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Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
1P.232/2002/col 
 
Arrêt du 3 juillet 2002 
Ire Cour de droit public 
 
Les juges fédéraux Aemisegger, président de la Cour et vice-président du Tribunal fédéral, 
Reeb, Catenazzi, 
greffier Thélin. 
 
V.________, 
recourant, représenté par Me Minh Son Nguyen, avocat, rue du Simplon 13, case postale, 1800 Vevey 1, 
 
contre 
 
Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois, quai Maria-Belgia 18, case postale, 1800 Vevey, 
Procureur général du canton de Vaud, rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne, 
Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud, route du Signal 8, 1014 Lausanne. 
 
procédure pénale; refus de libérer des sûretés 
 
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du 13 mars 2002 
 
Faits: 
A. 
Dès juillet 1999, les autorités judiciaires vaudoises ont ouvert une enquête pénale contre V.________ et divers autres prévenus, en particulier B.________, soupçonnés d'avoir mis sur pied une organisation ayant fabriqué et mis en circulation de la fausse monnaie, recyclé de l'argent provenant de la prostitution, du jeu et de différents trafics, et participé à des escroqueries portant sur des investissements à haut rendement. 
 
V.________ a été arrêté et placé en détention préventive dès le 23 août 1999. Il a présenté, sans succès, plusieurs demandes de mises en liberté; en dernière instance, ses recours ont été rejetés par le Tribunal fédéral le 7 mars 2000 (arrêt 1P.71/2000) et le 9 novembre 2000 (arrêt 1P.657/2000). Une nouvelle demande a, elle, reçu une suite favorable devant le Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal, le 20 décembre 2000; cette autorité a ordonné la mise en liberté du prévenu moyennant sûretés. Celles-ci étaient fixées à 250'000 fr., montant que l'intéressé avait lui-même proposé. La libération effective de V.________ est intervenue le 22 décembre 2000, après qu'il eut remis une garantie correspondant au montant précité, émise par la Banque cantonale vaudoise. 
B. 
B.________ a lui aussi subi la détention préventive. Dans un autre arrêt rendu également le 20 décembre 2000, le Tribunal d'accusation a certes rejeté une demande de mise en liberté, mais il a enjoint au Juge d'instruction de libérer ce prévenu "aussitôt qu'il ser[ait] en mesure d'offrir des sûretés suffisant à garantir sa présence aux débats, compte tenu de sa situation financière". B.________ a recouru au Tribunal fédéral, dans le but d'obtenir sa libération immédiate. Statuant le 30 janvier 2001 (arrêt 1P.24/2001), le Tribunal fédéral a rejeté ce recours, mais il a souligné que les investigations alors en cours à l'étranger, dans le cadre de l'entraide judiciaire, se déroulaient très lentement, et qu'au regard du principe de la célérité, il s'imposerait de réexaminer à très bref délai la justification de la détention, sur la base de l'état de ces recherches et de leur durée probable. 
 
Le Juge d'instruction a libéré B.________ le 12 février 2001, sans condition, au motif que l'enquête ne pourrait pas être terminée à court terme et que l'intéressé ne paraissait pas en mesure de fournir des sûretés. 
C. 
Par mémoire du 21 novembre 2001, V.________ a requis le Juge d'instruction de libérer la garantie bancaire fournie à titre de sûretés. Il soutenait que compte tenu de sa situation personnelle, le risque de fuite n'existait plus. Il expliquait être marié avec une femme suissesse, de sorte qu'il bénéficiait d'une autorisation de séjour; le couple avait un enfant depuis septembre 2001, élevait un fils de l'épouse né d'un précédent mariage et était installé à X.________; il avait lui-même un emploi qui lui procurait un salaire mensuel net de plus de 6'000 fr. Par ailleurs, les sûretés provenaient de divers tiers, en particulier de son employeur, qui demandaient la restitution de leurs fonds. Diverses pièces étaient produites dans le but d'établir ces faits. Enfin, le prévenu faisait valoir que B.________ avait été libéré, lui, sans aucune garantie. 
 
Le Juge d'instruction a rejeté cette demande par ordonnance du 31 janvier 2002. Il a considéré que le risque de fuite subsistait car la famille, décrite comme unie, pouvait prendre domicile à l'étranger, notamment en Espagne d'où l'épouse est originaire; le prévenu avait d'ailleurs lui-même déclaré, en 1999, qu'ils envisageaient un déménagement dans ce pays ou en Grande-Bretagne. La garantie de 250'000 fr., partiellement financée par un tiers, constituait un moyen efficace de retenir le prévenu en Suisse jusqu'au jugement. 
 
V.________ a recouru au Tribunal d'accusation. Statuant par arrêt du 13 mars 2002, ce tribunal a retenu que le refus de libérer les sûretés ne faisait pas partie des cas de recours prévus par la loi, de sorte qu'il a déclaré le recours irrecevable. Il a néanmoins confirmé que le risque de fuite subsistait, conformément à l'opinion du Juge d'instruction; de plus, il a enjoint à ce magistrat d'accepter la libération des sûretés moyennant réincarcération du prévenu, si ce dernier, qui devait être interpellé sur ce point, précisait sa demande dans ce sens. 
D. 
Agissant par la voie du recours de droit public, V.________ requiert le Tribunal fédéral d'annuler ce dernier prononcé; il se plaint d'une application incorrecte des dispositions de droit cantonal concernant la libération des sûretés. 
 
Invités à répondre, le Tribunal d'accusation et le Juge d'instruction ont renoncé à déposer des observations; le Ministère public cantonal propose le rejet du recours. 
 
Le Tribunal fédéral considère en droit: 
1. 
Le recourant ne se trouvant plus en détention, la garantie constitutionnelle de la liberté personnelle n'est pas en cause; pour le surplus, la garantie de la propriété n'est pas non plus invoquée, de sorte que sa portée, dans le cas d'espèce, échappe à l'examen du Tribunal fédéral (art. 90 al. let. b OJ; ATF 124 I 159 consid. 1e p. 162/163). L'arrêt attaqué doit ainsi être discuté au regard de la protection contre l'arbitraire assurée par l'art. 9 Cst. et, dans la mesure où le recourant se réfère au cas de B.________, à la garantie de l'égalité devant la loi, selon l'art. 8 al. 1 Cst. 
2. 
Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si sa décision apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision soient insoutenables; encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. A cet égard, il ne suffit pas non plus qu'une solution différente de celle retenue par l'autorité cantonale puisse être tenue pour également concevable, ou apparaisse même préférable (ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56, 126 I 168 consid. 3a p. 170; 125 I 166 consid. 2a p. 168; 125 II 10 consid. 3a p. 15). 
2.1 Selon l'art. 69 al. 1 CPP vaud., des sûretés peuvent être exigées en remplacement de la détention préventive, lorsqu'il existe un risque que le prévenu ne prenne la fuite ou se soustraie à l'action du juge. L'art. 75 CPP vaud. prévoit la libération des sûretés lorsque la fuite n'est plus à craindre. Le recourant se prévaut de cette dernière disposition et soutient que les autorités vaudoises ne sont plus fondées à redouter sa fuite. 
 
Le recourant établit qu'actuellement, il séjourne en Suisse dans une situation familiale et économique stable, et que ce séjour pourrait perdurer dans les mêmes conditions. On constate toutefois aussi que le couple pourrait, sans difficultés majeures, déménager et prendre domicile dans un autre pays en Europe, compte tenu que l'épouse jouit de la nationalité espagnole et que l'enfant commun est encore en bas âge; le recourant ne fournit pas de renseignements au sujet de l'autre enfant. Pour le surplus, le recourant paraît menacé d'une lourde peine de réclusion, incompatible avec l'octroi du sursis, de sorte que le couple pourrait être tenté d'effectuer un déménagement afin de parer à cette éventualité. Un risque concret de fuite subsiste donc, et son acuité augmentera lorsque le moment du jugement sera fixé et que la perspective de la condamnation deviendra ainsi imminente. Dans cette situation, au regard de l'art. 75 CPP vaud., le refus de libérer les sûretés échappe au grief d'arbitraire. 
2.2 Aux termes de l'art. 76 CPP vaud., le prévenu et le tiers garant peuvent en tout temps demander au juge de dégager les sûretés; saisi de cette demande, le juge ordonne l'incarcération immédiate du prévenu dont la fuite est encore à craindre. 
 
L'arrêt attaqué fait état de cette disposition et indique, en substance, qu'elle ne laisse au juge aucun pouvoir d'appréciation, en ce sens que les sûretés sont obligatoirement libérées si le prévenu se soumet à la réincarcération; le Juge d'instruction est invité à interpeller le recourant afin que celui-ci obtienne, s'il le souhaite, la libération des sûretés en échange de son retour en détention préventive. 
 
 
Dans la présente procédure, le Tribunal fédéral n'a pas à examiner la portée de l'art. 76 CPP vaud., compte tenu que les autorités cantonales n'ont pas statué sur cette base et que, au contraire, le Juge d'instruction est expressément invité à éclaircir cet aspect de l'affaire. Les arguments que le recourant développe à ce sujet sont ainsi irrecevables au regard de l'art. 86 al. 1 OJ
3. 
L'autorité commet une inégalité de traitement contraire à l'art. 8 al. 1 Cst. lorsque, sans motif sérieux, elle soumet des situations de fait semblables à des mesures juridiques différentes (ATF 121 I 97 consid. 3a p. 100, 118 Ib 407 consid. 5, 117 Ia 257 consid. 3b). Sur la base de ce principe, le recourant se prétend en droit d'être libéré sans condition, à l'instar de B.________. Cette argumentation méconnaît que les mesures prises à l'égard de chacun des prévenus d'une cause pénale, telles que la détention préventive ou l'assujettissement au dépôt de sûretés, destinées à garantir autant que possible l'issue de la poursuite en cours, dépendent d'éléments de fait et de droit qui sont propres à chaque intéressé. En particulier, si ce mode de garantie entre en considération, le montant des sûretés est fixé d'après les ressources du prévenu concerné et ses liens avec les personnes appelées à servir, le cas échéant, de cautions (CourEDH, arrêt du 27 juin 1968 Neumeister c. Autriche, ch. 14 en droit; ATF 105 Ia 186 consid. 4a p. 187). En l'occurrence, grâce aux ressources dont il pouvait personnellement bénéficier, le recourant a pu offrir des sûretés importantes et sortir de prison en décembre 2000 déjà, tandis que B.________ demeurait incarcéré et n'a été libéré qu'en février 2001. Par rapport à la détention préventive, le recourant a ainsi bénéficié d'un traitement plus favorable. Pour le surplus, il n'est pas contesté que les deux prévenus se trouvent dans des situations patrimoniales différentes, ce qui constitue un motif sérieux, au regard de l'art. 8 al. 1 Cst., de les soumettre à des mesures différentes par rapport à d'éventuelles sûretés. 
4. 
Le recours se révèle en tous points mal fondé, de sorte qu'il doit être rejeté; son auteur doit acquitter l'émolument judiciaire. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
2. 
Le recourant acquittera un émolument judiciaire de 3000 fr. 
3. 
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois, au Procureur général et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud. 
Lausanne, le 3 juillet 2002 
Au nom de la Ire Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le président: Le greffier: