Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
2A.162/2006 /viz
Arrêt du 1er juin 2006
IIe Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Merkli, Président,
Wurzburger et Meylan, Juge suppléant.
Greffier: M. de Mestral.
Parties
A.A.________, recourant,
représenté par Me Pierre-Bernard Petitat, avocat,
contre
Département fédéral de justice et police, 3003 Berne.
Objet
exception aux mesures de limitation,
recours de droit administratif contre l'arrêt du Département fédéral de justice et police du
21 février 2006.
Faits:
A.
Ressortissant roumain né le 14 juin 1968, selon ses dires, A.A.________ a épousé une compatriote en Roumanie le 12 octobre 1990. De cette union, est issue une fille, B.A.________, née en 1991. Les époux ont divorcé en 1996, la garde et l'autorité parentale sur l'enfant étant attribuée à la mère. Celle-ci a, le 19 avril 1996, épousé en Roumanie le ressortissant suisse C.________, domicilié dans le canton de Genève. Elle et sa fille vivent depuis lors dans ce canton, auprès de leur époux, respectivement beau-père, et sont au bénéfice d'une autorisation d'établissement.
A.A.________ a été interpellé à Genève le 26 novembre 2001; il a alors prétendu s'appeler D.________ né le 7 décembre 1970; il a été condamné sous l'identité de E.________, né le 7 décembre 1970, à 25 jours d'emprisonnement avec sursis et à 3 ans d'expulsion ferme pour infraction à l'art. 23 de la loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE; RS 142.20, ci-après: la loi sur le séjour et l'établissement des étrangers). Statuant sur opposition, le Tribunal de police de ce canton, par jugement du 8 mars 2002, a assorti la mesure d'expulsion du sursis, avec délai d'épreuve de 2 ans. La Chambre pénale de la Cour de Justice du canton de Genève a, par arrêt du 24 juin 2002, confirmé ce jugement, sous réserve de l'expulsion judiciaire, qu'elle a annulée. La Chambre pénale relève, dans son arrêt, que D.________, sous l'identité duquel A.A.________ s'est présenté au début de l'enquête a, pour sa part, été condamné à deux reprises par les autorités zurichoises, la seconde fois le 11 septembre 2001 à 30 jours d'emprisonnement pour infractions à l'art. 23 LSEE, en précisant "que la photographie qui figure dans le dossier ayant abouti à cette condamnation démontre que le prévenu interpellé n'est pas l'appelant".
Entendu le 18 décembre 2001 dans le cadre d'un examen de situation, A.A.________ a déclaré être venu à Genève 9 mois auparavant et être sur le point de signer un contrat de boxeur professionnel avec le Centre des arts martiaux à Genève. II a expliqué que s'il s'était présenté sous une fausse identité, c'était afin de ne pas compromettre ses chances de signer ledit contrat. Il a en outre relevé que sa fille, B.A.________ vivait à Genthod avec son ex-épouse, laquelle était mariée à un ressortissant suisse depuis 1996.
Le 5 février 2002, A.A.________ a adressé à l'Office de la population du canton de Genève (ci-après: l'Office cantonal) une demande d'autorisation de séjour pour prise d'emploi comme entraîneur sportif auprès du Centre des arts martiaux de cette ville. Par décision du 22 février 2002, l'Office cantonal a rejeté cette demande et prononcé le renvoi de l'intéressé. Celui-ci a porté sa cause devant la Commission cantonale de recours de police des étrangers (ci-après: la Commission cantonale) qui, par décision du 17 septembre 2002, a admis le recours, compte tenu des relations qu'entretenait le recourant avec sa fille B.A.________. L'Office cantonal a alors informé ce dernier qu'il était disposé à lui délivrer une autorisation de séjour s'il venait à être exempté des mesures de limitation.
Il résulte du dossier que, depuis 2004 en tout cas, mais officiellement depuis octobre 2005, A.A.________ habiterait à la même adresse que son ex-épouse.
En date du 25 mars 2004, l'Office fédéral de l'immigration, de l'intégration et de l'émigration (IMES; dès le 1er janvier 2005: Office fédéral des migrations [ODM], après sa fusion avec l'Office fédéral des réfugiés [ODR]; ci-après: l'Office fédéral) a rendu une décision de refus d'exception aux mesures de limitation.
B.
A.A.________ a porté sa cause devant le Département fédéral de justice et police (ci-après: le Département fédéral).
Dans sa réponse au recours, I'Office fédéral signalait que, suite à un rapport de contrôle à la frontière du 11 mars 2004 et un contrôle des empreintes digitales, il s'avère que A.A.________ se trouve frappé depuis le 12 septembre 2001 d'une interdiction d'entrée en Suisse notifiée le même jour par le canton de Zurich, avec effet au 12 septembre 2004 sous l'identité D.________, ressortissant roumain né le 7 décembre 1970; D.________ a été refoulé par avion en direction de Bucarest le 13 septembre 2001; ce nonobstant, il est revenu en Suisse en déclarant se nommer A.A.________. Il résulte en outre dudit rapport de contrôle que D.________ se légitimait au moyen d'une photocopie d'un titre de voyage roumain échu au nom de A.A.________; et qu'il est connu sous les alias de F.________, né le 14 juin 1968, D.________ né le 5 juin 1976 et D.________ né le 25 octobre 1977.
Par décision du 21 février 2006, le Département fédéral a rejeté le recours. Relevant que A.A.________ avait d'abord résidé durant près d'une année illégalement en Suisse et qu'il avait ensuite vécu environ quatre ans dans ce pays au bénéfice d'une simple tolérance, le Département fédéral a considéré que, de par sa durée ainsi que par son caractère provisoire et temporaire, un tel séjour ne pouvait être considéré comme un élément constitutif d'un cas personnel d'extrême gravité. Quant aux autres critères, il fallait constater que la relation de l'intéressé avec la Suisse ne pouvait être considérée comme à ce point exceptionnelle qu'il se justifiait de faire abstraction de l'illégalité de son séjour et de son comportement dans ce pays pour admettre l'existence d'un tel cas. On ne pouvait non plus considérer que les difficultés liées à l'aménagement d'un droit de visite adapté à la distance géographique séparant le recourant de sa fille domiciliée en Suisse soient constitutives d'un cas de détresse personnelle. S'agissant enfin des difficultés liées à une réinstallation en Roumanie, il convenait de rappeler que les mesures d'exception n'avaient pas pour but de soustraire les étrangers aux conditions de vie de leur pays d'origine.
C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, A.A.________ demande au Tribunal fédéral de "réformer et annuler cette décision" et, statuant à nouveau, de lui accorder une exception aux mesures de limitation au sens de l'art. 13 lit. f de l'ordonnance du 6 octobre 1986 limitant le nombre des étrangers (OLE; RS 823.21, ci-après: l'ordonnance limitant le nombre des étrangers), de lui allouer une indemnité à titre de dépens et d'ordonner au Département fédéral de lui restituer l'avance de frais dont il s'est acquitté en procédure de recours devant cette autorité.
Le Département fédéral conclut au rejet du recours.
Par Ordonnance présidentielle du 25 avril 2006, la requête d'effet suspensif formulée par le recourant, traitée comme requête de mesures provisionnelles, a été admise.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec plein pouvoir d'examen la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 132 III 291 consid. 1 p. 292 et la jurisprudence citée).
La voie du recours de droit administratif est, en principe, ouverte contre les décisions relatives à l'assujettissement aux mesures de limitation prévues par l'ordonnance limitant le nombre des étrangers (ATF 122 II 403 consid. 1 p. 404/405). Tendant uniquement à faire prononcer une exemption des mesures de limitation, et respectant par ailleurs les formes et délais légaux, le présent recours est donc recevable.
2.
Conformément à l'art. 104 lettre a OJ, le recours de droit administratif peut être formé pour violation du droit fédéral y compris l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (ATF 132 II 47 consid. 1.2 p. 49; 128 II 145 consid. 1.2.1 p. 150, 56 consid. 2a p. 60). Le Tribunal fédéral revoit d'office l'application du droit fédéral qui englobe notamment les droits constitutionnels du citoyen (ATF 130 III 707 consid. 3.1 p. 709; 130 I 312 consid. 1.2 p. 318). Comme il n'est pas lié par les motifs qu'invoquent les parties, il peut admettre le recours pour d'autres raisons que celles avancées par le recourant ou au contraire confirmer la décision attaquée pour d'autres motifs que ceux retenus par l'autorité intimée (art. 114 in fine OJ; ATF 132 II 47 consid. 1.3 p. 50; 131 II 361 consid. 2 p. 366; 130 III 707 consid. 3.1 p. 709 et les arrêts cités).
Par ailleurs, l'autorité intimée n'étant pas une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral peut également revoir d'office les constatations de fait ( art. 104 lettre b et 105 OJ ; ATF 128 II 56 consid. 2b p. 60). En particulier en matière de police des étrangers, lorsque la décision n'émane pas d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral fonde en principe ses jugements, formellement et matériellement, sur l'état de fait et de droit existant au moment de sa propre décision (ATF 124 II 361 consid. 2a p. 365; 122 II 1 consid. 1 b p. 4, 385 consid. 1 p. 390 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral ne peut en revanche revoir l'opportunité de la décision entreprise, le droit fédéral ne prévoyant pas un tel examen en la matière (art. 104 lettre c ch. 3 OJ; ATF 127 II 297 consid. 2a p. 298).
3.
3.1 Les mesures de limitation visent en premier lieu à assurer un rapport équilibré entre l'effectif de la population en Suisse et celui de la population étrangère résidente, ainsi qu'à améliorer la structure du marché du travail et à assurer l'équilibre optimal en matière d'emploi (cf. art. 1er lettre a et c OLE). L'art. 13 lettre f OLE, selon lequel un étranger n'est pas compté dans les nombres maximums fixés par le Conseil fédéral, a pour but de faciliter la présence en Suisse d'étrangers qui, en principe, seraient comptés dans ces nombres maximums, mais pour lesquels cet assujettissement paraîtrait trop rigoureux par rapport aux circonstances particulières de leur cas et pas souhaitable du point de vue politique. Il découle de la formulation de l'art. 13 lettre f OLE que cette disposition dérogatoire présente un caractère exceptionnel et que les conditions pour une reconnaissance d'un cas de rigueur doivent être appréciées restrictivement. Il est nécessaire que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Cela signifie que ses conditions de vie et d'existence, comparées à celles applicables à la moyenne des étrangers, doivent être mises en cause de manière accrue, c'est-à-dire que le refus de soustraire l'intéressé aux restrictions des nombres maximums comporte pour lui de graves conséquences. Pour l'appréciation du cas d'extrême gravité, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des circonstances. La reconnaissance d'un tel cas n'implique pas forcément que la présence de l'étranger en Suisse constitue l'unique moyen pour échapper à une situation de détresse. D'un autre côté, le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période et s'y soit bien intégré ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité; il faut encore que sa relation avec la Suisse soit si étroite qu'on ne saurait exiger qu'il aille vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d'origine (ATF 124 II 110 consid. 2 p. 112; 123 II 125 consid. 2 p. 126-127 et la jurisprudence citée). A cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage que l'étranger a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exemption des mesures de limitation (ATF 124 II 110 consid. 2 p. 112 et les arrêts cités).
Le Tribunal fédéral a précisé que les séjours illégaux n'étaient en principe pas pris en compte dans l'examen d'un cas de rigueur. La longue durée d'un séjour en Suisse n'est pas, à elle seule, un élément constitutif d'un cas personnel d'extrême gravité dans la mesure où ce séjour est illégal. Il appartient dès lors à l'autorité compétente d'examiner si l'intéressé se trouve pour d'autres raisons dans un état de détresse justifiant de l'exempter des mesures de limitation du nombre des étrangers. Pour cela, il y a lieu notamment de se fonder sur les relations familiales de l'intéressé en Suisse et dans sa patrie, sur son état de santé, sur sa situation professionnelle, sur son intégration sociale (cf. ATF 130 Il 39 consid. 3 p. 42 et les arrêts cités).
3.2 A ce jour, le recourant n'a séjourné légalement en Suisse qu'un peu plus de quatre ans. Il ne saurait donc se prévaloir d'une durée de séjour particulièrement longue.
S'il se confirme que le recourant et le dénommé D.________ sont bien deux personnes différentes, il faut alors constater que celui-là n'a été condamné qu'une seule fois, pour infractions aux règles de police des étrangers, mais il demeure troublant que celui-ci ait été trouvé en possession d'une photocopie d'un titre de voyage établi au nom du recourant, ce qui pourrait donner à penser que ce dernier a enfreint dans cette mesure l'art. 252 CP. Dans le cas contraire, il faudrait constater que le recourant a été plusieurs fois condamné pour infractions aux dites règles et qu'il a en outre enfreint une interdiction d'entrée en Suisse.
L'intégration professionnelle du recourant en Suisse n'est pas bonne. Le seul emploi qu'il ait exercé légalement à ce jour est celui d'agent de sécurité, soit le type même d'emploi pour lequel il avait été formé dans son pays d'origine et qu'il y a exercé entre 1993 et 1999; il ne saurait donc être question, dans son cas, d'un supplément de formation qu'il aurait acquise dans notre pays et dont il ne pourrait plus tirer parti en cas de retour dans son pays d'origine; il faut en outre constater que les perspectives évoquées début 2002 d'une brillante carrière sur le plan sportif ne se sont nullement matérialisées.
Le recourant n'apporte pas davantage la preuve qu'il se serait constitué dans notre pays un réseau de relations sociales à ce point exceptionnel qu'il se justifierait de ce seul fait de le mettre au bénéfice d'une exception aux mesures de limitation.
Il est exact que deux de ses frères vivent en Suisse. Mais il résulte du dossier qu'il a encore un frère en Roumanie. Et c'est dans ce pays qu'il a vécu les trente-trois premières années de son existence.
Quant aux relations que le recourant entretient avec sa fille, il convient de relever que c'est surtout cette dernière qui aurait, semble-t-il, à pâtir d'un départ du recourant; mais le rapport du Service de protection de la jeunesse qui l'atteste date maintenant de près de quatre ans et la jeune fille est aujourd'hui âgée de plus de quinze ans. Si ce même rapport atteste chez elle une certaine fragilité, rien ne permet de retenir qu'elle entretiendrait à l'égard de son père une relation de dépendance telle que sa présence lui serait indispensable.
Quoi qu'il en soit, il convient de rappeler que le cas personnel d'extrême gravité doit être réalisé dans la personne même de celui qui entend obtenir de ce chef une exception aux mesures de limitation. On observe pour le surplus que le dossier contient des affirmations contradictoires sur la fréquence desdites relations. A en croire les déclarations faites par l'ex-épouse du recourant à l'audience du Tribunal de police du 6 février 2002, l'intéressé n'aurait donné aucun signe de vie durant les trois ans qui ont suivi le divorce et il verrait sa fille une à deux fois par mois; mais le 14 mai de la même année, en audience de comparution personnelle devant la Commission cantonale, le recourant a affirmé la voir régulièrement tous les mercredis et un week-end sur deux depuis qu'il était arrivé à Genève; il a expliqué, en outre que, début 2001, étant venu en France pour une manifestation sportive, il avait "eu envie de revoir sa fille" et que cette dernière avait alors souhaité qu'il reste auprès d'elle; mais au Service de protection de la jeunesse, il a déclaré qu'il n'avait à cette époque pas prévu de venir en Suisse ni d'y rester, mais que c'était l'un de ses coéquipiers qui lui avait fait la proposition d'aller en Suisse pour voir sa fille. Au Service de protection de la jeunesse, l'ex-épouse du recourant a au contraire déclaré que si, durant la période de séparation qui avait précédé le divorce toute relation avec le recourant avait été coupée, au moment du divorce le recourant avait "commencé à s'intéresser à sa fille de manière plus intense" et que l'enfant n'aurait appris l'existence et fait la connaissance de son vrai père qu'à l'occasion d'une première rencontre en 1999, lors de vacances d'été passées en Roumanie. Actuellement, le père et la fille se verraient au minimum une fois par semaine, soit le mercredi, soit le week-end, parfois aussi le jeudi; il irait également la voir régulièrement lorsqu'elle a des concours ou des représentations de gymnastique.
3.3 Au vu de ce qui précède et des considérants pertinents de la décision attaquée auxquels il peut être renvoyé pour le surplus, il apparaît en conclusion que le recourant ne remplit nullement les conditions d'une exception aux mesures de limitation au sens de l'art. 13 lettre f OLE. Le refus d'une telle exception ne le prive au demeurant pas de la possibilité de maintenir des contacts avec sa fille à l'occasion de brefs voyages en Suisse, de sorte qu'il ne saurait, même indirectement, se prévaloir de l'art. 8 CEDH.
4.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté. Succombant, le recourant doit supporter un émolument judiciaire ( art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ ). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 1'800 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant et au Département fédéral de justice et police ainsi qu'à l'Office cantonal de la population du canton de Genève.
Lausanne, le 1er juin 2006
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: