Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4A_63/2007 /ajp
Arrêt du 6 juillet 2007
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges Klett, juge présidant, Kolly et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.
Parties
X.________,
recourante, représenté par Me Olivier Carrard, avocat,
contre
A.________,
intimée, représentée par Me Jean-Bernard Waeber, avocat.
Objet
Contrat de travail; licenciement; discrimination,
recours en matière civile contre l'arrêt de la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève du 19 février 2007.
Faits :
A.
Le 1er septembre 1986, A.________ a été engagée par X.________ en qualité de secrétaire. A compter du 1er juillet 2003, après avoir changé plusieurs fois de fonction, elle a oeuvré en qualité de controllership à un taux d'activité de 50 %.
Au mois de juillet 2004, A.________ s'est trouvée en arrêt maladie. Dans le cadre de la réorganisation de ses activités, tout en souhaitant le retour de sa collaboratrice au sein de l'équipe, X.________ lui a proposé, le 20 octobre 2004, de travailler à la maison, ce que l'employée a refusé le 24 octobre 2004, au motif que cela la mettait en situation d'isolement; elle faisait également état de harcèlement dans le cadre de son activité professionnelle.
Le 17 novembre 2004, X.________ a résilié le contrat de travail de A.________ pour le 28 février 2005 et l'a libérée de son obligation de travailler. Dans un certificat de travail du 14 décembre 2004, l'employée a été qualifiée de personne efficace, de confiance et très appréciée par ses clients, ses collègues ainsi que son supérieur, et dont le travail était de bonne qualité.
Le 1er février 2005, A.________ a vainement demandé à être mise au bénéfice du « package » versé aux travailleurs licenciés, compte tenu des dix-huit années de maison et d'un travail irréprochable, invoquant l'exemple de trois collègues qui, dans la même situation, avaient perçu une indemnité de départ.
B.
Le 1er juillet 2005, A.________ a saisi la juridiction des prud'hommes du canton de Genève d'une demande tendant au paiement, par X.________, de la somme de 30'780 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 10 avril 2005 à titre d'indemnité de départ correspondant à la moitié de son salaire mensuel multiplié par le nombre d'années de service (3'420 fr. ./. 2 = 1'710 fr. x 18).
Par jugement du 27 février 2006, le Tribunal des prud'hommes a condamné X.________ à verser à A.________ la somme de 30'780 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 10 avril 2005. Saisie par X.________ et statuant par arrêt du 19 février 2007, la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes a confirmé ce jugement. En substance, elle a retenu que les mesures probatoires - notamment l'audition de plusieurs témoins à laquelle elle avait elle-même procédé - avaient démontré que le « package » versé aux employés licenciés, voire démissionnaires, pouvait excéder le cadre d'une restructuration impliquant une suppression de poste, la seule réserve résidant dans la résiliation des rapports de service pour faute de l'employé; le refus d'octroyer un « package » à l'intimée relevait ainsi d'une discrimination par rapport à la majorité de ses collègues placés dans la même situation et celle-ci pouvait prétendre au paiement de l'indemnité de départ calculée à raison d'un demi-mois de salaire par année de service; il n'était pas contesté que la recourante n'avait pas informé ses collaborateurs que les critères de mise en oeuvre du « severance plan » auraient changé et étaient dorénavant limités aux seuls cas de restructuration impliquant une suppression de poste; l'entreprise devait dès lors se voir opposer cette absence d'information qui ne permettait pas aux employés de reconnaître que les critères de sélection liés à cette prestation avaient été modifiés.
C.
X.________ (la recourante) interjette le présent recours en matière civile au Tribunal fédéral. Elle conclut principalement à l'annulation de l'arrêt du 19 février 2007 et au rejet de la demande de son adverse partie, subsidiairement à l'annulation de ladite décision et au renvoi de l'affaire à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants, avec suite de frais et dépens.
A.________ (l'intimée) propose le rejet du recours, sous suite de frais et dépens. Pour sa part, la cour cantonale se réfère à son arrêt, dans les termes duquel elle persiste.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Comme la décision attaquée a été rendue après l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007 (RO 2006, 1242), de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110), le recours est régi par le nouveau droit (art. 132 al. 1 LTF).
2.
2.1 Interjeté par la recourante qui a succombé dans ses conclusions libératoires (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 al. 1 LTF) dans une affaire dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 15'000 fr. déterminant dans les causes de droit du travail (art. 74 al. 1 let. a LTF), le présent recours en matière civile est en principe recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 45 al. 1 et 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.
2.2 Le recours peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l' art. 42 al. 1 et 2 LTF , sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), il n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui. Il ne peut pas entrer en matière sur la violation d'un droit constitutionnel ou sur une question relevant du droit cantonal ou intercantonal si le grief n'a pas été invoqué et motivé de manière précise par la partie recourante (art. 106 al. 2 LTF).
3.
Se prévalant des art. 9 Cst., 97 al. 1 et 99 al. 1 LTF, la recourante reproche à la cour cantonale de ne pas avoir tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis.
