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Ecriture agrandie
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_463/2023  
 
 
Arrêt du 22 mai 2024  
 
IIIe Cour de droit public  
 
Composition 
M. et Mmes les Juges fédéraux Parrino, Président, 
Moser-Szeless et Scherrer Reber. 
Greffier : M. Berthoud. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
recourant, 
 
contre  
 
Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes 
(FER CIAM 106.1), rue de Saint-Jean 98, 1201 Genève, 
intimée. 
 
Objet 
Assurance-vieillesse et survivants, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 4 juillet 2023 (A/2821/2022 ATAS/548/2023). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. La société B.________ Sàrl (ci-après: la société) a été inscrite au Registre du commerce du canton de U.________ en 2014. La société a été affiliée en tant qu'employeur auprès de la Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes (ci-après: la caisse). C.________, domicilié en France, en a été associé gérant président depuis sa création, puis gérant président du 12 avril au 28 septembre 2016, date à compter de laquelle il a été réinscrit en tant qu'associé gérant président. A.________ a exercé la fonction de gérant du 11 février 2014 au 27 octobre 2017, ainsi que du 15 mars 2018 au 3 janvier 2019. D.________, domiciliée en France, a été associée gérante de la société du 12 avril au 28 septembre 2016. Les trois prénommés ont tous été au bénéfice de la signature individuelle.  
En 2017 et 2018, la caisse a adressé à la société les décomptes d'acomptes et de cotisations suivants: 
 
- le 7 février 2017: le décompte "bouclement d'acomptes 2016" d'un montant de 9'523 fr., à payer jusqu'au 9 mars 2017; 
- le 16 janvier 2017: le décompte de cotisations de janvier 2017 d'un montant de 3'042 fr. 95, à payer jusqu'au 10 février 2017; 
- le 13 février 2017: le décompte de cotisations de février 2017 d'un montant de 3'042 fr. 95, à payer jusqu'au 10 mars 2017; 
- le 13 mars 2017: le décompte de cotisations de mars 2017 d'un montant de 3'042 fr. 95, à payer jusqu'au 10 avril 2017; 
- le 10 avril 2017: le décompte de cotisations d'avril 2017 d'un montant de 3'042 fr. 95, à payer jusqu'au 10 mai 2017; 
- le 15 mai 2017: le décompte de cotisations de mai 2017 d'un montant de 3'042 fr. 95, à payer jusqu'au 12 juin 2017; 
- le 12 juin 2017: le décompte de cotisations de juin 2017 d'un montant de 2'981 fr. 45, à payer jusqu'au 10 juillet 2017; 
- le 22 mars 2018: le décompte final 2017 d'un montant de 6'503 fr. 15, à payer jusqu'au 23 avril 2018. 
Ces montants n'ont pas été réglés dans les délais impartis, de sorte que la caisse a notifié à plusieurs reprises des sommations et des décisions de cotisations à la société. Le 29 novembre 2018, le Tribunal de première instance de la République et canton de Genève a prononcé la dissolution de la société par suite de faillite. Par décision du 15 janvier 2019, la Cour de justice de la République et canton de Genève a accordé la suspension de l'effet exécutoire du jugement de faillite du 29 novembre 2018. Par arrêt du 13 mars 2019, elle a prononcé la faillite de la société avec effet à partir du même jour. 
Le 15 avril 2019, la caisse a produit (à titre provisoire) une créance de 39'089 fr. 75 dans la faillite. Par jugement du Tribunal de première instance du 29 avril 2019, la procédure de faillite a été suspendue faute d'actif. 
 
A.b. Par décision en réparation du dommage du 26 avril 2021, confirmée sur opposition le 12 juillet 2022, la caisse a réclamé à A.________ un montant de 35'894 fr. 25. Cette prétention correspondait aux cotisations paritaires AVS/AI/APG/AC, ainsi qu'aux cotisations dues au régime des allocations familiales impayées des périodes "du bouclement d'acomptes 2016, de janvier à juin 2017, du décompte final 2017, et un solde de frais et intérêts sur la période de septembre 2017". Le 26 avril 2021, la caisse a rendu une décision en réparation du dommage à l'encontre de C.________, solidairement responsable du dommage, pour le même montant.  
 
B.  
A.________ a déféré la décision qui le concerne à la Cour de justice, qui l'a débouté par arrêt du 4 juillet 2023. 
 
C.  
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt dont il demande l'annulation. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, et statue par ailleurs sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend s'en écarter doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait divergent ne peut pas être pris en considération. 
 
2.  
Le litige porte sur la responsabilité du recourant dans le préjudice subi par l'intimée en raison des cotisations paritaires restées impayées par la société B.________ Sàrl. 
À cet égard, l'arrêt entrepris expose de manière complète les normes légales et la jurisprudence applicables en matière de responsabilité subsidiaire des organes de l'employeur (art. 52 LAVS), ainsi que les nouvelles règles (en vigueur à partir de 1er janvier 2020) relatives au délai de prescription d'une créance de la caisse de compensation en réparation du dommage (art. 52 al. 3 LAVS; art. 60 CO). Il suffit d'y renvoyer. 
 
3.  
 
3.1. Le recourant soutient que la créance de l'intimée en réparation du dommage était prescrite le 26 avril 2021, jour où elle a rendu sa décision en réparation, dès lors qu'elle avait eu connaissance du dommage le 22 mars 2019. Invoquant le principe de la non-rétroactivité du droit et singulièrement l'art. 49 Tit. fin. CC dans sa teneur en vigueur en mars 2019, le recourant est d'avis que la prescription est régie dans son cas par l'ancien art. 52 al. 3 LAVS dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2019; elle serait ainsi survenue le 22 mars 2021, contrairement à ce que la juridiction cantonale a retenu.  
On ne saurait suivre le recourant qui semble méconnaître la portée de la révision législative des délais de prescription et qui se méprend sur les questions de droit transitoire qui s'y rapportent. Le recourant omet ainsi qu'avec la révision du Code des obligations (révision du droit de la prescription), le délai de prescription de deux ans, jadis prévu par l'art. 52 al. 3 LAVS dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2019, a été porté à trois ans à partir du 1er janvier 2020 (RO 2018 5343, 5349, 5356; FF 2014 221). Selon l'art. 52 al. 3 LAVS, l'action en réparation du dommage se prescrit désormais conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites (art. 60 CO). En vertu de l'art. 49 al. 1 Tit. fin. CC (dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2020, applicable en l'occurrence), lorsque le délai de prescription du nouveau droit est plus long que celui de l'ancien droit, il convient d'appliquer le délai de cette loi nouvelle, pour autant que la prescription ne soit pas acquise au moment du changement du droit. La prescription ayant couru sous l'ancien droit doit être décomptée de la prescription déterminée en vertu du nouveau droit (cf. arrêt 9C_429/2022 du 3 novembre 2022 consid. 5.1). 
Comme la prescription n'était pas acquise au recourant lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, le nouveau délai s'applique. Même en tenant compte du temps écoulé avant le 1er janvier 2020, la prescription n'était pas échue le 26 avril 2021. Sur ce point déjà, l'arrêt attaqué est conforme au droit. 
 
3.2.  
 
3.2.1. Le recourant invoque ensuite la répartition interne des tâches au sein de la société et son mode de gestion. Se référant notamment au contrat de fiducie entre E.________ LLC (une sàrl dont il est également gérant) et B.________ Sàrl, il fait valoir qu'il était chargé de la gestion administrative (notamment de la comptabilité), tandis que C.________ s'occupait de la gestion opérationnelle qui comprenait le traitement des courriers et des paiements. Le recourant soutient qu'il avait mis en place l'infrastructure nécessaire, assuré la surveillance et donné les instructions utiles; il en déduit qu'il ne s'est pas contenté d'un rôle d'homme de paille, de sorte que sa responsabilité au sens de l'art. 52 LAVS n'est pas engagée, à l'inverse de ce que la juridiction cantonale a retenu.  
Du 11 février 2014 au 27 octobre 2017, ainsi que du 15 mars 2018 au 3 janvier 2019, le recourant a été inscrit au Registre du commerce en tant que gérant de B.________ Sàrl. À ce titre, il était organe de plein droit de cette société et devait assumer les tâches prescrites par la loi (art. 810 CO), avec toute la diligence nécessaire (art. 812 CO). En critiquant l'arrêt attaqué en ce qui concerne le rôle qu'il aurait dû tenir dans la société selon la juridiction cantonale, le recourant semble ne pas avoir saisi la portée de l'art. 52 LAVS et de la jurisprudence y relative. En effet, en sa qualité de gérant, il lui incombait de veiller personnellement à ce que les cotisations paritaires afférentes aux salaires versés fussent effectivement payées à la caisse de compensation, nonobstant le mode de répartition interne des tâches au sein la société. Un gérant d'une sàrl ne peut se libérer de cette responsabilité en se bornant à soutenir qu'il faisait confiance à un associé chargé de régler les cotisations sociales à la caisse de compensation, car cela constitue déjà en soi un cas de négligence grave. En reconnaissant qu'il faisait confiance à C.________, associé gérant, à qui était confiée la tâche de régler les paiements et les cotisations sociales, le recourant admet implicitement qu'il n'a pas exercé à satisfaction son devoir de surveillance (cura in custodiendo) et fait preuve de passivité, au lieu d'intervenir directement; cela relève d'une négligence qui doit, sous l'angle de l'art. 52 LAVS, être qualifiée de grave (ATF 112 V 1 consid. 2b). Cette passivité est de surcroît en relation de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par la caisse de compensation. En effet, s'il avait correctement exécuté sa charge de gérant, notamment en exigeant de consulter tous les documents comptables pertinents (pièces bancaires, correspondance avec l'AVS, etc.), le recourant aurait pu veiller à ce que les cotisations sociales fussent régulièrement versées dès l'année 2017. Ceci l'aurait amené à constater que les retards dans les paiements des cotisations s'accumulaient et à prendre les mesures idoines. 
 
3.2.2. Dans le même contexte et pour se disculper, le recourant invoque le mode de facturation trimestrielle des cotisations, conformément à l'art. 34 RAVS. Il en déduit qu'il est "pertinent", pour une entreprise de petite taille comme B.________ Sàrl, que des contrôles soient effectués dans les mêmes intervalles et qu'il n'y a donc rien d'alarmant à ce qu'il existe un retard de même durée dans le paiement des cotisations.  
Ce moyen est également dépourvu de fondement. Le recourant passe sous silence que du 16 janvier au 12 juin 2017, la société avait reçu mensuellement un décompte de cotisations, qui auraient toutes dû être réglées dans un délai d'un mois environ. Non seulement le recourant laisse entendre qu'il effectuait des contrôles tous les trimestres, ce qui était insuffisant, mais il n'a de surcroît pas réagi aux retards qui s'accumulaient au fil du temps dans le paiement des cotisations, poursuivant ainsi l'exploitation d'une entreprise hasardeuse financée sans droit par l'assurance sociale. Contrairement à son opinion, un tel comportement constitue un cas de négligence grave sanctionné par l'art. 52 LAVS
 
