Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_577/2023
Arrêt du 4 avril 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix, Haag, Müller et Merz.
Greffier : M. Parmelin.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Robert Assaël, avocat,
recourant,
contre
Département des institutions et du numérique de la République et canton de Genève,
rue de l'Hôtel-de-Ville 14, 1204 Genève.
Objet
Droit de la fonction publique; enquête administrative; prescription; tardiveté du recours,
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 12 septembre 2023 (A/1525/2022-FPUBL ATA/982/2023).
Faits :
A.
Par arrêté du 14 juin 2021, le chef du Département de la sécurité, de la population et de la santé de la République et canton de Genève a ouvert une enquête administrative à l'encontre de A.________, membre du corps de la police genevoise, en raison de supposés manquements aux devoirs de sa charge commis entre 2011 et 2019.
Le 7 avril 2022, A.________ a requis du Département qu'il constate que les faits visés dans cet arrêté étaient largement prescrits au moment où il a été rendu.
Par courriel du 29 avril 2022, le Département lui a en substance répondu qu'il était prématuré de se prononcer sur cette question, l'enquête administrative devant établir si certains faits ou l'ensemble de ceux-ci constituaient un délit continu. Si tel était le cas, la prescription n'était pas acquise. Au demeurant, la question de la prescription aurait dû être soulevée dans le cadre d'un recours contre l'arrêté d'ouverture d'enquête du 14 juin 2021 de sorte que l'intéressé était désormais forclos à se prévaloir de ce moyen. Il était précisé que ce courriel ne constituait pas une décision sujette à recours.
Le 12 mai 2022, A.________ a recouru auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève. Statuant par arrêt du 12 septembre 2023, cette juridiction a considéré que le courriel du 29 avril 2022 constituait une décision incidente. Elle a jugé le recours tardif, faute d'avoir été déposé dans le délai légal de dix jours suivant la réception de celle-ci, et l'a déclaré irrecevable.
B.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public et du recours constitutionnel subsidiaire, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt, de dire que son recours du 12 mai 2022 contre la décision du Département de la sécurité, de la population et de la santé du 29 avril 2022 est recevable et de retourner la procédure à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.
Le Département des institutions et du numérique, qui a succédé au Département de la sécurité, de la population et de la santé, conclut au rejet des recours dans la mesure où ils sont recevables. La Chambre administrative se réfère à son arrêt sans autre observation.
Le recourant a répliqué.
Considérant en droit :
1.
La décision attaquée a été rendue dans le cadre d'une enquête administrative ouverte à l'encontre du recourant visant à déterminer s'il y a lieu de prendre ou non une sanction disciplinaire à son encontre. La cause au fond relève des rapports de travail de droit public au sens des art. 83 let. g et 85 al. 1 let. b LTF. A ce stade, aucune sanction n'a été prononcée; toutefois, au vu des faits reprochés au recourant, celui-ci s'expose à une sanction disciplinaire voire à une mesure d'une autre nature, susceptible d'avoir une incidence directe sur son traitement allant au-delà de la valeur litigieuse de 15'000 fr. Il s'agit ainsi d'une contestation pécuniaire et l'exception prévue à l'art. 83 let. g LTF ne s'applique pas. La voie du recours en matière de droit public est ouverte et le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable (cf. art. 113 LTF).
2.
Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), sous réserve de la violation de droits fondamentaux ainsi que de celle de dispositions de droit cantonal et intercantonal, qui doivent être invoquées et motivées par le recourant (art. 106 al. 2 LTF). Il n'est pas lié par l'argumentation des parties et il apprécie librement la portée juridique des faits. Il peut admettre un recours pour des motifs autres que ceux invoqués par la partie recourante; il peut aussi rejeter un recours en opérant une substitution de motifs, c'est-à-dire en adoptant un raisonnement juridique autre que celui de la juridiction cantonale (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.2; 145 IV 228 consid. 2.1).
En l'occurrence, la Chambre administrative a considéré que le courriel du 29 avril 2022 constituait une décision sujette à recours, ce que le Département conteste, de manière admissible (cf. ATF 142 IV 129 consid. 4.1; 137 I 257 consid. 5.4), dans ses observations. Si elle était admise, cette objection mettrait fin à la contestation et dispenserait la Cour de céans de se prononcer sur les griefs que le recourant soulève à l'encontre de l'arrêt querellé en lien avec la tardiveté de son recours; comme cette question relève de la correcte application du droit fédéral (cf. consid. 2.1), il convient d'examiner ce qu'il en est.
2.1. En vertu des art. 86 al. 2, 110 et 111 LTF , toutes les décisions qui peuvent être attaquées devant le Tribunal fédéral en vertu de l'art. 82 let. a LTF doivent aussi pouvoir l'être devant la dernière instance cantonale. La notion de décision de droit cantonal doit donc être interprétée au moins aussi largement que celle de droit fédéral, qui est librement examinée par le Tribunal fédéral (cf. ATF 137 I 296 consid. 4.1; arrêt 2C_603/2023 du 21 février 2024 consid. 5.2).
Selon l'art. 132 al. 2 de la loi genevoise du 26 septembre 2010 sur l'organisation judiciaire (LOJ; rs/GE E 2 05), le recours à la Chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des articles 4, 4A, 5, 6, alinéa 1, lettres a et e, et 57 de la loi genevoise du 12 septembre 1985 sur la procédure administrative (LPA; rs/GE); sont réservées les exceptions prévues par la loi. Aux termes de l'art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a), de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b) ou de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c).
2.2. La notion de décision vise, d'une manière générale, toute mesure que prend une autorité, dans un cas individuel et concret, en vue de produire un certain effet juridique. Les décisions qui ont pour objet de créer, modifier ou supprimer un droit ou une obligation ou encore de rejeter ou déclarer irrecevable une demande tendant à l'une de ces fins, sont des décisions formatrices. Les décisions qui constatent l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'une obligation sont dites constatatoires (cf. ATF 135 II 328 consid. 2.1; 130 V 388 consid. 2.3). Les décisions sont donc des actes de l'autorité qui règlent de manière unilatérale et contraignante un rapport juridique dans un cas particulier (cf. ATF 135 II 30 consid. 1.1). En revanche, de simples déclarations, comme des opinions, des communications, des prises de position, des recommandations et des renseignements n'entrent pas dans la catégorie des décisions, faute de caractère juridique contraignant. Pour déterminer s'il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l'acte (cf. arrêt 1C_82/2022 du 1
er décembre 2022 consid. 2.1.1). Un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle), si, par son contenu, il en a le caractère, même s'il n'est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d'une décision, telle l'indication des voies de droit (cf. ATF 143 III 162 consid. 2.2.1; arrêts 1C_303/2023 du 11 janvier 2024 consid. 1 et 8D_5/2022 du 22 février 2023 consid. 6.2.1), ou encore s'il ne respecte pas les exigences de notification propres à une décision.
2.3. En l'occurrence, le Département a indiqué dans le courriel litigieux qu'il était prématuré de se prononcer sur la question de la prescription des actes reprochés au recourant, l'enquête administrative devant établir si certains faits ou l'ensemble de ceux-ci constituaient un délit continu. Si tel était le cas, la prescription n'était pas acquise. Le Département n'a donc pas tranché définitivement cette question mais il a réservé une décision définitive à ce sujet selon le résultat du rapport d'enquête administrative. Le courriel adressé au recourant ne revêt ainsi pas le caractère d'une décision. Il n'est à cet égard pas déterminant que le recourant ait pu de bonne foi le considérer comme telle ou que le Département ait ajouté, en se référant à un précédent arrêt de la Cour de justice, que la question de la prescription aurait dû être soulevée dans le cadre d'un recours contre l'arrêté d'ouverture de l'enquête administrative et qu'il était forclos à se prévaloir de ce moyen. Est déterminant à cet égard le fait que le Département n'a pas d'emblée exclu de rendre, à l'issue de l'enquête administrative, une décision entièrement ou partiellement favorable au recourant allant dans le sens d'un constat de la prescription de certaines infractions voire de l'intégralité de celles-ci.
Par conséquent, la Chambre administrative a retenu à tort que le courriel du Département du 22 avril 2022 constituait une décision sujette à recours. Elle aurait dû le constater et déclarer irrecevable, pour ce motif, le recours dont l'avait saisi le recourant. Cela étant, il n'y a pas lieu d'examiner si elle a fait une interprétation arbitraire du droit cantonal ou une application erronée des règles de la bonne foi en considérant que le recourant avait recouru tardivement.
3.
Les considérants qui précèdent conduisent à l'annulation de l'arrêt de la Chambre administrative du 12 septembre 2023 et au constat que le courriel du Département du 22 avril 2022 ne constitue pas une décision sujette à recours. Dans cette mesure, le recours doit être admis. Les autres conclusions du recourant sont rejetées. Vu l'issue du recours, il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Le canton de Genève versera au recourant une indemnité réduite de dépens (art. 68 al. 1 LTF). Etant donné que la Chambre administrative n'aurait de toute manière pas dû entrer en matière sur le recours dont l'avait saisi le recourant, il n'y a pas lieu de prévoir d'indemnité de dépens pour la procédure cantonale et cette procédure ne doit pas entraîner de frais judiciaires à charge du recourant. Comme l'arrêt attaqué est entièrement annulé, il ne se justifie pas de renvoyer la cause à l'instance précédente pour qu'elle se prononce sur ces questions (art. 68 al. 5 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable.
2.
Le recours en matière de droit public est admis dans la mesure où il est recevable. L'arrêt attaqué est annulé. Il est constaté que le courriel de l'ancien Département de la sécurité, de la population et de la santé de la République et canton de Genève du 22 avril 2022 ne constitue pas une décision sujette à recours. Le recours est rejeté pour le surplus.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le canton de Genève versera au recourant une indemnité de 1'000 fr. à titre de dépens.
5.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, ainsi qu'au Département des institutions et du numérique et à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 4 avril 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Parmelin