Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
6B_308/2022
Arrêt du 2 avril 2024
Ire Cour de droit pénal
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux
Jacquemoud-Rossari, Présidente,
Denys, Muschietti, van de Graaf et von Felten.
Greffier : M. Dyens.
Participants à la procédure
1. A.A.________,
2. B.A.________,
3. C.A.________,
4. D.________,
tous les quatre représentés par
Me David Métille, avocat,
recourants,
contre
1. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD,
2. E.________,
représenté par Me Xavier Diserens, avocat,
intimés.
Objet
Homicide par négligence; violation des règles de la circulation routière,
recours contre le jugement de la Cour d'appel
pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud
du 8 octobre 2021 (n° 379 PE16.014233/PBR).
Faits :
A.
Par jugement du 7 juin 2021, le Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne a notamment libéré E.________ du chef d'accusation d'homicide par négligence, a rejeté les conclusions civiles de A.A.________, B.A.________, C.A.________ et D.________, a laissé les frais de justice à la charge de l'État, a alloué à E.________ une indemnité à forme de l'art. 429 CPP de 14'000 fr. et a rejeté toute autre ou plus ample conclusion.
B.
Statuant sur l'appel interjeté par A.A.________, B.A.________, C.A.________ et D.________, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois l'a rejeté par jugement du 8 octobre 2021 et a confirmé le jugement de première instance.
Les faits de la cause sont en substance les suivants.
F.A.________ est décédé le 18 juillet 2016 à U.________, des suites de ses blessures subies dans le cadre d'un accident survenu sur le chantier de réfection de la route V.________. Au moment des faits, une fraiseuse dégrappait la chaussée, retirant sa surface de bitume en vue de sa remise à neuf. Des camions à benne basculante se succédaient pour évacuer les matériaux ainsi prélevés. Alors que le camion conduit par E.________ effectuait une manoeuvre de recul pour venir se placer devant la fraiseuse, F.A.________, qui était responsable du chantier pour l'entreprise adjudicataire, G.________ SA, et qui se trouvait derrière le camion, a été happé par les roues de celui-ci.
Les faits seront repris de façon plus approfondie ci-après en lien avec les griefs soulevés.
C.
A.A.________, B.A.________, C.A.________ et D.________ forment un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement rendu le 8 octobre 2021 par la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois. Ils concluent, en substance, avec suite de frais et dépens, à la réforme du jugement attaqué en ce sens que E.________ est reconnu coupable d'homicide par négligence et de violation des règles de la circulation routière, tout en étant reconnu débiteur de leur prétentions civiles à concurrence de 353'885 francs.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office (art. 29 al. 1 LTF) et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 146 IV 185 consid. 2).
1.1. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au Tribunal fédéral, si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Selon la jurisprudence, la partie plaignante n'est habilitée à recourir contre un jugement prononçant l'acquittement du prévenu que si elle a, autant que cela pouvait raisonnablement être exigé d'elle, exercé l'action civile, en prenant des conclusions chiffrées en réparation de tout ou partie de son dommage matériel ou de son tort moral (ATF 137 IV 246 consid. 1.3.1; arrêt 6B_670/2023 du 4 octobre 2023 consid. 1.1 et les arrêts cités).
1.2. En l'espèce, le jugement attaqué, rendu en matière pénale (cf. art. 78 LTF), émane d'une autorité cantonale de dernière instance (cf. art. 80 LTF) et revêt indiscutablement un caractère final (art. 90 LTF). Le recours est donc recevable quant à son objet. Les recourants ont en outre pris part à la procédure devant les instances cantonales, ont formulé des conclusions civiles à concurrence de 353'885 fr. à l'encontre de l'intimé et le jugement querellé, en rejetant leur appel, confirme le rejet desdites conclusions civiles. Ils ont ainsi qualité pour recourir. Leur recours est par conséquent recevable.
2.
Les recourants invoquent, sous différents angles, une violation de l'art. 117 CP et contestent l'acquittement de l'intimé.
2.1. Aux termes de l'art. 117 CP, celui qui, par négligence, aura causé la mort d'une personne sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
Selon l'art. 12 al. 3 CP, agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L'imprévoyance est coupable quand l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle.
Une condamnation pour homicide par négligence implique la réalisation de trois éléments constitutifs, à savoir le décès d'une personne, une négligence, ainsi qu'un rapport de causalité naturelle et adéquate entre les deux premiers éléments (ATF 122 IV 145 consid. 3; arrêt 6B_658/2022 du 24 mai 2023 consid. 2.1 et les arrêts cités).
2.2.
2.2.1. En premier lieu, la négligence suppose la violation d'un devoir de prudence. Un comportement viole le devoir de prudence lorsque l'auteur, au moment des faits, aurait pu et dû, au vu des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte qu'il mettait en danger des biens juridiquement protégés de la victime et qu'il excédait les limites du risque admissible (ATF 148 IV 39 consid. 2.3.3; 145 IV 154 consid. 2.1; 143 IV 138 consid. 2.1 et les références citées).
Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable (ATF 145 IV 154 consid. 2.1; 134 IV 255 consid. 4.2.3 et les références citées). L'étendue du devoir de diligence doit s'apprécier en fonction de la situation personnelle de l'auteur, c'est-à-dire de ses connaissances et de ses capacités (ATF 135 IV 56 consid. 2.1; 122 IV 145 consid. 3b/aa). L'attention et la diligence requises sont d'autant plus élevées que le degré de spécialisation de l'auteur est important (ATF 138 IV 124 consid. 4.4.5). S'il existe des normes de sécurité spécifiques qui imposent un comportement déterminé pour assurer la sécurité et prévenir les accidents, le devoir de prudence se définit en premier lieu à l'aune de ces normes (ATF 143 IV 138 consid. 2.1; 135 IV 56 consid. 2.1). Une violation du devoir de prudence peut aussi être retenue au regard des principes généraux (ATF 135 IV 56 consid. 2.1; 134 IV 255 consid. 4.2.3; 134 IV 193 consid. 7.2). Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d'associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence (ATF 145 IV 154 consid. 2.1; 143 IV 138 consid. 2.1; 135 IV 56 consid. 2.1; 134 IV 255 consid. 4.2.3; arrêts 6B_64/2023 du 14 juillet 2023 consid. 3.1.1; 6B_1386/2021 du 16 mars 2023 consid. 2.2.1).
Dans le domaine du trafic routier, il sied de se référer aux règles de la circulation (ATF 126 IV 91 consid. 4a/aa; arrêts 6B_658/2022 précité consid. 2.1; 6B_1280/2019 du 5 février 2020 consid. 4.1; cf. aussi arrêt 6B_64/2023 précité consid. 3.1).
En matière de construction, les règles de prudence à observer découlent notamment de l'art. 82 al. 1 de la loi fédérale sur l'assurance-accidents (LAA; RS 832.20), de l'ordonnance sur la prévention des accidents du 19 décembre 1983 (OPA; RS 832.30) et de l'ancienne ordonnance sur la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction du 29 juin 2005 (OTConst; RO 2005 4289; cf. aussi l'ordonnance sur la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction du 18 juin 2021 [OTConst]; RS 832.311.141; cf. encore récemment arrêt 6B_1386/2021 précité consid. 7).
2.2.2. En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir reprocher à l'auteur une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 145 IV 154 consid. 2.1 et les références citées).
3.
Dans un premier moyen, les recourants s'en prennent à la motivation par laquelle la cour cantonale a considéré que la loi sur la circulation routière (LCR; RS 741.01) et l'Ordonnance sur la circulation routière (OCR; RS 741.11) n'étaient pas applicables en l'espèce. Ils font ainsi grief à la cour cantonale d'avoir jugé qu'ils ne pouvaient y être fait référence pour déterminer le contenu du devoir de prudence de l'intimé.
3.1. À teneur de son article premier, la loi sur la circulation routière (LCR; RS 741.01) régit la circulation sur la voie publique ainsi que la responsabilité civile et l'assurance pour les dommages causés par des véhicules automobiles, des cycles ou des engins assimilés à des véhicules (al. 1). Les conducteurs de véhicules automobiles et les cyclistes sont soumis aux règles de la circulation sur toutes les routes servant à la circulation publique; les autres usagers de la route ne sont soumis à ces règles que sur les routes ouvertes entièrement ou partiellement aux véhicules automobiles ou aux cycles (al. 2). L'art. 1 al. 2 de l'Ordonnance sur les règles de la circulation routière (OCR; RS 741.11) précise que sont publiques les routes qui ne servent pas exclusivement à l'usage privé.
