Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_244/2023
Arrêt du 3 avril 2024
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jametti, présidente, Hohl, Kiss, Rüedi et May Canellas.
Greffier: M. O. Carruzzo.
Participants à la procédure
Royaume d'Espagne,
représenté par Mes Jean-Marie Vulliemin, Jean Marguerat et Tomás Navarro Blakemore, avocats,
recourant,
contre
A.________,
représentée par Mes Philippe Bärtsch, Anya George et Anne-Carole Cremades, avocats,
intimée.
Objet
arbitrage international,
recours en matière civile contre la sentence rendue le 11 avril 2023 par un Tribunal arbitral ad hoc avec siège à Genève.
Faits :
A.
Afin de transposer dans son droit interne plusieurs directives européennes visant à encourager la production d'énergie à partir de sources renouvelables, le Royaume d'Espagne a adopté plusieurs décrets royaux vers le milieu des années 2000. Le décret royal 661/2007 (ci-après-: le RD 661/2007), promulgué le 25 mai 2007, a arrêté le prix d'achat au kilowattheure (
Feed-in-Tariff ou FIT) pour des installations photovoltaïques qualifiées. Il prévoyait un FIT déterminé et attractif pour les 25 premières années d'exploitation desdites installations et un FIT moins élevé pour les années subséquentes. Pour pouvoir vendre l'électricité produite au FIT prévu par ledit décret, les producteurs d'énergie renouvelable devaient s'annoncer auprès de l'autorité compétente dans un délai déterminé. Le RD 661/2007 a connu un succès fulgurant et a réussi à attirer nombre d'investisseurs en quelques mois seulement. Il a également entraîné un écart croissant, qualifié de "déficit tarifaire", entre les frais d'accès à l'électricité (c'est-à-dire le montant payé par les clients pour leur consommation d'électricité) et les coûts réglementés du marché électrique espagnol, incluant les frais liés aux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables.
Le décret royal 1578/2008 (ci-après: le RD 1578/2008), promulgué le 26 septembre 2008, a introduit de nouveaux paramètres de soutien en faveur des installations photovoltaïques n'ayant pas été enregistrées auprès de l'autorité compétente dans le délai prévu à cet effet par le RD 661/2007. Il prévoyait un FIT réduit sur une période de 25 ans.
La société de droit français A.________ a acquis et développé, par le truchement de diverses entités espagnoles contrôlées par elle, douze installations photovoltaïques sur le territoire espagnol. Trois d'entre elles étaient initialement soumises au RD 661/2007, tandis que les neuf autres étaient régies par le RD 1578/2008.
Entre 2010 et 2013, le Royaume d'Espagne, lequel prétendait vouloir lutter contre son déficit tarifaire en matière d'énergie, a modifié les mesures de soutien financier prévues par le RD 661/2007 ainsi que le RD 1578/2008. En 2013 et 2014, il a abrogé lesdits décrets et a adopté un nouvel arsenal législatif visant notamment à remplacer les FIT fixes pour les installations photovoltaïques par une rémunération censée assurer aux investisseurs un taux de rendement raisonnable.
B.
B.a. Le 24 février 2016, A.________, se fondant sur l'art. 26 du Traité du 17 décembre 1994 sur la Charte de l'énergie (TCE; RS 0.730.0), a initié une procédure d'arbitrage à l'encontre du Royaume d'Espagne.
Un tribunal arbitral ad hoc, composé de trois membres, a été constitué. Son siège a été fixé à Genève.
En cours de procédure, le défendeur a soulevé l'exception d'incompétence du Tribunal arbitral. Il a notamment fait valoir que celui-ci n'était pas compétent pour connaître d'un différend opposant un investisseur sis dans l'un des États membres de l'Union européenne (ci-après: l'UE) à l'un de ces États au sujet d'un investissement réalisé par le premier sur le territoire de ce dernier.
B.b. Le 10 novembre 2017, la Commission européenne (ci-après: la CE) a rendu une décision au terme de laquelle elle a notamment conclu à la compatibilité avec le droit européen du mécanisme de soutien financier, mis en place par le Royaume d'Espagne dans sa réglementation adoptée en 2013 et 2014, en vue de promouvoir la production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelable.
Le 15 novembre 2018, la CE a demandé à pouvoir intervenir dans la présente procédure.
Le 10 décembre 2018, les arbitres ont invité la CE à déposer un mémoire d'
amicus curiae relatif au point de savoir si la décision qu'elle avait rendue le 10 novembre 2017 liait le Tribunal arbitral.
Le 9 janvier 2019, la CE a transmis son écriture aux arbitres.
B.c. Après avoir tenu une audience à Londres du 15 au 19 octobre 2018, le Tribunal arbitral a rendu sa sentence le 11 avril 2023. Il a rejeté le motif d'incompétence soulevé par le défendeur en relation avec le caractère intra-européen du litige. Accueillant partiellement la demande, le Tribunal arbitral, statuant à la majorité de ses membres, a considéré, sur le fond, que l'État défendeur avait enfreint l'art. 10 par. 1 TCE car, en adoptant sa nouvelle réglementation en 2013, il avait failli à son devoir d'accorder un traitement loyal et équitable aux investissements de la demanderesse, raison pour laquelle il devait indemniser cette dernière à hauteur de 29'600'000 euros, intérêts en sus. Les motifs qui étayent cette sentence seront examinés plus loin dans la mesure utile à la compréhension des critiques dont celle-ci est la cible.
C.
Le 16 mai 2023, le Royaume d'Espagne (ci-après: le recourant) a formé un recours en matière civile, assorti d'une requête d'effet suspensif, aux fins d'obtenir l'annulation de ladite sentence.
La requête d'effet suspensif a été admise par ordonnance du 14 juillet 2023, faute d'opposition.
Dans sa réponse, A.________, dont la nouvelle raison sociale est désormais A.________ (ci-après: l'intimée), a conclu, principalement, à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet.
Invité à répondre au recours, le Tribunal arbitral ne s'est pas déterminé sur celui-ci.
Le recourant a déposé une réplique spontanée, suscitant le dépôt d'une duplique de la part de l'intimée.
Considérant en droit :
1.
D'après l'art. 54 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée. Lorsque cette décision a été rendue dans une autre langue (ici l'anglais), il utilise la langue officielle choisie par les parties. Dans les mémoires qu'elles ont adressés au Tribunal fédéral, les parties ont employé le français. Conformément à sa pratique (cf. ATF 142 III 521 consid. 1), le Tribunal fédéral rendra par conséquent son arrêt dans la langue du recours, c'est-à-dire le français.
2.
Dans le domaine de l'arbitrage international, le recours en matière civile est recevable contre les décisions de tribunaux arbitraux aux conditions prévues par les art. 190 à 192 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP; RS 291), conformément à l'art. 77 al. 1 let. a LTF.
Le siège de l'arbitrage se trouve à Genève. Aucune des parties n'avait son siège en Suisse au moment déterminant. Les dispositions du chapitre 12 de la LDIP sont dès lors applicables (art. 176 al. 1 LDIP).
3.
Qu'il s'agisse de l'objet du recours, de la qualité pour recourir, du délai de recours ou encore des conclusions prises sur le fond par l'intéressé, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce. Rien ne s'oppose donc à l'entrée en matière. Demeure réservé l'examen de la recevabilité des différents moyens invoqués par le recourant.
4.
4.1. Le recours en matière d'arbitrage international ne peut être formé que pour l'un des motifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP. Le Tribunal fédéral n'examine que les griefs qui ont été invoqués et motivés conformément à l'art. 77 al. 3 LTF. Cette disposition institue le principe d'allégation (
Rügeprinzip) et consacre une obligation analogue à celle que prévoit l'art. 106 al. 2 LTF pour le grief tiré de la violation de droits fondamentaux ou de dispositions de droit cantonal et intercantonal (ATF 134 III 186 consid. 5). Les exigences de motivation du recours en matière d'arbitrage sont accrues. La partie recourante doit donc invoquer l'un des motifs de recours énoncés limitativement et montrer par une argumentation précise, en partant de la sentence attaquée, en quoi le motif invoqué justifie l'admission du recours (arrêts 4A_7/2019 du 21 mars 2019 consid. 2; 4A_378/2015 du 22 septembre 2015 consid. 3.1). Les critiques appellatoires sont irrecevables (arrêt 4A_65/2018 du 11 décembre 2018 consid. 2.2). Comme la motivation doit être contenue dans l'acte de recours, la partie recourante ne saurait user du procédé consistant à prier le Tribunal fédéral de bien vouloir se référer aux allégués, preuves et offres de preuve contenus dans les écritures versées au dossier de l'arbitrage. De même, la partie recourante ne peut pas se servir de la réplique pour invoquer des moyens, de fait ou de droit, qu'elle n'a pas présentés en temps utile, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de recours non prolongeable (art. 100 al. 1 LTF en liaison avec l'art. 47 al. 1 LTF) ou pour compléter, hors délai, une motivation insuffisante (arrêt 4A_478/2017 du 2 mai 2018 consid. 2.2 et les références citées).
4.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits constatés dans la sentence attaquée (cf. art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter d'office les constatations des arbitres, même si les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit (cf. l'art. 77 al. 2 LTF qui exclut l'application de l'art. 105 al. 2 LTF). Sa mission, lorsqu'il est saisi d'un recours en matière civile visant une sentence arbitrale internationale, ne consiste pas à statuer avec une pleine cognition, à l'instar d'une juridiction d'appel, mais uniquement à examiner si les griefs recevables formulés à l'encontre de ladite sentence sont fondés ou non. Permettre aux parties d'alléguer d'autres faits que ceux qui ont été constatés par le tribunal arbitral, en dehors des cas exceptionnels réservés par la jurisprudence, ne serait plus compatible avec une telle mission, ces faits fussent-ils établis par les éléments de preuve figurant au dossier de l'arbitrage. Les constatations du Tribunal arbitral quant au déroulement de la procédure lient aussi le Tribunal fédéral, qu'elles aient trait aux conclusions des parties, aux faits allégués ou aux explications juridiques données par ces dernières, aux déclarations faites en cours de procès, aux réquisitions de preuves, voire au contenu d'un témoignage ou d'une expertise ou encore aux informations recueillies lors d'une inspection oculaire (arrêt 4A_322/2015 du 27 juin 2016 consid. 3 et les références citées). Cependant, le Tribunal fédéral conserve la faculté de revoir l'état de fait à la base de la sentence attaquée si l'un des griefs mentionnés à l'art. 190 al. 2 LDIP est soulevé à l'encontre dudit état de fait ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du recours en matière civile (arrêt 4A_478/2017, précité, consid. 2.2).
5.
Dans un premier groupe de moyens réunis sous la rubrique intitulée " Le vice de délibéré", le recourant, dénonçant simultanément une constitution irrégulière du Tribunal arbitral (art. 190 al. 2 let. a LDIP), une atteinte à son droit d'être entendu (art. 190 al. 2 let. d LDIP) ainsi qu'une contrariété à l'ordre public procédural (art. 190 al. 2 let. e LDIP), reproche aux arbitres de n'avoir pas discuté, lors de leurs délibérations, de la sentence rendue le 16 juin 2022 par un autre tribunal arbitral, sis en Suède et statuant sous les auspices de l'Institut d'arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm (SCC), dans la cause SCC V n° 2016/135
Green Power Partners K/S et SCE Solar Don Benito APS
contre le Royaume d'Espagne (ci-après: l'affaire
Green Power).
5.1. Pour étayer sa démonstration, le recourant commence par retracer le déroulement de certaines étapes de la procédure d'arbitrage. A cet égard, il rappelle qu'il a sollicité, le 28 juin 2022, l'autorisation de produire la sentence rendue dans l'affaire
Green Power et la possibilité de pouvoir formuler des observations relatives à cette décision. Il souligne que ladite sentence revêtait une importance cruciale, puisqu'il s'agissait de la première affaire dans laquelle un tribunal arbitral admettait l'exception d'incompétence fondée sur le caractère intra-européen du litige. L'intéressé précise que, par ordonnance procédurale n. 12 rendue le 29 juillet 2022 à la majorité de ses membres, le Tribunal arbitral a accepté de verser au dossier la sentence prononcée dans l'affaire
Green Power, sans toutefois permettre aux parties de se déterminer sur le contenu de cette décision.
Le recourant indique ensuite que l'arbitre désigné par lui a émis une opinion dissidente, communiquée avec la sentence attaquée, dans laquelle il a notamment indiqué ce qui suit:
-.. the Majority, after acknowledging that «...[t]he Green Power tribunal's discussion of this question is relatively lengthy and addresses the same ECT provisions discussed above... » concluded, without the Tribunal having deliberated and without the Majority stating its reasons therefor, that «... [it] understands those provisions differently from the Green Power tribunal and is not persuaded by the tribunal's reasoning »."
Le recourant déduit du passage précité que la sentence rendue dans l'affaire
Green Power n'a fait l'objet d'aucune discussion lors des délibérations du Tribunal arbitral. Pour étayer pareille affirmation, il soutient que l'absence de discussion sur le point concerné - lequel serait à son avis déterminant pour l'issue du litige - doit soit être tenue pour établie sur la seule base de l'opinion dissidente émise par l'arbitre qu'il a choisi, soit être corroborée par les échanges ayant eu lieu entre les arbitres lors des délibérations dont il requiert la production.
L'intéressé dénonce en outre une irrégularité dans la composition du Tribunal arbitral (art. 190 al. 2 let. a LDIP) ainsi qu'une violation de son droit d'être entendu (art. 190 al. 2 let. d LDIP), au motif qu'un élément décisif pour le sort du litige n'a pas été discuté, respectivement n'a pas été pris en considération. Selon le recourant, le président du Tribunal arbitral, lequel avait accumulé un retard considérable et avait été mis sous pression par l'intimée afin que les arbitres statuent rapidement, aurait sciemment décidé de ne pas débattre de la sentence rendue dans l'affaire
Green Power et se serait contenté de reprendre mot pour mot les considérations qu'il avait déjà formulées dans le cadre d'une décision rendue quelques mois auparavant par un autre tribunal arbitral qu'il présidait. Le recourant voit également dans le prétendu vice affectant les délibérations du Tribunal arbitral une atteinte à l'ordre public procédural au sens de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP.
5.2. Lorsque le tribunal arbitral est composé de plusieurs membres, le délibéré est une opération essentielle qui doit avoir lieu même s'il n'est pas expressément prévu par la loi. Il s'agit à la fois d'un droit des parties, découlant selon plusieurs auteurs du droit d'être entendu, et d'un droit et devoir de chacun des arbitres (arrêt 4P.115/2003 du 16 octobre 2003 consid. 3.2 non publié in ATF 129 III 727 et les références citées). L'art. 189 LDIP exige implicitement que tous les arbitres participent à chaque délibération et décision du tribunal arbitral, semblable exigence constituant en tout état de cause une règle non écrite de l'ordre public international applicable à tout arbitrage international (arrêt 4P.115/2003, précité, consid. 3.2 non publié in ATF 129 III 727 et les références citées).
Le Tribunal fédéral a considéré que les vices affectant le délibéré entrent en principe dans les prévisions de l'art. 190 al. 2 let. a LDIP, lequel sanctionne la composition irrégulière du tribunal arbitral, qu'il s'agisse d'un défaut structurel ou d'un problème ponctuel (arrêt 4P.115/2003, précité, consid. 3.2 non publié in ATF 129 III 727). Il a toutefois évoqué aussi la possibilité d'examiner de tels vices sous l'angle de l'art. 190 al. 2 let. d LDIP (violation de l'égalité des parties ou de leur droit d'être entendues) ou au titre de la contrariété à l'ordre public procédural visé par l'art. 190 al. 2 let. e LDIP (arrêt 4P.115/2003, précité, consid. 3.2 non publié in ATF 129 III 727).
La LDIP ne dit rien de la forme que doit prendre le délibéré. Cette question relève de la convention des parties ou du règlement choisi par elles. Il n'est pas exclu que le délibéré ait lieu par voie de circulation, si les arbitres conviennent - expressément ou par actes concluants - de procéder de cette manière (arrêt 4P.115/2003, précité, consid. 3.2 non publié in ATF 129 III 727). Il est nécessaire et suffisant que chacun des arbitres ait eu la possibilité non seulement d'exprimer son opinion, mais aussi de se déterminer sur celle des autres arbitres (ATF 128 III 234 consid. 3b/aa et les références citées; arrêt 4P.115/2003, précité, consid. 3.2 non publié in ATF 129 III 727).
5.3. En l'occurrence, point n'est besoin de déterminer si les critiques formulées par le recourant simultanément sous l'angle des lettres a, d et e de l'art. 190 al. 2 LDIP doivent être rattachées à une lettre spécifique de la disposition légale précitée, dès lors qu'elles se révèlent de toute manière infondées.
Le recourant prétend, en substance, que le Tribunal arbitral aurait écarté de ses discussions un "fait pertinent", soit la sentence rendue dans l'affaire
Green Power. Or, la lecture de la sentence attaquée permet de constater que ce point a bel et bien été pris en considération par les arbitres. Sous n. 269 et 270 de la décision querellée, le Tribunal arbitral a en effet indiqué ce qui suit:
"269. The Green Power Award is the first investment treaty award to accept the Intra-EU Objection. It did so in a dispute between investors in photovoltaic plants and the Kingdom of Spain under the ECT.
270. The central question addressed by the tribunal in
Green Power was "whether a unilateral offer to arbitrate under Article 26 (3) (a) ECT can be validly given by an EU Member State to the investors of another EU Member State despite the existence of another agreement between these EU Member States which prevents them from making such offer." The Green Power tribunal's discussion of this question is relatively lengthy and addresses the same ECT provisions discussed above. The Arbitral Tribunal, however, understands those provisions differently from the Green Power tribunal and is not persuaded by that tribunal's reasoning. As a result, the Arbitral Tribunal does not share the Green Power tribunal's conclusion that the principles of autonomy and primacy of the EU legal order deprive it of jurisdiction under ECT Article 26."
Ce passage atteste du fait que les arbitres se sont penchés sur le contenu de la sentence rendue dans l'affaire
Green Power, étant précisé ici qu'ils ont même fait référence à certains numéros déterminés de ladite sentence dans plusieurs notes de bas de page. Il appert en outre du passage précité que la question de la pertinence de ladite sentence pour la solution à rendre dans la présente affaire a été abordée et traitée par le Tribunal arbitral. De plus, les trois arbitres ont apposé leur signature au pied de la sentence querellée. Lesdites signatures révèlent ainsi que les arbitres considéraient avoir terminé le délibéré et arrêté tant les motifs que le dispositif de leur sentence. L'arbitre désigné par l'État défendeur a donc pu prendre connaissance des motifs étayant la décision entreprise, et singulièrement des considérations relatives à la sentence rendue dans l'affaire
Green Power, exprimer son opinion sur ce point et se déterminer sur celle des autres arbitres. Il a même pu exprimer son désaccord avec ceux-ci sur le point concerné dans l'opinion dissidente qu'il a émise. Il a dès lors eu tout loisir d'exprimer son opinion et de se déterminer sur celle des autres arbitres, ce qui seul importe ici. Le simple fait que l'arbitre concerné a mentionné, dans son opinion dissidente, que le Tribunal arbitral n'aurait prétendument pas délibéré de la pertinence des considérations émises dans la sentence rendue dans l'affaire
Green Power, ni motivé sa décision sur ce point, n'y change rien. En effet, une opinion dissidente demeure un avis indépendant, étranger à la sentence, qui n'en affecte ni les considérants ni le dispositif (arrêt 4A_319/2015 du 5 janvier 2016 consid. 4.2.2). En outre, la lecture de la sentence attaquée, et en particulier des n. 269 et 270, démontre que le point de savoir si la sentence rendue dans l'affaire
Green Power était pertinente pour l'issue du présent litige a nécessairement été évoqué, à un moment ou à un autre, au cours des délibérations. L'arbitre désigné par l'État défendeur aurait sans doute préféré que cette question soit débattue plus longuement, respectivement examinée de manière plus approfondie, mais il n'en demeure pas moins qu'il a bénéficié de la possibilité de faire valoir son propre point de vue sur les tenants et aboutissants de la sentence rendue dans l'affaire
Green Power. Sous le couvert d'un prétendu "vice de délibéré", le recourant cherche ainsi, par une voie détournée, à s'en prendre à la motivation du Tribunal arbitral, ce qui n'est pas admissible. Quoi qu'il en soit, il ne saurait obtenir des explications sur chaque détail du raisonnement tenu par le Tribunal arbitral, ni des informations relatives aux propos tenus par les arbitres lors de la phase des délibérations.
En tout état de cause, on relèvera que le vice dénoncé par le recourant n'a visiblement eu aucune incidence sur le résultat auquel sont parvenus les arbitres. Comme le souligne en effet à bon droit l'intimée, sans être contredite par son adversaire, l'arbitre désigné par le recourant, s'il a certes exprimé son désaccord avec les autres arbitres au sujet de certaines considérations émises en lien avec la sentence rendue dans l'affaire
Green Power, n'en a pas moins considéré que l'objection d'incompétence soulevée par le recourant était infondée, étant donné que celle-ci a été écartée à l'unanimité. Il a du reste expressément indiqué ce qui suit dans l'opinion dissidente qu'il a émise: "I do not share some of the Majority's statements relating to jurisdiction, without these differences in criterion affecting my consent to the Tribunal's decision on jurisdiction". Il appert ainsi que l'arbitre en question, même s'il ne partageait pas forcément l'avis des autres arbitres sur certains aspects de la motivation, était d'accord avec la décision admettant la compétence du Tribunal arbitral pour connaître du présent litige.
La requête présentée par le recourant en vue d'obtenir la production des échanges ayant eu lieu entre les arbitres au sujet de la sentence rendue dans l'affaire
Green Power, si tant est qu'elle soit admissible, ne présente dès lors de toute manière aucune pertinence, eu égard à la solution unanime retenue par les arbitres sur le problème considéré, et doit, partant, être rejetée.
Au vu de ce qui précède, les critiques formulées par le recourant au soutien d'un prétendu vice affectant le délibéré doivent ainsi être rejetées.
6.
Dans un deuxième moyen, le recourant, invoquant l'art. 190 al. 2 let. a LDIP, remet en cause l'impartialité du président du Tribunal arbitral. A cet égard, il fait valoir que l'opinion de cet arbitre était déjà définitivement formée au moment des délibérations. Il en veut pour preuve le fait que la décision entreprise reprend mot pour mot la motivation adoptée par un autre tribunal arbitral, présidé par le même arbitre, dans la sentence rendue le 24 octobre 2022 dans la cause SCC no 2017/194
Triodos SICAV II
contre le Royaume d'Espagne (ci-après: l'affaire
Triodos).
6.1. Un arbitre doit, à l'instar d'un juge étatique, présenter des garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité. Pour dire si un arbitre présente de telles garanties, il faut se référer aux principes constitutionnels développés au sujet des tribunaux étatiques, en ayant égard, toutefois, aux spécificités de l'arbitrage - surtout dans le domaine de l'arbitrage international - lors de l'examen des circonstances du cas concret (ATF 142 III 521 consid. 3.1.1; 136 III 605 consid. 3.2.1).
La garantie d'un tribunal indépendant et impartial permet d'exiger la récusation d'un arbitre dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire puissent influencer la décision en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective de l'arbitre est établie, car une disposition relevant du for intérieur ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l'arbitre. Cependant, seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 142 III 521 consid. 3.1.1; 140 III 221 consid. 4.1).
La partie qui entend récuser un arbitre doit invoquer le motif de récusation aussitôt qu'elle en a connaissance. Cette règle jurisprudentielle vise aussi bien les motifs de récusation que la partie intéressée connaissait effectivement que ceux qu'elle aurait pu connaître en faisant preuve de l'attention voulue (ATF 129 III 445 consid. 4.2.2.1 et les références citées). La règle en question constitue une application, au domaine de la procédure arbitrale, du principe de la bonne foi. En vertu dudit principe, le droit d'invoquer le moyen tiré de la composition irrégulière du tribunal arbitral se périme si la partie ne le fait pas valoir immédiatement, car celle-ci ne saurait le garder en réserve pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable de la procédure arbitrale (arrêt 4A_318/2020 du 22 décembre 2020 consid. 6.1 non publié aux ATF 147 III 65).
6.2. En l'espèce, le recourant est forclos à dénoncer une composition irrégulière du Tribunal arbitral. Comme le souligne à juste titre l'intimée, l'intéressé savait pertinemment que l'arbitre mis en cause siégeait en qualité de président de tribunal arbitral dans les deux procédures d'arbitrage concernées. Il savait également qu'un problème juridique identique se posait dans ces deux causes, puisqu'il avait soulevé la même objection d'incompétence dans les deux affaires. Pourtant, lorsqu'il a pris connaissance de la sentence rendue dans l'affaire
Triodos en octobre 2022, le recourant n'a pas formulé la moindre objection concernant une éventuelle apparence de prévention de l'arbitre incriminé. Or, si l'intéressé redoutait que ce dernier puisse être prévenu d'une quelconque manière et qu'il risque de faire prévaloir son opinion sur celle des deux autres arbitres dans le cadre de la présente procédure, il aurait pu et dû faire valoir semblable moyen immédiatement, au lieu de le garder en réserve pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable pour lui. Le recourant n'est au demeurant pas crédible lorsqu'il soutient qu'il ne pouvait pas anticiper le fait que la motivation adoptée dans la sentence rendue dans l'affaire
Triodos serait reprise dans la décision rendue dans le cadre de la présente affaire, respectivement quand il prétend qu'il n'aurait "découvert" le prétendu manque d'impartialité de l'arbitre mis en cause qu'au moment où il s'est vu notifier la sentence querellée. Il faut en effet bien voir que les deux tribunaux arbitraux en question étaient présidés par le même individu et devaient se prononcer sur une problématique juridique identique en lien avec une objection d'incompétence soulevée par une seule et même partie. Il n'est dès lors guère surprenant que la réponse apportée à un problème identique soit la même dans deux sentences rendues à six mois d'intervalle par des tribunaux arbitraux présidés par une même personne.
7.
Dans un troisième moyen, le recourant, invoquant l'art. 190 al. 2 let. b LDIP, reproche au Tribunal arbitral d'avoir admis, à tort, sa compétence pour connaître d'un litige présentant un caractère intra-européen. A cet égard, il soutient que la clause d'arbitrage ancrée à l'art. 26 TCE serait incompatible avec le droit de l'UE. Or, à son avis, en présence d'un tel conflit de normes, le droit de l'UE primerait le TCE.
Pour faciliter la compréhension des explications qui vont suivre et mieux saisir le sens des critiques émises par l'intéressé, il sied de se référer (tout d'abord) aux art. 16 et 26 TCE ainsi qu'aux art. 267 et 344 du Traité sur le fonctionnement de l'UE (ci-après: le TFUE), puis d'examiner les motifs qui étayent le rejet par le Tribunal arbitral de l'objection d'incompétence considérée.
7.1. Dans la sentence attaquée, le Tribunal arbitral détaille les arguments avancés par les parties, qui pour contester sa compétence (n. 179-194), qui pour la justifier (n. 195-228). Pour résoudre la question litigieuse, il estime nécessaire d'interpréter l'art. 26 TCE conformément à la règle prévue par l'art. 31 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (RS 0.111; ci-après: CV). A cet égard, les arbitres considèrent que les termes de l'art. 26 TCE, appréciés selon leur sens ordinaire, confirment leur compétence de principe. Le point central est de déterminer si lesdits termes, interprétés dans leur contexte et à la lumière du but et de l'objet du TCE, excluent d'avoir recours à la voie arbitrale pour régler un litige intra-européen, c'est-à-dire un différend entre un État membre de l'UE et un investisseur sis ou domicilié dans l'un de ces États (sentence, n. 229-248).
Analysant cette question, le Tribunal arbitral observe que l'art. 16 TCE règle la relation entre ledit traité et un accord international conclu antérieurement ou postérieurement à celui-ci par deux ou plusieurs parties au TCE. Selon la norme précitée, aucune règle d'un autre traité ne peut être interprétée comme dérogeant aux dispositions des parties III ou V du TCE - parmi lesquelles figure notamment l'art. 26 TCE -, ni au droit d'exiger un règlement du différend concernant ce point conformément au TCE. Les arbitres estiment que l'art. 16 TCE exclut ainsi de retenir qu'un litige intra-européen ne puisse pas être soumis valablement à un tribunal arbitral. Pour aboutir à pareille solution, ils examinent tour à tour trois hypothèses. La première a trait à l'existence éventuelle d'une incompatibilité initiale entre le TCE et le droit de l'UE. Sur ce point, le Tribunal arbitral estime que les termes utilisés dans le TCE ne révèlent aucune incompatibilité de ce genre. Les déclarations faites par les parties contractantes lors de leur adhésion au TCE ne mentionnent au demeurant pas que l'art. 26 TCE n'engloberait pas les litiges intra-européens. Le deuxième scénario examiné est celui d'un amendement au TCE opéré par les États membres de l'UE, lesquels auraient écarté l'application de l'art. 26 TCE. Le Tribunal arbitral rejette cette possibilité, dès lors que la procédure prévue à cet effet par l'art. 42 TCE n'a pas été respectée, une modification du TCE intervenue tacitement entre les seuls États membres de l'UE n'entrant pas davantage en ligne de compte à son avis. Il se penche, enfin, sur le troisième et dernier cas de figure selon lequel le droit de l'UE primerait le TCE dans les rapports entre les États membres de l'UE, raison pour laquelle la clause d'arbitrage ancrée à l'art. 26 TCE ne s'appliquerait pas aux litiges intra-européens. Il estime que semblable thèse est incompatible avec les termes du TCE interprétés dans leur contexte et à la lumière de l'objet et du but dudit traité (sentence, n. 249-259).
Poursuivant son analyse, le Tribunal arbitral précise que les éléments avancés par le recourant concernant la solution donnée au problème considéré au sein de l'UE ne modifient pas l'appréciation de sa propre compétence. A cet égard, il souligne, tout d'abord, que la décision rendue le 6 mars 2018 par la Cour de justice de l'UE (ci-après: la CJUE) dans l'affaire C-284/16
Achmea
contre la Slovaquie (ci-après: l'affaire
Achmea) ne concernait pas l'application du TCE. Dans l'arrêt en question, la CJUE s'est en effet prononcée uniquement sur la compatibilité avec le TFUE d'une clause d'arbitrage figurant dans un traité bilatéral d'investissement conclu par deux États membres de l'UE. Le Tribunal arbitral observe ensuite que la CJUE, dans l'arrêt qu'elle a rendu le 2 septembre 2021 dans la cause C-741/19
Komstroy LLC
contre la Moldavie (ci-après: l'affaire
Komstroy), a certes jugé que la clause d'arbitrage ancrée à l'art. 26 TCE ne s'applique pas en cas de litige intra-européen. Il estime toutefois que ladite décision ne présente aucun caractère contraignant pour un tribunal arbitral constitué sur la base des règles d'un traité multilatéral tel que le TCE, étranger aux traités de l'UE.
Selon le Tribunal arbitral, pour apprécier si l'État concerné a donné son consentement inconditionnel à la soumission de tout différend en lien avec le TCE à une procédure d'arbitrage, il convient de se fonder sur les règles du TCE et sur celles de la CV, et non pas sur les normes juridiques du droit de l'UE, lesquelles ne lient pas le Tribunal arbitral. Or, selon l'art. 26 par. 3 point a) TCE, l'État défendeur a donné son "consentement inconditionnel" à la soumission de tout différend à l'arbitrage, ce qui inclut les litiges opposant un investisseur sis dans un État membre de l'UE à l'un de ces États. Selon les arbitres, les décisions rendues dans les affaires
Achmea et
Komstroy ne sauraient par ailleurs être qualifiées d'
instrument, d'
accord, de
pratique ou de
règle pertinente de droit international au sens de l' art. 31 par. 2 et 3 CV , étant donné que lesdites décisions n'ont pas recueilli l'assentiment de toutes les parties au TCE et qu'elles ne sont pas opposables aux États qui ne sont pas membres de l'UE. Quant à la déclaration formulée le 15 janvier 2019 par vingt-deux États membres de l'UE - dont la France et l'État recourant - à propos des "conséquences juridiques de l'arrêt
Achmea rendu par la Cour de justice et à la protection des investissements dans l'Union européenne" (ci-après: la Déclaration des 22), le Tribunal arbitral observe que le document en question n'a pas été signé par tous les États membres de l'UE ni
a fortiori par toutes les parties au TCE. Il estime qu'il ne s'agit que d'une déclaration d'intention n'ayant aucun caractère contraignant pour lui. Il juge également que la "décision" adoptée le 10 novembre 2017 par la CE concernant le régime d'aides financières mis en place par le recourant en 2013 en vue de soutenir la production d'électricité à partir de sources d'énergies renouvelables n'est pas déterminant pour apprécier sa propre compétence. Après avoir indiqué qu'il ne partage pas l'avis exprimé par les arbitres dans la sentence rendue dans l'affaire
Green Power, le Tribunal arbitral écarte l'objection d'incompétence soulevée par l'État défendeur (sentence, n. 260-271).
Les motifs qui étayent la solution retenue par les arbitres sur le problème considéré ayant été résumés, il convient à présent d'exposer les arguments avancés par les parties, qui pour dénier la compétence du Tribunal arbitral, qui pour l'admettre.
7.2.
7.2.1. Dans son mémoire de recours, l'intéressé relève, à titre liminaire, que l'art. 26 par. 3 point a) TCE dispose que chaque partie contractante donne son consentement inconditionnel à la soumission de tout différend à la procédure d'arbitrage. Se référant à l'arrêt rendu dans l'affaire
Komstroy, il observe cependant que la CJUE a jugé que la disposition précitée n'est pas applicable aux litiges présentant un caractère intra-européen. Selon le recourant, le principe de la primauté du droit de l'UE sur celui de ses États membres devrait conduire à retenir que le TCE ne trouve application dans les rapports entre les États membres de l'UE que dans la mesure où ledit traité est compatible avec le droit de l'UE. Autrement dit, en cas de conflit entre le TCE et le droit de l'UE, ce dernier devrait l'emporter.
L'État recourant rappelle que l'UE est, tout comme la France et lui-même, partie au TCE. S'appuyant sur la décision prononcée dans l'affaire
Komstroy, il soutient que la CJUE est exclusivement compétente pour interpréter le TCE, dans la mesure où ledit traité fait partie intégrante de l'ordre juridique de l'UE. La circonstance selon laquelle le TCE constitue un accord mixte, ratifié non seulement pas l'UE mais aussi par un grand nombre d'États membres de l'UE, ne saurait conduire à exclure la compétence exclusive de la CJUE pour connaître des litiges intra-européens. Soulignant qu'il est tenu de se conformer au droit européen et de respecter les décisions rendues par la CJUE, le recourant prétend que l'arrêt rendu dans l'affaire
Komstroy s'impose à lui et qu'il n'a dès lors pas pu accepter de soumettre à l'arbitrage un litige intra-européen. Il relève aussi que la CE a confirmé ce point de vue dans la décision qu'elle a adoptée le 10 novembre 2017.
L'intéressé s'emploie ensuite à démontrer que l'interprétation du TCE effectuée par le Tribunal arbitral sur le problème considéré est erronée. A cet égard, il soutient que la validité du consentement à l'arbitrage, laquelle constitue une condition de la validité matérielle de la convention d'arbitrage, doit s'apprécier au regard du TCE et des règles du droit international public. Procédant ensuite, sur plus de vingt pages, à sa propre interprétation du TCE au regard des critères prévus à l'art. 31 CV, il arrive à la conclusion qu'un État membre de l'UE ne peut pas consentir valablement à soumettre un différend intra-européen à l'arbitrage.
7.2.2. Pour aboutir à pareille solution, l'intéressé prétend, tout d'abord, que le texte de certaines dispositions du TCE conduirait à reconnaître la primauté du droit de l'UE sur le TCE. Il se fonde, à ce titre, sur les termes définis à l'art. 1 ch. 3 et 10 TCE ainsi que sur l'art. 25 TCE. Selon le recourant, les dispositions précitées démontreraient que le TCE réserve à l'UE un champ de compétences qui échapperait au traité en question. Les domaines transférés, couverts initialement par le TCE, entreraient ainsi dans la sphère de compétence de l'Organisation d'intégration économique régionale (ci-après: OIER) visée par l'art. 1 ch. 3 TCE, à savoir en l'occurrence l'UE. Dans de tels domaines, l'UE serait seule habilitée à édicter les règles applicables et à en contrôler l'application, par le truchement de la CJUE. La combinaison de l'art. 1 ch. 3 et 10 TCE ainsi que de l'art. 25 TCE instaurerait ainsi un espace à l'intérieur du TCE, soumis exclusivement au droit de l'UE.
7.2.3. Le recourant se lance ensuite dans des explications visant à démontrer que l'analyse du contexte dans lequel s'inscrit le TCE vient corroborer la conclusion qu'il a tirée de son interprétation littérale dudit traité. A cet égard, il rappelle que, selon l'art. 31 par. 2 CV, le contexte comprend, outre le texte, le préambule et les annexes d'un traité, tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l'occasion de la conclusion du traité (point a), ainsi que tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l'occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu'instrument ayant rapport au traité (point b). Se référant à divers documents, il fait valoir, d'une part, que les domaines relatifs au marché intérieur de l'électricité et aux investissements directs (cf. art. 207 par. 1 TFUE) ont été transférés à l'OIER (i.e. l'UE) lors de l'adoption du Traité de Lisbonne en 2007 et, d'autre part, que l'UE et ses États membres n'ont pas donné leur consentement inconditionnel à l'arbitrage pour les litiges intra-européens, ainsi que cela ressort de la Déclaration des Communautés européennes du 16 décembre 1997 faite en application de l'art. 26 par. 3 point b) ii) TCE (ci-après: la Déclaration de 1997). L'intéressé reproche ensuite aux arbitres de ne pas avoir tenu compte de la Déclaration des 22, au motif que celle-ci n'a pas été acceptée par toutes les parties au TCE. Selon lui, rien n'empêche que des États parties simultanément à deux traités multilatéraux conviennent de donner, dans leurs rapports mutuels, la priorité aux engagements découlant d'un traité plutôt que de l'autre. Le recourant estime que la Déclaration des 22 confirme que certaines parties au TCE ont décidé, par un accord ultérieur, d'exclure tout consentement à l'arbitrage pour les litiges intra-européens. A son avis, ce document lie les États signataires et exclut la possibilité de soumettre à un tribunal arbitral des litiges divisant l'un d'entre eux et un ressortissant provenant d'un autre État membre de l'UE.
L'intéressé fait aussi grief aux arbitres d'avoir nié toute pertinence aux traités de l'UE, alors même que l'art. 31 par. 3 point c) CV commande de tenir compte de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. Il estime que les normes du TFUE écartent le consentement à l'arbitrage, visé par l'art. 26 TCE, pour les litiges intra-européens.
7.2.4. Examinant enfin l'objet et le but du TCE, le recourant soutient que l'analyse de ceux-ci serait impropre à réfuter les conclusions qu'il a tirées au préalable sur la base du texte dudit traité et du contexte.
7.3. Dans sa réponse, l'intimée s'inscrit en faux contre la thèse soutenue par son adversaire. Elle relève que le texte de l'art. 26 par. 3 point a) TCE est limpide, puisqu'il prévoit que chaque partie contractante donne son consentement inconditionnel à la soumission de tout différend à une procédure d'arbitrage conformément aux dispositions dudit article. Lorsque le recourant, la France et l'UE ont ratifié le TCE à la fin des années 1990, ils étaient compétents pour le faire, puisque ce n'est que le Traité de Lisbonne, conclu en 2007, modifiant le Traité sur l'UE et le Traité instituant la CE, qui a conféré à l'UE une compétence exclusive en matière d'investissements directs étrangers, sans toutefois remettre en cause la validité des accords antérieurs. L'intimée insiste sur le fait que le TCE ne contient aucune "clause de déconnexion" autorisant les parties membres d'une organisation régionale, telle l'UE, à ne pas appliquer les règles d'un traité multilatéral comme le TCE dans leurs relations mutuelles. Elle souligne que l'UE avait pourtant inclus, à diverses reprises, avant la ratification du TCE, des clauses de déconnexion. Elle observe également que les travaux préparatoires du TCE révèlent que l'UE a tenté, en vain, d'introduire une telle clause dans ledit traité. Se référant à plusieurs décisions rendues par des tribunaux arbitraux constitués sur la base de l'art. 26 TCE, l'intéressée soutient que les États membres de l'UE sont soumis, dans leurs rapports mutuels, à toutes les règles du TCE, vu l'absence de clause de déconnexion.
Après avoir exposé le raisonnement tenu par la CJUE dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire
Komstroy, l'intimée souligne, références à l'appui, que cette décision a été vivement critiquée en doctrine, au motif notamment qu'elle ne tient nullement compte du droit international ainsi que des règles d'interprétation des traités. Elle fait en outre valoir que de nombreux tribunaux arbitraux, constitués sur la base de l'art. 26 TCE, ont admis leur compétence pour connaître de litiges présentant un caractère intra-européen, nonobstant l'arrêt prononcé par la CJUE dans la cause
Komstroy, la seule exception étant la sentence rendue dans l'affaire
Green Power. L'intéressée expose aussi que divers tribunaux d'États non membres de l'UE ont refusé d'appliquer la jurisprudence précitée de la CJUE.
L'intimée s'emploie ensuite à démontrer que la validité de la clause d'arbitrage doit en l'occurrence être examinée à l'aune du droit suisse en vertu de l'art. 178 al. 2 LDIP et être appréciée au moment où la présente procédure d'arbitrage a été initiée. Dans la mesure où la Suisse n'est pas membre de l'UE, elle estime que le droit de l'UE ne lie pas cet État. L'interprétation opérée par la CJUE de certaines normes du droit de l'UE n'a dès lors aucun effet contraignant vis-à-vis de la Suisse. L'intéressée s'attelle ensuite à réfuter la thèse selon laquelle le droit de l'UE primerait les autres règles de droit international.
L'intimée consacre la suite de son mémoire à l'interprétation de l'art. 26 TCE. Pour ce faire, elle se base sur les critères visés par l'art. 31 CV, en examinant le sens des termes utilisés, le contexte, l'objet et le but du TCE et la pratique suivie par le recourant à la suite de la signature dudit traité. Elle relève notamment que le sens ordinaire des termes de l'art. 26 TCE démontre que le recourant a donné son consentement inconditionnel à l'arbitrage, sans restriction aucune quant à l'origine de l'investisseur. Elle insiste aussi sur le fait que les autres dispositions du TCE invoquées par le recourant au soutien de sa thèse ne permettent pas d'écarter un tel consentement à l'arbitrage de la part des États membres de l'UE pour les litiges présentant un caractère intra-européen. Se référant à l'art. 16 TCE, l'intéressée estime qu'un éventuel conflit entre l'art. 26 TCE et les traités de l'UE doit être résolu en faveur de l'investisseur, raison pour laquelle on ne saurait lui dénier la possibilité de saisir un tribunal arbitral, y compris en présence d'un différend intra-européen. Elle considère aussi que ni la Déclaration de 1997 ni la Déclaration des 22 sur lesquelles se fonde le recourant n'affectent la validité de la clause d'arbitrage dans la présente affaire. Analysant enfin l'objet et le but du TCE, l'intimée fait valoir que ce traité vise à promouvoir la coopération et le flux d'investissements internationaux dans le domaine de l'énergie entre toutes les parties contractantes en vue de créer et maintenir un marché de l'énergie stable et sûr. Or, pareil objectif serait compromis si l'on venait à dénier à des investisseurs européens le droit d'initier une procédure d'arbitrage sur la base de l'art. 26 TCE, sous prétexte que l'État défendeur est membre de l'UE.
7.4. Dans sa réplique, le recourant maintient que le droit de l'UE prime l'art. 26 TCE dans les rapports entre les États membres de l'UE. Il souligne que la question à résoudre en l'espèce n'est pas de savoir si le droit de l'UE est applicable à la Suisse, alors même que celle-ci n'est pas membre de l'UE. Il s'agit de déterminer si le TCE doit s'effacer devant le droit de l'UE, en cas de conflit avec celui-ci, dans les rapports entre les États membres de l'UE. Selon le recourant, la primauté du droit de l'UE résulte premièrement de l'art. 41 CV, à teneur duquel deux ou plusieurs parties à un traité multilatéral peuvent conclure un accord ayant pour objet de modifier le traité dans leurs relations mutuelles. Deuxièmement, pareille solution est corroborée par une "interprétation rigoureuse" du TCE. Troisièmement, enfin, l'art. 30 CV, lequel régit la relation entre deux traités internationaux portant sur la même matière, conduirait au même résultat, dans la mesure où le droit de l'UE occupe un rang juridiquement supérieur à celui du TCE.
7.5. Dans sa duplique, l'intimée soutient que son adversaire tente de justifier la primauté alléguée du droit de l'UE sur le TCE en invoquant des moyens nouveaux et, partant, irrecevables au stade de la réplique. Elle expose, dans la foulée, les raisons pour lesquelles ceux-ci sont de toute manière infondés.
7.6. Les arguments avancés par les parties ayant été résumés ci-dessus, il convient d'en examiner les mérites.
7.6.1. Saisi du grief d'incompétence, le Tribunal fédéral examine librement les questions de droit qui déterminent la compétence ou l'incompétence du tribunal arbitral (ATF 149 III 131 consid. 6.4.1; 146 III 142 consid. 3.4.1; 133 III 139 consid. 5). Le cas échéant, il peut être amené, lorsqu'il se prononce sur la compétence d'un tribunal arbitral, à examiner des questions préjudicielles relevant du droit étranger; il le fait avec une pleine cognition, mais se rallie en principe à l'avis majoritaire exprimé sur le point considéré, voire, en cas de controverse entre la doctrine et la jurisprudence, à l'opinion émise par la juridiction suprême du pays ayant édicté la règle de droit applicable (ATF 142 III 296 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral a ainsi dû, par exemple, se prononcer sur la capacité d'une société de droit polonais en faillite à participer à une procédure arbitrale (arrêt 4A_428/2008 du 31 mars 2009 consid. 3.1) ou examiner la validité d'une procuration au regard du droit chypriote (ordonnance rendue le 23 juillet 2014 dans la cause 4A_118/2014 consid. 3.4.2). Il peut également être amené à interpréter le sens que revêtent certains termes utilisés dans un traité bilatéral ou multilatéral d'investissement (ATF 149 III 131 consid. 6.4.1; 144 III 559 consid. 4.1; 141 III 495 consid. 3.2 et 3.5.1; arrêts 4A_172/2023 du 11 janvier 2024 consid. 4.2.1 destiné à la publication; 4A_65/2018, précité, consid. 2.4.1 et les références citées).
Même si elle n'ignore pas la place importante que les sentences arbitrales rendues dans le domaine de la protection internationale des investissements occupent dans les ouvrages spécialisés, la Cour de céans s'attachera à déterminer elle-même le sens à donner à certains termes d'un traité international, en tenant compte le cas échéant de la doctrine et en s'inspirant, éventuellement, des solutions dégagées par les tribunaux arbitraux en la matière, étant précisé que les solutions rendues dans certaines causes arbitrales ne lient ni les autres tribunaux arbitraux ni le Tribunal fédéral, de sorte qu'on ne saurait voir dans la jurisprudence arbitrale une source à proprement parler du droit de l'arbitrage (ATF 149 III 131 consid. 6.4.1; 144 III 559 consid. 4.4.2; arrêt 4A_172/2023, précité, consid. 4.2.1 destiné à la publication et les références citées). Comme il s'agit en l'occurrence d'apprécier la compétence d'un tribunal arbitral, constitué sur la base de l'art. 26 TCE, pour connaître d'un litige présentant un caractère intra-européen, le Tribunal fédéral s'inspirera entre autres, le cas échéant, des sentences rendues par diverses formations arbitrales ayant été amenées à se prononcer sur la même question juridique.
7.6.2. L'interprétation du TCE doit s'effectuer conformément aux art. 31 ss CV, qui codifient en substance le droit coutumier international (ATF 149 III 131 consid. 6.4.2; 145 II 339 consid. 4.4.1; 122 II 234 consid. 4c; arrêt 4A_80/2018 du 7 février 2020 consid. 3.1.2).
L'art. 31 par. 1 CV prévoit qu'un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. En plus du contexte (cf. art. 31 par. 2 CV), il sera tenu compte, selon l'art. 31 par. 3 CV, de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions (let. a); de toute pratique ultérieurement suivie dans l'application du traité par laquelle est établi l'accord des parties à l'égard de l'interprétation du traité (let. b) et de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties (let. c). Les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu constituent des moyens complémentaires d'interprétation lorsque l'interprétation donnée conformément à l'art. 31 CV laisse le sens ambigu ou obscur ou conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable (cf. art. 32 CV).
L'art. 31 par. 1 CV fixe un ordre de prise en compte des éléments de l'interprétation, sans toutefois établir une hiérarchie juridique obligatoire entre eux. Le sens ordinaire du texte du traité constitue le point de départ de l'interprétation. Ce sens ordinaire des termes doit être dégagé de bonne foi, en tenant compte de leur contexte et à la lumière de l'objet et du but du traité. L'objet et le but du traité correspondent à ce que les parties voulaient atteindre par le traité. L'interprétation téléologique garantit, en lien avec l'interprétation selon la bonne foi, l'"effet utile" du traité. Lorsque plusieurs significations sont possibles, il faut choisir celle qui permet l'application effective de la clause dont on recherche le sens, en évitant d'aboutir à une interprétation en contradiction avec la lettre ou l'esprit des engagements pris. Un État contractant doit partant proscrire tout comportement et toute interprétation qui aboutiraient à éluder ses engagements internationaux ou à détourner le traité de son sens et de son but (ATF 149 III 131 consid. 6.4.2; 144 II 130 consid. 8.2.1 et les références citées; arrêts 4A_80/2018, précité, consid. 3.1.2; 4A_65/2018, précité, consid. 2.4).
7.6.3. La convention d'arbitrage résulte en l'occurrence d'un mécanisme particulier puisque son point d'ancrage se situe directement dans un traité multilatéral signé par des États pour la protection des investissements, traité dont l'art. 26 prévoit notamment le recours à l'arbitrage pour régler les différends relatifs aux prétendues violations de ses clauses matérielles (appelées aussi substantielles). La pratique arbitrale assimile pareille disposition à une offre de chacun des États contractants de résoudre par l'arbitrage les litiges qui pourraient l'opposer aux investisseurs (non parties au traité) des autres États contractants. La convention d'arbitrage n'est conclue qu'au moment où l'investisseur accepte l'offre de l'État, ce qu'il fera le plus souvent par l'acte concluant que constitue le dépôt d'une requête d'arbitrage. Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de préciser que le mécanisme particulier visé par l'art. 26 TCE constitue une convention d'arbitrage formellement valable (ATF 149 III 131 consid. 6.4.3; 141 III 495 consid. 3.4.2; cf. aussi KAJ HÓBER, The Energy Charter Treaty, A commentary, 2020, p. 400).
7.6.4. En l'espèce, l'investisseur, société ayant son siège dans un État partie au TCE (la France), se fondant sur l'art. 26 par. 2 point c) et par. 4 point b) TCE, a choisi de soumettre le différend qui l'oppose à l'État recourant à un tribunal ad hoc dont le siège a été fixé en Suisse. En introduisant, le 24 février 2016, une requête d'arbitrage contre le recourant, partie au TCE, il a ainsi accepté l'offre inconditionnelle de cet État, selon l'art. 26 par. 3 point a) TCE, de soumettre leur différend à une procédure d'arbitrage. Dès lors, à la date du 24 février 2016, une convention d'arbitrage est formellement venue à chef entre l'investisseur français et l'État recourant sur le territoire duquel les investissements litigieux ont été effectués.
Le recourant objecte toutefois que la convention d'arbitrage issue de ce mécanisme singulier n'a pas été valablement conclue. A cet égard, il soutient, en substance, que l'offre d'arbitrage inconditionnelle, ancrée à l'art. 26 par. 3 point a) TCE, ne s'appliquerait pas aux litiges intra-européens, respectivement que le droit de l'UE lui interdisait de consentir à un règlement par voie d'arbitrage de tels différends lorsque l'intimée a introduit la présente procédure d'arbitrage. Comme l'existence d'une convention d'arbitrage valable est une condition
sine qua non de la compétence du tribunal arbitral, il convient de déterminer, dans un premier temps, si l'interprétation du TCE conduit à retenir que l'offre d'arbitrage prévue par l'art. 26 dudit traité ne vise en réalité pas les litiges intra-européens. Le cas échéant, il y aura lieu, dans un second temps, d'examiner si la validité du consentement à l'arbitrage exprimé à l'art. 26 TCE serait susceptible d'être remise en cause par le droit de l'UE, à supposer que celui-ci prime les règles du TCE dans les rapports entre les États membres de l'UE.
7.6.5. Avant d'examiner ces questions, le Tribunal fédéral juge utile de rappeler que le présent litige s'inscrit dans le contexte plus large de la licéité même du recours à l'arbitrage d'investissement, au sein de l'UE, pour régler des différends présentant un caractère intra-européen. Depuis plusieurs années, les organes de l'UE mènent, en effet, une croisade contre de tels arbitrages internationaux (cf. MALIK LAAZOUZI, Le crépuscule de l'arbitrage d'investissement intra-européen, Revue de l'Arbitrage 2022/4 p. 1609 ss; CLAIRE DEBOURG, La portée de la jurisprudence Achmea/PL Holdings: exclusion de l'arbitrage commercial, Revue de l'Arbitrage 2023/3 p. 633 ss).
Sur le plan juridictionnel, la CJUE, dans son arrêt rendu le 6 mars 2018 dans l'affaire
Achmea, a ainsi jugé contraire au droit de l'UE une clause d'arbitrage insérée dans un traité bilatéral d'investissement conclu par deux États membres de l'UE. Elle a confirmé ce point de vue pour les traités multilatéraux d'investissement en considérant, dans la décision qu'elle a prononcée le 2 septembre 2021 dans l'affaire
Komstroy, que "l'article 26, paragraphe 2, sous c), du TCE doit être interprété en ce sens qu'il n'est pas applicable aux différends opposant un État membre à un investisseur d'un autre État membre au sujet d'un investissement réalisé par ce dernier dans le premier État membre". Semblable conclusion a été rendue sous la forme d'un
obiter dictum, la question principale posée par la juridiction de renvoi étant tout autre (i.e. l'existence d'un investissement). Pour aboutir à cette solution, la CJUE a mis l'accent sur l'exigence de préservation de l'autonomie et du caractère propre du droit de l'UE, sans nullement tenir compte du droit international ni des règles d'interprétation des traités.
Pour cette raison notamment, la décision en question a été vivement critiquée par nombre de commentateurs (LAVRANOS/LATH/VARMA, The Meltdown of the Energy Charter Treaty [ECT]: How the ECT was ruined by the EU and its Member States, SchiedsVZ German Arbitration Journal 21/1 p. 42 s.; GIULIA WOLFF, The Impact of the CJEU's Komstroy Decision on Investor-State Arbitration, SchiedsVZ German Arbitration Journal 21/5 p. 283 ss; JÉRÉMY JOURDAN-MARQUES, Chronique d'arbitrage: après Komstroy, Londres rit et Paris pleure, Dalloz Actualité, 17 septembre 2021; ALAN DASHWOOD, Republic of Moldova v Komstroy LCC: Arbitration under Article 26 ECT outlawed in Intra-EU Disputes by Obiter Dictum, in European Law Review 2022 p. 136 s.; PASCHALIS PASCHALIDIS, From Achmea to PL Holdings, Republic of Moldova, and Opinion 1/20: The End of Intra-EU Investment Treaty Arbitration, in Sarmiento et al. [éd.], Yearbook on Procedural Law of the Court of Justice of the European Union, 4e éd. 2022, p. 60; LE MÊME, Intra-EU Application of the Energy Charter Treaty: A Critical Analysis of the CJEU's Ruling in Republic of Moldova, European Investment Law and Arbitration 2022/1 p. 14 ss; EBERT/WEYLAND, Weitere Rechtsschutzdefizite in der EU?, Recht der Internationalen Wirtschaft 2022 p. 23 s.; RAYYAN EL ISSA, La place contestée de l'arbitrage international en droit de l'investissement, 2023, n. 225 ss; WILSKE/EBERT/RUSCH, The View From Europe: What's New in European Arbitration?, in Dispute Resolution Journal, AAA-ICDR, 2022 p. 83; CRISTIAN GALLORINI, The Termination of Intra-EU Investor-state Arbitration and the Enforceability of Intra-EU Awards in The United States District Courts, ELTE Law Journal 2022/1 p. 35).
La CJUE a également souligné que la fixation du siège de l'arbitrage sur le territoire d'un État membre de l'UE entraînait l'application du droit de l'UE dont les juridictions nationales ont l'obligation d'assurer le respect. Une telle obligation ne s'impose pas aux tribunaux des États ne faisant pas partie de l'UE, telle la Suisse, le droit de l'UE étant une
res inter alios acta pour ces États (VOSER/NESSI, The Consequences of Achmea on Arbitrations Seated in Switzerland, in Stanic/Baltag [éd.], The Future of Investment Treaty Arbitration in the EU: Intra-EU BITs, the Energy Charter Treaty, and the Multilateral Investment Court, 2020, p. 117 s.; WOLFF, op. cit., p. 287). Les États non membres de l'UE ne peuvent au demeurant pas soumettre à la CJUE une question préjudicielle touchant l'interprétation du droit de l'UE, comme pourrait le faire la juridiction d'un État membre de l'UE saisie d'un recours visant une sentence rendue par un tribunal arbitral ayant son siège dans cet État. Il s'ensuit que les décisions rendues par la CJUE, et singulièrement l'arrêt rendu dans l'affaire
Komstroy, ne lient pas le juge étatique appelé à statuer sur un recours dirigé contre une sentence rendue par un tribunal arbitral siégeant en Suisse (cf. dans le même sens: VOSER/NESSI, op. cit. p. 123; WOLFF, op. cit., p. 287; LAAZOUZI/LEMAIRE, Chronique de jurisprudence arbitrale en droit des investissements, Revue de l'Arbitrage 2019/2 p. 562; WILSKE/EBERT/RUSCH, op. cit., p. 83; J OURDAN-MARQUES, op. cit.).
Il est vrai que, selon la jurisprudence (cf. ATF 142 III 296 consid. 2.2), le Tribunal fédéral, lorsqu'il est appelé - dans le cadre de son libre pouvoir d'examen en droit de la compétence du tribunal arbitral - à examiner des questions relevant du droit étranger, se rallie en principe, à défaut d'avis majoritaire exprimé sur le point litigieux et en cas de controverse entre la doctrine et la jurisprudence, à l'opinion émise par la juridiction suprême du pays ayant édicté ladite règle. Cette règle prétorienne, qui peut toutefois souffrir des exceptions, est sans doute pertinente lorsque le Tribunal fédéral doit résoudre une question préjudicielle ponctuelle ressortissant au droit étranger, car la cour suprême de l'État en question est sans conteste mieux à même d'en préciser la nature et la portée. Elle l'est moins lorsqu'il s'agit de déterminer si les règles adoptées par une communauté d'États, telle l'UE, doivent l'emporter sur celles qui découlent d'un traité international multilatéral, à l'instar du TCE, liant ladite communauté, des États membres de celle-ci et des États tiers. Il faut en effet bien voir que, dans un tel cas, la problématique juridique ne se résume pas à apprécier la portée d'une norme de droit étranger mais à examiner la relation juridique existant entre les règles ancrées dans divers instruments présentant un caractère international. Or, en présence d'un conflit entre de telles règles, il se peut que l'autorité judiciaire mise en place par ladite communauté d'États soit tentée, comme dans l'affaire
Komstroy, d'affirmer la primauté de son droit sur celui issu de cet autre accord international, donnant ainsi à sa décision le caractère d'un plaidoyer
pro domo. Par conséquent, la Cour de céans n'accordera pas de valeur particulière à l'arrêt rendu par la CJUE dans l'affaire
Komstroy mais s'attachera, au contraire, à rechercher elle-même le sens et la portée de l'art. 26 TCE et, à déterminer, le cas échéant, si le droit de l'UE peut effectivement remettre en cause la validité du consentement donné par l'État recourant à la mise en oeuvre d'un arbitrage pour régler le différend qui l'oppose à l'intimée.
7.7.
7.7.1. Comme tout traité, le TCE doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but (art. 31 par. 1 CV). Au demeurant, le principe de la bonne foi est intimement lié à la règle de l'effet utile, même si cette dernière n'apparaît pas expressément à l'art. 31 CV. L'interprète doit donc choisir, entre plusieurs significations possibles, celle qui permet l'application effective de la clause dont on recherche le sens, en évitant toutefois d'aboutir à une signification en contradiction avec la lettre ou l'esprit du traité (ATF 141 III 495 consid. 3.5.1 et la référence citée).
En vertu de l'art. 26 par. 3 point a) TCE, "chaque partie contractante donne son consentement inconditionnel à la soumission de tout différend à une procédure d'arbitrage", sous réserve des cas visés par l'art. 26 par. 3 points b) et c) TCE. Interprété de bonne foi, le terme "inconditionnel" signifie que le consentement à l'arbitrage est exprimé sans la moindre réserve et qu'il ne connaît ainsi aucune limite. Un tel consentement a une portée générale, puisqu'il vise la soumission de "
tout différend" à la voie de l'arbitrage. L'expression "sous réserve", figurant à l'art. 26 par. 3 point a)
in initio TCE, indique certes qu'il existe des exceptions au consentement inconditionnel à l'arbitrage, mais celles-ci sont énumérées de manière exhaustive et concernent uniquement les cas visés par l'art. 26 par. 3 points b) et c) TCE, ainsi que cela ressort du texte de la disposition topique. La lettre claire de l'art. 26 par. 3 point a) TCE laisse ainsi apparaître que l'État recourant, lié par ledit traité, a donné son consentement inconditionnel à ce qu'un investisseur sis dans un autre État partie au TCE, telle l'intimée, puisse soumettre à la voie de l'arbitrage tout différend au sujet d'un investissement réalisé sur son territoire et portant sur un manquement allégué à une obligation visé par la partie III du TCE, sous réserve des exceptions mentionnées à l'art. 26 par. 3 points b) et c) TCE. Aucun élément du texte de l'art. 26 TCE ne permet ainsi de déduire que la portée du "consentement inconditionnel" à l'arbitrage connaîtrait d'autres limites et ne viserait en réalité pas les litiges présentant un caractère intra-européen (SULLIVAN/INGLE, Arbitration under the Energy Charter Treaty: the relevance of EU Law, in Mata Dona/Lavranos [éd.], International Arbitration and EU Law, 2021, p. 323; cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre l'Allemagne, CIRDI no ARB/12/12, sentence du 31 août 2018, n. 182 s. et les références citées;
Ekosol S.p.A. contre l'Italie, CIRDI no ARB/15/50, sentence du 7 mai 2019, n. 85;
Mercuria Energy Group Limited contre la Pologne, SCC no V 2019/126, sentence du 29 décembre 2022, n. 384). Pareille solution ne pourrait ainsi être retenue que sur la base des autres critères d'interprétation prévus par l'art. 31 CV.
A ce stade du raisonnement, il sied de relever que l'État recourant est une partie contractante selon l'art. 1 ch. 2 TCE, que l'intimée revêt la qualité d'investisseur au regard de l'art. 1 ch. 7 et que le litige divisant les parties concerne un investissement au sens de l'art. 1 ch. 6 TCE et porte sur un manquement allégué à une obligation figurant dans le titre III dudit traité. Les conditions prévues par l'art. 26 par. 1 TCE sont ainsi remplies. Les parties ne contestent pas davantage que les exceptions visées par l'art. 26 par. 3 points b) et c) TCE n'entrent pas en ligne de compte en l'espèce.
7.7.2. Pour asseoir sa position selon laquelle le consentement inconditionnel à l'arbitrage au sens de l'art. 26 par. 3 point a) TCE ne vaudrait pas pour les litiges intra-européens, le recourant se réfère à d'autres dispositions dudit traité. A l'en croire, la lecture combinée de l'art. 1 ch. 3 et ch. 10 TCE ainsi que de l'art. 25 TCE établirait l'existence d'un régime juridique autonome, à l'intérieur du TCE, propre aux États membres de l'UE. Le recourant soutient, en effet, que le texte même du TCE réserverait un domaine de compétences transférées à l'UE et reconnaîtrait la primauté du droit de l'UE sur le TCE. A son avis, les compétences transférées échapperaient ainsi au champ d'application du TCE et l'UE serait seule compétente pour fixer les règles applicables dans les domaines concernés et en contrôler l'application par le truchement de la CJUE. Tel serait notamment le cas dans le secteur du marché intérieur de l'électricité et des investissements directs étrangers.
Semblable argumentation n'emporte point la conviction de la Cour de céans. L'art. 1 ch. 3 TCE définit ce qu'est une OIER, laquelle vise toute organisation constituée par des États à laquelle ils ont transféré des compétences dans des domaines déterminés, dont certains sont régis par le présent traité, y compris le pouvoir de prendre des décisions qui les lient dans ces domaines. Quant à l'art. 1 ch. 10 TCE, il ne fait que préciser que la "zone" d'une OIER recouvre la zone des États membres d'une telle organisation. Contrairement à ce que prétend le recourant, ces deux définitions ne permettent pas de retenir que les compétences transférées par certains États à une OIER, soit en l'occurrence l'UE, sortiraient du champ d'application du TCE et que les domaines concernés obéiraient exclusivement aux règles du droit de l'UE (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre l'Allemagne, op. cit., n. 180). Que des États parties au TCE aient décidé de transférer certains domaines de compétences à l'UE ne signifie en effet pas qu'ils ne seraient plus liés par les dispositions d'un traité international qu'ils ont ratifié, y compris dans les relations entre les États membres de l'UE. Quant à la notion de la zone d'une OIER définie à l'art. 1 ch. 10 TCE, elle ne permet nullement de conclure à l'existence d'un espace juridique autonome au sein même du TCE qui serait soumis exclusivement au droit de l'UE (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre l'Allemagne, op. cit., n. 180).
S'agissant de l'art. 25 TCE, celui-ci prévoit, à son premier paragraphe, que les dispositions dudit traité ne doivent pas être interprétées comme obligeant une partie contractante qui est partie à un accord d'intégration économique (AIE) à étendre, sous le couvert du traitement de la nation la plus favorisée, à une autre partie contractante qui n'est pas partie à cet AIE, un traitement préférentiel applicable entre les parties à cet AIE en raison du fait qu'elles sont parties à cet AIE. Il appert ainsi que les États membres de l'UE - qui sont liés par un AIE au sens de l'art. 25 par. 2 TCE - ne sont pas tenus d'accorder à des États tiers les prérogatives résultant d'un tel accord. Ainsi, à titre d'exemple, les États membres de l'UE ne sont pas tenus d'étendre les droits de libre circulation en vigueur sur le territoire de l'UE à des investisseurs provenant d'États tiers. L'art. 25 TCE ne permet en revanche pas de retenir que les diverses garanties matérielles prévues par le TCE ne s'appliqueraient pas dans les litiges intra-européens ni que la clause d'arbitrage ancrée à l'art. 26 TCE serait inopérante pour résoudre de tels différends. Une telle lecture ne trouve en effet aucune assise dans le texte de l'art. 25 TCE. En réalité, cette disposition démontre simplement que l'UE et ses États membres ont décidé, lors des négociations entourant la conclusion du TCE, d'insérer dans ledit traité certaines règles visant expressément à délimiter les contours et la portée de dispositions précises du TCE, à l'instar de la clause du traitement de la nation la plus favorisée en lien avec un AIE (cf. dans le même sens:
Ekosol S.p.A. contre l'Italie, op. cit., n. 95).
Cela étant, si l'UE et ses États membres entendaient réellement restreindre l'application d'autres règles du TCE dans leurs rapports mutuels, respectivement limiter la portée de leur consentement inconditionnel aux seules procédures d'arbitrage introduites par des investisseurs issus d'États tiers, pareille intention aurait pu et dû être exprimée clairement dans le texte du TCE finalement adopté, ce qui n'a pas été le cas (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al., op. cit., n. 202). Ceci est d'autant plus vrai que l'UE, avant de conclure le TCE, avait déjà inséré, à plusieurs reprises, dans des traités multilatéraux, des clauses de déconnexion autorisant les États membres de l'UE à ne pas appliquer les règles d'un tel traité dans leurs relations mutuelles (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al., op. cit., n. 203;
Ekosol S.p.A. contre l'Italie, op. cit., n. 92). Or, en l'occurrence, force est de constater qu'une telle clause de déconnexion n'a pas été introduite dans le TCE.
7.7.3. L'art. 31 par. 1 CV commande également de tenir compte de l'objet et du but du traité. Selon l'art. 2 TCE, intitulé "Objet du traité", celui-ci vise à établir un cadre juridique destiné à promouvoir la coopération à long terme dans le domaine de l'énergie, et fondé sur la complémentarité et les avantages mutuels, conformément aux objectifs et aux principes de la Charte européenne de l'énergie, signée le 17 décembre 1991, laquelle insistait déjà sur la nécessité pour les États signataires d'offrir un cadre juridique à la fois stable et transparent afin d'encourager le flux international d'investissements. Le TCE tend ainsi à promouvoir la coopération et les flux d'investissements internationaux en matière d'énergie - sans opérer de distinction au niveau géographique quant à l'origine des investisseurs - afin de servir la cause ultime de la sécurité énergétique. Accorder aux investisseurs sis dans un État membre de l'UE le droit d'initier une procédure d'arbitrage à l'encontre d'un autre État membre concourt sans nul doute à la réalisation d'un tel objectif et se révèle conforme à l'esprit du TCE. En revanche, priver les investisseurs concernés d'une telle faculté serait contre-productif dans l'optique de favoriser les flux d'investissements internationaux (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre l'Allemagne, op. cit., n. 198;
Mercuria contre la Pologne, op. cit., n. 393). Ceci est d'autant plus vrai que l'art. 16 TCE, lequel règle la relation entre ledit traité et d'autres accords internationaux, vise à garantir aux investisseurs le droit d'exiger un règlement du différend qui leur soit le plus favorable.
7.7.4. Afin d'étayer sa thèse selon laquelle le consentement inconditionnel à l'arbitrage exprimé à l'art. 26 par. 3 point a) TCE serait inopérant dans les litiges intra-européens, le recourant fait grand cas de la Déclaration de 1997, laquelle a la teneur suivante:
"Les Communautés européennes, en leur qualité de partie contractante au traité sur la Charte de l'énergie, font la déclaration suivante concernant leurs politiques, pratiques et conditions relatives aux différends entre un investisseur et une partie contractante et à la soumission des différends à une procédure d'arbitrage ou de conciliation internationale:
«Les Communautés européennes sont une organisation d'intégration économique régionale au sens du traité sur la Charte de l'énergie. Elles exercent les compétences qui leur sont transférées par leurs États membres par l'intermédiaire d'institutions autonomes dotées d'un pouvoir de décision et d'un pouvoir judiciaire.
Les Communautés européennes, d'une part, et leurs États membres, d'autre part, ont signé le traité sur la Charte de l'énergie et doivent donc répondre au niveau international de l'exécution des obligations qui y figurent, selon leurs compétences respectives.
Si nécessaire, les Communautés et les États membres concernés détermineront lequel d'entre eux est la partie défenderesse dans une procédure d'arbitrage engagée par un investisseur ou par une autre partie contractante. Le cas échéant, à la demande de l'investisseur, les Communautés et les États membres concernés procéderont à cette désignation dans un délai de trente jours.
La Cour de justice des Communautés européennes, en tant qu'organe judiciaire des Communautés, est compétente pour connaître de toute question liée à l'application et à l'interprétation des traités fondateurs et des actes adoptés en application de ceux-ci, y compris des accords internationaux conclus par les Communautés, qui peuvent être invoqués devant elle sous certaines conditions.
Toute affaire soumise à la Cour de justice des Communautés européennes par un investisseur ou une autre partie contractante conformément aux possibilités de recours prévues par les traités fondateurs des Communautés relève de l'article 26, paragraphe 2, point a), du traité sur la Charte de l'énergie. Étant donné que le système juridique des Communautés prévoit la procédure applicable à une telle action, les Communautés européennes n'ont pas donné leur accord inconditionnel à la soumission d'un différend à une procédure d'arbitrage ou de conciliation internationale. [...]»" (passage mis en gras par le recourant).
Contrairement à ce qu'affirme le recourant, ce document ne lui est d'aucun secours. Il ressort, premièrement, de l'intitulé même de la déclaration en question que celle-ci a été formulée sur la base de l'art. 26 par. 3 point b) ii) TCE, raison pour laquelle elle revêt une portée circonscrite au cas particulier visé par cette disposition. A cet égard, il sied de rappeler que l'art. 26 par. 3 point b) i) TCE dispose que les parties contractantes énumérées à l'annexe ID n'ont pas donné leur consentement inconditionnel à l'arbitrage dans l'hypothèse où l'investisseur a, au préalable, soumis le différend à une autre autorité juridictionnelle visée par l'art. 26 par. 2 points a) et b) TCE (clause de "
fork-in-the-road "). Les Communautés Européennes, devenues par la suite l'UE, figurent dans l'annexe ID. L'art. 26 par. 3 point b) ii) TCE prévoit que, pour des raisons de transparence, chaque partie contractante listée dans l'annexe ID communique par écrit ses politiques, pratiques et conditions en la matière. Force est ainsi de constater que la Déclaration de 1997 ne revêt qu'une portée limitée à la clause de "
fork-in-the-road ".
Deuxièmement, contrairement à ce que tente de faire accroire le recourant, la Déclaration de 1997 ne vise que les Communautés européennes, et non pas ses États membres ("les Communautés européennes n'ont pas donné leur accord inconditionnel à la soumission d'un différend à une procédure d'arbitrage"). Elle ne concerne ainsi pas les États membres de l'UE, tel le recourant.
Enfin, troisièmement, il convient de souligner que ledit document n'opère aucune distinction entre les litiges présentant un caractère intra-européen et ceux impliquant un investisseur issu d'un État non membre de l'UE. A aucun moment, il n'est fait mention d'une prétendue compétence exclusive de la Cour de justice des Communautés européennes (désormais la CJUE) pour connaître d'éventuels litiges opposant un État membre de l'UE à un investisseur provenant d'un autre État membre. La Déclaration de 1997 fait d'ailleurs expressément allusion à la possibilité de résoudre d'éventuels différends en matière d'investissements par la voie de l'arbitrage, sans jamais préciser qu'une telle procédure serait exclue lorsque le litige revêt un caractère intra-européen (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre l'Allemagne, op. cit., n. 189 s.).
7.7.5. Invoquant l'art. 31 par. 3 points a) et b) CV, le recourant estime qu'il convient de tenir compte de la Déclaration des 22, laquelle énonce notamment ce qui suit:
(...)
Le droit de l'Union prime les traités bilatéraux d'investissement conclus entre États membres. En conséquence, toutes les clauses d'arbitrage entre investisseurs et États contenues dans les traités bilatéraux d'investissement conclus entre États membres sont contraires au droit de l'Union et, de ce fait, inapplicables. Ces clauses (...) ne produisent pas d'effets. Un tribunal arbitral établi sur la base de telles clauses est incompétent, du fait que l'État membre partie au traité bilatéral d'investissement sous-jacent n'a pas présenté une offre d'arbitrage valide.
Par ailleurs, les conventions internationales conclues par l'Union, notamment le traité sur la Charte de l'énergie, font partie intégrante de l'ordre juridique de l'UE et doivent donc être compatibles avec les traités européens. Des tribunaux arbitraux ont jugé que le traité sur la Charte de l'énergie contenait également une clause d'arbitrage entre investisseurs et États applicable entre États membres. Ainsi interprétée, cette clause serait incompatible avec les traités, et son application devrait dès lors être écartée.
(...)
Eu égard aux considérations qui précèdent, les États membres déclarent qu'ils prendront les mesures suivantes dans les meilleurs délais:
1. Par la présente déclaration, les États membres informent les tribunaux d'arbitrage en matière d'investissements des conséquences juridiques de l'arrêt
Achmea, telles qu'elles sont exposées dans la présente déclaration, pour toutes les procédures arbitrales pendantes relatives à des investissements intra-UE qui ont été engagées au titre soit de traités bilatéraux d'investissement conclus entre États membres, soit du traité sur la Charte de l'énergie.
2. En concertation avec l'État membre défendeur, l'État membre dans lequel est établi un investisseur ayant engagé ce type de recours prendra les mesures nécessaires pour informer le tribunal d'arbitrage en matière d'investissements concerné des conséquences de cet arrêt. De même, les États membres défendeurs demanderont aux juridictions, y compris de pays tiers, qui doivent prononcer une sentence arbitrale relative à des investissements intra-UE, d'annuler ou de ne pas exécuter lesdites sentences en raison de l'absence d'un consentement valide.
3. Par la présente déclaration, les États membres informent la communauté des investisseurs qu'aucune nouvelle procédure d'arbitrage en matière d'investissements intra-UE ne devrait être engagée.
(...)
