Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_217/2022
Arrêt du 6 juillet 2022
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Kiss, juge présidant, Rüedi et May Canellas.
Greffier: M. O. Carruzzo.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me Patrice Riondel, avocat,
recourante,
contre
Commission paritaire genevoise du g ro s oeuvre, case postale 8, 1211 Genève 13,
intimée.
Objet
arbitrage interne,
recours en matière civile contre la sentence rendue le 10 mars 2022 par le Tribunal arbitral genevois du gros oeuvre.
Faits :
A.
A.a. A.________ SA, dont le siège est à Meyrin, est une société dont le but social est libellé comme il suit:
" exploitation d'une entreprise de travaux de génie-civil, tous travaux de démolition, de terrassement et de décharge, tous aménagements extérieurs, plantations, ainsi que toute autre activité en relation avec ce but; exploitation de gravières, traitement de matériaux en tous genres et leur commercialisation. "
A.b. Le 21 novembre 2018, des inspecteurs de la Commission paritaire genevoise du gros oeuvre (ci-après: la CPGO) ont effectué un contrôle sur un chantier où travaillaient sept employés de la société précitée.
Le 6 décembre 2018, la CPGO a ouvert une procédure de contrôle des salaires et une enquête sur les conditions de travail visant A.________ SA. Dans ce cadre-là, elle a informé cette dernière qu'un contrôle de son entreprise allait être effectué le 19 septembre 2019 à 8h30. Le 10 septembre 2019, ladite société a indiqué qu'elle s'opposait à tout contrôle, la CPGO étant, à son avis, incompétente pour ce faire. Deux jours plus tard, la CPGO lui a répondu que le contrôle prévu était maintenu.
Le 19 septembre 2019, la CPGO s'est présentée devant les locaux de la société en question, laquelle lui a refusé l'accès, en se prévalant de l'incompétence de la CPGO, ce qu'elle a fait constater par un huissier.
Le 2 octobre 2019, la CPGO a rendu une décision formelle par laquelle elle a infligé une peine conventionnelle de 6'000 fr. à A.________ SA, du fait que celle-ci avait refusé de se soumettre au contrôle administratif. En bref, elle a retenu qu'elle était habilitée par les art. 76 et 79 de la Convention nationale pour le secteur principal de la construction en Suisse du 3 décembre 2018 (ci-après: la CN 2019-2022) à effectuer pareil contrôle, lequel nécessitait la collaboration active de l'entreprise concernée, le refus de s'y soumettre pouvant donner lieu au prononcé d'une sanction financière.
B.
Le 1er novembre 2019, A.________ SA a formé un recours contre cette décision auprès du Tribunal arbitral genevois du gros oeuvre (ci-après: le Tribunal arbitral), institué en conformité avec l'art. 77 CN 2019-2022.
Après avoir tenu une audience le 14 avril 2021, le Tribunal arbitral a rendu sa sentence le 14 avril 2021.
Par lettre du 15 septembre 2021, A.________ SA s'est plainte de ce que la réponse de la CPGO ne lui avait pas été transmise. Le 5 octobre 2021, elle a recouru contre ladite sentence auprès du Tribunal fédéral (cause 4A_512/2021).
Estimant qu'il convenait de permettre à A.________ SA de se déterminer sur la réponse de la CPGO, le Tribunal arbitral a annulé sa sentence du 14 avril 2021 et imparti un délai à la société précitée pour formuler ses observations sur l'écriture de la CPGO.
Par ordonnance du 14 décembre 2021, le Tribunal fédéral a constaté que le recours formé par A.________ SA contre la sentence du 14 avril 2021 était devenu sans objet, raison pour laquelle il a rayé la cause 4A_512/2021 du rôle.
A.________ SA a déposé ses déterminations sur la réponse de son adverse partie le 15 novembre 2021.
Le Tribunal arbitral a rendu une nouvelle sentence le 10 mars 2022, au terme de laquelle il a rejeté le recours et confirmé la décision attaquée.
C.
Le 17 mai 2022, A.________ SA (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile aux fins d'obtenir l'annulation de la sentence du 10 mars 2022.
La CPGO (ci-après: l'intimée) et le Tribunal arbitral n'ont pas été invités à répondre au recours.
Considérant en droit :
1.
Le recours en matière civile est recevable contre les sentences rendues dans un arbitrage interne aux conditions fixées par les art. 389 à 395 CPC (art. 77 al. 1 let. b LTF) lorsque, comme c'est ici le cas, les parties n'ont pas fait usage de la possibilité d'un
opting out prévue à l'art. 353 al. 2 CPC. Qu'il s'agisse de l'objet du recours, de la qualité pour recourir, des conclusions prises par l'intéressée ou du délai de recours, aucune de ces conditions de recevabilité ne fait problème en l'espèce. Rien ne s'oppose à l'entrée en matière. Demeure réservé l'examen de la recevabilité, sous l'angle de leur motivation, des critiques formulées par la recourante.
2.