Selon la jurisprudence, il y a lieu de retenir une conception large de la notion de route publique. Ainsi, les places, les ponts, les tunnels, etc. sont à considérer comme routes au sens de la LCR (ATF 148 IV 30 consid. 1.4.2; 86 IV 29 consid. 2; arrêt 6B_335/2021 du 29 novembre 2021 consid. 3.1). Le facteur déterminant n'est pas de savoir si la surface de la route est en propriété privée ou publique, mais si elle est utilisée pour la circulation générale et si son usage est possible pour un groupe indéterminé de personnes, même si son utilisation est limitée. Ainsi, le caractère public ne dépend pas de la volonté du propriétaire mais de l'usage qui en est fait (ATF 148 IV 30 consid. 1.4.2; 104 IV 105 consid. 3; arrêt 6B_335/2021 précité consid. 3.1).
Selon la jurisprudence toujours, les règles de la circulation routière ne sont pas directement applicables sur les chantiers, en dehors des voies publiques (ATF 115 IV 45 consid. 2a; arrêt 6B_87/2008 du 31 juillet 2008 consid. 2.2; WALDMANN/KRAEMER in NIGGLI/PROBST/WALDMANN [éd.], Basler Kommentar, Strassenverkehrsgesetz, 2014, n° 21 ad art. 1 LCR). Elles peuvent cependant être prises en compte par analogie pour concrétiser le contenu et l'étendue du devoir de diligence (ATF 115 IV 45 consid. 2c; arrêts 6B_261/2018 du 28 janvier 2019 consid. 5.2.2; 6B_126/2008 du 14 avril 2008 consid. 2).
Cette jurisprudence trouve écho dans les Règles relatives à l'emploi d'engins mécaniques de terrassement et de véhicules de transport éditées par la SUVA, versées au dossier durant l'instruction (cf. pièce 30/2), qui précisent, en leur chiffre 5.1, que les règles de la circulation prescrites par la loi fédérale sur la circulation routière doivent également être observées sur les emplacements de travail.
3.2. En l'espèce, il est constant que le périmètre du chantier concerné n'était pas accessible à un nombre indéterminé de personnes, mais exclusivement aux cocontractants du maître de l'ouvrage. Les recourants semblent le contester, en évoquant la proximité d'habitations. Leur discussion sur ce point s'avère toutefois appellatoire, partant irrecevable (art. 106 al. 2 LTF). Il ressort en tout état du jugement attaqué que le chantier était fermé à la circulation et le trafic dévié vers un autre itinéraire pour en permettre le contournement. Une signalisation lumineuse de chantiers et des ouvriers régulaient la circulation, afin de permettre l'accès ou la sortie des camions de la zone de chantier fermée au trafic. Il ne pouvait pas y avoir de piétons externes aux entreprises du chantier sur la zone concernée.
Au regard de ce qui précède, la cour cantonale était fondée à considérer que la LCR et l'OCR ne trouvaient pas directement application. Toutefois, en se limitant à le constater et en ajoutant qu'il s'agissait de juger les conséquences d'un accident de chantier, et non d'un accident de la circulation, la cour cantonale paraît sous-entendre que les règles définies dans les textes précités demeurent dénuées de portée et de pertinence dans le cas d'espèce. Or, une telle approche méconnaît la jurisprudence susmentionnée. La cour cantonale a perdu de vue que les dispositions topiques de la LCR et de l'OCR ont vocation à s'appliquer par analogie, sur les chantiers également, lorsqu'il s'agit de concrétiser le contenu du devoir de diligence des conducteurs de véhicule. En ce sens, la dichotomie opérée entre accident de chantier et accident de la circulation, à laquelle les juges précédents paraissent avoir attaché une importance déterminante, n'est pas décisive. Les critiques des recourants s'avèrent par conséquent fondées, ce d'autant que la cour cantonale n'expose guère sur quelles bases ou à l'aune de quelles règles de prudence elle a conduit le raisonnement qui l'a amenée à confirmer l'acquittement de l'intimé.
Il convient dès lors de reprendre ces différents points, étant relevé que les recourants exposent se référer pour l'essentiel aux faits constatés par les juges précédents, qui lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF), ceux-ci étant au demeurant suffisamment établis pour permettre d'appliquer le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF; cf. GRÉGORY BOVEY, in AUBRY GIRARDIN/DONZALLAZ/DENYS/BOVEY/FRÉSARD, Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 27 ad art. 106 LTF).
4.
À teneur de l'art. 36 al. 4 LCR - applicable en l'occurrence par analogie (cf.
supra consid. 2.1) -, le conducteur qui, notamment, veut faire marche arrière ne doit pas entraver les autres usagers de la route; ces derniers bénéficient de la priorité.
Cette règle générale est concrétisée par l'art. 17 OCR, aux termes duquel avant de démarrer, le conducteur s'assurera qu'il ne met en danger aucun enfant ou autre usager de la route. Lorsque le véhicule masque la vue vers l'arrière, le conducteur ne reculera pas sans l'aide d'une tierce personne, à moins que tout danger ne soit exclu (al. 1). La marche arrière ne doit s'effectuer qu'à l'allure du pas. Il est interdit de traverser en marche arrière les intersections sans visibilité et les passages à niveau (al. 2; cf. aussi les interdictions exprimées par le biais des art. 36 al. 1, 37 al. 3 et 39 al. 1 OCR).
Les règles en question visent à tenir compte des dangers particuliers qui sont liés à la marche arrière. Cela vaut spécifiquement pour la prescription selon laquelle la marche arrière ne doit s'effectuer qu'à l'allure du pas ainsi qu'à l'interdiction totale d'effectuer une telle manoeuvre dans certaines circonstances. Le législateur a ainsi mis en exergue le caractère particulièrement important des dangers inhérents à ce type d'évolution et la nécessité d'exiger du conducteur concerné un degré de diligence très élevé, de façon à pouvoir exclure tout danger pour les tiers (arrêts 6S.465/2006 du 2 décembre 2006 consid. 2.3; 6P.104/2005 et 6S.333/2005 du 27 octobre 2005 consid. 1; 6S.691/2001 du 9 septembre 2002 consid. 3.2, publié in JdT 2003 I 499; cf. aussi ATF 106 IV 58 consid. 2; arrêt 1B_1/2011 du 20 avril 2011 consid. 5.3).
Selon l'art. 13 aOTConst, en vigueur au moment des faits, la marche arrière des véhicules de transport et des machines de chantier doit se limiter au strict nécessaire et être effectuée sous la surveillance d'un signaleur ou de tout autre moyen technique si des personnes peuvent se trouver dans le secteur de circulation (cf. aussi art. 19 OTConst). Quant aux Règles relatives à l'emploi d'engins mécaniques de terrassement et de véhicules de transport éditées par la SUVA (cf. pièce 30/2) évoquées plus haut (cf. consid. 3.1 i. f.), ces dernières prévoient que si la visibilité du conducteur est mauvaise ou nulle, il doit être aidé d'un signaleur (ch. 6.1.3). Elles précisent en outre que personne ne doit se tenir dans la zone de travail d'un engin (ch. 6.1.4).
5.
Invoquant en particulier une violation de l'art. 17 al. 1 OCR, les recourants soutiennent que la cour cantonale aurait dû retenir à la charge de l'intimé une violation du devoir de diligence tenant au fait d'avoir effectué sa marche arrière sans l'aide d'un tiers. Les recourants soutiennent à cet égard qu'il incombait à l'intimé personnellement, en sa qualité de chauffeur, respectivement de conducteur, de solliciter le concours d'une tierce personne.
5.1. L'art. 17 al. 1 OCR, appliqué ici par analogie, prévoit, comme on l'a vu plus haut, qu'il incombe au conducteur effectuant une marche arrière de se faire aider par un tiers lorsque la visibilité vers l'arrière est masquée. Cette même disposition réserve toutefois, de façon explicite, l'hypothèse où, nonobstant une visibilité masquée, tout danger peut être exclu. Dans ce cas, le concours d'un tiers n'est pas indispensable. L'art. 13 aOTConst, également évoqué plus haut, prévoit pour sa part le recours à l'aide d'un signaleur ou de tout moyen technique, dans l'hypothèse où des personnes peuvent se trouver dans le secteur de circulation durant la marche arrière.
5.2. En l'espèce, il ressort du jugement attaqué (art. 105 al. 1 LTF) que l'accident est survenu sur une chaussée fermée à la circulation, qui était déviée sur une route parallèle, et dans une zone inaccessible aux personnes extérieures au chantier. Il ne pouvait s'y trouver de piétons externes aux entreprises intervenant sur celui-ci.
Il sied également de préciser, s'agissant du contexte dans lequel est survenu le drame, que les travaux de dégrappage étaient effectués au moyen d'une fraiseuse permettant d'arracher l'enrobé. Cette fraiseuse était équipée, à l'avant, d'une rampe dotée d'un tapis roulant assurant l'évacuation des matériaux dégrappés. Pour collecter ces derniers, un camion à benne basculante devait venir se placer devant la fraiseuse et avancer de manière coordonnée avec cette dernière, de sorte que la benne soit remplie au fur et à mesure de la progression de la fraiseuse. Comme le chauffeur du camion ne pouvait pas, ou seulement très difficilement, voir la fraiseuse dans ses rétroviseurs et dans la mesure où l'allure de la fraiseuse ne pouvait pas être adaptée à celle du camion, il appartenait au conducteur de la fraiseuse, en fonction de l'allure de sa propre machine, de commander au chauffeur du camion d'avancer à faible vitesse ou de s'arrêter, en donnant, comme signal d'arrêt ou de départ, un coup de klaxon. Lorsque la benne du camion était pleine, le conducteur de la fraiseuse en avertissait le chauffeur du camion au moyen de deux ou plusieurs coups de klaxon. Celui-ci quittait alors les lieux et devait être rapidement remplacé par un autre camion, placé en attente à proximité sur une zone prévue à cet effet.
Dans le cas concret, une zone d'attente pour les camions avait été organisée sur un parking à proximité de la zone des travaux. Il est établi que le camion de l'intimé était le sixième à intervenir depuis le début des opérations, le jour du drame. Il a attendu son tour avant de recevoir l'instruction de venir se placer devant le camion d'un collègue, dont la benne était en train d'être remplie. Après que celui-ci eut quitté les lieux, l'intimé a entamé une manoeuvre de recul pour se placer à la hauteur de la rampe de la fraiseuse qui, dans le même temps, reculait elle aussi pour ensuite être à même de fraiser une nouvelle bande ce bitume, parallèle à celle qui venait de l'être. Il ressort en outre du jugement attaqué que l'intimé a été informé qu'il devait amorcer sa marche arrière par le conducteur de la fraiseuse, qui lui faisait des signes, mais aussi par la victime, qui, en tant que responsable du chantier pour l'entreprise adjudicataire, surveillait l'avancement des travaux et se trouvait, à ce moment-là, sur le trottoir à la droite du camion de l'intimé. Le jugement précise encore que la victime gérait également la sécurité du chantier.
5.3. Au regard de ce qui précède, il est constant que la visibilité vers l'arrière du camion durant la manoeuvre était masquée. Pour autant, le fait que, comme le relèvent les recourants, l'art. 17 al. 1 OCR fasse de manière générale peser l'obligation d'avoir recours à un tiers sur le conducteur du véhicule concerné ne peut faire perdre de vue les circonstances spécifiques de l'espèce. La marche arrière en cause s'inscrivait en effet dans le cadre d'une procédure organisée au préalable et coordonnée, qui impliquait plusieurs autres camions, ainsi que la fraiseuse, et était en l'occurrence supervisée par la victime. Les travaux se déroulaient dans une zone où la présence de tiers extérieurs au chantier était en principe exclue. Quant à la marche arrière qu'a effectuée l'intimé, à la suite de ses collègues chauffeur de camion précédemment intervenus sur le chantier, elle s'est déroulée dans la zone d'intervention prévue de la fraiseuse, où nul n'avait de motif de se tenir, pas même la victime, étant rappelé qu'elle était responsable du chantier et de sa sécurité.
Ainsi peut-on admettre, en se replaçant dans une perspective
ex ante, qu'à l'entame de sa manoeuvre, l'intimé n'avait pas à anticiper la présence ou l'apparition inopinée de tiers dans la zone concernée. L'intimé pouvait raisonnablement exclure tout danger qui aurait dû le contraindre à être secondé pour effectuer sa marche arrière. Dans cette mesure, la question de savoir à qui incombait la responsabilité de requérir une aide pour effectuer la manoeuvre se trouve privée d'objet. En tout état, il s'ensuit que l'on ne peut imputer à l'intimé une violation de son devoir de diligence sur ce plan.
Les griefs soulevés par les recourants à cet égard se révèlent ainsi mal fondés.
6.
Sous l'angle de l'art. 17 al. 2 OCR, les recourants soutiennent également que l'intimé a violé son devoir de diligence en effectuant sa marche arrière à une vitesse excessive. Ils reprochent à la cour cantonale de l'avoir dénié.
6.1. Comme relevé, l'art. 17 al. 2 OCR, toujours applicable par analogie dans le présent contexte (cf.
supra consid. 3.2), précise que la marche arrière ne doit s'effectuer qu'à l'allure du pas. Il s'agit, en d'autres termes, d'une vitesse de 5 km/h environ (arrêt 6B_662/2017 du 20 septembre 2017 consid. 3.3; cf. MAEDER in NIGGLI/PROBST/WALDMANN [éd.], Basler Kommentar, Strassenverkehrsgesetz, 2014, n° 106 ad art. 36 LCR; GIGER, SVG Kommentar, 9
e éd. 2022, n° 36 ad art. 36 LCR), la jurisprudence ayant également évoqué une fourchette de 5 à 8 km/h (arrêt 6B_360/2017 du 9 octobre 2017 consid. 2.2).
6.2. En l'espèce, il ressort du jugement attaqué (art. 105 al. 1 LTF) que l'analyse du tachygraphe du camion de l'intimé a mis en exergue deux temps dans la manoeuvre de recul de ce dernier. Dans un premier temps, il a reculé d'une dizaine de mètres à une vitesse moyenne de 3 km/h, avant de s'arrêter une seconde. Dans un second temps, il a repris sa marche arrière sur 49 mètres, à une vitesse moyenne de 7 km/h. Il ressort également du jugement entrepris que, durant la manoeuvre, le pilote de la fraiseuse a donné plusieurs coups de klaxon pour signifier à l'intimé qu'il roulait trop vite et qu'il se rapprochait trop du pont de la fraiseuse (jugement attaqué, p. 8).
Pour les juges précédents, la vitesse de la marche arrière n'était toutefois pas exagérée, même à supposer que, comme le soutenaient les recourants devant eux, le camion aurait circulé en marche arrière à 8 km/h. Ils relèvent notamment que la manoeuvre devait être effectuée en fonction de contraintes précises liées au chantier, sachant, entre autres, que l'intimé, au volant de son camion, devait rapidement venir se placer devant la fraiseuse pour récolter les gravats. Qui plus est, les opérations se déroulaient simultanément avec les deux véhicules, constamment en déplacements.
Les recourants opposent à la motivation cantonale la teneur de l'art. 17 al. 2 LCR. Ils font notamment état de ce que l'intimé aurait effectué une pointe à 12 km/h durant le second temps de la manoeuvre. Leur argumentation se base toutefois sur différents éléments de fait et autres calculs qui ne ressortent pas en soi de l'arrêt attaqué, sans pour autant qu'ils cherchent à mettre en exergue à satisfaction de droit (cf. art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF) en quoi et dans quelles mesures les constatations cantonales seraient entachées d'arbitraire. Le grief, dans une large mesure appellatoire, s'avère, irrecevable. En outre, la discussion qu'ils développent sur la vitesse selon eux excessive de l'intimé tout en soutenant qu'à la vitesse du pas, la victime n'aurait été que bousculée et non renversée achoppe sur les incertitudes entourant les circonstances précises du drame (cf.
infra consid. 7.2). Il n'en demeure pas moins que, sur ce plan également, le grief soulevé par les recourants s'avère largement appellatoire et, partant, irrecevable. En tant qu'ils critiquent enfin la prise en considération d'une vitesse moyenne par les juges précédents, il convient de relever qu'au regard des constatations cantonales, dont les recourants échouent à établir le caractère insoutenable, les valeurs moyennes de 3 km/h, respectivement de 7 km/h retenues demeurent dans une fourchette admissible et permettaient malgré tout aux juges précédents de considérer, sans violer le droit fédéral, que la vitesse d'évolution de l'intimé lors de sa manoeuvre de marche arrière ne paraissait pas inadaptée. La cour cantonale était donc fondée,
in fine, à dénier l'existence d'une violation du devoir de diligence sous cet angle également.
Sur ce point aussi, le griefs des recourants se révèlent mal fondés, dans la mesure de leur recevabilité.
7.
Au regard de ce qui précède, soit en l'absence de négligence imputable à l'intimé, les griefs soulevés par les recourants s'agissant du lien de causalité se trouvent privés d'objet. On peut néanmoins relever ce qui suit.
7.1. Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des conditions
sine qua non, c'est-à-dire si, sans lui, le résultat ne se serait pas produit, ou du moins pas de la même manière; il n'est pas nécessaire que l'événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat (ATF 143 III 242 consid. 3.7; 139 V 176 consid. 8.4.1). La constatation du rapport de causalité naturelle relève du fait (ATF 143 II 661 consid. 5.1.1; 138 IV 57 consid. 4.1.3 et les arrêts cités). Il y a toutefois violation du droit fédéral si l'autorité cantonale méconnaît le concept même de causalité naturelle (ATF 138 IV 1 consid. 4.2.3.3; 122 IV 17 consid. 2c/aa; arrêts 6B_1333/2022 du 2 octobre 2023 consid. 2.2.4; 6B_1287/2018 du 11 mars 2019 consid. 1.4.1).
Le rapport de causalité est qualifié d'adéquat lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 143 III 242 consid. 3.7; 142 III 433 consid. 4.5; 138 IV 57 consid. 4.1.3). La causalité adéquate sera admise même si le comportement de l'auteur n'est pas la cause directe ou unique du résultat. Peu importe que le résultat soit dû aussi à d'autres causes, notamment à l'état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers (ATF 131 IV 145 consid. 5.2; arrêt 6B_375/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3.1.1). La causalité adéquate peut toutefois être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d'un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener, notamment le comportement de l'auteur (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2 et les arrêts cités; arrêt 6B_375/2022 précité consid. 3.1.1). Il s'agit d'une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 142 IV 237 consid. 1.5.2; 139 V 176 consid. 8.4.3).
7.2. En l'espèce, il ressort du jugement attaqué (art. 105 al. 1 LTF) qu'une inconnue subsiste sur le déroulement des faits, en ce qui concerne la manière dont la victime, qui était alors en conversation téléphonique avec son patron, s'est retrouvée derrière le camion conduit par l'intimé, alors en marche arrière. Le jugement attaqué retient en particulier que l'on ignore pourquoi et comment la victime s'est retrouvée derrière le véhicule et - ce point doit être mis en exergue - à quelle distance de celui-ci elle a surgi. L'instruction, qualifiée de complète par les juges précédents, sans que les recourants n'émettent de critiques à cet égard, n'a pas permis de trancher entre l'hypothèse d'une inattention, d'un faux pas ou d'un malaise.
Les circonstances précises du drame demeurent par conséquent entourées d'incertitudes. En ce sens, la cour cantonale était fondée à retenir, en application du principe
in dubio pro reo, que l'inattention ou le malaise de la victime représentait la cause prépondérante de l'accident. De même était-elle fondée à retenir, par identité de motif, que cette dernière s'était retrouvée sur la trajectoire du camion à proximité immédiate du véhicule évoluant en marche arrière et qu'elle avait pu trébucher ou faire un malaise juste derrière le camion. Dans cette perspective, la cour cantonale pouvait, sans que cela prête le flanc à la critique, retenir que, même si l'intimé avait eu recours à l'aide d'un tiers pour effectuer la manoeuvre et même si la manoeuvre de recul avait effectuée plus lentement, l'accident serait tout de même survenu. Elle en a conclu, à juste titre, qu'on ne pouvait pas considérer qu'un comportement différent de la part de l'intimé, correspondant aux attentes exprimées par les recourants, aurait permis d'éviter la survenance du drame. Un tel raisonnement ne viole pas le droit fédéral (cf. ATF 135 IV 56 consid. 2.1 i. f.; arrêts 6B_1058/2022 du 29 janvier 2024 consid. 3.3; 6B_817/2023 du 15 novembre 2023 consid. 2.3.3; 6B_403/2016 du 28 novembre 2017 consid. 1.2 i. f.).
8.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. Les recourants, qui succombent, supportent les frais judiciaires (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 2 avril 2024
Au nom de la Ire Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jacquemoud-Rossari
Le Greffier : Dyens