Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
6B_982/2023
Arrêt du 3 avril 2024
Ire Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux
Denys, Juge présidant, van de Graaf et von Felten.
Greffière : Mme Brun.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Patrick Bolle, avocat,
recourant,
contre
1. Ministère public de la République et canton de Genève,
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy,
2. B.________,
3. D.C.________ et E.C.________,
tous les deux agissant par B.________,
4. F.C.________,
5. G.________,
6. H.________,
intimés.
Objet
Homicide par négligence; fixation de la peine; conclusions civiles; indemnité; arbitraire,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision, du 7 janvier 2023
(P/24839/2019 AARP/203/2023).
Faits :
A.
Par jugement du 19 octobre 2022, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a reconnu A.________ coupable d'homicide par négligence, de conduite malgré une incapacité et de violation de l'interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool (art. 91 al. 2 let. a de la loi fédérale sur la circulation routière [LCR; RS 741.01]). Il l'a condamné à une peine privative de liberté de 18 mois, sous déduction de la détention avant jugement, assortie du sursis et d'un délai d'épreuve de trois ans. Il a en outre condamné A.________ à payer les sommes de 15'000 fr. à B.________ (compagne), 4'800 fr. à F.C.________ (frère) et 12'000 fr., chacun, à D.C.________ et E.C.________ (fils jumeaux), ainsi qu'à G.________ et H.________ (parents), avec intérêts à 5 % l'an dès le 17 décembre 2019, à titre de réparation du tort moral et au paiement de l'intégralité des frais de procédure.
B. Par arrêt du 7 janvier 2023, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève a partiellement admis les appels formés par A.________ et les parties plaignantes en ce sens qu'elle a réduit les indemnités pour tort moral de G.________ à 7'500 fr. et de H.________ à 5'000 fr. et a augmenté celles de B.________ à 25'000 fr., de D.C.________ et E.C.________ à 26'250 fr. chacun et de F.C.________ à 7'500 francs. Elle a en outre condamné A.________ au paiement de 80 % des frais de procédure d'appel et a confirmé le jugement du 19 octobre 2022 pour le surplus.
En substance, elle a retenu les faits suivants:
À U.________, le 8 décembre 2019, aux alentours de 04h17, sur une bretelle d'accès à l'autoroute, A.________, lequel était en état d'ébriété, circulait au volant de son véhicule automobile à une vitesse comprise entre 82 km/h et 88 km/h, alors que la vitesse sur ce tronçon était limitée à 50 km/h. Inattentif, A.________ a percuté, avec l'avant droit de son véhicule, C.C.________, piéton qui cheminait avec un ami sur la chaussée de la route. Après la collision, C.C.________ a été projeté sur la droite et en avant par rapport au sens de marche de la voiture, sur une distance d'environ dix mètres. Malgré la prise en charge médicale, C.C.________ est décédé le 8 décembre 2019 des suites des lésions causées par l'accident de la circulation.
C.
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt du 7 janvier 2023. Il conclut, avec suite de frais et dépens, principalement à son acquittement pour homicide par négligence, au rejet des conclusions civiles en réparation du tort moral des parties plaignantes. Subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à l'autorité inférieure pour nouvelle décision au sens des considérants.
Considérant en droit :
1.
Invoquant un établissement arbitraire des faits, le recourant conteste sa condamnation du chef d'accusation d'homicide par négligence (art. 117 CP).
1.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, à savoir, pour l'essentiel, de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais aussi dans son résultat (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1; 145 IV 154 consid. 1.1; sur la notion d'arbitraire, cf. ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2). En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables. Le Tribunal fédéral n'entre en matière sur les moyens fondés sur la violation de droits fondamentaux, dont l'interdiction de l'arbitraire, que s'ils ont été invoqués et motivés de manière précise (art. 106 al. 2 LTF; ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1; 143 IV 500 consid. 1.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 148 IV 409 consid. 2.2; 147 IV 73 consid. 4.1.2; 146 IV 88 consid. 1.3.1).
Dans une large mesure, le recourant expose sa propre vision de l'ensemble du litige dans une démarche de nature appellatoire qui ne remplit à l'évidence pas les exigences de motivation, ni ne démontre que l'appréciation cantonale serait insoutenable. C'est notamment le cas lorsqu'il explique que la victime, qui aurait eu des tendances suicidaires, n'était pas visible et qu'elle s'était précipitée sur le véhicule. Les griefs de fait soulevés par le recourant seront donc traités ci-après pour autant qu'ils n'apparaissent pas d'emblée irrecevables pour les motifs qui précèdent.
1.2. Aux termes de l'art. 117 CP, celui qui, par négligence, aura causé la mort d'une personne sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
Conformément à l'art. 12 al. 3 CP, il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l'auteur a agi sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. Il faut que l'auteur ait, d'une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d'autre part, il n'ait pas déployé l'attention et les efforts que l'on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir (ATF 143 IV 138 consid. 2.1; 135 IV 56 consid. 2.1 et les références citées). Pour déterminer plus précisément les devoirs imposés par la prudence, on peut se référer à des normes édictées par l'ordre juridique pour assurer la sécurité et éviter des accidents (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 p. 140). S'agissant d'un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière (ATF 122 IV 133 consid. 2a; arrêt 6B_286/2022 du 15 juin 2013 consid. 4.1.1).
Il faut en outre qu'il existe un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. Le rapport de causalité est qualifié d'adéquat lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3). La causalité adéquate sera admise même si le comportement de l'auteur n'est pas la cause directe ou unique du résultat. Peu importe que le résultat soit dû à d'autres causes, notamment à l'état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers (ATF 131 IV 145 consid. 5.2). La causalité adéquate peut être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d'un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait s'y attendre. L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement de l'auteur (ATF 143 III 242 consid. 3.7; 134 IV 255 consid. 4.4.2; 133 IV 158 consid. 6.1; 131 IV 145 consid. 5.2). La question de la causalité adéquate constitue une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 142 IV 237 consid. 1.5.1 et 1.5.2; 139 V 176 consid 8.4.1 à 8.4.3; 138 IV 57 consid. 4.1.3).
1.3.
1.3.1. L'art. 26 al. 1 LCR prescrit que chacun doit se comporter, dans la circulation, de manière à ne pas gêner ni mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies. La jurisprudence a déduit de cette règle le principe de la confiance, qui permet à l'usager qui se comporte réglementairement d'attendre des autres usagers, aussi longtemps que des circonstances particulières ne doivent pas l'en dissuader, qu'ils se comportent également de manière conforme aux règles de la circulation, c'est-à-dire ne le gênent ni ne le mettent en danger (ATF 143 IV 138 consid. 2.1; 125 IV 83 consid. 2b et les références citées). Selon l'art. 26 al. 2 LCR, une prudence particulière s'impose à l'égard des enfants, des infirmes et des personnes âgées, de même s'il apparaît qu'un usager de la route va se comporter de manière incorrecte. Le principe de la confiance ne s'applique donc pas à l'égard de ces personnes (ATF 129 IV 282 consid. 2.2.1; 115 IV 239 consid. 2).
1.3.2. À teneur de l'art. 31 LCR, le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence (al. 1). Cela signifie qu'il doit être à tout moment en mesure de réagir utilement aux circonstances. En présence d'un danger, et dans toutes les situations exigeant une décision rapide, il devra réagir avec sang froid et sans excéder le temps de réaction compatible avec les circonstances. Toutefois, est excusable celui qui, surpris par la manoeuvre insolite, inattendue et dangereuse d'un autre usager ou par l'apparition soudaine d'un animal, n'a pas adopté, entre diverses réactions possibles, celle qui apparaît après coup objectivement comme étant la plus adéquate (arrêt 6B_1006/2016 du 24 juillet 2017 consid. 2.1 et références citées). Toute réaction non appropriée n'est cependant pas excusable. Selon la jurisprudence, l'exonération d'une faute suppose que la solution adoptée en fait et celle qui, après coup, paraît préférable, sont approximativement équivalentes et que le conducteur n'a pas discerné la différence d'efficacité de l'une ou de l'autre parce que l'immédiateté du danger exigeait de lui une décision instantanée. En revanche, lorsqu'une manoeuvre s'impose à un tel point que, même si une réaction très rapide est nécessaire, elle peut être reconnue comme préférable, le conducteur est en faute s'il ne la choisit pas (ATF 83 IV 84; arrêt 6B_1006/2016 du 24 juillet 2017 consid. 2.1 et références citées). Conformément à l'art. 31 al. 2 LCR, toute personne qui n'a pas les capacités physiques et psychiques nécessaires pour conduire un véhicule parce qu'elle est sous l'influence de l'alcool, de stupéfiants, de médicaments ou pour d'autres raisons, est réputée incapable de conduire pendant cette période et doit s'en abstenir.
1.3.3. Aux termes de l'art. 32 al. 1 LCR, la vitesse doit toujours être adaptée aux circonstances, notamment aux particularités du véhicule et du chargement, ainsi qu'aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité. Cette règle implique notamment qu'on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité sont favorables (ATF 121 IV 286 consid. 4b; 121 II 127 consid. 4a; cf. art. 4a OCR [ordonnance sur les règles de la circulation routière du 13 novembre 1962; RS 741.11]). D'une manière générale, le degré d'attention exigé du conducteur s'apprécie au regard de toutes les circonstances, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l'heure, la visibilité et les sources de danger prévisibles (ATF 129 IV 282 consid. 2.2.1).
1.4. Le recourant conteste avoir fait preuve de négligence, soit d'avoir été inattentif et d'avoir violé l'art. 26 al. 2 LCR dans la mesure où, pour pouvoir anticiper un comportement incorrect d'un usager de la route, il fallait pouvoir le voir ou avoir le temps de le voir.
1.4.1. La cour cantonale a jugé que le recourant avait vu la victime avant de la percuter. À l'appui de son raisonnement, elle indique que celle-ci avait été vue par les passagers du véhicule, qu'il ressort des images de vidéosurveillance, comme des photographies prises le soir des faits, que les lieux étaient parfaitement éclairés et que le recourant avait freiné avant le choc. Elle ajoute qu'il ressort de l'expertise que, si le recourant avait respecté la vitesse prescrite (50 km/h), il aurait été en mesure de freiner à temps et d'immobiliser son véhicule avant la collision. Elle a ainsi jugé que le recourant avait violé plusieurs règles de prudence en étant inattentif, en excès de vitesse et en état d'ébriété, ce qui a joué un rôle essentiel dans la survenance de l'accident.
1.4.2. Par ses développements tendant à indiquer que la limitation de vitesse applicable sur le lieu du déroulement des faits ne fait aucun sens et que sa vitesse n'était donc pas inadaptée, que sa consommation d'alcool n'a eu aucune incidence sur la survenance de l'accident ou que la victime est brusquement apparue dans son champ de vision, le recourant se borne à opposer sa propre appréciation des faits et des preuves à celle opérée par la cour cantonale, cela d'une manière appellatoire et, partant, irrecevable dans le recours en matière pénale. C'est en vain qu'il invoque la pose d'un nouveau panneau de limitation de vitesse à 80 km/h, s'agissant d'un fait nouveau irrecevable (art. 99 LTF).
Le recourant perd de vue que son excès de vitesse ( art. 32 et 90 al. 2 LCR ) et son état d'ébriété (art. 31 al. 2 LCR), qui ne sont pas contestés, sont des violations des règles de la prudence qui fondent une négligence. Si le recourant avait circulé en étant sobre et à la vitesse prescrite, il aurait pu éviter le choc et le décès de la victime (cf. jugement attaqué, p. 13). À cet égard, on relèvera que, plus de dix minutes avant l'accident, d'autres véhicules ont été en mesure de freiner à temps (cf. jugement attaqué. pp. 3-4).
C'est à juste titre que la cour cantonale a retenu une négligence qui peut être qualifiée de fautive.
1.5. Le recourant reproche à la cour cantonale de ne pas avoir pris en considération le comportement de la victime qui, violant les règles de la circulation routière (art. 49 LCR), a rompu tout lien de causalité adéquate entre la négligence reprochée et le décès.
L'état d'ébriété, le manque d'attention et le comportement du recourant tendant à la violation des limitations de vitesse étaient illicites, c'est à raison, que la cour a estimé qu'il avait commis une négligence. C'est également à raison que la cour cantonale a jugé que la présence d'un piéton sur la route n'est pas une circonstance exceptionnelle ou extraordinaire de nature à interrompre le lien de causalité, ce d'autant plus qu'un trottoir bordait la route à l'endroit de l'accident, que la route dessert un quartier fortement peuplé et particulièrement bien éclairé qui constitue une zone d'activité à toute heure du jour ou de la nuit (art. 26 al. 2 LCR).
L'argumentation du recourant tirée du comportement irrationnel de la victime, qui se serait soudainement élancée sur la chaussée devant son véhicule, est irrecevable faute de reposer sur des faits établis. Pour le surplus, cette argumentation est derechef irrecevable car de nature appellatoire. Le recourant présente à nouveau sa propre appréciation des faits sans démontrer que ceux retenus par la cour cantonale seraient arbitraires.
1.6. Au vu de ce qui précède, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en estimant que c'était bien le comportement du recourant, en excès de vitesse, en état d'ébriété et inattentif, en violation de son devoir de prudence déduit des règles de la circulation routière, qui constituait la cause la plus probable et la plus immédiate de la collision avec la victime.
Le recourant ne contestant pas, au surplus, que le décès de la victime est la conséquence de cette collision, sa condamnation pour homicide par négligence (art. 117 CP) doit être confirmée.
2.
Invoquant une violation du principe de la bonne foi, du droit d'être entendu et du droit à un traitement équitable (art. 3 al. 2 let. a et c CPP), le recourant se plaint d'une violation du droit à un procès équitable. Il fait grief à la cour cantonale, alors qu'il a déposé son mémoire d'appel écrit dans le délai fixé au 2 janvier 2023, de ne pas lui avoir accordé d'office une prolongation de délai similaire à celle de trente jours demandée, et accordée, aux parties plaignantes pour le dépôt de leur propre mémoire d'appel.
Le recourant n'a pas demandé de prolongation de délai et n'explique pas en quoi il aurait été concrètement empêché d'exposer de manière complète ses développements et en quoi il aurait été défavorisé par rapport aux parties plaignantes, ce d'autant plus que, invité à déposer un mémoire de réponse par la cour cantonale le 2 février 2023, il a indiqué que celui-ci n'était pas nécessaire dans la mesure où son propre mémoire d'appel motivé se prononçait déjà sur les points soulevés par les parties plaignantes.
Le grief doit dès lors être rejeté dans la faible mesure de sa recevabilité.
3.
Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision.
Lausanne, le 3 avril 2024
Au nom de la Ire Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant : Denys
La Greffière : Brun