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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
1C_660/2022  
 
 
Arrêt du 12 juin 2023  
 
Ire Cour de droit public  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, 
Haag et Merz. 
Greffière : Mme Rouiller. 
 
Participants à la procédure 
A.________, représenté par Mes Romain Jordan et Stéphane Grodecki, avocats, 
recourant, 
 
contre  
 
B.________ SA, représentée par 
Me Jean-Marc Siegrist, avocat, 
intimée, 
 
Département du territoire de la République et canton de Genève, Office cantonal de l'eau, Capitainerie cantonale, case postale 206, 1211 Genève 8. 
 
Objet 
Installation de corps-morts et de barges; 
mesures provisionnelles, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève 
du 8 novembre 2022 (ATA/1133/2022 A/403/2022-LCI). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________ est propriétaire de la parcelle n° 9'845 de la commune de Collonge-Bellerive. Cette parcelle abrite une maison et est située à proximité immédiate du bord du lac Léman et du site de la Pointe-à-la-Bise. 
 
B.  
Par courrier du 27 avril 2021, A.________ a signalé au Département du territoire de la République et canton de Genève (ci-après: le Département) l'installation de bouées, corps-morts et autres plateformes de travaux au large de sa propriété et l'a invité à prendre toutes les mesures pour obtenir l'enlèvement de ces installations. A la suite de plusieurs échanges entre le Département et A.________, ce dernier a, en date du 8 septembre 2021, déposé auprès de l'Office cantonal de l'eau des observations relatives à la situation, précisant notamment que les barges, exploitées par la société B.________ SA (ci-après: B.________), obéraient la vue exceptionnelle sur le lac dont il bénéficiait et que les corps-morts et barges litigieux devaient être interdits avec effet immédiat. 
Par décision du 22 décembre 2021, l'Office cantonal de l'eau a constaté que A.________ ne disposait pas de la qualité de partie à la procédure (chiffre 1), a déclaré irrecevable sa requête du 8 septembre 2021 (chiffre 2) et a interdit à B.________ de déposer des engins de chantier sur ses barges au mouillage dans le site de la Pointe-à-la-Bise (chiffre 3). A.________ a formé recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le TAPI), cette procédure ayant été enregistrée sous le numéro de cause A/403/2022. 
A la suite d'une demande de reconsidération de la décision du 22 décembre 2021 formulée par B.________, l'Office cantonal de l'eau a, en date du 25 avril 2022, rendu une nouvelle décision annulant l'interdiction faite à B.________ de déposer des engins de chantier sur ses barges au mouillage dans le site de la Pointe-à-la-Bise. A.________ a recouru auprès du TAPI contre cette nouvelle décision. Cette dernière procédure a été jointe à la cause A/403/2022. 
En date du 29 juin 2022, A.________ a formulé une demande de mesures provisionnelles tendant, d'une part, à ce que l'interdiction faite à B.________ de déposer des engins de chantier sur ses barges au mouillage dans le site de la Pointe-à-la-Bise, correspondant au chiffre 3 de la décision du 22 décembre 2021, soit déclarée exécutoire et, d'autre part, à ce qu'il soit fait interdiction à l'Etat de Genève et à B.________ d'installer ou d'ériger de quelconques installations en hauteur, respectivement de laisser procéder à tout acte dans ce sens, à l'emplacement où se trouvaient immergés les corps-morts auxquels les barges susmentionnées étaient amarrées. Le TAPI a rejeté cette demande par décision du 14 juillet 2022. 
Cette décision a fait l'objet d'un recours déposé par A.________ auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice), qui l'a déclaré irrecevable par arrêt du 8 novembre 2022. La Cour de justice a considéré en substance que la perte de vue partielle et momentanée sur le lac ne constituait pas un préjudice irréparable au sens de l'art. 57 let. c de la loi genevoise sur la procédure administrative (LPA/GE; RSG E 5 10) et que, pour le surplus, l'intérêt privé de A.________ à bénéficier, le temps que la cause soit jugée au fond, d'une vue dégagée sur le lac et le Jura devait céder le pas à l'intérêt de l'Etat à pouvoir faire procéder aux travaux lacustres sans attendre l'issue de la procédure. 
 
C.  
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de justice du 8 novembre 2022 et de renvoyer la cause à l'autorité précitée pour nouvelle décision au sens des considérants. 
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. Le Département s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et conclut pour le surplus au rejet du recours. B.________ conclut principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. 
Le recourant a répliqué. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis. 
 
1.1. Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public des constructions et de l'aménagement du territoire (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée.  
 
1.2. Le recours est dirigé contre un arrêt qui déclare irrecevable un recours déposé contre un refus d'ordonner des mesures provisionnelles. L'arrêt attaqué ne met par conséquent pas fin à la procédure administrative et revêt un caractère incident. Le recours au Tribunal fédéral n'est donc en principe recevable qu'en présence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Cela étant, lorsque le recours est formé contre une décision d'irrecevabilité - notamment en raison d'un défaut d'un intérêt juridiquement protégé -, cette situation équivaut, sous l'angle de la recevabilité, à un déni de justice formel. Le recours sur cette question particulière est donc ouvert indépendamment d'un préjudice irréparable (cf. ATF 143 I 344 consid. 1.2).  
 
1.3. Le recourant, qui a pris part à la procédure de recours devant l'autorité cantonale et dispose d'un intérêt digne de protection à ce que la question de l'irrecevabilité de son recours cantonal soit examinée, a qualité pour recourir (art. 89 al. 1 LTF).  
 
1.4. En vertu de l'art. 42 al. 1 LTF, les mémoires de recours doivent être motivés. Selon l'art. 42 al. 2 LTF, les motifs doivent exposer succinctement en quoi l'acte attaqué viole le droit. Pour satisfaire à cette exigence, il appartient à la partie recourante de discuter au moins brièvement les considérants de la décision litigieuse et d'expliquer en quoi ceux-ci seraient contraires au droit (ATF 142 I 99 consid. 1.7.1). Lorsque la décision attaquée comporte plusieurs motivations indépendantes dont chacune suffit à sceller le sort de la cause, il appartient à la partie recourante, sous peine d'irrecevabilité, de s'attaquer, conformément aux art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF, à chacune d'entre elles, et de démontrer qu'elles sont contraires au droit (ATF 142 III 364 consid. 2.4). Pour que le recours soit rejeté, il suffit toutefois que l'une des motivations apparaisse conforme au droit, permettant ainsi de maintenir la décision entreprise (ATF 133 III 221 consid. 7; 132 I 13 consid. 6).  
En l'espèce, la Cour de justice a adopté une double motivation. Elle a d'une part considéré le recours contre la décision du TAPI irrecevable faute de préjudice irréparable au sens de l'art. 57 let. c LPA/GE. Elle a d'autre part procédé, pour nier l'adoption de mesures provisionnelles au sens de l'art. 21 al. 1 LPA/GE, à une pesée des intérêts entre l'intérêt privé de A.________ et l'intérêt de l'Etat. Le recourant s'en prend à ces deux motivations, comme il lui incombait de le faire. 
 
2.  
Le recourant fait en premier lieu valoir une application arbitraire de l'art. 57 let. c LPA/GE en lien avec l'irrecevabilité de son recours. 
 
2.1. Appelé à revoir l'application d'une norme cantonale sous l'angle de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable ou en contradiction manifeste avec la situation effective, ou encore si elle a été adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. Il peut notamment s'avérer arbitraire d'interpréter une notion juridique de manière contraire à une jurisprudence et une doctrine constantes et bien établies. En revanche, si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - éventuellement plus judicieuse - paraît possible. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 148 I 145 consid. 6.1 et les arrêts cités).  
 
