion de "fabrication" que la cour cantonale a considéré que la demanderesse n'avait pas prouvé la localisation en Suisse. 
Dès lors que le lieu de l'acte illicite en Suisse est établi, il n'y a pas lieu d'examiner l'exigence d'un rattachement particulier avec la Suisse, celui-ci n'étant pas une condition supplémentaire à examiner (cf. consid. 3.3 in fine).  
Le fait que le défendeur souhaiterait agir au lieu du résultat, autrement dit au lieu de l'accident, n'est pas décisif puisque l'art. 5 part. 3 CL offre le choix au demandeur, peu importe qu'il s'agisse d'une action positive ou de l'action miroir en constatation de droit négative. 
 
5.  
Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé et réformé en ce sens que la demande déposée par la société demanderesse devant le Tribunal d'arrondissement de la Sarine en Suisse est recevable en ce qui concerne la compétence internationale de ce tribunal au regard de l'art. 5 par. 3 CL. Les frais et dépens doivent être mis à la charge de l'intimé qui succombe (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé et réformé en ce sens que la demande déposée par la société demanderesse devant le Tribunal d'arrondissement de la Sarine, en Suisse, est recevable en ce qui concerne la compétence internationale de ce tribunal au regard de l'art. 5 par. 3 CL
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'500 fr., sont mis à la charge de l'intimé. 
 
3.  
L'intimé versera à la recourante une indemnité de 7'500 fr. à titre de dépens. 
 
4.  
La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision sur les frais et dépens des instances cantonales et pour suite de la procédure. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la IIe Cour d'appel civil du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg. 
 
 
Lausanne, le 22 avril 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jametti 
 
Le Greffier : Botteron