3.1 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et pour autant que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
La notion de « manifestement inexacte » correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (Message concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2001 p. 4000 ss, spéc. p. 4135). D'après la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable; pour que cette décision soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire, non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1). Dans la mesure où l'arbitraire est invoqué en relation avec l'établissement des faits, il convient de rappeler que le juge dispose d'un large pouvoir lorsqu'il apprécie les preuves. La partie recourante doit ainsi démontrer dans quelle mesure le juge a abusé de son pouvoir d'appréciation et, plus particulièrement, s'il a omis, sans aucune raison sérieuse, de prendre en compte un élément de preuve propre à modifier la décision attaquée, s'il s'est manifestement trompé sur son sens et sa portée ou encore si, en se fondant sur les éléments recueillis, il en a tiré des constatations insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1).
La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui contenu dans la décision attaquée (cf. ATF 130 III 138 consid. 1.4). Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).
3.2 La recourante soutient que les juges cantonaux ont constaté arbitrairement les faits en ne tenant pas compte des témoignages confirmant que le « severance plan » n'avait jamais été officiellement porté à la connaissance des employés; selon elle, l'arrêt entrepris ne refléterait aucunement les déclarations de plusieurs témoins confirmant qu'ils n'avaient jamais reçu d'information officielle des dirigeants ou des ressources humaines de l'entreprise concernant l'existence et, surtout, les conditions du « severance plan »; l'admission du grief serait de nature à modifier la décision attaquée, car « en passant sous silence que l'octroi d'une indemnité de départ aux employés licenciés par (la recourante) ne fait pas l'objet d'une politique contraignante, communiquée aux employés de l'entreprise, la (cour cantonale) a considéré que le changement de politique de la recourante dans la mise en oeuvre du « package » qui n'avait pas été porté à la connaissance des employés de manière claire et reconnaissable n'était pas opposable à (l'intimée) ».
Quoi qu'en dise la recourante, la cour cantonale n'a pas formellement constaté que le « severance plan », dans son principe et ses modalités, avait été expressément porté à la connaissance des collaborateurs de l'entreprise. Cela étant, l'on ne voit pas que les précédents juges aient arbitrairement considéré, sur la base des témoignages recueillis, notamment de ceux des témoins évoqués par la recourante, que les employés avaient connaissance de l'existence d'indemnités de licenciement, qu'ils en aient eux-même bénéficié ou qu'ils aient su que l'un ou l'autre collègue en avait reçu. Pour le surplus, le fait que la recourante ait considéré que sa politique d'octroi d'indemnités de licenciement ne revêtait pas un caractère contraignant importe peu, la question de savoir si l'intimée pouvait s'en prévaloir, en particulier sous l'angle du respect de l'égalité de traitement et de l'application du principe de la confiance, relevant du droit, comme on va le voir ci-après.
4.
La recourante fait grief à la cour cantonale d'avoir violé les art. 1, 18, 322d et 328 CO ainsi que 2 CC en retenant le droit de l'intimée à un « package ».
4.1 L'art. 322d CO concerne les gratifications, à savoir les rétributions spéciales qui s'ajoutent au salaire, accordées à certaines occasions et dépendant toujours au moins partiellement du bon vouloir de l'employeur (cf. ATF 131 III 615 consid. 5.2 p. 620; 129 III 276 consid. 2 p. 278). On peut se demander si l'indemnité de licenciement est assimilable à une gratification au sens de l'art. 322d CO. Il n'est toutefois pas nécessaire d'examiner plus avant cette question s'il s'avère en l'espèce que l'intimée a fait l'objet d'une discrimination injustifiée. En effet, le caractère facultatif de la gratification trouve ses limites dans le respect de l'égalité de traitement (cf. ATF 129 III 276 consid. 3.1).
4.2 La doctrine déduit de l'obligation qui incombe à l'employeur de protéger la personnalité de son employé (art. 328 CO) ainsi que des règles sur la protection de la personnalité (art. 28 CC ss) que le principe de l'égalité de traitement est un principe général. Il faut toutefois prendre en considération que même une décision subjective et arbitraire de l'employeur ne représente une atteinte à la personnalité, et donc une contravention à l'interdiction de discrimination, que si elle laisse transparaître une sous-évaluation de la personnalité du travailleur qui soit blessante pour ce dernier. Une telle sous-évaluation ne peut être donnée que si l'employé est placé dans une situation clairement moins avantageuse qu'un grand nombre d'autres employés; elle n'est pas donnée lorsque l'employeur favorise simplement quelques employés. Dans tous les cas, le fait que l'employeur favorise certains de ses employés peut avoir pour conséquence que des employés qui ne bénéficient pas du même traitement puissent, selon les principes de la bonne foi, conclure à une modification tacite, en leur faveur, de leur contrat de travail. Dans une telle situation, l'employeur doit leur accorder aussi le traitement censé favoriser certains employés uniquement parce qu'en vertu du principe de la bonne foi, ce sont ces conditions qui paraissent avoir été convenues (ATF 129 III 276 consid. 3.1 p. 282 s. et les références citées).