2.2. Aux termes de l'art. 57 let. c LPA/GE, les décisions incidentes sont susceptibles d'un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.  
Selon la pratique cantonale, jugée non arbitraire, l'art. 57 let. c LPA/GE s'interprète à la lumière des principes développés par le Tribunal fédéral en lien avec l'art. 93 al. 1 let. a LTF (cf. arrêts 1C_525/2022 du 16 janvier 2023 consid. 3.2; 1C_318/2018 du 11 octobre 2018 consid. 2.2, in SJ 2019 I p. 151). 
Le préjudice irréparable doit en principe être de nature juridique; il ne peut s'agir d'un préjudice de fait ou d'un préjudice purement économique, comme l'allongement ou le renchérissement de la procédure (ATF 137 V 314 consid. 2.2.1; arrêt 1C_525/2022 du 16 janvier 2023 consid. 3.2). Le préjudice doit être irréparable, c'est-à-dire qu'il ne doit pas pouvoir être supprimé par une décision finale ultérieure qui serait favorable à la partie recourante (ATF 147 III 159 consid. 4.1; 137 V 314 consid. 2.2.1). Il appartient en outre à celle-ci d'expliquer en quoi la décision entreprise est de nature à lui causer un préjudice irréparable, sauf si ce point découle manifestement de la décision attaquée ou de la nature de la cause (ATF 138 III 46 consid. 1.2; 137 III 324 consid. 1.1). 
 
2.3. En l'espèce, il y a lieu d'examiner si l'une des deux conditions de l'art. 57 let. c LPA/GE est remplie.  
Il est constant que la seconde hypothèse, soit que l'admission du recours puisse conduire immédiatement à une décision finale qui permette d'éviter une procédure longue et coûteuse, n'entre pas en considération dans le cas d'espèce. Seule se pose ainsi la question de l'existence d'un préjudice irréparable, laquelle a été niée par la Cour de justice. 
Le droit à la vue n'est pas, en tant que tel, protégé en droit public (cf. arrêts 1C_413/2019 du 24 mars 2020 consid. 6; 1C_279/2017 du 27 mars 2018 consid. 4.4.2). Cela étant, la perte de vue momentanée et partielle sur le lac subie par le recourant ne lui cause pas de préjudice de nature juridique; elle ne constitue ainsi pas un préjudice irréparable au sens de l'art. 57 let. c LPA/GE. Le recourant ne démontre d'ailleurs pas que tel serait le cas en l'espèce. 
Il n'est au surplus pas pertinent qu'une restriction de la vue, même partielle, puisse constituer un intérêt de fait suffisant pour fonder la qualité pour recourir au sens de l'art. 60 let. b LPA/GE (cf. arrêt 1C_152/2012 du 21 mai 2012 consid. 2.2). La question litigieuse n'est pas celle de la légitimation à recourir, mais celle de l'existence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 57 let. c LPA/GE, lequel doit, de jurisprudence constante, être d'ordre juridique (cf. ci-dessus consid. 2.2). 
Finalement, la seconde motivation de la Cour de justice, en lien avec la pesée des intérêts effectuée entre l'intérêt du recourant et celui de l'Etat, ne concerne pas la question du préjudice irréparable, mais celle de l'application de l'art. 21 LPA/GE, évoquée par surabondance. Le recourant reproche ainsi à tort à l'autorité précédente de s'être écartée de la jurisprudence rendue en application de l'art. 93 LTF
 
2.4. Par conséquent, la Cour de justice n'a pas versé dans l'arbitraire en retenant l'absence de préjudice irréparable et en déclarant le recours irrecevable. L'argumentation quant au préjudice irréparable est suffisante à elle seule pour maintenir la décision entreprise. Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner si la motivation développée de manière superfétatoire au fond pour rejeter la demande de mesures provisionnelles, que le recourant conteste en se fondant sur les art. 112 LTF, 29 Cst. et 21 LPA/GE, est ou non arbitraire ou viole d'une autre manière le droit.  
 
3.  
Il s'ensuit que le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité. 
Les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant qui succombe (art. 65 et 66 al. 1 LTF). Celui-ci versera en outre à l'intimée, qui a procédé avec un avocat, une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée à l'intimée, à la charge du recourant. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, ainsi qu'au Département du territoire et à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 12 juin 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Kneubühler 
 
La Greffière : Rouiller