Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_70/2024
Arrêt du 6 août 2024
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jametti, Présidente, Rüedi et May Canellas.
Greffière : Mme Fournier.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me Yves Grandjean, avocat,
recourante,
contre
Banque B.________,
représentée par Me Pierre Heinis, avocat,
intimée.
Objet
contrat de bail à loyer; résiliation ordinaire du bail pour besoin propre,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, Cour civile, du 14 décembre 2023 (CACIV.2023.89).
Faits :
A.
A.a. Par contrat de bail commercial du 1er septembre 2009, la Banque B.________ (ci-après: la bailleresse) a donné en location à A.________ SA (ci-après: la locataire) un local commercial destiné au commerce de détail, au rez de-chaussée de l'immeuble rue (...) à U.________ (NE). Le bail commençait le 1er septembre 2009 et se terminait le 31 août 2012. Sauf avis donné au moins une année à l'avance, il se renouvelait aux mêmes conditions pour cinq ans et ainsi de suite de cinq ans en cinq ans. Le loyer convenu était de 2'200 fr. par mois, charges forfaitaires comprises.
La locataire exploite dans le local loué un magasin d'optique indépendant qui emploie trois personnes à temps partiel et une apprentie. Avant cela, elle exploitait depuis 2000 un commerce identique dans d'autres locaux situés à proximité.
L'agence de U.________ de la banque bailleresse se trouve également dans l'immeuble en question.
A.b. La bailleresse a décidé de regrouper ses agences de K.________, X.________ et U.________ dans cet immeuble pour des raisons de santé, de sécurité et également car ce changement répondait aux nouveaux besoins de la clientèle. Des audits internes remontant au 30 août 2018 mettaient en exergue des failles dans la sécurité.
Au printemps 2021, la bailleresse a chargé le bureau d'architecture C.________ SA d'établir des plans (étude de faisabilité) et d'estimer le coût de construction. Ce bureau a établi un rapport daté du 12 avril 2021.
En juin 2021, la bailleresse a reçu une autorisation de principe de sa maison-mère à F.________ pour aller de l'avant dans le projet, l'autorisation permettant notamment de résilier les baux des deux logements ainsi que celui du commerce de la locataire, tous situés dans le même immeuble.
A.c. Par courrier du 19 août 2021, la bailleresse a écrit à la locataire qu'elle avait l'intention de créer un centre de compétences pour son établissement, ce qui nécessitait l'utilisation de l'entier du bâtiment. En conséquence, elle résiliait le bail pour la plus prochaine échéance contractuelle, à savoir le 31 août 2022. Elle se disait consciente du changement important que cela provoquerait pour le commerce de la locataire et comptait sur sa compréhension. Celle-ci était libre de remettre les locaux sans délai, dès qu'elle aurait trouvé une solution, sans exigence particulière quant à l'état des locaux. Un avis de résiliation sur formule officielle était joint.
Le même jour, la bailleresse a résilié pour l'échéance contractuelle du 30 juin 2022 les baux des deux appartements loués à des tiers dans l'immeuble en question. Les deux locataires visés ne se sont pas opposés à la résiliation.
Avant de procéder à ces résiliations, la bailleresse avait contacté oralement et personnellement chacun des locataires pour expliquer la situation.
A.d. Elle a présenté son projet aux autorités de la commune de S.________ le 21 septembre 2021, lors d'une séance au cours de laquelle a été discuté le programme du concours d'architecture à venir.
La bailleresse a commandé diverses études, en particulier une expertise statique de l'immeuble, un rapport de conseil CECB Plus - certificat énergétique - concernant la modernisation du bâtiment, une étude de faisabilité pour un certificat Minergie et un protocole d'intervention de l'Office du patrimoine et de l'archéologie.
Elle a fait préparer un concours de projets d'architecture pour la transformation du bâtiment, lequel a été publié le (...) avril 2022, les projets devant être déposés jusqu'au (...) août 2022.
De son côté, la locataire a fait signer une pétition pour le maintien de son commerce dans ses locaux actuels, déposée à la commune de S.________.
B.
B.a. Le 21 septembre 2021, la locataire a saisi l'autorité de conciliation d'une requête tendant à l'annulation de la résiliation, subsidiairement à une prolongation de bail. Deux jours après l'audience de conciliation du 21 février 2022, la bailleresse a invoqué l'utilisation sans droit par la locataire de locaux annexes au magasin, non inclus dans le bail, et fixé à celle-ci un délai au 26 mars 2022 pour les évacuer, en raison du besoin qu'elle en avait pour sa propre exploitation.
Le 16 mars 2022, l'administrateur de la locataire a déposé une plainte pénale contre le directeur de la bailleresse pour infraction à l'art. 325 al. 3 CP (recte: art. 325quater CP), lui reprochant d'avoir tenté d'imposer une modification unilatérale du contrat de bail laquelle la privait de certains locaux annexes. La bailleresse a déposé une contre-plainte pour dénonciation calomnieuse.
Devant l'échec de la conciliation, la locataire a saisi le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers d'une demande dirigée contre la bailleresse et concluant principalement à l'annulation de la résiliation, subsidiairement à l'octroi d'une première prolongation de bail de quatre ans.
La juge civile a procédé à une vision locale le 17 novembre 2022 en présence des parties; elle a visité les locaux loués ainsi que la rue (...) où il a été constaté que quatre surfaces commerciales y avaient récemment été ou étaient encore disponibles, en particulier une ancienne boucherie et une ancienne boulangerie.
A l'audience du 15 décembre 2022, la bailleresse a déposé un mémoire de faits nouveaux, alléguant notamment avoir organisé le 22 novembre 2022 une séance qui devait permettre à ses sociétaires de découvrir le projet de transformation à l'interne des locaux; l'administrateur de la locataire avait alors tenté d'empêcher la tenue de cette séance par la pose d'une tente empiétant sur le trottoir et la voie publique, provoquant un important bouchon dans les rues de U.________, et en affichant devant son commerce des manchettes de journaux concernant un ex-dirigeant de la direction générale de la banque, qui n'avait rien à voir avec la bailleresse.
Le 18 janvier 2023, elle a derechef déposé un mémoire de faits nouveaux, alléguant avoir été informée par un conseiller communal que des locaux commerciaux de 200 m2 étaient à louer dès mars 2023 à côté de la poste de U.________, soit à une centaine de mètres des locaux occupés par la locataire. Celle-ci s'est déterminée en s'étonnant qu'un conseiller communal s'immisce ainsi dans un litige privé et affirmant que les locaux seraient inadéquats pour elle.
Le 10 février 2023, la commune de S.________ a confirmé qu'un permis de construire était nécessaire pour le projet de la bailleresse et qu'à ce jour, aucune demande dans ce sens n'avait été déposée.
La locataire a ensuite demandé la suspension de la procédure civile jusqu'à droit connu dans la procédure pénale, ce qui a été refusé.
Par jugement du 14 septembre 2023, le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers a ordonné une prolongation unique du bail de la locataire jusqu'au 31 août 2024 et rejeté toute autre ou plus ample conclusion.
B.b. Par arrêt du 14 décembre 2023, la Cour d'appel civile du canton de Neuchâtel a rejeté l'appel de la locataire. Ses motifs seront évoqués dans les considérants en droit qui suivront.
C.
La locataire forme un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de cet arrêt et à l'admission de sa demande, partant principalement à l'annulation de la résiliation et subsidiairement à l'octroi d'une première prolongation de quatre ans du bail. Plus subsidiairement, elle demande le renvoi de la cause à la cour cantonale.
Aucun échange d'écritures n'a été ordonné.
Considérant en droit :
1.
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF en lien avec l'art. 46 al. 1 LTF) par la locataire demanderesse qui a succombé dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF), contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue sur appel par le Tribunal supérieur du canton de Neuchâtel (art. 75 LTF), dans une affaire de résiliation de bail (art. 72 al. 1 LTF), dont la valeur litigieuse est d'au moins 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF), le recours en matière civile est recevable.
2.
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoires sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3).
C'est donc en pure perte que la recourante prétend récapituler les faits déterminants, s'écartant ça ou là de ceux souverainement constatés par la cour cantonale sans que l'arbitraire ne soit articulé.
2.2. Sous réserve de la violation des droits constitutionnels (art. 106 al. 2 LTF), le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est toutefois lié ni par les motifs invoqués par les parties, ni par l'argumentation juridique retenue par l'autorité cantonale; il peut donc admettre le recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution de motifs (ATF 135 III 397 consid. 1.4 et l'arrêt cité).
3.
Le litige porte en premier lieu sur la résiliation du contrat de bail qui lie les parties. La locataire ne remet pas en cause que cette résiliation est intervenue en respectant le préavis et le terme contractuel. En revanche, elle le tient pour contraire aux règles de la bonne foi au sens de l'art. 271 CO.
4.
4.1. Chaque partie est en principe libre de résilier un contrat de bail de durée indéterminée, ce que celui-ci est lorsqu'il contient une clause de reconduction tacite, pour la prochaine échéance contractuelle en respectant le délai de congé prévu (résiliation ordinaire du bail; cf. art. 266a al. 1 CO; ATF 148 III 215 consid. 3.1.1; 145 III 143 consid. 3.1 et les arrêts cités). Le bail est en effet un contrat qui n'oblige les parties que jusqu'à l'expiration de la période convenue; au terme du contrat, la liberté contractuelle renaît et chacune a la faculté de conclure ou non un nouveau contrat et de choisir son cocontractant (ATF 148 III 215 consid. 3.1.1 et les arrêts cités).
En principe, le bailleur est libre de résilier le bail, notamment, dans le but d'adapter la manière d'exploiter son bien conformément à ses intérêts (ATF 136 III 190 consid. 3), pour effectuer des travaux de transformation, de rénovation ou d'assainissement (ATF 148 III 215 consid. 3.2; 142 III 91 consid. 3.2.2 et 3.2.3; 140 III 496 consid. 4.1), pour des motifs économiques (ATF 120 II 105 consid. 3b/bb; arrêts 4A_19/2016 du 2 mai 2017 consid. 4.2; 4A_293/2016 du 13 décembre 2016 consid. 5.2.1 et 5.2.3; 4A_475/2015 du 19 mai 2016 consid. 4.1 et 4.3) ou encore pour utiliser les locaux lui-même ou pour ses proches parents ou alliés (arrêts 4A_198/2016 du 7 octobre 2016 consid. 4.3 et 4.5; 4A_18/2016 du 26 août 2016 consid. 3.3 et 4).
4.2. La seule limite à la liberté contractuelle de signifier une résiliation ordinaire du bail découle des règles de la bonne foi: lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, le congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO; cf. également art. 271a CO; ATF 148 III 215 consid. 3.1.2; 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1).
En principe, le congé ordinaire donné par le bailleur pour pouvoir occuper lui-même l'habitation - ou le local commercial - n'est pas contraire à la bonne foi (arrêts 4A_18/2016 précité consid. 3.3 et 4A_300/2010 du 2 septembre 2010 consid. 5). Il ne l'est pas du seul fait que la résiliation entraîne des conséquences pénibles pour le locataire (ATF 140 III 496 consid. 4.1) ou que l'intérêt du locataire au maintien du bail paraît plus important que celui du bailleur à ce qu'il prenne fin (arrêts 4A_297/2010 du 6 octobre 2010 consid. 2.2; 4A_322/2007 du 12 novembre 2007 consid. 6). La pesée de leurs intérêts respectifs n'intervient qu'au stade de l'examen de la prolongation du bail, à accorder par le juge, s'il y a lieu, en application de l'art. 272 CO (arrêts 4A_128/2019 du 3 juillet 2019 consid. 2; 4A_475/2015 précité consid. 4.2 i.f et 4.4 i.f.).
En revanche, un congé ordinaire est en général contraire aux règles de la bonne foi lorsqu'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection et qu'il apparaît ainsi purement chicanier, lorsque le motif invoqué ne constitue manifestement qu'un prétexte, lorsque la motivation du congé est lacunaire ou fausse ou encore lorsqu'il consacre une disproportion grossière (
ein krasses Missverhältnis) entre l'intérêt du locataire au maintien du contrat et celui du bailleur à y mettre fin (ATF 145 III 143 consid. 3.1; 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1).
4.3. Pour pouvoir examiner si le congé ordinaire contrevient ou non aux règles de la bonne foi, il est nécessaire de déterminer quel est le motif de congé invoqué par le bailleur, soit dans l'avis de résiliation, soit ultérieurement au cours de la procédure devant le tribunal de première instance (ATF 148 III 215 consid. 3.1.4 et les arrêts cités). Pour apprécier si le congé est contraire aux règles de la bonne foi, il faut se placer au moment où le congé a été notifié (ATF 148 III 215 consid. 3.1.4; 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.1; 138 III 59 consid. 2.1). Des faits survenus ultérieurement ne sont pas susceptibles d'influer
a posteriori sur cette qualification; tout au plus peuvent-ils, selon les cas, fournir un éclairage sur les intentions du bailleur au moment de la résiliation (ATF 148 III 215 consid. 3.1.4 et les arrêts cités).
Déterminer quel est le motif du congé relève des constatations de fait (ATF 145 III 143 consid. 3.1; 136 III 190 consid. 2). En revanche, le point de savoir si le congé contrevient aux règles de la bonne foi est une question de droit. Elle relève du pouvoir d'appréciation du juge (art. 4 CC) que le Tribunal fédéral ne revoit qu'avec retenue; il n'intervient que lorsque la cour cantonale s'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou à l'inverse, lorsqu'elle n'a pas tenu compte d'éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; il sanctionne en outre les décisions rendues en vertu du pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (cf. ATF 138 III 669 consid. 3.1; 136 III 278 consid. 2.2.1, arrêts 4A_159/2018 du 11 juillet 2018 consid. 3.1; 4A_257/2015 du 11 janvier 2016 consid. 3.1).
4.4. Dans le cadre d'une résiliation donnée afin que le bailleur ou l'un de ses proches puisse disposer des locaux pour ses propres besoins, il s'agit donc de déterminer si le motif avancé est réel ou fait figure de simple prétexte. Dans ce contexte, il est possible pour le locataire de tirer argument de l'impossibilité à laquelle se heurte le projet de changement d'affectation et/ou les travaux de transformation que le bailleur envisage de faire dans cette perspective. Si le projet du bailleur est manifestement incompatible avec les règles du droit public (ou objectivement impossible;
objektiv unmöglich), au point qu'il est certain qu'il ne sera pas autorisé (ATF 140 III 496 consid. 4.1 et 4.2.1), le besoin propre avancé par le bailleur apparaîtra plutôt comme un prétexte. La preuve de cette impossibilité objective incombe au locataire (ATF 140 III 496 consid. 4.1).
En revanche, l'exigence voulant que le bailleur dispose d'un projet suffisamment mûr et élaboré - permettant de constater concrètement qu'il est nécessaire que le locataire quitte les locaux - vaut dans le contexte d'une résiliation donnée pour effectuer des travaux de rénovation, d'assainissement ou de transformation (cf. dans ce contexte ATF 142 III 91 consid. 3.2.1; 140 III 496 consid. 4.2.2; arrêt 4A_247/2021 du 4 mai 2022 consid. 3.2), mais pas dans celui d'une résiliation pour besoin propre du bailleur ou de l'un de ses proches. Dans ce dernier cas, il est bien évident qu'il est nécessaire que le locataire quitte les locaux puisque le bailleur entend les récupérer pour ses propres besoins ou ceux de l'un de ses proches. Exprimé autrement, ce ne sont pas les travaux eux-mêmes qui impliquent le départ du locataire, mais bien les besoins du bailleur ou de ses proches (dans ce sens, arrêt 4A_694/2016 du 4 mai 2017 consid. 5.3.3).
5.
5.1. En l'espèce, la cour cantonale a constaté que la bailleresse avait résilié le bail litigieux pour son besoin propre, pour trois raisons : d'une part, les standards techniques de sécurité des locaux abritant ses agences de U.________, K.________ et X.________ n'étaient plus suffisants et il s'agissait de transformer l'immeuble de la rue (...) afin de les accueillir; les précédents locaux posaient problème en matière d'hygiène; le regroupement de ses agences en même temps que la création d'un centre de compétences répondait aussi à des raisons économiques pertinentes (économies d'échelle, amélioration de l'accueil de la clientèle, augmentation constante des coûts de la construction). Le motif avancé était donc réel. Il ne s'agissait pas d'un subterfuge. Que la bailleresse n'ait pas encore demandé de permis de construire était sans pertinence, étant observé que si la bailleresse avait demandé et obtenu ce permis avant la résiliation de bail, en août 2021, il aurait déjà perdu sa validité du fait de la durée de la procédure initiée par la locataire.
Il était clair que ce projet supposait le départ de la locataire. Comme la bailleresse entendait utiliser elle-même l'ensemble des locaux, il devait être évident pour la locataire qu'elle ne pourrait pas les occuper pendant les travaux.
La bailleresse n'avait pas eu de comportement contradictoire ou déloyal au moment du congé; s'agissant des événements qui avaient suivi l'audience de conciliation, ils ne pouvaient être mis en rapport avec cette résiliation qui remontait à six mois auparavant.
Finalement, il n'y avait aucune disproportion manifeste des intérêts en présence. Le besoin propre de la bailleresse d'utiliser les locaux était clairement établi et la locataire ne se trouvait pas dans une situation difficile.
Partant, le congé n'était pas contraire aux règles de la bonne foi.
5.2. Ces considérations n'ont pas convaincu la recourante. Celle-ci tire argument de la jurisprudence relative à la résiliation de bail donnée dans le but de réaliser des travaux de rénovation/de transformation des locaux loués. Il aurait fallu, à son sens, que la bailleresse dispose d'un projet suffisamment mûr et élaboré, ce qui ne serait pas le cas.
La recourante se fourvoie. Les arrêts qu'elle cite concernent un tout autre chapitre, à savoir la résiliation donnée dans la perspective de travaux de rénovation des locaux loués. Tel n'est pas le cas ici, puisque la bailleresse a mis un terme au contrat de bail pour occuper elle-même lesdits locaux.
De manière larvée, elle paraît remettre en question la réalité du motif avancé par la bailleresse. Cela étant, elle ne se plaint pas d'arbitraire sur ce point. Or, la cour cantonale a constaté de manière souveraine et très convaincante que le motif avancé par la bailleresse - à savoir la volonté de regrouper les agences bancaires sous un même toit, dans les locaux de la rue (...) qu'elle occupe déjà elle-même en partie - était bien réel. Il n'y a pas lieu de s'en écarter.
La recourante brocarde encore ce qu'elle qualifie de "mouvement d'humeur" de la bailleresse, deux jours après l'audience de conciliation, lorsque celle-ci l'a sommée de quitter des locaux annexes qu'elle occupait sans droit. Cela étant, la cour cantonale n'y a pas vu de motif mettant en lumière le caractère abusif de la résiliation. A bon droit, car ceci s'est produit de nombreux mois après et n'est guère révélateur d'un dessein remontant à la date de la résiliation.
C'est donc à tort que la recourante dénonce une violation de l'art. 271 CO.
6.
Cette question étant tranchée, il reste à déterminer si la prolongation de bail accordée à la recourante est, elle, entachée d'illégalité.
6.1. Aux termes des art. 272 al. 1 et 272b al. 1 CO, le locataire peut demander la prolongation d'un bail commercial pour une durée de six ans au maximum, lorsque la fin du contrat aurait pour lui des conséquences pénibles et que les intérêts du bailleur ne les justifient pas. Dans cette limite de temps, le juge peut accorder une ou deux prolongations. Le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité, s'il y a lieu de prolonger le bail et, dans l'affirmative, pour quelle durée. Il doit procéder à la pesée des intérêts en présence et tenir compte du but d'une prolongation, consistant à donner du temps au locataire pour trouver des locaux de remplacement. Il lui incombe de prendre en considération tous les éléments du cas particulier, soit notamment la durée du bail, la situation personnelle et financière de chaque partie, leur comportement, ainsi que l'état du marché locatif local (art. 272 al. 2 CO; ATF 136 III 190 consid. 6; 135 III 121 consid. 2; 125 III 226 consid. 4b). Il tient compte de la situation présente au moment de son prononcé (arrêt 4A_673/2014 du 24 février 2015 consid. 3.2), telle qu'elle ressort des faits allégués et prouvés conformément aux règles du procès civil.
Selon la jurisprudence, la prolongation du bail n'a de sens que si le report du congé permet d'espérer une atténuation des conséquences pénibles qu'entraînerait ce congé et laisse prévoir qu'un déménagement ultérieur présenterait moins d'inconvénients pour le locataire, lequel ne saurait en revanche invoquer les conséquences nécessairement liées à la résiliation du bail en tant que telle. Il s'agit d'accorder au locataire plus de temps que ne lui en donne le délai de résiliation ordinaire pour chercher de nouveaux locaux, et non pas de lui donner l'occasion de profiter le plus longtemps possible d'un appartement au loyer avantageux (ATF 116 II 446 consid. 3b; arrêts 4A_639/2018 du 21 novembre 2019 consid. 6.1; 4A_556/2015 du 3 mai 2016 consid. 4.2).
Le choix entre une ou deux prolongations doit permettre au juge de choisir la solution la plus adaptée aux circonstances (arrêts 4A_386/2014 du 11 novembre 2014 consid. 4.3.1; 4A_105/2009 du 5 juin 2009 consid. 3.1 avec référence au Message du Conseil fédéral). Le juge peut donc, dans la pesée des intérêts des deux parties, décider d'accorder une première prolongation de bail ou une prolongation définitive et, cas échéant, en fixer la durée. Il n'y a pas de priorité de l'une de ces solutions par rapport à l'autre (arrêts 4A_386/2014 précité consid. 4.3.1; 4A_105/2009 précité consid. 3.2).
Le juge peut tenir compte du délai qui s'est écoulé entre le moment de la résiliation et celui où elle devait prendre effet (ATF 125 III 226 consid. 4c; arrêt 4A_198/2016 précité consid. 5.1), comme de la durée de la procédure judiciaire qui prolonge en fait le bail (arrêt 4A_545/2013 du 28 novembre 2013 consid. 3.1).
Le Tribunal fédéral ne contrôle qu'avec retenue une décision de dernière instance cantonale prise dans l'exercice du pouvoir d'appréciation. Le tribunal intervient lorsque le prononcé s'écarte sans raison des règles établies en la matière par la doctrine et la jurisprudence, ou lorsqu'il repose sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'il méconnaît des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; en outre, le Tribunal fédéral redresse les décisions d'appréciation qui aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 143 III 261 consid. 4.2.5 i.f.; 138 III 252 consid. 2.1; 137 III 303 consid. 2.1.1).
6.2. En l'espèce, la cour cantonale a confirmé le premier jugement, lequel accordait une seule et unique prolongation de bail jusqu'au 31 août 2024. Elle a considéré, d'un côté, que la bailleresse avait un besoin propre et urgent des locaux; de l'autre, elle a relevé que le bail avait dans les faits déjà duré près de quinze ans, que la locataire disposait d'une bonne santé financière et qu'aucun obstacle particulier (solvabilité, longévité du bail actuel, motifs de la résiliation, nature du commerce exercé) ne s'élèverait pour qu'elle obtienne la conclusion d'un nouveau bail. La locataire ne pouvait prétendre à rester dans la même rue à U.________; elle exagérait en laissant entendre que tout déplacement hors de ce secteur très limité conduirait en fait à la fin de ses activités. Par ailleurs, dans le secteur concerné, plusieurs surfaces commerciales avaient changé d'occupants ou allaient le faire, ceci dans un laps de temps assez limité. Et le marché de la location commerciale, même au centre de U.________, n'était pas désertique. Finalement, la locataire n'avait pas démontré qu'elle aurait tenté sérieusement de trouver de nouveaux locaux, alors qu'elle avait disposé de plus de deux ans pour cela.
N'en déplaise à la recourante, la cour cantonale a tenu compte équitablement des intérêts antagonistes des parties. Les intérêts commerciaux de la bailleresse ne doivent pas être écartés, comme la recourante le voudrait. On ne saurait exiger de la bailleresse qu'elle cherche un autre bâtiment où réaliser son projet.
Les inconvénients que la résiliation entraînait pour la locataire ont été pleinement pris en considération dans la prolongation de bail qui lui a été accordée. En pratique, elle a bénéficié de deux ans supplémentaires pour trouver de nouveaux locaux. Et le jugement attaqué ne l'a pas réduite à trouver un local dans "les confins dépeuplés d'un village de campagne", comme elle le suggère. Comme l'arrêt cantonal le constate, l'offre de locaux commerciaux existe au centre même de U.________.
Au vu de ce qui précède, le grief de violation de l'art. 272 CO est infondé.
7.
Partant, le recours se révèle privé de fondement. A titre de partie qui succombe, son auteur doit acquitter l'émolument à percevoir par le Tribunal fédéral. Elle n'a pas à verser de dépens à son adverse partie qui n'a pas été invitée à se déterminer.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, fixés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Il n'est pas alloué de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, Cour civile.
Lausanne, le 6 août 2024
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
La Greffière : Fournier