6. Conformément à l'article 19, paragraphe 1, second alinéa, du TUE [Traité sur l'UE], les États membres garantiront sous le contrôle de la Cour de justice, une protection juridictionnelle effective contre des mesures d'État qui font l'objet d'une procédure d'arbitrage en matière d'investissements intra-UE encore pendante.
7. Les arrêts et les sentences arbitrales rendus dans des affaires d'arbitrage relatives à des investissements intra-UE qui ne peuvent plus être annulés ni suspendus et qui ont été volontairement respectés ou définitivement exécutés avant l'arrêt
Achmea ne devraient pas être contestés. Les États membres examineront, dans le cadre du traité plurilatéral ou de résiliations bilatérales et dans le respect du droit de l'Union, les modalités pratiques à adopter pour ces arrêts et sentences arbitrales. Cette démarche est sans préjudice de l'absence de compétence des tribunaux arbitraux dans les affaires intra-UE pendantes.
(...)
9. Au-delà des mesures concernant le traité sur la Charte de l'énergie fondées sur la présente déclaration, les États membres examineront dans les meilleurs délais avec la Commission si des mesures supplémentaires sont nécessaires pour tirer toutes les conséquences de l'arrêt
Achmea en ce qui concerne l'application intra-UE du traité sur la Charte de l'énergie.".
Se référant à l'art. 31 par. 3 points a) et b) CV, le recourant soutient que la Déclaration des 22 constituerait un accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du TCE, et singulièrement de la portée de la clause d'arbitrage ancrée à l'art. 26 dudit traité, respectivement une pratique ultérieurement suivie dans l'application du TCE.
Pour les motifs énoncés ci-après, l'intéressé ne saurait être suivi lorsqu'il prétend que les États concernés, en signant ledit document, auraient valablement exclu tout consentement de leur part à l'arbitrage visé par l'art. 26 TCE pour les litiges présentant un caractère intra-européen.
L'art. 31 par. 3 points a) et b) CV requiert un accord ou une pratique des parties au traité. Il est douteux que le sens de termes clairs d'un traité multilatéral puisse varier en fonction de l'État impliqué dans un litige, en vertu d'un accord ou d'une pratique adoptés par certains États seulement, et non par toutes les parties contractantes (cf. dans le même sens:
Mercuria contre la Pologne, op. cit., n. 409). En l'occurrence, la Déclaration des 22 n'a pas été formulée par toutes les parties au TCE, mais par certains États seulement. Ledit document n'a du reste pas été signé par tous les États membres de l'UE, puisque six d'entre eux ont refusé, au moment de sa rédaction, de qualifier la clause d'arbitrage prévue par le TCE d'incompatible avec le droit de l'UE. Dans ces conditions, on ne saurait
a priori voir dans la Déclaration des 22 un accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du TCE ou de son application au sens de l'art. 31 par. 3 point a) CV, ni une pratique ultérieurement suivie dans l'application dudit traité au regard de l'art. 31 par. 3 point b) CV.
Un examen plus attentif de la Déclaration des 22 confirme en outre que celle-ci ne vise, en réalité, aucunement à interpréter les dispositions du TCE, mais uniquement à préciser les conséquences juridiques résultant de l'arrêt rendu dans l'affaire
Achmea, lequel ne concernait nullement le TCE. Ainsi, il s'agit avant tout d'une déclaration d'intention, à des fins politiques, des 22 États concernés lesquels entendaient donner, à l'avenir, une lecture nouvelle à leur consentement inconditionnel à l'arbitrage prévu par le TCE, afin d'écarter les solutions contraires, potentiellement préjudiciables à leurs intérêts, retenues par divers tribunaux arbitraux (cf. dans le même sens:
Ekosol S.p.A. contre l'Italie, op. cit., n. 222 s.). Il ne ressort ainsi pas de la Déclaration des 22 que les États membres de l'UE concernés n'auraient jamais valablement consenti auparavant à ce que des litiges intra-européens puissent être soumis à des tribunaux arbitraux.
En tout état de cause et même à supposer qu'il faille reconnaître une quelconque valeur à la Déclaration des 22 en vertu de l'art. 31 par. 3 CV, celle-ci ne saurait déployer des effets rétroactifs (cf. dans le même sens:
Ekosol S.p.A. contre l'Italie, op. cit., n. 226). Autrement dit, l'intimée, qui a initié une procédure d'arbitrage le 24 février 2016 en se fiant de bonne foi à l'offre d'arbitrage formulée de manière inconditionnelle par l'État recourant à l'art. 26 par. 3 point a) TCE, ne saurait se voir dénier le droit de voir sa cause tranchée par un tribunal arbitral sur la base d'un document établi plus de trois ans après l'introduction de la présente procédure. C'est le lieu de rappeler ici que le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de préciser que, pour apprécier la compétence d'un tribunal arbitral reposant sur l'art. 26 TCE, il convenait, en principe, de se fonder sur la situation juridique prévalant au moment de l'introduction de la procédure d'arbitrage concernée (arrêt 4A_492/2021 du 24 août 2022 consid. 6.4.9 non publié in ATF 149 III 131).
7.7.6. Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal fédéral considère que l'art. 26 par. 3 point a) TCE, interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but, exclut de retenir que le consentement inconditionnel donné par l'État recourant à la soumission de tout différend à une procédure d'arbitrage n'engloberait pas les litiges présentant un caractère intra-européen.
Au vu de ce qui précède, le recours aux moyens complémentaires d'interprétation selon l'art. 32 CV n'est pas nécessaire, dès lors que la seule application des principes d'interprétation posés à l'art. 31 CV ne conduit pas à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable. A titre superfétatoire, on relèvera néanmoins que, lors des négociations entourant la signature du TCE, l'UE a tenté d'introduire une clause de déconnexion au sein dudit traité (ROBERT BASEDOW, Moldova v. Komstroy and the Future of Intra-EU Investment Arbitration under the Energy Charter Treaty: What Does the ECT's Negotiating History Tell Us?, Kluwer Arbitration Blog, 24 avril 2021; WOLFF, op. cit., p. 284; SULLIVAN/INGLE, op. cit., p. 325; cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre l'Allemagne, op. cit, n. 205;
Ekosol S.p.A. contre l'Italie, op. cit., n. 93;
Mercuria contre la Pologne, op. cit., n. 389). Ladite clause n'étant finalement pas venue à chef, ceci constitue un élément supplémentaire plaidant en faveur de la possibilité de soumettre des litiges intra-européens à la voie de l'arbitrage conformément à l'art. 26 par. 3 point a TCE. Ce n'est dès lors certainement pas un hasard si, lors de l'adoption du projet de TCE modernisé en juin 2022, les parties ont souhaité introduire une nouvelle disposition précisant que l'art. 26 TCE ne s'appliquerait pas entre États membres de la même OIER.
7.8. Dans son mémoire de recours, l'intéressé, invoquant l'art. 31 par. 3 point c) CV, reproche encore aux arbitres d'avoir nié toute pertinence aux traités de l'UE. A son avis, les dispositions desdits traités, telles qu'interprétées par la CJUE, seraient en conflit avec l'art. 26 TCE - ces règles ayant le même objet - et elles l'emporteraient dans un tel cas, raison pour laquelle elles écarteraient tout consentement à l'arbitrage s'agissant des litiges intra-européens.
Dans sa réplique, le recourant soutient, pour la première fois, que la primauté du droit de l'UE sur le TCE résulterait également des art. 30 et 41 CV .
7.8.1. Force est d'emblée de relever que l'intéressé, dans son mémoire de recours, s'est borné à soutenir qu'une interprétation "correcte" du TCE au regard de l'art. 31 CV devait conduire à nier la validité du consentement à l'arbitrage selon l'art. 26 TCE pour les litiges intra-européens, et à prétendre que les traités de l'UE, en tant que "règle[s] pertinente[s] de droit international applicable[s] dans les relations entre les parties" au sens de l'art. 31 par. 3 point c) CV, devaient l'emporter en cas de conflit avec l'art. 26 TCE. A aucun moment, l'intéressé n'a fait la moindre allusion à l'art. 30 CV, ou à l'art. 41 CV, pour tenter de justifier la prétendue primauté du droit de l'UE sur le TCE. De son côté, l'intimée n'a pas davantage fait référence à ces dispositions dans sa réponse. Contrairement à ce qu'affirme le recourant, c'est bien lui, et non son adversaire, qui a évoqué la question de la prétendue primauté du droit de l'UE sur le TCE. Il appert ainsi que le recourant, en consacrant, pour la première fois au stade de sa réplique, de longs développements relatifs aux art. 30 et 41 CV , a formulé de nouvelles considérations juridiques qui auraient pu et dû figurer dans son mémoire de recours (arrêt 4A_172/2023, précité, consid. 3.1 destiné à la publication). Ces nouveaux éléments visant à combler les lacunes de son argumentation initiale apparaissent ainsi irrecevables.
7.8.2. En tout état de cause, les arguments avancés par le recourant en vue de démontrer que le droit de l'UE justifierait, en l'occurrence, d'écarter son consentement à l'arbitrage dans les litiges intra-européens n'apparaissent de toute manière pas convaincants.
Le recourant assoit son raisonnement sur la prémisse selon laquelle il existerait un conflit entre l'art. 26 TCE et certaines normes du TFUE. Le Tribunal fédéral n'ignore pas que la CJUE a abouti, dans l'affaire
Komstroy, à la conclusion que l'art. 26 TCE était incompatible avec le droit de l'UE. Il n'est toutefois pas convaincu par le raisonnement adopté par la CJUE dans l'arrêt
Komstroy, puisqu'il se base essentiellement, sinon exclusivement, sur l'exigence de préservation de l'autonomie et du caractère propre du droit de l'UE, sans nullement tenir compte du droit international ni des règles d'interprétation des traités. Quoi qu'il en soit, l'arrêt rendu dans l'affaire
Komstroy ne lie pas la Cour de céans, étant donné que l'obligation pour les juridictions nationales des États membres de l'UE de respecter les décisions prises par la CJUE lorsque le siège de l'arbitrage se situe dans l'un de ces États ne s'impose pas aux autorités juridictionnelles sises en dehors de l'UE, telle la Suisse.
Contrairement à ce que prétend le recourant, le Tribunal fédéral considère que l'existence d'un conflit entre l'art. 26 TCE et les traités de l'UE n'est pas établie (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre l'Allemagne, op. cit., n. 212;
Mercuria contre la Pologne, op. cit., n. 419). Depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, l'art. 207 al. 1 TFUE a certes conféré une compétence exclusive à l'UE en matière d'investissements étrangers directs. Cela ne signifie toutefois pas que les normes figurant dans les traités internationaux multilatéraux conclus antérieurement seraient devenues automatiquement contraires au droit de l'UE. Quant à l'art. 267 TFUE, il prévoit certes que la CJUE est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation des traités fondateurs de l'UE (TUE et TFUE) ainsi que sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de l'UE, parmi lesquels figure notamment le TCE, étant donné que ledit traité a aussi été ratifié par l'UE. Il ne ressort toutefois pas de la lettre de l'art. 267 TFUE que la compétence de la CJUE en la matière serait exclusive. Dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire
Komstroy, la CJUE a du reste elle-même souligné que, selon sa jurisprudence constante, un accord international prévoyant la création d'une juridiction chargée de l'interprétation de ses dispositions et dont les décisions lient les institutions de l'UE, y compris la CJUE, n'est, en principe, pas incompatible avec le droit de l'UE (cf. n. 61). Il appert ainsi que diverses autorités juridictionnelles peuvent en principe coexister au niveau international, y compris au sein de l'UE.
L'art. 344 TFUE ne permet pas davantage de conclure à l'existence d'une incompatibilité entre l'art. 26 TCE et le droit de l'UE. A teneur de cette disposition, les États membres s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci. Il résulte de la lettre de cette norme que celle-ci vise les États membres et non pas leurs ressortissants (WOLFF, op. cit., p. 284 et les références citées). De plus, l'art. 344 TFUE dispose uniquement que les États membres de l'UE ne peuvent pas avoir recours à un mode de résolution des litiges différent de ceux prévus par les traités; il n'indique, en revanche, nullement que lesdits États ne pourraient pas être attraits devant d'autres autorités juridictionnelles. Enfin et surtout, la disposition vise exclusivement les différends relatifs "à l'interprétation ou à l'application des traités". Or, selon l'art. 1 par. 2 TFUE, la dénomination "les traités" désigne le TUE et le TFUE. Il n'apparaît ainsi pas que l'art. 344 TFUE engloberait également les litiges en matière d'investissements opposant un État membre de l'UE à un investisseur sis dans un autre État membre. Au vu de ce qui précède, il n'est pas possible de conclure à l'existence d'un éventuel conflit entre les normes précitées du TFUE et l'art. 26 TCE.
7.8.3. Quoi qu'il en soit, et même à supposer que l'art. 26 TCE soit effectivement incompatible avec le droit de l'UE, ce qui n'est pas démontré, rien ne permet de retenir, au regard des principes de droit international public, que les règles du TFUE devraient primer celles du TCE.
7.8.3.1. L'art. 31 par. 3 point c) CV commande certes de tenir compte, au moment d'interpréter les règles d'un traité, de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. On peut toutefois d'emblée s'interroger sur le point de savoir si la norme précitée fait uniquement référence aux règles de droit international applicables entre
toutes les parties au traité en question, soit en l'occurrence le TCE, ou si elle englobe aussi les normes liant exclusivement certains États contractants. Quoi qu'il en soit, il ne résulte pas de l'art. 31 par. 3 point c) CV que d'autres engagements internationaux pris par certains États parties au TCE devraient l'emporter en cas de conflit avec les dispositions dudit traité. En effet, les normes d'un traité multilatéral doivent, en principe, être interprétées de la même manière pour toutes les parties contractantes, et non pas recevoir une acception différente suivant les autres accords conclus par certaines d'entre elles, sous peine de nuire à la sécurité du droit (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre l'Allemagne, op. cit., n. 156;
Ekosol S.p.A. contre l'Italie, op. cit., n. 125).
7.8.3.2. Les règles de conflit entre les traités internationaux ancrées à l'art. 30 CV ne conduisent pas davantage à retenir la primauté du droit de l'UE sur le TCE.
En l'occurrence, le TFUE ne saurait primer le TCE en vertu du principe
lex posterior derogat priori, concrétisé à l'art. 30 par. 3 CV. D'une part, force est tout d'abord de souligner que les deux instruments internationaux en question ne portent pas sur la "même matière" au sens de l'art. 30 CV. Le TCE vise, en effet, à établir un cadre juridique destiné à promouvoir la coopération à long terme dans le domaine de l'énergie. Le TFUE tend lui à organiser le fonctionnement de l'UE et à déterminer les domaines, la délimitation et les modalités d'exercice de ses compétences (cf. art. 1 par. 1 TFUE). Il ne porte ainsi pas sur la promotion et la protection des investissements dans le secteur énergétique. Il ne confère pas davantage de garanties matérielles aux investisseurs dans le domaine concerné. D'autre part, les normes sur lesquelles s'est appuyée la CJUE pour affirmer la primauté du droit de l'UE sur l'art. 26 TCE, soit les art. 267 et 344 TFUE, existaient déjà, sous une autre forme, au moment de la conclusion du TCE. Les dispositions topiques ont en effet été reprises des précédents traités de l'UE, sous une numérotation différente, lors de l'adoption du Traité de Lisbonne (WOLFF, op. cit., p. 285; cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre l'Allemagne, op. cit., n. 218;
Mercuria contre la Pologne, op. cit., n. 432).
Il n'est pas davantage possible de retenir que le droit de l'UE occuperait un rang hiérarchiquement supérieur à celui du TCE en vertu de l'art. 30 par. 2 CV. L'application de ladite norme suppose tout d'abord que les deux traités internationaux concernés, soit en l'occurrence le TCE et le TFUE, portent sur la même matière, ce qui n'est pas le cas. Pour que l'art. 30 par. 2 CV puisse trouver application, il faudrait encore que l'un des traités précise qu'il est "subordonné" à l'autre ou mentionne qu'il ne doit pas être considéré comme incompatible avec cet autre traité. Or, à aucun endroit, le TCE ne laisse entendre qu'il serait subordonné à d'autres engagements internationaux pris par les États contractants. Les dispositions du TFUE ne prévoient pas non plus que celui-ci primerait le TCE.
Mais il y a plus. Le TCE contient, en effet, une règle spécifique visant à régler la relation entre ledit traité et un accord international conclu antérieurement ou postérieurement par deux ou plusieurs parties contractantes. L'art. 16 TCE prévoit, ainsi, qu'aucune norme d'un traité international conclu par deux ou plusieurs parties contractantes avant ou après la conclusion du TCE ne peut être interprétée comme dérogeant aux dispositions des parties III ou V du TCE ni au droit d'exiger un règlement du différend concernant ce point conformément au TCE, lorsque de telles dispositions sont plus favorables pour l'investisseur ou l'investissement. Cette règle de conflit spécifique, adoptée par les parties lors de la signature du TCE, confirme que le droit pour un investisseur de soumettre un différend à un tribunal arbitral conformément à l'art. 26 TCE devait être garanti, nonobstant d'éventuelles conditions moins favorables aux investisseurs pouvant être prévues dans d'autres traités internationaux. Si les parties au TCE avaient réellement souhaité aménager un régime particulier pour les États membres de l'UE, en précisant que le mécanisme de résolution des différends prévu par le droit de l'UE devait primer l'art. 26 TCE, elles auraient pu et dû le mentionner explicitement dans le texte du TCE. Les parties ne l'ayant pas fait, l'art. 16 TCE permet d'aboutir à la conclusion que l'art. 26 TCE prime le mode de résolution des différends prévu par le TFUE, l'investisseur concerné bénéficiant ainsi de la possibilité de soumettre le litige l'opposant à un État membre de l'UE à l'autorité juridictionnelle de son choix (juridictions étatiques ou tribunaux arbitraux).
7.8.3.3. Le recourant ne peut pas davantage être suivi lorsque, invoquant l'art. 41 CV, il prétend que les États membres de l'UE auraient conclu un accord ayant pour objet de modifier le traité dans leurs relations mutuelles seulement.
La première hypothèse visée par l'art. 41 point a) CV est celle où la possibilité d'une modification serait prévue par le TCE. Or, contrairement à ce que prétend le recourant, ledit traité ne réserve nullement une telle option, l'art. 1 ch. 3 TCE, dont l'intéressé fait grand cas, ne faisant que définir ce qu'est une OIER. Rien ne permet ainsi d'admettre que le TCE octroierait aux États membres d'une OIER la faculté d'adopter un régime spécial dans leurs relations mutuelles, dérogeant aux dispositions du TCE.
La seconde hypothèse concerne le cas où une telle modification n'est pas interdite par le traité multilatéral concerné. Selon l'art. 41 par. 1 point b) CV, un accord, conclu par deux ou plusieurs parties à un traité multilatéral ayant pour objet de modifier le traité dans leurs relations mutuelles seulement, n'est alors possible que si les conditions cumulatives suivantes sont remplies:
- la modification en question ne porte atteinte ni à la jouissance par les autres parties des droits qu'elles tiennent du traité ni à l'exécution de leurs obligations (point i); et
- ladite modification ne porte pas sur une disposition à laquelle il ne peut être dérogé sans qu'il y ait incompatibilité avec la réalisation effective de l'objet et du but du traité pris dans son ensemble (point ii).
En l'occurrence, ces conditions ne sont pas remplies, puisque les dispositions du TFUE sur lesquelles se fonde le recourant pour exclure la possibilité de soumettre un différend à la voie de l'arbitrage sur la base de l'art. 26 TCE contreviennent à l'art. 16 TCE. Aussi n'est-il pas possible d'admettre que le fait d'écarter l'application de l'art. 26 TCE en présence de litiges présentant un caractère intra-européen serait compatible avec la réalisation effective de l'objet et du but dudit traité, étant donné que l'art. 16 TCE prévoit, en substance, qu'aucune disposition d'un autre traité international ne peut être interprétée comme dérogeant au droit d'exiger un règlement du différend conformément à l'art. 26 TCE (cf. dans le même sens:
Vattenfall et al. contre l'Allemagne, op. cit., n. 221;
Ekosol S.p.A. contre l'Italie, op. cit., n. 151). Comme le souligne du reste l'intimée dans sa duplique, le Secrétariat Général de la Charte de l'énergie a clairement indiqué, dans un courrier du 13 février 2023 adressé au Parlement de l'UE, qu'un accord
inter se entre les États membres de l'UE, excluant l'application du TCE dans leurs relations mutuelles, serait contraire à l'art. 16 TCE.
7.8.4. Au vu de ce qui précède, les critiques formulées par le recourant au soutien de son grief d'incompétence du Tribunal arbitral ne peuvent qu'être rejetées dans la mesure de leur recevabilité.
8.
Dans un autre moyen, intitulé "L'inarbitrabilité du litige au regard de l'ordre public international juridictionnel (art. 190 al. 2 let. e LDIP) ", figurant sous une rubrique distincte de son mémoire de recours, l'intéressé soutient que le présent litige serait inarbitrable selon l'art. 177 LDIP, dans la mesure où la CJUE disposerait en l'occurrence d'une compétence exclusive qui s'imposerait à tous les États membres de l'UE. Se référant à divers arrêts du Tribunal fédéral dans lequel celui-ci a évoqué "la possibilité de nier l'arbitrabilité de prétentions dont le traitement aurait été réservé exclusivement à une juridiction étatique par des dispositions du droit étranger qu'il s'imposerait de prendre en considération sous l'angle de l'ordre public visé par l'art. 190 al. 2 let. e LDIP" (ATF 118 II 353 consid. 3c; arrêt 4A_200/2021 du 21 juillet 2021 consid. 4.2 et les références citées), le recourant fait valoir que la compétence exclusive de la CJUE relèverait, en l'espèce, de "l'ordre public juridictionnel" au sens de l'art.190 al. 2 let. e LDIP. A l'en croire, si la Suisse refusait de tenir compte de la compétence exclusive de la CJUE et s'arrogeait la compétence de valider le consentement à l'arbitrage d'un État membre de l'UE que ce même ordre juridique lui refuse, elle s'ingérerait dans le droit de l'UE et entraverait l'exécution des traités auxquels elle n'est pas partie. L'intéressé s'emploie, enfin, à démontrer que l'art. 177 al. 2 LDIP ne trouverait pas application en l'espèce.
Comme le relève à juste titre l'intimée, le grief d'inarbitrabilité du litige, tel qu'il est présenté, apparaît irrecevable. A la lecture du mémoire de recours, il appert en effet que l'intéressé semble vouloir rattacher exclusivement ses critiques relatives à l'inarbitrabilité du litige au moyen visé par l'art. 190 al. 2 let. e LDIP. L'intitulé de son grief consacré à l'examen de cette question fait exclusivement référence à ladite disposition. En outre, dans les développements qu'il consacre au soutien dudit moyen, le recourant ne cite, à aucun moment, l'art. 190 al. 2 let. b LDIP. Dans sa réplique, il ne conteste pas véritablement ce dernier point, mais indique avoir expressément invoqué l'art. 190 al. 2 let. b LDIP, au début de son mémoire. Il affirme que la question de l'arbitrabilité du litige a été "d'abord traitée sous l'angle de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, puis et naturellement, sous celui plus spécifique de l'art. 177 al. 2 LDIP...". L'intéressé soutient, enfin, que le fait de déclarer irrecevable le moyen considéré relèverait du formalisme excessif. Semblable argumentation n'apparaît nullement convaincante. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l'arbitrabilité est une condition de validité de la convention d'arbitrage et, partant, de la compétence du tribunal arbitral (ATF 118 II 353 consid. 3a; arrêt 4A_200/2021, précité, consid. 4.2). Semblable moyen relève donc de l'art. 190 al. 2 let. b LDIP, et non pas de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP. La Cour de céans a d'ores et déjà eu l'occasion de préciser que la partie recourante n'est pas recevable à invoquer le défaut d'arbitrabilité sous l'angle de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP (arrêt 4A_370/2007 du 21 février 2008 consid. 5.2.1). Conformément à l'obligation d'allégation et aux exigences de motivation accrues de l'art. 77 al. 3 LTF (cf. consid. 4.1
supra), il appartient en effet au recourant de rattacher le grief qu'il invoque au motif de recours approprié prévu par l'art. 190 al. 2 LDIP. Aussi est-ce en vain que l'intéressé se prévaut de l'interdiction du formalisme excessif. En l'occurrence, il ne ressort pas du chapitre du mémoire de recours consacré au grief touchant l'arbitrabilité du litige que celui-ci serait rattaché à l'art. 190 al. 2 let. b LDIP. Le recourant a, au contraire, fait clairement allusion à l'art. 190 al. 2 let. e LDIP et à la notion d'ordre public dans l'intitulé du grief concerné et dans les développements qu'il a consacrés à l'examen de l'arbitrabilité du litige. Que le recourant ait fait référence à la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle il serait éventuellement possible d'admettre l'inarbitrabilité de prétentions au regard de dispositions du droit étranger dont l'ordre public exigerait la prise en compte ne change rien à la nature du grief de défaut d'arbitrabilité du litige et ne fait pas tomber celui-ci sous le coup de l'art. 190 al. 2 let. e LDIP. Enfin, le simple fait que l'intéressé a cité l'art. 190 al. 2 let. b LDIP en tête de son recours, sans jamais préciser clairement dans son écriture que le grief d'inarbitrabilité devait être traité au regard de ladite disposition ne suffit pas à admettre la recevabilité dudit grief, eu égard aux exigences strictes de l'art. 77 al. 3 LTF. Les reproches de nature formelle que l'intimée adresse au recourant en ce qui concerne la motivation du grief touchant l'arbitrabilité sont ainsi fondés.
9.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Le recourant, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF) et versera des dépens à son adverse partie ( art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 75'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 85'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Tribunal arbitral ad hoc avec siège à Genève.
Lausanne, le 3 avril 2024
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
Le Greffier : O. Carruzzo