2.1. Les motifs de recours sont plus restreints lorsque celui-ci a pour cible une sentence arbitrale plutôt qu'un jugement étatique. En matière d'arbitrage interne, ils sont énoncés exhaustivement à l'art. 393 CPC. Conformément au principe d'allégation, la partie recourante doit invoquer l'un de ces griefs et développer une argumentation circonstanciée censée démontrer en quoi l'analyse effectuée dans la sentence viole le précepte invoqué (art. 77 al. 3 LTF; arrêts 4A_139/2021 du 2 décembre 2021 consid. 1.2; 4A_7/2019 du 21 mars 2019 consid. 2; 4A_542/2015 du 16 février 2016 consid. 1.2).
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits constatés dans la sentence attaquée (cf. art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter d'office les constatations des arbitres, même si les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit (cf. art. 77 al. 2 LTF qui exclut l'application de l'art. 105 al. 2 LTF). En revanche, il conserve la faculté de revoir l'état de fait à la base de la sentence attaquée si l'un des griefs mentionnés à l'art. 393 CPC est soulevé à l'encontre dudit état de fait ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du recours en matière civile (arrêt 4A_215/2020 du 5 août 2020 consid. 3 et les références citées).
2.2.1. Dans son mémoire de recours, l'intéressée se lance, sur près de six pages, dans une narration de son propre cru des circonstances factuelles et procédurales de la cause en litige, sans se limiter aux constatations faites souverainement par le Tribunal arbitral dans la sentence attaquée. Elle n'invoque, du reste, aucune des exceptions sus-indiquées qui lui permettraient de s'en prendre aux constatations du Tribunal arbitral. Dès lors, la Cour de céans examinera le mérite des critiques formulées par la recourante à la lumière de ces constatations-là, et d'elles seules.
3.
Dans un unique moyen, la recourante, invoquant l'art. 393 let. e CPC, soutient que la sentence attaquée est arbitraire dans son résultat.
3.1. L'art. 393 let. e CPC précise que la sentence issue d'un arbitrage interne peut être attaquée lorsqu'elle est arbitraire dans son résultat parce qu'elle repose sur des constatations manifestement contraires aux faits résultant du dossier ou parce qu'elle constitue une violation manifeste du droit ou de l'équité.
Une constatation de fait est arbitraire au sens de l'art. 393 let. e CPC uniquement si le tribunal arbitral, à la suite d'une inadvertance, s'est mis en contradiction avec les pièces du dossier, soit en perdant de vue certains passages d'une pièce déterminée ou en leur attribuant un autre contenu que celui qu'ils ont réellement, soit en admettant par erreur qu'un fait est établi par une pièce alors que celle-ci ne donne en réalité aucune indication à cet égard. L'objet du grief d'arbitraire en matière de faits est donc restreint: il ne porte pas sur l'appréciation des preuves et les conclusions qui en sont tirées, mais uniquement sur les constatations de fait manifestement réfutées par des pièces du dossier. La façon dont le tribunal arbitral exerce son pouvoir d'appréciation ne peut pas faire l'objet d'un recours; le grief d'arbitraire est limité aux constatations de fait qui ne dépendent pas d'une appréciation, c'est-à-dire à celles qui sont inconciliables avec des pièces du dossier (arrêt 4A_215/2020, précité, consid. 4).
L'arbitraire proscrit par l'art. 393 let. e CPC découle aussi du fait que la sentence arbitrale constitue une violation manifeste du droit. Seul le droit matériel est visé, à l'exclusion du droit de procédure (ATF 142 III 284 consid. 3.2; arrêt 4A_642/2017 du 12 novembre 2018 consid. 5.1). Demeurent réservées, par analogie avec la jurisprudence relative à l'art. 190 al. 2 let. e LDIP, les fautes de procédure qui portent atteinte à l'ordre public procédural (arrêt 4A_600/2016 du 29 juin 2017 consid. 3.1 et l'arrêt cité).
3.2. Dans la sentence attaquée, le Tribunal arbitral souligne que la question qu'il doit résoudre est celle de savoir si la procédure préalable au prononcé de la décision attaquée a révélé des indices suffisants d'une potentielle applicabilité de la CN 2019-2022 à la recourante, autorisant ainsi l'intimée à requérir de cette dernière qu'elle se plie à un contrôle visant à éclaircir cette question. A cet égard, il estime qu'il y a lieu, pour apprécier le problème litigieux, de se placer dans la position qui était celle de l'intimée au jour du prononcé de la décision attaquée, raison pour laquelle les événements survenus postérieurement ne sauraient être pris en considération. Le Tribunal arbitral estime, dans la foulée, que la recourante adopte un comportement contraire aux règles de la bonne foi, puisqu'elle refuse toute forme de contrôle de son entreprise par la CPGO tout en se déclarant prête à accepter de lui fournir, sur motivation, des justificatifs pour permettre à cette dernière d'établir si elle est ou non soumise à la CN 2019-2022. Il relève, en l'occurrence, que les soupçons ayant donné lieu à la mise en oeuvre d'un contrôle remontent à la fin de l'année 2018 déjà, lorsque les inspecteurs de l'intimée ont constaté que la recourante employait des ouvriers sur un chantier relevant de la Convention nationale du secteur principal de la construction. Par la suite, la décision prise par l'Office de gestion de la Fondation pour la retraite anticipée (ci-après: la FAR) d'affilier la recourante à la FAR, et les échanges entre la FAR et l'intimée concernant notamment l'information fournie par l'Office cantonal genevois de l'eau selon laquelle la recourante réalisait des travaux de canalisations sur un chantier, étaient de nature à renforcer légitimement les soupçons selon lesquels la recourante était bel et bien affiliée à la CN 2019-2022. Loin de tirer des conclusions définitives touchant l'assujettissement de la recourante à la CN 2019-2022, l'intimée a considéré qu'il y avait matière à éclaircir la situation réelle de la recourante. Elle a du reste poursuivi ses investigations auprès de tiers, à savoir la Commission paritaire des bureaux d'ingénieurs de Genève (ci-après: la CPBIG) et l'Office cantonal genevois de l'inspection et des relations de travail. Il en est ressorti que les affirmations de l'intéressée selon lesquelles elle n'employait que des ingénieurs étaient contredites par ses déclarations faites auprès de la CPBIG. La recourante était dès lors malvenue à se plaindre d'avoir été sanctionnée alors qu'il lui aurait suffi de prêter son concours à l'intimée et de répondre à ses questions pour obtenir rapidement une clarification de la situation et, le cas échéant, la constatation formelle de son non-assujettissement à la CN 2019-2022, notamment en produisant, simplement, les contrats de travail de ses employés. Le Tribunal arbitral estime ainsi que la procédure préalable au prononcé de la décision entreprise a révélé la présence d'indices suffisants d'une potentielle applicabilité de la CN 2019-2022, raison pour laquelle l'intimée était en droit de prononcer une sanction financière à l'encontre de la recourante, en raison du refus de collaborer de cette dernière.
3.3. Dans une critique mêlant le fait et le droit, revêtant de surcroît un caractère appellatoire marqué, la recourante fait valoir que la CN 2019-2022 ne lui est pas applicable puisqu'elle déploie uniquement une activité d'ingénierie et d'entreprise générale. Elle affirme que c'est bien plutôt l'intimée qui s'est comportée de manière incompatible avec le principe de la bonne foi en agissant, en réalité, à la demande de la FAR. Elle insiste également sur le fait qu'elle a formé un recours aux fins de contester son affiliation auprès de la FAR. Elle reproche par ailleurs au Tribunal arbitral de n'avoir pas pris en considération les pièces postérieures à la demande de contrôle litigieuse qui tendaient à démontrer qu'elle n'était pas soumise à la CN 2019-2022. L'intéressée estime, ainsi, qu'elle était parfaitement en droit refuser de se soumettre au contrôle de l'intimée.
L'argumentation développée par la recourante, outre qu'elle repose en partie sur des faits non constatés par le Tribunal arbitral, ne permet nullement d'établir que ce dernier aurait versé dans l'arbitraire en entérinant la sanction prononcée par l'intimée. A cet égard, la solution retenue par la Cour de céans dans une affaire similaire (arrêt 4A_67/2013 du 1er juillet 2013) peut être transposée ici
mutatis mutandis. En l'occurrence, l'applicabilité de la CN 2019-2022 à la recourante ne pouvait pas être exclue d'emblée. Sur la base des faits retenus par le Tribunal arbitral, l'intimée avait, en effet, des raisons légitimes d'entreprendre des investigations concernant la situation juridique de la recourante. N'ayant pas pu obtenir de l'intéressée la collaboration requise, elle a utilisé la sanction conventionnelle que constitue la peine conventionnelle afin de l'y contraindre. Au regard de l'ensemble des circonstances, la sanction prononcée par l'intimée à l'encontre de la recourante, entérinée par le Tribunal arbitral, n'apparaît nullement arbitraire au sens de l'art. 393 let. e CPC. La tentative de la recourante de démontrer, sur la base de documents postérieurs au contrôle mené par l'intimée, qu'elle n'est en réalité pas soumise à la CN 2019-2022 ne permet pas d'aboutir à la conclusion inverse. Force est, en effet, de relever que l'intimée, sur la base des informations dont elle disposait au moment où elle a décidé de contrôler la recourante, pouvait légitimement nourrir des soupçons concernant le statut de la recourante et, partant, entreprendre des investigations afin d'éclaircir cette situation. A le supposer recevable, le moyen examiné ne peut qu'être rejeté.
4.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. La recourante, qui succombe, prendra les frais de la procédure à sa charge (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu à l'allocation de dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal arbitral genevois du gros oeuvre.
Lausanne, le 6 juillet 2022
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Juge présidant : Kiss
Le Greffier : O. Carruzzo