Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_88/2024
Arrêt du 4 novembre 2024
IVe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Maillard et Heine.
Greffière : Mme von Zwehl.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Alexandre Lehmann, avocat,
recourante,
contre
Office de l'assurance-invalidité pour le canton de Vaud,
avenue du Général-Guisan 8, 1800 Vevey,
intimé.
Objet
Assurance-invalidité
(nouvelle demande; évaluation de l'invalidité),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 9 janvier 2024 (AI 86/23 - 7/2024).
Faits :
A.
A.a. A.________, né en 1966, est arrivée en Suisse en 1995 après avoir fui la guerre en Bosnie. Elle est mère de trois enfants majeurs et divorcée. Le 28 mai 2018, elle a déposé une première demande de prestations de l'assurance-invalidité (AI) en raison de cervicobrachialgies à la suite d'une chute dans les escaliers le 8 août 2017, de névralgies faciales et de troubles anxieux. A l'époque, la prénommée était employée comme vendeuse à la B.________ avec un taux d'activité de 70 % et se trouvait en incapacité de travail depuis le 15 janvier 2018. Après avoir instruit la demande et constaté que A.________ avait repris le travail à son taux contractuel à partir de janvier 2019, l'Office AI du canton de Vaud (ci-après: office AI) a rendu le 23 juillet 2019 une décision par laquelle il a rejeté la requête de prestations; l'assurée a été considérée comme ayant un statut d'active à 100 %.
A.b. En arrêt de travail depuis le 11 novembre 2020, A.________ a présenté une nouvelle demande AI le 28 mars 2021, en indiquant souffrir de migraines, de problèmes gynécologiques (prolapsus de l'utérus) et de dépression. Elle a été suivie par le service de psychiatrie de liaison du Centre hospitalier C.________ de février à mars 2021, avant d'être prise en charge par le docteur G.________, spécialiste en psychiatrie. Selon une expertise psychiatrique mise sur pied par l'assureur perte de gain de l'employeur et versée au dossier AI, le tableau clinique de A.________ était compatible avec un épisode dépressif moyen sans syndrome somatique depuis la fin de 2020 et un trouble panique depuis début 2021. L'expert pronostiquait un retour à une capacité de travail entière vers la mi-octobre 2021 après une prise en charge psychiatrique intégrée (rapport du 29 juin 2021 du docteur D.________ du Centre d'expertises médicales de Nyon [CEMed]). L'assurée a été licenciée par son employeur avec effet au 31 août 2021. Le 26 août 2021, elle a subi une hystérectomie élargie, intervention qui avait été repoussée à plusieurs reprises.
L'office AI a également recueilli des informations auprès des médecins consultés par l'assurée, notamment des docteurs E.________, médecin traitant généraliste, F.________, spécialiste en neurochirurgie, et G.________. Dans un rapport du 20 octobre 2021, ce dernier a posé les diagnostics d'état de stress post-traumatique depuis les événements vécus par l'assurée lors de la guerre en Bosnie et d'épisode dépressif chronique d'intensité moyenne à sévère, faisant état d'une incapacité de travail totale dans toute activité professionnelle et d'un potentiel de réadaptation nul.
L'office AI a alors confié une expertise pluridisciplinaire à Swiss Medical Expertise SA (SMEX; rapport du 9 août 2022). Dans leur évaluation consensuelle, les experts H.________, spécialiste en psychiatrie, I.________, spécialiste en orthopédie, et J.________, spécialiste en médecine interne, ont retenu que la capacité de travail de l'assurée dans une activité adaptée avait évolué de la manière suivante: 0 % de mi-décembre 2020 jusqu'à mi-août 2021, puis 50 % jusqu'à mi-septembre 2021, 80 % jusqu'à mi-octobre 2021 et ensuite 100 %. Sur le plan psychiatrique, l'expert H.________ a posé les diagnostics de dysthymie [F34.1], de trouble panique [F41.0] et d'autres troubles anxieux mixtes [F41.3]. Sur le plan orthopédique, le docteur I.________ a fait état d'une atteinte dégénérative cervicale déjà observée en 2018, stable et non incapacitante; en dehors d'une suspicion de compression du nerf radial distal au niveau de la main droite, les examens complémentaires n'avaient pas mis en évidence d'autre lésion. En médecine interne, aucune atteinte à la santé durablement incapacitante n'a été retenue (diagnostics posés: tabagisme actif; troubles du sommeil avec possible syndrome des jambes sans repos à préciser; névralgies d'Arnold; status post-hystérectomie).
Après avoir rendu le 6 décembre 2022 une décision d'octroi de rente entière avec effet au 1er novembre 2021, l'office AI l'a annulée en invoquant une erreur manifeste. Il a rendu une nouvelle décision, le 14 février 2023, par laquelle il a rejeté la demande de prestations, motif pris que l'assurée ne subissait aucun préjudice économique au terme du délai de carence d'une année (novembre 2022).
B.
L'assurée a déféré la décision du 14 février 2023 à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud, qui a rejeté son recours par arrêt du 9 janvier 2024.
C.
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant principalement à sa réforme en ce sens qu'elle a droit à une rente d'invalidité entière à compter du 1er novembre 2021. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation dudit arrêt et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. La recourante demande en outre à être mise au bénéfice de l'assistance judiciaire.
Invité à se déterminer, l'office AI se réfère à l'arrêt attaqué, tandis que l'Office fédéral des assurances n'a pas répondu.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente de l'assurance-invalidité à compter du 1er novembre 2021 dans le cadre d'une nouvelle demande de prestations. Il s'agit en particulier d'examiner si les juges cantonaux ont violé le droit fédéral en niant le droit à cette prestation sur la base du rapport d'expertise du SMEX du 9 août 2022.
L'arrêt entrepris expose les règles applicables à la résolution du cas, notamment celles relatives à la notion d'invalidité ( art. 7 et 8 al. 1 LPGA [RS 830.1] en relation avec l'art. 4 al. 1 LAI), à son évaluation et au droit à la rente d'invalidité (art. 16 LPGA et art. 28 LAI), de sorte qu'il suffit d'y renvoyer. A juste titre, les juges cantonaux se sont référés aux dispositions topiques dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021 (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références).
3.
Le Tribunal fédéral, qui est un juge du droit, fonde son raisonnement juridique sur les faits retenus par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'il ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 148 V 366 consid. 3.3; 145 V 188 consid. 2) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (cf. art. 105 al. 2 LTF). Les constatations de l'autorité cantonale de recours sur l'atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée et l'exigibilité - pour autant qu'elles ne soient pas fondées sur l'expérience générale de la vie - relèvent du fait et peuvent donc être contrôlées par le Tribunal fédéral uniquement sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 142 V 178 consid. 2.4; 137 V 210 consid. 3.4.2.3; 132 V 393 consid. 3.2).
4.
4.1. Dans un premier moyen, la recourante reproche aux juges cantonaux d'avoir accordé une pleine valeur probante à l'expertise du SMEX qui comporterait, selon elle, de nombreux défauts, particulièrement son volet psychiatrique. L'anamnèse familiale établie par l'expert psychiatre, le docteur H.________, serait lacunaire et comporterait des incohérences. Cet expert ne tiendrait pas suffisamment compte de ses plaintes, n'ayant consacré aucune rubrique spécifique à ce sujet dans son évaluation. Il ne discuterait pas de l'évolution défavorable de son trouble dépressif pourtant attesté par les médecins du service de psychiatrie de liaison du Centre hospitalier C.________ et par son médecin traitant psychiatre, ni d'ailleurs des répercussions, sur son état psychique, des limitations qu'elle présente au niveau somatique. A cet égard, la recourante se réfère à l'avis de la doctoresse E.________ du 20 avril 2023. Enfin, le docteur H.________ aurait fourni des explications peu claires sur les raisons qui l'amenaient à s'écarter du diagnostic de stress post-traumatique retenu par d'autres médecins.
4.2. Selon la jurisprudence, l'élément décisif pour apprécier la valeur probante d'une pièce médicale n'est en principe ni son origine, ni sa désignation sous la forme d'un rapport ou d'une expertise, mais bel et bien son contenu. Il importe, pour conférer pleine valeur probante à un rapport médical d'un point de vue formel, que les points litigieux aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l'expert soient dûment motivées (cf. ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a).
4.3. En l'occurrence, la recourante reprend, pour une large part, une argumentation similaire à celle qu'elle avait déjà soulevée en instance précédente. Or la cour cantonale a écarté ces critiques de manière convaincante et sans arbitraire. Constatant que l'expert psychiatre du SMEX avait longuement exposé le parcours de vie de la recourante - notamment sa fuite de la guerre en Bosnie et son vécu en Suisse - ainsi que le suivi psychiatrique dont elle avait bénéficié depuis lors, les juges cantonaux ont considéré que l'anamnèse était suffisamment complète et que les indications imprécises relatives à l'âge de la mère, respectivement à la situation des frères ne portaient pas à conséquence pour l'appréciation médicale de la capacité de travail, point de vue auquel on se peut rallier. En outre, les juges cantonaux ont constaté que même si l'expert psychiatre n'avait pas consacré une rubrique spécifique aux plaintes exprimées par la recourante, il en avait indiqué la nature à divers endroits de son rapport. On peut notamment renvoyer la recourante au chiffre III.3 du volet psychiatrique du rapport intitulé "Entretien/anamnèse structurée", dans lequel l'expert fait bien mention des troubles de celle-ci et du contexte de leur apparition.