Ainsi, l'employeur est libre de déterminer ou de convenir, selon les circonstances, des critères d'inclusion ou d'exclusion de certaines catégories de travailleurs dans la traitement collectif, pour autant que ces critères soient reconnaissables, qu'ils ne soient pas arbitraires, ne violent pas le respect de la personnalité et ne soient pas illicites. Au regard du principe de la confiance, si les critères de sélection de l'employeur ne sont pas clairement reconnaissables par les employés, le doute doit profiter à ces derniers. L'employeur qui traite d'une situation collective doit donc clairement déterminer et communiquer aux travailleurs les critères d'attribution ou de réduction des prestations en cause (Wyler, Droit du travail, Berne 2002, p. 567 s.).
4.3 Selon le principe de la confiance, le juge doit rechercher comment une déclaration ou une attitude pouvait être comprise de bonne foi par son destinataire en fonction de l'ensemble des circonstances; il s'agit d'une question de droit (interprétation dite objective; cf. ATF 132 III 268 consid. 2.3.2 p. 274 s., 626 consid. 3.1). Il doit être rappelé que le principe de la confiance permet d'imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 130 III 417 consid. 3.2 p. 424 s.).
4.4 Se prévalant des art. 1 et 8 CO ainsi que 2 CC, la recourante reproche aux précédents juges d'avoir fait une application incorrecte du principe de la confiance; elle plaide en bref qu'elle ne s'était pas engagée contractuellement au versement d'une indemnité de licenciement à l'intimée et qu'aucun règlement d'entreprise ne prévoyait une telle indemnisation; le « severance plan » serait un document purement interne qui n'avait pas été communiqué aux employés et elle ne saurait se voir imposer l'obligation de communiquer des informations sur le changement de politique dans l'application de celui-ci.
Il n'est pas contesté que l'indemnité de licenciement n'était pas prévue dans le contrat de travail initial liant les parties. Cela étant, la cour cantonale, constatant sur la base des témoignages que, dans les faits, une majorité de collaborateurs avaient été mis au bénéfice d'un « package » indépendamment du motif de leur licenciement, sous réserve toutefois de la résiliation pour faute, a considéré que l'intimée pouvait objectivement et de bonne foi inférer des circonstances que son contrat avait été implicitement modifié en ce sens qu'elle avait le droit à une indemnité de licenciement, à l'instar des autres employés qui s'étaient trouvés dans une situation semblable. L'on ne voit donc pas en quoi les précédents juges auraient ainsi violé le principe de la confiance.
4.5 Invoquant les art. 322d et 328 CO , la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir méconnu les principes régissant l'octroi d'une indemnité de départ, faisant notamment fi du caractère facultatif de celle-ci, et violé le principe de l'égalité de traitement des travailleurs; de son point de vue, il ressortirait clairement des déclarations des témoins et de l'arrêt attaqué non seulement que le versement de « package » n'était pas systématique, mais surtout qu'à partir de 2001, la direction avait réservé cette faculté aux seuls licenciements pour restructuration et suppression de poste, ce qu'elle serait libre de faire.
Quoi qu'en dise la recourante, les témoignages, dont l'appréciation a été jugée non-arbitraire (cf. consid. 3.2), font en l'occurrence apparaître qu'un grand nombre des collègues de l'intimée placés dans la même situation avaient bénéficié d'une indemnité de départ, ce dont il résulte que l'intimée a été victime d'une discrimination injustifiée, soit d'une sous-évaluation de sa personnalité, d'autant plus blessante que son travail avait toujours donné satisfaction au cours des dix-huit années passées au sein de la société. Dans ces circonstances, c'est à juste titre que la cour cantonale a considéré que l'intimée avait droit au versement du « package ». Pour le surplus, l'argumentation de la recourante selon laquelle elle était libre de limiter, à partir d'un certain moment, l'octroi d'indemnités de licenciement aux seuls cas de résiliations pour cause de restructuration, dans la mesure encore où elle ne repose pas sur des faits divergents de ceux retenus dans l'arrêt attaqué, est battue en brèche par l'application du principe de la confiance, en rapport avec la modification tacite des conditions du contrat (cf. consid. 4.4), et l'obligation de l'employeur d'informer clairement et précisément ses collaborateurs d'une modification des critères d'octroi de l'indemnité de licenciement, telle que relevée par la cour cantonale.
5.
En définitive, le recours doit être rejeté.
6.
Comme la valeur litigieuse, calculée selon les prétentions à l'ouverture de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41), dépasse le seuil de 30'000 fr., le montant de l'émolument judiciaire est fixé selon le tarif ordinaire (art. 65 al. 3 let. b LTF) et non réduit (art. 65 al. 4 let. c LTF). Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens sont mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recou-rante.
3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des par-ties et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
Lausanne, le 6 juillet 2007
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La juge présidant: La greffière: