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Ecriture agrandie
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
5A_761/2022  
 
 
Arrêt du 12 janvier 2023  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux 
Herrmann, Président, von Werdt et Schöbi. 
Greffière : Mme de Poret Bortolaso. 
 
Participants à la procédure 
A.A.________, 
représenté par Me C.________, avocat 
recourant, 
 
contre  
 
B.B.________, 
représentée par Me D.________, avocate, 
intimée. 
 
Objet 
capacité de postuler de l'avocat, mesures protectrices de l'union conjugale, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, du 9 août 2022 
(C/14286/2021 ACJC/1132/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Les époux A.A.________ et B.A.________ s'opposent depuis 2017 dans le cadre de diverses procédures civiles et pénales. 
 
A.a. Sur le plan civil, l'épouse a initié en 2017 une procédure de mesures protectrices de l'union conjugale, réclamant de son époux le versement de contributions d'entretien pour elle-même et leur fils, né en 2003. Dans le contexte de cette procédure - close par arrêt de la Cour de céans du 16 janvier 2020 (5A_608/2019) -, A.A.________ a été astreint à verser une contribution d'entretien de 1'100 fr. en faveur de son fils et de 3'400 fr. pour son épouse.  
 
A.b. Sur le plan pénal, A.A.________ a déposé une plainte contre son épouse en 2017, laquelle a été condamnée pour vol, détérioration de données, utilisation frauduleuse d'un ordinateur, gestion déloyale, faux dans les titres et blanchiment d'argent.  
B.A.________ a pour sa part déposé une première plainte pénale contre son époux en 2018 et 2019, puis une seconde en 2020, pour violation d'une obligation d'entretien. La seconde plainte est en cours, tandis que la première a donné lieu à une condamnation de l'intéressé, dont la contestation est encore pendante. 
 
A.c. Pour défendre ses intérêts dans le cadre des différentes procédures précitées - civile et pénales -, A.A.________ a fait appel à Me C.________. Celui-ci exerçait jusqu'au 31 janvier 2022 auprès de l'Étude E.________; depuis le 1er février 2022, il déploie son activité auprès de l'Étude F.________.  
B.A.________ a été représentée par Me D.________ pour le volet civil et par Me G.________ pour le volet pénal. Ce dernier avocat a exercé auprès de l'Étude F.________ jusqu'au 30 mai 2021, qu'il a quittée pour fonder sa propre étude le 1er juin 2021. 
 
B.  
Le 23 juillet 2021, A.A.________ a initié une procédure en modification des mesures protectrices de l'union conjugale devant le Tribunal de première instance du canton de Genève (ci-après: le tribunal). Me C.________ le représentait. 
 
B.a. B.A.________, représentée par Me D.________, a soulevé dans ce contexte un incident relatif à l'impossibilité de postuler de Me C.________. Elle invoquait que celui-ci avait récemment rejoint l'Étude F.________, dans laquelle avait exercé Me G.________ et exerçait toujours Me H.________, l'ancien collaborateur du précité, qui s'était occupé de manière intense du volet pénal en sa collaboration, l'assistant notamment en audience. L'avocate disait avoir parlé et échangé par écrit à plusieurs reprises avec Me H.________, en sorte qu'il connaissait les tenants et aboutissants des différents procédures.  
Me C.________ a contesté tout conflit d'intérêts, qualifiant la manoeuvre de dilatoire et soulignant que les procédures étaient différentes. 
 
B.b. Par ordonnance du 25 avril 2022, le tribunal a dit que Me C.________ n'avait plus la capacité de postuler pour A.A.________ dans le cadre de la procédure de mesures protectrices de l'union conjugale l'opposant à B.A.________ (ch. 1), imparti à A.A.________ un délai au 16 mai 2022 pour désigner un autre conseil ou pour informer le tribunal qu'il souhaitait comparaître en personne (ch. 2), arrêté et réparti le montant des frais et dépens (ch. 3 à 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).  
 
B.c. Le 9 août 2022, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la cour cantonale) a rejeté le recours formé par A.A.________ et lui a imparti un délai au 30 septembre 2022 pour désigner un nouveau conseil ou pour informer le tribunal s'il entendait comparaître en personne. Les parties ont été déboutées de toutes autres conclusions.  
 
C.  
Le 4 octobre 2022, A.A.________ (ci-après: le recourant) exerce contre cette décision un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et, principalement à ce qu'il soit dit que Me C.________ a la capacité de postuler pour lui dans le cadre de la requête en modification de mesures protectrices de l'union conjugale du 23 juillet 2021, les opposants étant déboutés de toutes autres ou contraires conclusions. Subsidiairement, il réclame le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. 
Des déterminations n'ont pas été demandées. 
 
D.  
Par ordonnance du 11 novembre 2022, le Président de la Cour de céans a admis la requête d'effet suspensif déposée par le recourant en relation avec le délai qui lui avait été fixé pour annoncer son nouveau conseil; il a en revanche déclaré irrecevable la requête de mesures provisionnelles visant à la suspension de la procédure au fond devant le Tribunal de première instance. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
La décision entreprise porte sur la capacité de postuler de l'avocat désigné comme représentant du recourant dans le cadre d'une procédure de modification des mesures protectrices de l'union conjugale, qu'il a initiée. De jurisprudence constante, la décision en interdiction de postuler revêt un caractère incident (arrêts 5A_311/2022 du 9 novembre 2022 consid. 2.1.1; 4A_25/2022 du 11 février 2022 consid. 4). 
 
1.1. Conformément à l'art. 93 al. 1 LTF, les recours immédiats contre des décisions incidentes sont possibles si elles peuvent causer un préjudice irréparable (let. a) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b), cette seconde hypothèse n'entrant manifestement pas en considération en l'occurrence compte tenu de l'objet de la décision querellée. Un préjudice irréparable au sens de cette disposition n'est réalisé que lorsque la partie recourante subit un dommage qu'une décision favorable sur le fond ne fera pas disparaître complètement. Il faut en outre un dommage de nature juridique; un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un préjudice irréparable. Il incombe à la partie recourante de démontrer l'existence d'un tel préjudice lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident (ATF 144 III 475 consid. 1.2; 141 III 80 consid. 1.2).  
Selon la jurisprudence, lorsque la décision incidente interdit à l'avocat mandaté par une partie de procéder en tant que représentant de celle-ci, elle peut causer un préjudice irréparable au mandant de l'avocat; il est en effet privé du droit de faire défendre ses intérêts par l'avocat de son choix. L'avocat évincé peut lui aussi former un recours immédiat (arrêt 5A_311/2022 précité et les références citées). 
 
1.2. La décision sur la capacité de postuler de l'avocat doit être entreprise par la voie de recours ouverte dans la matière en cause, à savoir ici le recours en matière civile (art. 72 al. 1 LTF), dont les conditions de recevabilité sont satisfaites (art. 74 al. 1 let. b; 75 al. 1 et 2; 76 al. 1 et 100 LTF).  
 
2.  
Dès lors que la décision incidente attaquée s'insère dans une procédure au fond de modification de mesures protectrices de l'union conjugale, elle constitue une décision de mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF (ATF 134 III 667 consid. 1.1). En conséquence, seule peut être dénoncée la violation de droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral n'examine de tels griefs que s'ils ont été invoqués et motivés par le recourant ("principe d'allégation", art. 106 al. 2 LTF), c'est-à-dire s'ils ont été expressément soulevés et exposés de manière claire et détaillée (ATF 147 I 73 consid. 2.1; 146 III 303 consid. 2; 142 III 364 consid. 2.4). Le recourant qui se plaint de la violation d'un droit fondamental ne peut donc se borner à critiquer la décision attaquée comme il le ferait en instance d'appel, où l'autorité de recours jouit d'une libre cognition; il ne peut, en particulier, se contenter d'opposer sa thèse à celle de l'autorité cantonale, mais doit démontrer ses allégations par une argumentation précise (ATF 134 II 349 consid. 3; 133 II 396 consid. 3.2). Le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur les critiques de nature appellatoire (ATF 146 IV 114 consid. 2.1; 142 III 364 consid. 2.4; 140 III 264 consid. 2.3). 
 
