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Ecriture agrandie
 
 
Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
5A_638/2023  
 
 
Arrêt du 23 février 2024  
 
IIe Cour de droit civil  
 
Composition 
MM. les Juges fédéraux Herrmann, Président, 
Bovey et De Rossa. 
Greffière : Mme Mairot. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
représentée par Me Jérôme Campart, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
B.________, 
représenté par Me Dominique-Anne Kirchhofer, avocate, 
intimé. 
 
Objet 
mesures protectrices de l'union conjugale (contributions d'entretien), 
 
recours contre l'arrêt de la Juge unique de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 20 juillet 2023 (JS22.040279-230586 291). 
 
 
Faits :  
 
A.  
A.________, née en 1974, de nationalité chinoise, et B.________, né en 1931, de nationalité suisse, se sont mariés le 22 avril 2016 à Morges. Aucun enfant n'est issu de cette union. 
Les époux vivent séparés depuis le 29 septembre 2022. 
Par ordonnance de mesures protectrices de l'union conjugale du 24 avril 2023, la Vice-Présidente du Tribunal civil de l'arrondissement de La Côte a condamné le mari à contribuer à l'entretien de l'épouse par le versement d'une pension mensuelle de 5'030 fr. du 1er octobre 2022 jusqu'au 31 décembre 2022, puis de 5'015 fr. dès le 1er janvier 2023. 
 
B.  
Par arrêt du 20 juillet 2023, expédié le 26 suivant, la Juge unique de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: la juge unique) a partiellement admis l'appel du mari et fixé le montant de la contribution mensuelle en faveur de l'épouse à 4'136 fr. du 1er octobre 2022 au 31 décembre 2022, 4'112 fr. du 1er janvier 2023 au 14 avril 2023 et 3'639 fr. dès le 15 avril 2023. 
 
C.  
Par acte posté le 1er septembre 2023, A.________ exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 20 juillet 2023. Elle conclut à ce que le mari soit condamné à lui verser mensuellement une pension de 4136 fr. du 1er octobre 2022 au 31 décembre 2022 et de 4'112 fr. dès le 1er janvier 2023. Subsidiairement, elle sollicite le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. 
Des déterminations sur le fond n'ont pas été requises. 
 
D.  
Par ordonnance présidentielle du 29 septembre 2023, la requête d'effet suspensif assortissant le recours a été rejetée. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Déposé en temps utile (art. 46 al. 2 let. a et 100 al. 1 LTF) et dans la forme légale (art. 42 al. 1 LTF), le recours est dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF; ATF 133 III 393 consid. 4) rendue par une autorité supérieure statuant en dernière instance cantonale et sur recours (art. 75 LTF), dans une affaire civile (art. 72 al. 1 LTF; ATF 133 III 393 consid. 2) de nature pécuniaire dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 30'000 fr. (art. 51 al. 1 let. a et al. 4 et 74 al. 1 let. b LTF). La recourante a participé à la procédure devant l'autorité précédente et a un intérêt digne de protection à la modification ou l'annulation de la décision entreprise (art. 76 al. 1 let. a et b LTF). 
 
2.  
 
2.1. Dès lors que la décision attaquée porte sur des mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF (ATF 149 III 81 consid. 1.3; 133 III 393 consid. 5, 585 consid. 3.3), le recourant ne peut dénoncer que la violation de ses droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral n'examine de tels griefs que s'ils ont été invoqués et motivés ("principe d'allégation"; art. 106 al. 2 LTF), c'est-à-dire expressément soulevés et exposés de manière claire et détaillée (ATF 146 IV 114 consid. 2.1; 144 II 313 consid. 5.1). Le recourant ne peut se borner à critiquer la décision attaquée comme il le ferait en procédure d'appel, où l'autorité de recours jouit d'une libre cognition, notamment en se contentant d'opposer sa thèse à celle de l'autorité précédente; les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 142 III 364 consid. 2.4; 140 III 264 consid. 2.3 et les références).  
 
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Dans l'hypothèse d'un recours soumis à l'art. 98 LTF, le recourant qui entend invoquer que les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ne peut obtenir la rectification ou le complètement des constatations de fait de la décision attaquée que s'il démontre la violation de droits constitutionnels, conformément au principe d'allégation susmentionné (cf. supra consid. 2.1). Il ne peut se borner à contredire les constatations litigieuses par ses propres allégations ou par l'exposé de sa propre appréciation des preuves, mais doit indiquer de façon précise en quoi ces constatations sont arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 133 II 249 consid. 1.4.3). Une critique des faits qui ne satisfait pas à cette exigence est irrecevable (art. 106 al. 2 LTF; ATF 141 IV 249 consid. 1.3.1; 140 III 264 consid. 2.3 et les références), étant rappelé qu'en matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des conclusions insoutenables (ATF 148 I 127 consid. 4.3; 143 IV 241 consid. 2.3.1; 142 II 433 consid. 4.4).  
 
3.  
La recourante se plaint d'arbitraire (art. 9 Cst.) dans la constatation des faits et l'appréciation des preuves ainsi que dans l'application des art. 163 et 176 al. 1 ch. 1 CC, en tant qu'il n'a pas été tenu compte d'un loyer hypothétique dans ses charges. Elle se plaint également d'une violation de son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.), au motif que la juge unique aurait ignoré certains faits allégués dans sa réponse à l'appel en relation avec la situation de contrainte économique l'ayant conduite à conclure un bail au loyer modeste. 
En substance, la recourante fait grief à la juge unique de ne pas s'être écartée du principe selon lequel seules les charges effectives doivent être prises en considération. Elle rappelle que ce principe connaît des exceptions, dont les conditions seraient en l'occurrence réalisées. Dite magistrate avait ainsi gravement méconnu le caractère temporaire de son logement, aboutissant à un résultat arbitraire consistant à tenir compte dans son budget du loyer d'un appartement conclu sous la contrainte liée à l'absence de toutes ressources, hormis celle de l'aide sociale. Il s'agissait d'un logement très bon marché, dont on ne pouvait pas exiger d'elle qu'elle le conserve à long terme, compte tenu du train de vie mené durant le mariage. Il était dès lors insoutenable d'avoir effectué le calcul de la contribution d'entretien sur la base d'un loyer dont la modicité correspond aux normes de l'aide sociale. La juge unique était dès lors tenue de prendre en compte le fait qu'elle avait été contrainte pendant plus de neuf mois de recourir à l'aide sociale, avec pour conséquence qu'elle n'avait pas eu d'autre choix que de prendre à bail un appartement correspondant aux barèmes des services sociaux, ce que cette magistrate n'avait arbitrairement pas fait. Admettre qu'il faudrait s'en tenir au principe des charges effectives dans ce contexte revenait en définitive à lui faire supporter les conséquences du refus persistant de son mari de contribuer à son entretien. En se fondant sur le montant d'un loyer correspondant aux barèmes applicables à l'aide sociale, la juge unique s'était laissé guider par des règles étrangères à celles qui prévalent en matière de fixation de la contribution d'entretien, l'aide sociale étant subsidiaire à l'entretien. L'arrêt attaqué était choquant puisqu'il revenait à encourager le débirentier à s'abstenir de verser quoi que ce soit ou à refuser le plus longtemps possible de s'acquitter des contributions dues, dans le but de pouvoir en définitive exploiter les conséquences d'une situation de détresse du crédirentier, réduit par la contrainte économique à se contenter d'un logement qui correspond à l'aide sociale et qui est insuffisant par rapport au train de vie mené durant la vie commune. Cela était d'autant plus choquant en l'occurrence puisque l'intimé disposait de liquidités très importantes, au moyen desquelles il aurait pu rapidement verser une contribution. Il avait en outre prolongé la période pendant laquelle elle avait été maintenue à l'aide sociale en invoquant de nombreux motifs pour obtenir l'effet suspensif en appel. 
La juge unique avait ainsi gravement méconnu les exceptions au principe des charges effectives et n'avait pas exposé les raisons pour lesquelles elle avait refusé de tenir compte d'un loyer hypothétique en sa faveur, alors que ces raisons avaient été alléguées. À cet égard, elle avait " souligné " et démontré par pièces qu'elle ne disposait d'aucune ressource lorsqu'elle avait conclu, avec l'aide des services sociaux, un bail avec un loyer correspondant aux normes du revenu d'insertion. C'était donc de manière arbitraire que la décision entreprise avait tenu pour durable le bail de son logement. Dès lors que la décision entreprise fondait ses calculs sur la prémisse qu'il s'agirait d'une situation durable, prenant en compte un loyer correspondant à un logement largement inférieur au train de vie mené durant la vie commune, elle aboutissait à un résultat manifestement insoutenable. 
La recourante déduit de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de la charge de loyer de l'appartement qu'elle a pris à bail le 15 avril 2023, soit 1'280 fr. Dès lors, la contribution d'entretien qui lui est due devrait être calculée en tenant compte du loyer hypothétique retenu en première instance à concurrence de 1'700 fr. Son minimum vital LP ne saurait dès lors être inférieur à 3'540 fr. 45. 
 
4.  
 
4.1. De pratique constante, seules les charges effectives, à savoir celles qui sont réellement acquittées, peuvent être prises en compte pour le calcul de la contribution d'entretien (ATF 121 III 20 consid. 3a et les références; arrêts 5A_397/2022 du 17 mai 2023 consid. 6.2.3; 5A_1065/2021 du 2 mai 2023 consid. 4.2; 5A_1048/2021 du 11 octobre 2022 consid. 8.2; 5A_617/2020 du 7 mai 2021 consid. 5.3; 5A_889/2018 du 15 mai 2019 consid. 3.2.1; 5A_771/2018 du 28 mars 2019 consid. 3.2), à l'exclusion de dépenses hypothétiques dont on ne sait si elles existeront finalement - et à concurrence de quel montant - ni si elles seront en définitive assumées (arrêts 5A_717/2019 du 20 avril 2020 consid. 3.1.2.2; 5A_751/2008 du 31 mars 2009 consid. 3.1).  
Selon la jurisprudence, il n'est pas arbitraire de tenir compte d'un loyer hypothétique pour une durée transitoire, le temps que la partie concernée trouve un logement. Hormis cette exception - qui ne peut concerner qu'une période transitoire (étant précisé qu'une période supérieure à une année ne saurait être qualifiée de transitoire, en particulier si la partie concernée n'a pas effectué de démarches pour se trouver un logement durant cette période) -, seuls les frais de logement effectifs ou raisonnables doivent être pris en compte et, en l'absence de telles charges, il appartient à la personne concernée de faire valoir ses frais de logement effectifs dès la conclusion d'un contrat de bail (arrêts 5A_397/2022 précité loc. cit.; 5A_405/2019 du 24 février 2020 consid. 5.3, publié in FamPra.ch 2020 p. 428; 5A_845/2012 du 2 octobre 2013 consid. 3.1.3). 
 
4.2. En l'occurrence, il est vrai que la motivation de l'arrêt attaqué est succincte relativement à la question présentement querellée. Il n'en demeure pas moins que le point de vue de la recourante, selon lequel elle avait été contrainte de prendre à bail un appartement au loyer modeste et qu'il se justifiait de lui imputer la charge locative hypothétique arrêtée par le premier juge, y compris au-delà du 15 avril 2023, a été pris en compte. Or, en critiquant non seulement l'insuffisance de la motivation cantonale, mais également le bien-fondé de celle-ci, la recourante démontre avoir compris la portée de l'arrêt entrepris et avoir pu l'attaquer en connaissance de cause, ce qui exclut toute violation de son droit d'être entendue (cf. ATF 141 V 557 consid. 3.2.1).  
Cela étant, si, à la lecture du mémoire de réponse à l'appel qui, selon la recourante, aurait été arbitrairement ignoré, il apparaît que les circonstances ayant conduit celle-ci à prendre à bail le logement litigieux (absence de paiement de contributions d'entretien depuis le départ du domicile conjugal, séjour dans un foyer d'hébergement, hospitalisation, recours à l'aide sociale) sont alléguées, on ne voit pas que la situation de logement ait été décrite comme étant une période transitoire au sens de la jurisprudence susrappelée, qui seule aurait éventuellement pu justifier la prise en compte d'un loyer hypothétique dans les charges actuelles de l'intéressée. En particulier, tout comme dans le présent recours, on ne trouve trace d'aucun élément permettant de retenir que la recourante ne puisse pas rester au-delà d'une année dans son logement actuel et qu'elle doive à bref délai se reloger par ses propres moyens, respectivement qu'elle serait sur le point de déménager. Elle n'a par ailleurs nullement invoqué la jurisprudence dont elle se prévaut aujourd'hui pour tenter de justifier que l'on tienne exceptionnellement compte dans ses charges du loyer hypothétique arrêté par le premier juge, alors que ce poste était contesté par l'intimé dans son appel. Au demeurant, c'est à tort que la recourante croit pouvoir se prévaloir d'une exception au principe de la prise en compte des frais effectifs sur la base d'arrêts se bornant à ne pas taxer d'arbitraire, dans les circonstances particulières de l'espèce considérée, la prise en compte d'un loyer hypothétique au vu d'une situation de logement transitoire. Dans ces conditions, il n'apparaît pas arbitraire d'avoir (implicitement) renoncé à qualifier comme telle la situation de logement de la recourante et de ne pas avoir retenu le loyer hypothétique de 1'700 fr., puisque ce montant ne représente pas une charge effective tant que la recourante ne s'est pas constitué un nouveau logement. Il appartiendra, le cas échéant, à celle-ci d'agir en modification des contributions d'entretien, afin qu'il soit tenu compte de ses frais de logement effectifs une fois réalisé son éventuel déménagement. 
Infondée, la critique doit être rejetée. 
 
5.  
En définitive, le recours est rejeté. Les frais judiciaires sont mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). L'intimé, qui n'a pas été invité à se déterminer au fond mais a été suivi dans les conclusions qu'il a prises dans ses déterminations sur la requête d'effet suspensif, a droit à une indemnité de dépens pour cette écriture, mise à la charge de la recourante (art. 68 al. 1 et 2 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est rejeté. 
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. 
 
3.  
Une indemnité de 500 fr., à verser à l'intimé à titre de dépens, est mise à la charge de la recourante. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Juge unique de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
 
 
Lausanne, le 23 février 2024 
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Herrmann 
 
La Greffière : Mairot