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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
9C_126/2022  
 
 
Arrêt du 2 août 2022  
 
IIe Cour de droit social  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, 
Stadelmann et Moser-Szeless. 
Greffier : M. Bürgisser. 
 
Participants à la procédure 
A.________, 
 
représentée par Me Michel Bergmann, avocat, 
recourante, 
 
contre  
 
Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève, rue des Gares 12, 1201 Genève, 
intimé. 
 
Objet 
Assurance-invalidité, 
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 26 janvier 2022 (A/2572/2019 - ATAS/50/2022). 
 
 
Faits :  
 
A.  
 
A.a. A.________, née en 1974, fait partie de la communauté suisse des gens du voyage. Elle et sa famille mènent un mode de vie semi-nomade, passant quatre mois en hiver sur une aire de séjour située à U.________ et voyageant le reste de l'année en Suisse allemande, en France et en Allemagne. Sur le plan professionnel, elle travaillait comme employée dans l'entreprise de brocante de son mari.  
A la suite d'un premier refus de prestations de l'assurance-invalidité (décision de l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève [ci-après : l'office AI] du 15 mars 1996), l'assurée a présenté une nouvelle demande de prestations le 11 décembre 2006, qui a été rejetée par l'office AI le 7 décembre 2010). Statuant le 30 mai 2011 sur le recours formé par l'assurée contre cette décision, la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, l'a rejeté. Saisi d'un recours de l'assurée contre cet arrêt, le Tribunal fédéral l'a admis (arrêt 9C_540/2011 du 15 mars 2012, publié in ATF 138 I 205). Il a annulé l'arrêt entrepris, ainsi que la décision administrative du 7 décembre 2010 et renvoyé la cause à l'office AI pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision. Selon le Tribunal fédéral, il incombait à l'office AI d'examiner le point de savoir si et dans quelle mesure l'assurée pouvait tirer profit de sa capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, à ses aptitudes intellectuelles et professionnelles, et compatible avec le mode de vie traditionnel de la communauté des gens du voyage. 
 
A.b. Ensuite de l'arrêt fédéral de renvoi et après que A.________ a allégué une aggravation de son état de santé au mois de juin 2014, l'office AI a rendu une nouvelle décision le 8 juin 2015, par laquelle il a refusé toute prestation. En bref, il a considéré que le taux d'invalidité de l'assurée (13,9 %, arrondi à 14 %) était insuffisant pour ouvrir le droit à une rente ou à des mesures professionnelles. Statuant le 2 décembre 2015, la Cour de justice a admis le recours de l'assurée. Elle a annulé la décision du 8 juin 2015 et renvoyé la cause à l'administration pour instruction complémentaire et nouvelle décision.  
Reprenant l'instruction, l'office AI a notamment diligenté une expertise pluridisciplinaire auprès de CEMEDEX SA (rapport des docteurs B.________, spécialiste en médecine interne générale, C.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, et D.________, spécialiste en rhumatologie, du 14 août 2018). Par décision du 5 juin 2019, l'office AI a derechef nié le droit de l'assurée à une rente. 
 
B.  
A.________ a déféré cette décision à la Cour de justice, qui a notamment ordonné une expertise auprès des docteurs E.________, spécialiste en rhumatologie, et F.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (appréciation consensuelle du 23 juin 2021). Statuant le 26 janvier 2022, la juridiction cantonale a partiellement admis le recours. Elle a annulé la décision du 5 juin 2019 et reconnu le droit de l'assurée à une rente entière d'invalidité dès le 1er août 2014. 
 
C.  
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt dont elle demande l'annulation en tant qu'il reconnaît son droit à une rente d'invalidité uniquement à partir du 1er août 2014. Elle conclut à l'octroi d'une rente entière d'invalidité à compter du 1er mars 2006. 
L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, et statue par ailleurs sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend s'en écarter doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait divergent ne peut pas être pris en considération. 
 
2.  
Les constatations de l'autorité cantonale de recours sur l'atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée et l'exigibilité - pour autant qu'elles ne soient pas fondées sur l'expérience générale de la vie - relèvent d'une question de fait et ne peuvent donc être contrôlées par le Tribunal fédéral que sous un angle restreint (ATF 132 V 393 consid. 3.2). On rappellera, en particulier, qu'il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une solution autre que celle de l'autorité cantonale semble concevable, voire préférable (ATF 141 I 70 consid. 2.2; 140 I 201 consid. 6.1). Pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 141 I 49 consid. 3.4). 
 
3.  
Dans le cadre du "développement continu de l'AI", la LAI, le RAI et la LPGA - notamment - ont été modifiés avec effet au 1er janvier 2022 (RO 2021 705; FF 2017 2535). Compte tenu cependant du principe de droit intertemporel prescrivant l'application des dispositions légales qui étaient en vigueur lorsque les faits juridiquement déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références), le droit applicable reste, en l'occurrence, celui qui était en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021 dès lors que la décision litigieuse a été rendue avant cette date. 
 
4.  
En instance fédérale, le litige porte sur le droit de la recourante à une rente de l'assurance-invalidité du 1er mars 2006 au 31 juillet 2014. Les parties ne contestent pas le droit de l'assurée à une rente entière d'invalidité à partir du 1er août 2014, tel que reconnu par les premiers juges. 
 
5.  
La juridiction cantonale a considéré, ensuite de l'arrêt de renvoi du Tribunal fédéral du 15 mars 2012 (ATF 138 I 205), que la décision du 7 décembre 2010 de l'office AI était entrée en force en ce qu'elle retenait une capacité de travail entière de l'assurée dans une activité adaptée. Par conséquent, dans la mesure où la capacité de travail était la même qu'au moment de la dernière décision entrée en force du 11 décembre 2006 [recte: 15 mars 1996], un cas de révision au sens de l'article 17 LPGA n'était pas ouvert. Dès lors, l'assurée n'avait pas le droit à une rente d'invalidité à la suite de la demande qu'elle avait présentée le 27 novembre 2006 et jusqu'au 7 décembre 2010, date de la décision de l'office AI. La cour cantonale a ainsi limité l'objet du litige à la question de savoir si l'état de santé de la recourante s'était aggravé depuis la décision du 7 décembre 2010 jusqu'au 5 juin 2019, date de la décision litigieuse. A cet égard, elle a constaté qu'une telle aggravation pouvait être objectivée en lien avec la réintroduction des opiacés à la suite d'une intervention chirurgicale pour une discopathie L3-L4, L4-L5 et L5-S1 réalisée le 26 mai 2014 par le docteur G.________, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur. A quinze mois de l'intervention chirurgicale, le médecin avait en effet indiqué qu'il y avait une persistance de douleurs justifiant un traitement par opiacés, que la situation était très peu favorable à une reprise professionnelle et que le pronostic était très réservé (rapport du 8 septembre 2015). Cette conclusion était en outre corroborée par l'évaluation du docteur E.________ du 28 juin 2021, qui avait exposé que le syndrome de sensibilisation centrale s'était vraisemblablement aggravé dès l'intervention chirurgicale de 2014 et que le diagnostic de douleurs chroniques post-chirurgicales remontait au 26 mai 2014, alors qu'après une brève période de quelques semaines, voire quelques mois d'amélioration sous l'effet du traitement médicamenteux, l'assurée avait signalé une aggravation de son état de santé. Pour la juridiction cantonale, il en résultait que la recourante était incapable de travailler dans toute activité dès le mois d'août 2014, de sorte qu'elle avait droit à une rente entière d'invalidité dès cette date. 
 
6.  
La recourante reproche à la cour cantonale une violation de son droit d'être entendue en ce que les premiers juges n'ont pas procédé à un examen concret de l'activité adaptée à ses limitations fonctionnelles et à son mode de vie dans une économie de marché, contrairement à ce qui leur était prescrit par l'arrêt de renvoi du Tribunal fédéral du 15 mars 2012. Elle critique également la manière dont l'office AI a calculé la perte de gain pour la période allant de 2006 à 2014 - que la Cour de justice aurait ratifiée de manière implicite - et, par conséquent, le taux d'invalidité. La juridiction cantonale aurait également violé le principe d'exigibilité et la notion de marché du travail équilibré puisque, selon les experts judiciaires, il n'existait pas d'activité adaptée à l'état de santé de la recourante dans une économie de marché, son incapacité de travail ayant été considérée comme totale depuis 2006 par le docteur E.________. 
 
7.  
 
7.1. Dans son arrêt de renvoi du 15 mars 2012, le Tribunal fédéral a considéré que la recourante disposait, d'un point de vue médical, d'une capacité de travail pleine et entière dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, étant admis que la nature des activités qu'elle exerçait auparavant dans le domaine de la brocante n'était pas compatible avec lesdites limitations (ATF 138 I 205 consid. 2). Il avait alors renvoyé la cause à l'office AI afin qu'il examinât concrètement si et dans quelle mesure la recourante pouvait tirer profit de sa capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, à ses aptitudes intellectuelles et professionnelles, et compatible avec le mode de vie traditionnel de la communauté des gens du voyage (ATF 138 I 205 consid. 6.3).  
En tant que la recourante se prévaut tout d'abord de l'avis du docteur E.________ quant à son incapacité totale de travail depuis 2006, elle ne prend à tort pas en compte les aspects du litige qui ont été jugés de manière définitive par le Tribunal fédéral du 15 mars 2012. Ainsi, celui-ci a retenu sur la base des faits établis par la juridiction cantonale et alors non contestés par les parties que la recourante disposait d'une capacité de travail entière dans une activité adaptée (ATF 138 I 205 consid. 2). On ne saurait par ailleurs déduire de la conclusion de l'expert judiciaire une aggravation de son état de santé postérieure à la décision du 7 décembre 2010. 
Dans la mesure ensuite où la juridiction cantonale a nié le droit de l'assurée à une rente ensuite de la demande qu'elle a déposée le 11 décembre 2006 et jusqu'au 7 décembre 2010, motif pris de l'absence d'un cas de révision, elle omet de prendre en considération, en violation de l'art. 17 LPGA (dans sa teneur en vigueur au moment des faits déterminants en 2006, cf. consid. 3; sur cette disposition, ATF 133 V 108 consid. 5), que le renvoi de la cause ordonné par le Tribunal fédéral le 15 mars 2012 impliquait l'existence d'un motif de révision en lien avec l'unique décision entrée en force, soit celle du 15 mars 1996. Ainsi, à tout le moins lors du dépôt de la nouvelle demande en 2006, la recourante n'était plus capable d'exercer son activité habituelle; elle disposait en revanche d'une capacité de travail entière dans une activité adaptée. En conséquence, quand bien même les premiers juges ont admis implicitement une capacité entière de travail de la recourante jusqu'au 31 juillet 2014, ils ne pouvaient se dispenser d'en examiner concrètement les conséquences économiques en fonction des activités exigibles et compatibles avec le mode de vie traditionnel de la recourante pour la période antérieure au 1er août 2014. 
Dès lors que la recourante qualifie d'inutile le renvoi de la cause pour définir son taux d'invalidité et se détermine à ce sujet, alors que l'intimé a renoncé à s'exprimer à cet égard, la Cour de céans complétera d'office l'état de fait retenu par les premiers juges (art. 105 al. 2 LTF). Ce complément se justifie d'autant plus que la mise en oeuvre des instructions du Tribunal fédéral n'a toujours pas trouvé de résultat définitif depuis qu'il a statué le 15 mars 2012, soit depuis plus de dix ans. 
 
7.2.  
 
7.2.1. L'office AI, après avoir confié à son service de réadaptation le soin d'examiner les activités adaptées conformément à l'arrêt de renvoi, a constaté que, dans le canton de V.________, de nombreux métiers dans le domaine industriel ainsi que dans la vente d'articles légers étaient accessibles en missions temporaires et qu'ils permettaient à la recourante d'obtenir, au 1er mars 2007, un revenu mensuel de 3'500 fr., soit un revenu annuel de 42'000 fr.; celui-ci devait être ramené à 35'700 fr. compte tenu d'un abattement de 15 % (décision du 5 juin 2019 en relation avec le rapport d'adaptation du 21 mai 2015). En instance fédérale, la recourante admet qu'elle peut gagner 11'900 fr. durant les quatre mois de l'année où elle séjourne à U.________ (soit 35'700 fr. / 3 = 11'900 fr.), de sorte qu'il y a lieu de reprendre ce montant pour cette période.  
 
7.2.2. Concernant la période durant laquelle elle n'est pas sédentaire, la recourante a indiqué, dans le cadre de sa comparution personnelle devant la Cour de justice, qu'elle et sa famille ne suivaient pas un itinéraire ou une suite de séjour prédéterminés et que la décision de quitter un lieu était parfois prise dans l'heure (procès-verbal du 16 mai 2011). S'agissant des activités concrètes, la juridiction cantonale a constaté, en se fondant sur les déclarations de la recourante, que les membres de sa communauté, en dehors de la brocante et des antiquités, n'exerçaient plus que deux activités, à savoir l'entretien des maisons et des jardins, activités trop lourdes pour l'intéressée. De plus, selon l'office intimé, on ne pouvait pas exiger de l'assurée qu'elle exerçât une activité dans le domaine de la petite manufacture à domicile, dans la mesure où ces activités de "petites mains" n'existaient plus à ce jour (note de travail du 30 juillet 2013). Il apparaît dès lors, dans les conditions particulières du cas d'espèce, qu'il n'existe pas pour la recourante d'activités adaptées lorsqu'elle est itinérante durant huit mois en Suisse allemande, en France et en Allemagne et qu'aucun revenu d'invalide ne peut être retenu pour cette période.  
 
7.2.3. Il s'ensuit qu'avec un revenu sans invalidité fixé par l'office AI de 43'587 fr. pour l'année 2007, que la recourante ne conteste pas devant le Tribunal fédéral, et compte tenu du revenu d'invalide de 11'900 fr. (consid. 7.2.1 supra), le taux d'invalidité de l'assurée doit être fixé à 73 % ([43'587 fr. - 11'900 fr.] / 43'587 fr. x 100 = 72,6 %), ouvrant le droit à une rente entière d'invalidité (art. 28 al. 2 LAI en relation avec l'article 16 LPGA, dans sa teneur en vigueur au moment des faits déterminants, cf. consid. 3 supra).  
Le début du droit à la rente doit être fixé au 1er mars 2007, en application de l'art. 29 al. 1 LAI (également dans sa teneur en vigueur au moment des faits déterminants, cf. consid. 3), le délai d'attente d'une année ayant débuté le 1er mars 2006 (rapports du Service médical régional de l'assurance-invalidité des 2 octobre 2007 et 8 octobre 2018). Il y a dès lors lieu de réformer l'arrêt entrepris en ce sens que le droit de l'assurée à une rente entière lui est reconnu à compter du 1er mars 2007. 
 
8.  
Vu l'issue de la procédure, l'intimé supportera les frais de justice (art. 66 al. 1 LTF), ainsi que les dépens que peut prétendre la recourante (art. 68 al. 1 LTF). L'issue du litige n'a en revanche pas d'incidence sur la répartition des frais et dépens de première instance (cf. art. 67 LTF et 68 al. 5 LTF). 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
1.  
Le recours est partiellement admis. Le ch. 4 du dispositif de l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 26 janvier 2022 est réformé en ce sens que la recourante a droit à une rente entière de l'assurance-invalidité dès le 1 er mars 2007. Le recours est rejeté pour le surplus.  
 
2.  
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimé. 
 
3.  
L'intimé versera à la recourante la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la procédure fédérale. 
 
4.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales. 
 
 
Lucerne, le 2 août 2022 
 
Au nom de la IIe Cour de droit social 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Président : Parrino 
 
Le Greffier : Bürgisser