3.  
Le recourant dénonce une application arbitraire de l'art. 12 let. c LLCA (art. 9 Cst.) et du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.). 
 
3.1. Parmi les règles professionnelles que doit respecter l'avocat, l'art. 12 let. c LLCA prévoit qu'il doit éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé.  
 
3.1.1. L'interdiction de plaider en cas de conflit d'intérêts est une règle cardinale de la profession d'avocat (ATF 145 IV 124 consid. 2.1). Elle est en lien avec la clause générale de l'art. 12 let. a LLCA - selon laquelle l'avocat exerce sa profession avec soin et diligence -, avec l'obligation d'indépendance figurant à l'art. 12 let. b LLCA (ATF 145 IV 124 consid. 2.1 et les références citées), ainsi qu'avec l'art. 13 LLCA relatif au secret professionnel (ATF 145 IV 124 consid. 2.1 et les références). Les règles susmentionnées visent avant tout à protéger les intérêts des clients de l'avocat, en leur garantissant une défense exempte de conflit d'intérêts. Elles tendent également à garantir la bonne marche du procès, en particulier en s'assurant qu'aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l'un de ses clients, respectivement en évitant qu'un mandataire puisse utiliser les connaissances d'une partie adverse acquises lors d'un mandat antérieur au détriment de celle-ci (ATF 145 IV 124 consid. 2.1).  
Selon la jurisprudence, les critères suivants peuvent permettre de déterminer l'existence ou non de mandats opposés dans un cas concret: l'écoulement du temps entre deux mandats, la connexité (factuelle et/ou juridique) de ceux-ci, la portée du premier mandat - à savoir son importance et sa durée -, les connaissances acquises par l'avocat dans l'exercice du premier mandat, ainsi que la persistance d'une relation de confiance avec l'ancien client (ATF 145 IV 218 consid. 2.1). Il faut éviter toute situation potentiellement susceptible d'entraîner des conflits d'intérêts. Un risque purement abstrait ou théorique ne suffit pas; le risque doit être concret. Il n'est toutefois pas nécessaire que le danger concret se soit réalisé et que l'avocat ait déjà exécuté son mandat de façon critiquable ou en défaveur de son client (ATF 145 IV 218 consid. 2.1). 
 
3.1.2. L'incapacité de représentation affectant un avocat rejaillit sur ses associés (ATF 135 II 145 consid. 9.1). Le problème de la double représentation peut donc survenir quand les parties sont représentées par des avocats distincts, mais pratiquant dans la même étude, en qualité d'associés. L'interdiction des conflits d'intérêts ne se limite ainsi pas à la personne même de l'avocat, mais s'étend à l'ensemble de l'étude ou du groupement auquel il appartient. Sous cet angle, sont donc en principe concernés tous les avocats exerçant dans une même étude au moment de la constitution du mandat, peu importe leur statut (associés ou collaborateurs) et les difficultés que le respect de cette exigence découlant des règles professionnelles peut engendrer pour une étude d'une certaine taille (ATF 145 IV 218 consid. 2.2 et les références). Appelé à se prononcer sur le cas particulier du changement d'étude par un avocat collaborateur, le Tribunal fédéral a jugé que la connaissance par celui-ci, en raison de son précédent emploi, d'un dossier traité par son nouvel employeur constitue l'élément déterminant pour retenir la réalisation d'un conflit d'intérêts concret qui doit être évité, ce que permet la résiliation du mandat par le second (ATF 145 IV 218 consid. 2.3).  
 
3.2. La cour cantonale a retenu un risque de collusion du fait que l'un des collaborateurs de l'Étude où exerçait actuellement Me C.________ avait travaillé sur les dossiers des époux et était ainsi susceptible de posséder des secrets obtenus dans le contexte de ses précédentes fonctions, rappelant néanmoins que le devoir de fidélité de l'avocat n'était pas limité dans le temps. Sans remettre en cause l'intégrité des précités, l'autorité cantonale a considéré qu'il existait ici concrètement la possibilité d'utiliser, consciemment ou non, des connaissances acquises sous couvert du secret professionnel, ce d'autant plus au regard de la connexité des procédures civiles et pénales, toutes liées à des aspects financiers; les procédures opposant les parties avaient par ailleurs toujours été portées jusqu'à la dernière instance cantonale, voir même, pour certaines, jusqu'au Tribunal fédéral, en sorte qu'il pouvait raisonnablement être retenu qu'elles avaient inévitablement marqué de leur empreinte l'esprit des avocats ayant eu à les traiter.  
Admettant la sévérité de l'obligation imposée à l'avocat du recourant de mettre un terme à son mandat, la cour cantonale a néanmoins souligné que la bonne administration de la justice ainsi que l'intérêt de l'intimée à avoir une défense exempte de conflit d'intérêts primaient en l'occurrence le droit du recourant à se voir assister par l'avocat qu'il s'était désigné, le choix de ses futurs conseils lui étant au demeurant réservé. L'obligation de mettre un terme au mandat garantissait par ailleurs à l'avocat collaborateur de pouvoir concilier ses différentes obligations découlant tant de la LLCA que de son contrat de travail. 
 
3.3. Les critiques que développe succinctement le recourant sont inaptes à retenir l'arbitraire de la décision cantonale. Admettant que Me H.________, ancien collaborateur de Me G.________ avait certes assisté celui-ci dans le cadre des dossiers pénaux occupant les parties, le recourant se borne essentiellement à affirmer que les précités ne se seraient jamais occupés des procédures civiles opposant les époux A.A.________ et B.A.________. C'est cependant sans réelle motivation qu'il tente d'invoquer l'absence de connexité entre les deux procédures, pourtant retenue par la cour cantonale en tant que celles-ci concernaient toutes des aspects financiers opposant les parties. Écarter le caractère marquant des procédures en cause en se limitant à lui opposer le volume des affaires traitées par les avocats concernés apparaît enfin appellatoire.  
Le recourant achève ses critiques en concluant que le principe de proportionnalité serait "touché" dès lors qu'il serait privé de son droit de se faire assister par son avocat de choix, qui le suivait depuis cinq ans et qu'il serait contraint d'en trouver un autre, avec les conséquences financières qui en découleraient. Cet élément a clairement été pris en compte par l'autorité cantonale, qui lui a cependant préféré l'intérêt à une bonne administration de la justice ainsi que celui de l'intimée à obtenir une défense exempte de conflit d'intérêts, éléments d'appréciation que l'intéressé laisse cependant intacts. 
 
4.  
Dépourvu de motivation efficace, le recours est irrecevable. Un délai au 1er mars 2023 est imparti au recourant pour désigner un nouveau conseil ou pour informer le tribunal s'il entend comparaître en personne. Les frais judiciaires sont à la charge du recourant qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée, qui a acquiescé aux requêtes d'effet suspensif et de mesures provisionnelles formulées par le recourant, a droit à une indemnité de dépens en tant que l'effet suspensif a été attribué au recours (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est irrecevable. Un délai au 1er mars 2023 est imparti au recourant pour désigner un nouveau conseil ou pour informer le Tribunal de première instance du canton de Genève s'il entend comparaître en personne. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Une indemnité de 300 fr., à verser à l'intimée à titre de dépens, est mise à la charge du recourant. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile, et au Tribunal de première instance du canton de Genève. 
 
 
Lausanne, le 12 janvier 2023 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Herrmann 
 
La Greffière : de Poret Bortolaso