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Ecriture agrandie
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_672/2023  
 
 
Arrêt du 4 octobre 2023  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
Mme et MM. les Juges fédéraux 
Jacquemoud-Rossari, Présidente, 
Denys et Muschietti. 
Greffière : Mme Rettby. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
recourant, 
 
contre  
 
1. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD, 
2. B.________, 
représenté par Me Michel Bosshard, avocat, 
intimés. 
 
Objet 
Diffamation; frais; indemnité, 
 
recours contre le jugement de la Cour d'appel 
pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud 
du 21 février 2023 (n° 54 PE22.000622-OPI). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 25 août 2022, le Tribunal de police de l'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois a acquitté A.________ du chef d'accusation de diffamation, a annulé l'ordonnance pénale rendue le 28 avril 2022 par le Ministère public de l'arrondissement du Nord vaudois, a laissé les frais de justice, par 1'675 fr., à la charge de l'État et a rejeté la conclusion prise par A.________ au titre de l'art. 429 CPP
 
B.  
Statuant le 21 février 2023, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal a très partiellement admis l'appel du ministère public, l'appel de B.________ étant réputé retiré. Elle a mis la moitié des frais de première instance, par 837 fr. 50, à la charge de A.________, le solde étant laissé à la charge de l'État, tandis que les frais d'appel, par 4'154 fr. 20 y compris l'indemnité allouée au défenseur d'office de A.________ (2'024 fr. 20, TVA et débours inclus) étaient répartis à raison de la moitié (soit 2'077 fr. 10) à la charge de B.________, de 1/6 (soit 692 fr. 35) à la charge de A.________ et le solde à la charge de l'État, le jugement étant pour le reste confirmé. 
En résumé, ce jugem ent, auquel on renvoie au surplus, repose sur les éléments suivants. 
A.________ a été renvoyé devant le Tribunal de police de l'arrondissement de la Broye et du Nord vaudois ensuite de l'opposition qu'il a formée à l'ordonnance pénale rendue le 28 avril 2022 par le Ministère public de l'arrondissement du Nord vaudois, qui retenait les faits suivants: 
 
" B.________ reproche en substance à A.________ d'avoir adressé, le 16 octobre 2021, un courriel à plusieurs de ses connaissances, courriel par lequel il était désigné comme étant "le troll le plus détestable de la blogosphère romande", "le chantre du cannabis" ou encore "le spécialiste des fake news". A noter qu'à l'appui de ce courriel, A.________ a transmis à ses connaissances différentes pièces/informations issues de la procédure pénale [...] (notamment un arrêt par lequel la Chambre pénale d'appel et de révision avait confirmé, courant mai 2018, un verdict condamnatoire prononcé à l'encontre de B.________, l'acte d'accusation que le ministère public avait transmis le 10 juin 2020 au tribunal compétent, ainsi qu'une correspondance que le procureur soussigné avait adressée le même jour, à ce même tribunal), ouverte suite aux multiples plaintes qu'il avait lui-même déposées contre B.________. Par courrier du 30 novembre 2021, B.________ a déposé plainte. "  
 
C.  
A.________ recourt en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 21 février 2023. Il conclut, en substance, à sa réforme, en ce sens que les frais de première instance mis à sa charge sont "ramenés à zéro comme décidé par le tribunal de police" et à ce que les frais d'appel mis à sa charge sont laissés à la charge de l'État. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recourant débute son écriture par une présentation personnelle des faits et de la procédure sur plus d'une quinzaine de pages. Dans la mesure où il s'écarte des faits retenus par la cour cantonale ou les complète, sans démontrer que ceux-ci seraient manifestement inexactes ou auraient été arbitrairement omis, son exposé est appellatoire, partant irrecevable. 
 
2.  
Invoquant l'interdiction de l'abus de droit, le recourant reproche au procureur d'avoir perdu son impartialité et conçu une rancune à son égard en réaction au fait qu'il aurait contesté avec succès plusieurs décisions, notamment. Le procureur se serait dès lors lancé dans un "recours téméraire, voué à l'échec, contre le jugement de première instance". Il aurait par ailleurs subi des pressions de la part du procureur et du président de la cour cantonale visant à le dissuader de déposer d'autres plaintes, respectivement à l'inciter à retirer un recours déposé auprès de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal. A ces différents égards, il mentionne un arrêt du Tribunal cantonal vaudois du 15 août 2019 dans une autre cause. 
L'art. 58 al. 1 CPP impose à la partie qui entend demander la récusation de présenter sa demande sans délai, dès qu'elle a connaissance du motif. Pour autant que les critiques du recourant doivent être comprises comme une demande de récusation du procureur ou d'un juge, il l'invoque pour la première fois devant le Tribunal fédéral. À cet égard, les faits sur lesquels semble se fonder le recourant sont nouveaux. Il n'expose toutefois pas en quoi les conditions, exceptionnelles, posées par l'art. 99 al. 1 LTF autorisant la recevabilité de tels faits devant le Tribunal fédéral seraient remplies et tel n'apparaît pas être le cas, si bien qu'ils sont irrecevables. Par ailleurs, il ne prétend pas avoir requis la récusation précédemment dans le dossier en cause, sans qu'il ne soit statué à cet égard. Outre que son grief est tardif et contraire au principe de la bonne foi en procédure (cf. ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 p. 275; 138 I 1 consid. 2.2 p. 4), partant irrecevable, il est également irrecevable faute d'épuisement des instances cantonales (art. 80 al. 1 LTF). Pour le reste, l'objet de la présente procédure est strictement circonscrit par le jugement attaqué (art. 80 al. 1 LTF), si bien que tout éventuel grief relatif à d'autres actes ou décisions est irrecevable. 
 
3.  
Le recourant invoque essentiellement une violation de l'art. 426 al. 2 CPP et reproche à la cour cantonale d'avoir mis à sa charge la moitié des frais de procédure de première instance. 
 
3.1.  
 
3.1.1. En vertu de l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci. En outre, l'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 430 al. 1 let. a CPP), cette dernière disposition constituant, selon la jurisprudence, le pendant de l'art. 426 al. 2 CPP en matière de frais.  
La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. A cet égard, seul entre en ligne de compte un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 p. 204 s.). Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation; la mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 p. 205; arrêt 6B_1040/2022 du 23 août 2023 consid. 5.1.2). 
 
3.1.2. La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais peut en principe se fonder sur l'art. 28 CC (arrêts 6B_832/201 4 consid. 1.3 du 24 avril 2015 et la référence citée; 6B_87/2012 du 27 avril 2012 consid. 1.4.1). Selon cette disposition, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe (al. 1). Une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi (al. 2). La garantie de l'art. 28 CC s'étend à l'ensemble des valeurs essentielles de la personne qui lui sont propres par sa seule existence et peuvent faire l'objet d'une atteinte (ATF 134 III 193 consid. 4.5 p. 199 in fine et les références citées).  
 
3.2. La cour cantonale a observé que la libération du recourant du chef d'accusation de diffamation était confirmée. Celui-ci avait toutefois admis avoir désigné l'intimé, dans un courriel adressé à plusieurs de ses connaissances, de "troll le plus détestable de la blogosphère romande", de "chantre du cannabis" et de "spécialiste des fake news", alors qu'il aurait pu - et dû - répondre à son contradicteur sans utiliser de termes dépréciatifs et sans chercher à attiser la polémique. Ce faisant, même si les termes utilisés par le recourant n'étaient pas pénalement répréhensibles, celui-ci avait adopté un comportement civilement illicite portant atteinte à la personnalité de l'intimé au sens de l'art. 28 CC, de sorte que l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête à son encontre. Partant, quand bien même l'acquittement du recourant était confirmé, il se justifiait de mettre à sa charge la moitié des frais de première instance, le solde étant laissé à la charge de l'État.  
 
3.3. Invoquant l'arbitraire et l'abus du pouvoir d'appréciation, le recourant conteste, en substance, avoir provoqué de manière illicite et fautive l'ouverture de la procédure ou rendu sa conduite plus difficile et conteste toute violation de l'art. 28 CC. Le procureur aurait agi par excès de zèle. La faute du recourant ne ressortirait pas de la motivation cantonale, ni le lien de causalité. Le recourant ne considérait pas que l'intimé aurait subi une atteinte à la personnalité puisque celui-ci n'avait pas réclamé d'indemnité pour tort moral et ne s'était par ailleurs pas adressé au juge civil; le dossier ne permettait pas de conclure à l'existence d'un minimum de souffrance morale; l'intimé aurait porté plainte par esprit de vengeance.  
Face à la motivation cantonale, le recourant se limite pour l'essentiel à une discussion appellatoire et, partant, irrecevable du jugement attaqué. 
Contrairement à ce que prétend le recourant, la condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais peut, en principe, se fonder sur l'art. 28 CC. En l'occurrence, il ressort des faits retenus par la cour cantonale que le recourant a admis avoir désigné l'intimé, dans un courriel adressé à plusieurs de ses connaissances, de "troll le plus détestable de la blogosphère romande", de "chantre du cannabis" et de "spécialiste des fake news". Cela constitue une atteinte à la personnalité de l'intimé au sens de l'art. 28 CC et le recourant procède de manière appellatoire en affirmant le contraire. L'intimé a porté plainte en raison de ces faits. A cet égard, les éventuelles conclusions civiles de l'intimé ne sont pas pertinentes, le tort moral qui découlerait, cas échéant, de l'atteinte illicite à la personnalité de l'intimé n'étant de toute façon pas établi. Peu importe que l'intimé n'aurait pas cherché à obtenir réparation auprès du juge civil, ce qui ne ressort au demeurant pas du jugement entrepris (art. 105 al. 1 LTF). Le recourant ne peut rien déduire de l'arrêt du Tribunal fédéral qu'il invoque à cet égard, encore moins du considérant qu'il cite s'agissant de l'examen de la qualité pour recourir au Tribunal fédéral de la partie plaignante (arrêt 6B_459/2022 du 20 mars 2023 consid. 1.1). En tant qu'il affirme que les termes utilisés ne seraient pas dépréciatifs mais descriptifs et justifiés, le recourant s'écarte des faits retenus par le jugement cantonal et procède de manière irrecevable; il en va de même de ses développements appellatoires sur l'usage de la locution "sans doute". La cour cantonale pouvait déduire de l'usage des termes susmentionnés que le recourant avait adopté un comportement visant à attiser la polémique alors qu'il aurait pu choisir de répondre à l'intimé sans utiliser de termes dépréciatifs. De la sorte, le recourant a adopté un comportement civilement répréhensible, à savoir qu'il a contrevenu à une règle de l'ordre juridique suisse protégeant la personnalité d'autrui. Dès lors que seul un comportement contraire au droit civil a été retenu, la condamnation aux frais ne laisse pas entendre que le recourant s'est rendu coupable d'infractions pénales. Le recourant n'invoque d'ailleurs pas de violation de la présomption d'innocence. Quoi qu'il en dise, le comportement du recourant était propre à entraîner l'ouverture d'une enquête, si bien qu'il est en lien de causalité avec les frais y relatifs. Ce qui précède est suffisant pour considérer que les conditions de l'art. 426 al. 2 CPP sont réalisées. A la lecture de la motivation cantonale, on ne discerne aucun défaut de motivation, la cour cantonale ayant suffisamment décrit le comportement illicite et fautif du recourant, ainsi que le lien de causalité adéquat entre l'acte et l'ouverture de la procédure pénale. Au vu de ce qui précède, le grief du recourant doit être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. 
 
4.  
Le recourant soutient que le montant des frais d'appel mis à sa charge devrait être réduit " dans les mêmes proportions que les frais de première instance, c'est-à-dire ramenés à zéro ".  
Le recourant ne formule aucun grief tiré de l'application erronée du droit fédéral (art. 42 al. 2 LTF). En tout état, le raisonnement de la cour cantonale, qui a mis un sixième des frais d'appel à la charge du recourant, relevant que celui-ci succombait sur une partie des conclusions du ministère public, ne prête pas le flanc à la critique, dans la mesure où le ministère public a notamment conclu à ce que les frais de justice soient mis à la charge du recourant et que son appel a été admis sur ce point (cf. art. 428 al. 1 CPP; cf. jugement entrepris, p. 17 s.). 
 
5.  
Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 4 octobre 2023 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
La Présidente : Jacquemoud-Rossari 
 
La Greffière : Rettby