Ensuite, à l'inverse de ce que soutient la recourante, le docteur H.________ s'est bien exprimé sur l'évolution de son état psychique, ce qui ressort des constatations cantonales. Ainsi, il a reconnu que la recourante avait vraisemblablement présenté à l'époque de l'expertise du CEMed un épisode dépressif moyen et expliqué pourquoi il retenait depuis une amélioration des symptômes sous la forme d'une dysthymie (page 36 du rapport d'expertise). En ce qui concerne les raisons pour lesquels il s'écartait du diagnostic d'état de stress post-traumatique, il a indiqué qu'il n'en avait relevé aucun signe caractéristique chez la recourante en l'absence de flashbacks, de comportement d'évitement, ou de cauchemars récurrents (contrairement à ce qui avait été le cas pour celle-ci dans les trois années suivant son arrivée en Suisse). En particulier, elle sortait et se déplaçait seule, était allée en avion en Bosnie en 2018 et en Turquie en 2019, prenait des cafés en terrasse avec ses copines, faisait les courses avec ses enfants, et regardait des films sans éprouver des attaques de panique par des faits de guerre. Le docteur H.________ a également observé qu'elle ne rapportait aucun stimuli réveillant brusquement le souvenir ou la reviviscence du traumatisme ni n'avait manifesté de signe neurovégétatif en faveur d'un état anxieux durant l'examen; comme facteurs déclenchant les attaques de panique, la recourante décrivait la crise sanitaire, ses douleurs ou son opération. On ne voit pas en quoi ces explications seraient "peu claires"; elles apparaissent au contraire dûment motivées. Pour terminer, on relèvera que si chacun des experts a réalisé son expertise de manière séparée, leurs conclusions respectives ont fait l'objet d'une évaluation consensuelle qui a intégré les aspects psychiques et somatiques. Or, la recourante ne soulève aucune critique à l'encontre des constatations médicales des experts I.________ et J.________ qui n'ont retenu aucune limitation fonctionnelle.
En définitive, l'argumentation de la recourante, qui ne fait qu'opposer sa propre appréciation à celle des juges cantonaux, ne remet pas en question l'arrêt cantonal en tant qu'il reconnaît une pleine valeur probante au rapport d'expertise du SMEX.
5.
5.1. Dans un second moyen, la recourante reproche aux juges cantonaux de n'avoir fait aucun cas du rapport établi le 20 octobre 2021 par son médecin traitant psychiatre, le docteur G.________, dans lequel celui-ci s'est prononcé de manière circonstanciée sur son état psychique et sa capacité de travail, posant le diagnostic d'un état stress post-traumatique avec une dépression d'intensité moyenne à sévère ainsi qu'une incapacité de travail entière dans toute activité depuis le 29 mars 2021. Citant les passages y relatifs, elle considère que ce rapport respecte tous les critères jurisprudentiels permettant de lui conférer une valeur probante et que, par conséquent, les juges cantonaux auraient dû en retenir les conclusions. A tout le moins, ceux-ci aurait dû mettre en oeuvre une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise, cela d'autant que le diagnostic d'état de stress post-traumatique avait également été posé dans le rapport du 31 mars 2021 du service de psychiatrie de liaison du Centre hospitalier C.________.
5.2. Selon la jurisprudence, le tribunal peut accorder une pleine valeur probante à une expertise mise en oeuvre dans le cadre d'une procédure administrative au sens de l'art. 44 LPGA, aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de son bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4; 125 V 351 consid. 3b/bb). En effet, au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion distincte de celle exprimée par les experts. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expertise (arrêt 8C_689/2023 du 10 juin 2024 consid. 3.2 et l'arrêt cité).
5.3. Le rapport du docteur G.________ invoqué par la recourante est antérieur à l'expertise du SMEX qui a été mise en oeuvre dans le cadre de la procédure prévue par l'art. 44 LPGA. En l'espèce, les juges cantonaux, après avoir constaté que l'expert psychiatre du SMEX s'était prononcé sur le rapport en question, ont fait leurs les raisons pour lesquels cet expert ne partageait pas le diagnostic d'un état de stress post-traumatique posé par le docteur G.________. Comme on l'a dit plus haut (voir consid. 4.3 supra), les considérations développées par le docteur H.________ à ce sujet sont claires et dûment motivées. En se limitant à se prévaloir d'avis médicaux contraires, la recourante n'établit pas l'existence d'éléments objectifs qui auraient échappé à l'expert et aux juges cantonaux. Il s'ensuit que ces derniers n'avaient pas à ordonner une expertise judiciaire.
6.
Mal fondé, le recours doit être rejeté.
La recourante, qui succombe, a demandé à bénéficier de l'assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l'assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l'échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d'emblée dénué de chances de succès et la requête d'assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. La recourante doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de la recourante.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 4 novembre 2024
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Wirthlin
La Greffière : von Zwehl