3.2.3. Le recourant rappelle ensuite qu'il n'était pas gérant de la société d'octobre 2017 à mars 2018. Il en déduit que l'intimée le recherche à tort pour le dommage causé durant cette période.  
Le retrait temporaire du recourant de la gestion de la société faillie, effectif du 28 octobre 2017 au 14 mars 2018, ne lui est toutefois d'aucun secours. Les cotisations qui sont restées en souffrance résultaient de décomptes qui avaient tous été adressés à la société et qui étaient exigibles lorsque le recourant en était gérant, aussi bien antérieurement que postérieurement aux deux dates précitées. En ce qui concerne plus particulièrement le décompte final de l'année 2017, daté du 22 mars 2018 et dont l'échéance de paiement était fixée au 23 avril 2018, il faut rappeler qu'un gérant d'une sàrl (ou un administrateur d'une SA) ne peut être tenu pour responsable que du dommage résultant du non-paiement des cotisations qui sont venues à échéance et qui auraient dû être versées entre le jour de son entrée effective en fonction et celui où il les a quittées, soit pendant la durée où il a exercé une influence sur la marche des affaires (cf. arrêt 9C_713/2013 du 30 mai 2014 consid. 4.3.2 et les références). Or une telle éventualité est réalisée en l'espèce, puisque le recourant était à nouveau gérant de la sàrl depuis le 15 mars 2018, date à partir de laquelle de nouvelles cotisations étaient venues à échéance et auraient dû être payées. 
 
3.2.4. Par ailleurs, le recourant invoque l'absence de liquidités depuis juillet 2017 en raison des prélèvements opérés par C.________, alléguant que cela empêchait le paiement des cotisations.  
Le défaut de liquidités pour payer les cotisations ne rompt pas le lien de causalité entre l'acte illicite et le dommage. On ajoutera que les cotisations se rapportaient à des salaires qui avaient été payés. Or si les ressources financières de la société ne lui permettaient pas de payer les cotisations paritaires dans leur intégralité, il eût appartenu à l'employeur - c'est-à-dire au recourant en sa qualité de gérant de la société - de ne verser que les salaires pour lesquels les créances de cotisations qui en découlaient de par la loi pouvaient être couvertes (arrêt 9C_430/2021 du 7 avril 2022 consid. 5.2 et les arrêts cités), ce qui n'a pas été fait. 
 
3.2.5. Le recourant se prévaut aussi d'une faute concomitante de la caisse de compensation, à qui il fait grief d'avoir omis de l'alarmer sur les retards dans le paiement des cotisations.  
Ce grief est également infondé, car l'intimée avait adressé à la société de nombreuses sommations relatives aux cotisations en souffrance. Au demeurant, par cette argumentation, le recourant reconnaît implicitement qu'il ne s'impliquait pas suffisamment dans la gestion de la société et qu'il ignorait l'étendue des carences de paiement des cotisations sociales, confirmant ainsi la gravité de la négligence qui lui est reprochée. 
 
3.2.6. Enfin, le recourant soutient que la caisse de compensation intimée pourrait compenser de futures prestations d'assurance dues à C.________ avec le dommage que ce dernier lui a causé, en raison de la confusion existant entre les deux débiteurs (cf. art. 118 CO).  
On peut s'abstenir de se prononcer sur cette éventualité, car elle n'a aucune incidence sur le sort du présent litige. Le recourant est solidairement responsable avec un tiers du dommage causé à l'intimée, de sorte qu'il est loisible à cette dernière de lui en demander réparation à concurrence du montant dont il répond envers elle (cf. ATF 135 V 65 consid. 1.7; 119 V 86 consid. 5a). 
 
4.  
Mal fondé, le recours doit être rejeté. 
 
5.  
Le recourant, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 66 al. 1 LTF). Ceux-ci sont arrêtés en fonction de la valeur litigieuse, s'agissant d'un cas de responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS (art. 51 al. 1 let. a et 65 al. 2 LTF; ch. 1 du Tarif du 31 mars 2006 des émoluments judiciaires du Tribunal fédéral [RS 173.110.210.1]). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant. 
 
3.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 22 mai 2024 
 
Au nom de la IIIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
Le Greffier : Berthoud