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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
{T 0/2} 
2C_111/2011 
 
Arrêt du 7 juillet 2011 
IIe Cour de droit public 
 
Composition 
MM. et Mme les Juges Zünd, Président, 
Karlen, Seiler, Aubry Girardin et Donzallaz. 
Greffier: M. Addy. 
 
Participants à la procédure 
Etat de Genève, soit pour lui le Conseil d'Etat, rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1211 Genève 3, représenté par Me Michel Bergmann, avocat, 
recourant, 
 
contre 
 
X.________, 
représenté par Me Raymond de Morawitz, avocat, 
intimé. 
 
Objet 
Responsabilité de l'Etat, 
 
recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 17 décembre 2010. 
 
Faits: 
 
A. 
Pendant le sommet du G8 qui s'est tenu à Evian en France du 1er au 3 juin 2003, diverses manifestations ont eu lieu à Genève. 
 
Le 1er juin 2003, X.________, photographe de presse de nationalité britannique, vêtu d'habits de couleur sombre et d'un foulard, sans signe distinctif indiquant sa qualité de journaliste-photographe, s'est mêlé à des manifestants qui se trouvaient près du poste de police de Rive, rue Adrien-Lachenal. Dans une situation confuse, un groupe de casseurs a commencé de démonter une palissade, alors que d'autres manifestants ont entrepris d'ériger une barricade sur la rue Adrien-Lachenal. De là, ils ont ensuite lancé des projectiles sur des policiers. 
 
Afin de disperser ces groupes, la police a tiré, après sommation, des grenades détonantes. Une partie des manifestants s'est engagée en courant dans l'escalier qui monte de la rue Adrien-Lachenal à la rue de Villereuse. Cet escalier est composé de deux volées de cinq à six marches chacune. 
 
X.________, resté sur les lieux jusqu'à l'ultime limite, alors que la police avait commencé à avancer, s'est retrouvé à l'arrière du groupe de manifestants fuyant par l'escalier. 
 
Situés à une certaine distance au bas de l'escalier les empêchant de viser une personne en particulier, les agents genevois ont lancé trois grenades détonantes en direction du haut. La première a atteint X.________ au mollet au moment où il arrivait au niveau de la rue Villereuse, alors que la deuxième grenade a explosé contre un réverbère à côte de l'escalier et que la troisième a volé par dessus l'escalier. 
 
Blessé, X.________ a été transporté à l'Hôpital cantonal où il a subi deux interventions. Son traitement s'est poursuivi ultérieurement à Londres. 
 
B. 
Après avoir réclamé sans succès réparation de son dommage au Département de justice, police et sécurité du canton de Genève, qui a refusé d'admettre une responsabilité de l'Etat, X.________ a assigné, le 20 mai 2005, l'Etat de Genève en paiement de 85'275 fr. plus intérêt. 
Par jugement du 6 décembre 2007, le Tribunal de première instance du canton de Genève a constaté que la responsabilité de l'Etat de Genève était engagée (ch. 1 du dispositif), retenu une importante faute concomitante de X.________ (ch. 2) et réservé la suite de la procédure relativement à la détermination du dommage (ch. 3). Les dépens ont été répartis par moitié entre les parties, qui ont par ailleurs été déboutées de toutes autres conclusions (ch. 4 et 5). 
 
L'Etat de Genève a formé un appel en concluant à l'annulation du jugement de première instance et à la constatation que sa responsabilité n'était pas engagée. X.________ a formé un appel incident, en concluant à l'annulation du chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué et à la constatation qu'il n'avait pas commis de faute concomitante. 
 
Par arrêt du 17 octobre 2008, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a annulé le jugement du 6 décembre 2007 puis, statuant à nouveau, elle a constaté que, faute de lien de causalité naturelle, la responsabilité de l'Etat de Genève n'était pas engagée et débouté X.________ de toutes ses conclusions. 
 
Le 20 novembre 2009, le recours interjeté par X.________ à l'encontre de l'arrêt du 17 octobre 2008 a été admis par le Tribunal fédéral, la décision précitée annulée et la cause renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision dans le sens des considérants (cause 2C_860/2008). Il a été retenu en substance que les juges cantonaux avaient arbitrairement nié l'existence d'un lien de causalité naturelle entre le lancer de la grenade détonante et la blessure subie par X.________ au mollet. 
 
Par arrêt du 17 décembre 2010, la Cour de justice a annulé uniquement le ch. 2 du dispositif du jugement du 6 décembre 2007 qui retenait une importante faute concomitante de X.________ et, statuant à nouveau, elle a dit que l'indemnisation en faveur de celui-ci serait réduite de moitié. Elle a par ailleurs renvoyé la cause au Tribunal de première instance pour la suite de la procédure. Les dépens de seconde instance ont été compensés. 
 
C. 
A l'encontre de l'arrêt du 17 décembre 2010, l'Etat de Genève dépose un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, en concluant à l'annulation de ce prononcé, au déboutement de X.________ de toutes ses conclusions avec suite de frais et dépens, et au renvoi de la cause à l'autorité inférieure pour qu'elle statue sur les frais et dépens des instances cantonales. 
 
Dans sa réponse, X.________ conclut à l'irrecevabilité du recours à la forme et à la confirmation sur le fond de l'arrêt du 17 décembre 2010. Il requiert par ailleurs l'assistance judiciaire et demande la désignation de Me Raymond de Morawitz comme avocat d'office. 
 
Considérant en droit: 
 
1. 
Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 136 II 101 consid. 1 p. 103; 470 consid. 1 p. 472). 
 
1.1 L'arrêt attaqué admet le principe de la responsabilité de l'Etat de Genève et retient que, compte tenu de la faute concomitante de X.________, les dommages-intérêts devront être réduits de moitié, tout en renvoyant la cause au Tribunal de première instance afin qu'il détermine l'existence et l'ampleur du dommage allégué, y compris le tort moral. 
1.1.1 Selon la jurisprudence, un arrêt par lequel une autorité judiciaire supérieure admet le principe de la responsabilité, mais renvoie la cause à l'instance inférieure pour qu'elle se prononce sur le dommage n'est pas considéré comme une décision finale ou partielle au sens des art. 90 et 91 let. a LTF, mais comme une décision incidente (cf. arrêts 4A_650/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.2; 4A_48/2010 du 9 juillet 2010 consid. 1.3). Dans la mesure où une telle décision ne porte ni sur la compétence ni sur une demande de récusation (cf. art. 92 LTF), elle ne peut directement faire l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral que si l'une des deux hypothèses prévues par l'art. 93 al. 1 LTF est réalisée, à savoir si elle peut causer un préjudice irréparable (let. a) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b). A moins que ces conditions ne sautent aux yeux, il appartient au recourant d'en démontrer la réalisation sous peine d'irrecevabilité (cf. ATF 134 II 137 consid. 1.3.3 p. 141; 134 III 426 consid. 1.2 in fine p. 429). 
1.1.2 Il n'y a en principe pas de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF lorsque la décision incidente peut être revue avec la décision finale (ATF 134 III 188 consid. 2.1 p. 190; arrêt 5A_367/2010 du 15 octobre 2010 consid. 1.1), étant rappelé que la prolongation de la procédure et son renchérissement ne sont à cet égard pas des circonstances déterminantes (ATF 136 IV 92 consid. 4 p. 95; 134 II 137 consid. 1.3.1 p. 149 et les arrêts cités). En l'espèce, les conditions de la responsabilité et l'étendue de la faute concomitante de l'intimé définies dans l'arrêt attaqué pourraient être revues par le Tribunal fédéral dans un recours contre la décision finale (cf. art. 93 al. 3 LTF), ce qui exclut l'application de l'art. 93 al. 1 let. a LTF
1.1.3 Reste à examiner si les conditions cumulatives de l'art. 93 al. 1 let. b LTF sont réalisées. Pour que la recevabilité du recours immédiat soit admise, il faut tout d'abord qu'une décision inverse puisse conduire immédiatement à une décision finale. Tel est le cas en l'occurrence car, si le recourant obtenait gain de cause, l'arrêt du Tribunal fédéral mettrait un terme à la procédure (cf. arrêt 4A_210/2010 du 1er octobre 2010, consid. 3.2 non publié de l'ATF 136 III 502). Encore faut-il que l'on puisse ainsi éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (cf. ATF 133 III 629 consid. 2.4.1 p. 633 et l'arrêt cité). A cet égard, tout complément d'instruction, qui entraîne nécessairement des frais et un prolongement de la procédure, ne suffit pas pour ouvrir le recours immédiat. La possibilité de recourir pour des motifs d'économie doit être interprétée restrictivement car il s'agit d'une exception (ATF 134 III 426 consid. 1.3.2 p. 430). Il faut que la procédure probatoire, par sa durée et son coût, s'écarte notablement des procès habituels. Si l'administration des preuves doit se limiter à entendre les parties, à leur permettre de produire des pièces et à procéder à l'interrogatoire de quelques témoins, un recours immédiat n'est pas justifié. Il en va différemment s'il faut envisager une expertise complexe, plusieurs expertises, l'audition de très nombreux témoins ou l'envoi de commissions rogatoires dans des pays lointains (arrêt 4A_210/2010 du 1er octobre 2010, consid. 3.3.1 non publié de l'ATF 136 III 502; arrêt 4A_174/2010 du 2 juin 2010 consid. 1.3 et l'auteur cité). 
 
En l'espèce, quoi qu'en dise l'intimé, le recourant a démontré d'une manière suffisamment convaincante l'éventualité d'une procédure probatoire longue et coûteuse. En effet, il a subi en 2003 une atteinte à son intégrité corporelle (blessure au mollet) et demande le remboursement des frais de guérison et de son manque à gagner, ainsi qu'une indemnité pour tort moral. Pour établir l'existence du dommage allégué, il n'est pas exclu qu'une expertise médicale, du reste requise dans la demande du 20 mai 2005, soit nécessaire, en vue notamment d'évaluer l'impact de la blessure sur la capacité de gain de l'intimé. Certes, cette expertise ne revêt a priori pas la complexité requise pour permettre à elle seule de démontrer le risque d'une procédure longue et coûteuse. D'autres éléments viennent cependant s'y ajouter. Ainsi, la blessure étant survenue en 2003, l'écoulement du temps rend plus difficile l'établissement des faits pertinents; en outre, le traitement s'est effectué en Suisse, mais aussi en Angleterre, pays où l'intimé est domicilié; partant, l'éloignement du demandeur et de certains témoins, tels les médecins de X.________ à l'étranger, risque d'allonger la procédure. Si l'on tient compte de l'ensemble de ces circonstances, les motifs liés à l'économie de la procédure justifient d'admettre que l'arrêt du 17 décembre 2010, malgré son caractère incident, peut faire l'objet d'un recours immédiat au Tribunal fédéral en application de l'art. 93 al. 1 let. b LTF
 
1.2 La voie du recours immédiat contre la décision incidente est celle qui serait ouverte contre la décision principale finale (arrêt 5A_367/2010 du 15 octobre 2010 consid. 1.2), soit le recours en matière de droit public. Le fait que, sur le plan cantonal, la compétence relève des autorités judiciaires civiles n'est pas pertinent (arrêt 2C_860/2008 du 20 novembre 2009 consid. 1.1 et les arrêts cités). 
 
1.3 Selon la disposition générale de l'art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente (let. a), est particulièrement atteint par l'acte attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c.) Cette disposition concerne en premier lieu le droit de recours des particuliers, mais une corporation de droit public peut également l'invoquer lorsqu'elle est, de manière identique ou analogue à un particulier, directement et concrètement atteinte par l'acte attaqué dans sa situation matérielle ou juridique (cf. ATF 136 I 265 consid. 1.4 p. 626; 136 II 383 consid. 2.3 p. 385 s.; 135 I 43 consid. 1.3 p. 47; 134 I 204 consid. 2.3 p. 206 s.; 131 II 58 consid. 1.3 p. 61 s.; arrêt 8C_1025/2009 du 19 août 2010 consid. 3.2). Tel est notamment le cas lorsqu'elle agit pour la sauvegarde de son patrimoine administratif ou financier (ATF 131 II 58 consid. 1.3 p. 61 s), par exemple lorsqu'elle recourt pour éviter le paiement d'une indemnité d'expropriation, car elle fait alors figure de propriétaire (ATF 123 II 425 consid. 3a p. et les références citées). Récemment, le Tribunal fédéral a admis la qualité pour recourir d'une association intercommunale condamnée à payer à un (ancien) fonctionnaire une indemnité de départ pour licenciement abusif; il a en effet considéré que la collectivité publique mise en cause était touchée de façon identique ou analogue à un employeur privé, même si les prétentions pécuniaires en jeu ne relevaient pas du droit privé, mais étaient issues de rapports de travail fondés sur le droit public (ATF 134 I 204 consid. 2.3 p. 206 ss et les références citées). 
 
En l'espèce, l'Etat de Genève était partie à la procédure devant les instances cantonales. Par ailleurs, il devra verser des dommages-intérêts à l'intimé en cas de condamnation. L'arrêt attaqué est donc de nature à porter directement et concrètement atteinte à son patrimoine financier. En outre, il existe une parenté certaine entre les régimes de la responsabilité de l'Etat et de la responsabilité civile; bien des concepts sont communs à ces domaines du droit et de nombreux cantons - dont Genève - soumettent les litiges en matière de responsabilité de l'Etat à la juridiction civile (cf. message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, in FF 2001 p. 4000 ss, p. 4028 s. et 4123). Ce constat a conduit le législateur à limiter l'accès au Tribunal fédéral dans les contestations "en matière de responsabilité étatique", en fixant à l'art. 85 al. 1 let. a LTF une valeur litigieuse minimale pour recourir de 30'000 fr., à l'avenant de ce que prévoit de manière générale l'art. 74 al. 1 let. b LTF pour les recours en matière civile (cf. message précité, loc. cit.; BO CN 2004 p. 1606 s.). A noter que, pour les contestations "en matière de rapports de travail de droit public", l'art. 85 al. 1 let. b LTF fixe également une valeur seuil équivalente à celle prévue en droit (privé) du travail à l'art. 74 al. 1 let. a LTF (soit 15'000 fr.). Même si la cause ressortit au droit public, il y a ainsi lieu, comme pour les contestations pécuniaires en matière de fonction publique (ATF 134 I 204 précité), d'admettre que le recourant se trouve dans une situation comparable à celle d'un particulier recherché en responsabilité civile. 
 
Par conséquent, il convient de reconnaître à l'Etat de Genève la qualité pour recourir au Tribunal fédéral en application de l'art. 89 al. 1 LTF, sans qu'il faille au surplus se demander s'il pourrait agir sur la base de l'art. 89 al. 2 LTF
 
1.4 Pour le reste, la valeur litigieuse est supérieure à 30'000 fr. (art. 85 al. 1 let. LTF) et le recours a été déposé en temps utile compte tenu des féries et dans les formes requises (cf. art. 42, 46 al. 1 let. c et 100 al. 1 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière. 
 
2. 
L'Etat de Genève s'en prend à plusieurs reprises aux faits constatés, soutenant que ceux-ci ont été établis de façon manifestement inexacte au sens de l'art. 97 LTF. Il invoque parallèlement l'arbitraire. 
 
2.1 Contrairement à ce que soutient l'intimé dans une argumentation du reste confuse, l'Etat de Genève, comme tout recourant légitimé à agir sur la base de l'art. 89 al. 1 LTF, peut invoquer la violation du droit fédéral (cf. art. 95 let. a LTF), y compris l'arbitraire. 
 
2.2 La notion de "faits établis de façon manifestement inexacte" au sens de l'art. 97 al. 1 LTF se recoupe avec celle d'arbitraire dans l'établissement des faits et l'appréciation des preuves (ATF 135 II 145 consid. 8.1). L'appréciation des preuves est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, en contradiction avec le dossier ou contraire au sens de la justice et de l'équité, ou encore lorsque le juge a interprété les pièces du dossier de manière insoutenable, a méconnu des preuves pertinentes ou s'est fondé exclusivement sur une partie des moyens de preuve (ATF 134 V 53 consid. 4.3). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; s'agissant de l'arbitraire, ATF 136 I 316 consid. 2.2.2 p. 318 s.). 
 
2.3 Selon l'arrêt attaqué, qui se fonde sur les documents destinés à régir l'intervention des forces de l'ordre dans le canton de Genève, il est notamment prévu que, si les manifestations comportent un potentiel de violence avéré, l'usage de grenades détonantes est admis. La grenade détonante est un moyen technique de diversion ou de dispersion. Elle est conçue pour un emploi non létal par les services de l'ordre. Les consignes de manipulation précisent que le jet de la grenade doit se faire à la main, "en rase-motte" ou "dans les jambes". Il s'agit là, d'après ces consignes, d'un principe de précaution destiné à "minimiser le risque de blessures, plus important en cas de lancement en l'air, en raison de la masse de ce projectile de 280 gr." S'agissant du déroulement des événements, il ressort des constatations cantonales que la grenade détonante qui a blessé l'intimé au mollet a été lancée en hauteur; en outre, au moment où les policiers ont fait usage de cette grenade, ils se trouvaient "à une certaine distance de l'escalier qui les empêchait de toute façon de viser une personne en particulier"; par ailleurs, en même temps qu'ils lançaient le projectile qui a atteint l'intimé, ils ont envoyé deux autres grenades dans la direction des manifestants, dont l'une a explosé contre un réverbère à côté de l'escalier, alors que l'autre a volé au-dessus de celui-ci. 
 
2.4 Le recourant ne conteste les faits constatés ni en ce qui concerne le contenu des prescriptions d'utilisation des grenades, ni en ce qui a trait au déroulement des événements, notamment à la manière dont la grenade litigieuse a été utilisée. En revanche, il estime manifestement inexact ou arbitraire de retenir, comme l'ont fait les premiers juges, que les prescriptions d'utilisation des grenades interdisent de lancer celles-ci en hauteur. Il rappelle en effet que ces prescriptions prévoient uniquement que les projectiles doivent être lancés dans les jambes. Or, fait-il valoir, une grenade peut à la fois être lancée en hauteur et dans les jambes, lorsque les manifestants à disperser ne se situent pas au même niveau que les forces de l'ordre. En réalité, cette argumentation ne porte pas sur l'établissement des faits, mais sur leur appréciation juridique, ce qui, conformément à une jurisprudence constante, relève de l'application du droit (cf. ATF 123 II 49 consid. 6a p. 54 s. et les références citées; LIONEL ZEITER, La distinction du fait et du droit dans les recours de droit administratif auprès du Tribunal fédéral, thèse Lausanne 2005, p. 45 ss). En effet, comme l'a dit le Tribunal fédéral à propos de la responsabilité d'un médecin, l'existence et le contenu d'une règle professionnelle, de même que la manière dont l'acte médical s'est déroulé, sont des questions de fait, tandis que le point de savoir si le professionnel mis en cause a violé les règles de l'art relève du droit (cf. arrêt 4A_403/2007 du 24 juin 2008, consid. 5.3; sur cette distinction en matière de responsabilité civile, voir aussi HANS PETER WALTER, Tat- und Rechtsfragen, in Fellmann/Weber [éd.], Der Haftpflichtprozess, Tücken der gerichtlichen Schadenerledigung, Zurich 2006, p. 15 ss). 
 
Partant, il s'impose de statuer sur la base des faits retenus par le Tribunal cantonal (cf. art. 105 al. 1 LTF), le grief de l'arbitraire soulevé par le recourant devant s'analyser en lien avec l'application du droit cantonal. 
 
3. 
3.1 En vertu de l'art. 2 al. 1 de la loi genevoise du 24 février 1989 sur la responsabilité de l'Etat et des communes (LREC; RS/GE A 2 40), l'Etat de Genève et les communes du canton sont tenus de réparer le dommage résultant pour des tiers d'actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l'accomplissement de leur travail. Cette loi institue donc une responsabilité pour faute, qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes : un acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de celui-ci, un dommage causé à un tiers et un lien de causalité (naturelle et adéquate) entre l'acte illicite et le dommage (cf. arrêt 2C_860/2008 du 20 novembre 2009 consid. 3.1 et la référence à THIERRY TANQUEREL, La responsabilité de l'Etat sous l'angle de la loi genevoise sur la responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989, in SJ 1997 p. 355). Ces conditions correspondent à celles qui figurent à l'art. 41 CO, étant précisé que le droit fédéral est appliqué ici à titre de droit cantonal supplétif (cf. art. 6 LREC), de sorte que le Tribunal fédéral ne peut en contrôler l'application que sous l'angle restreint de l'arbitraire ou d'autres droits constitutionnels, en fonction des griefs invoqués (art. 106 al. 2 LTF; arrêt 2C_860/2008 précité consid. 3.2). 
 
3.2 La question du dommage ne fait pas l'objet de la présente procédure (cf. supra consid. 1.1). Quant aux autres conditions de la responsabilité, le recourant en conteste l'existence, sous réserve du lien de causalité naturelle déjà admis par le Tribunal fédéral dans l'arrêt 2C_860/2008 du 20 novembre 2009 et qui ne peut donc plus être revu (ATF 135 III 334 consid. 2). Il soutient en substance qu'en admettant un acte illicite, une faute et l'existence d'un lien de causalité adéquate, les juges seraient tombés dans l'arbitraire. Il convient ainsi d'examiner les griefs invoqués en relation avec ces trois conditions. 
 
4. 
4.1 Si le fait dommageable consiste dans l'atteinte à un droit absolu (comme la vie ou la santé humaines), l'illicéité est d'emblée réalisée (ATF 133 III 323 consid. 5.1 p. 330), sans qu'il soit nécessaire de rechercher si et de quelle manière l'auteur a violé une norme de comportement spécifique (Erfolgsunrecht), à moins qu'il existe un motif justificatif (ATF 132 II 449 consid. 3.3 p. 457; 305 consid. 4.1 p. 318). Comme l'a retenu la Cour cantonale, l'usage autorisé de la force publique peut constituer un tel motif (cf. FRANZ WERRO, La responsabilité civile, Berne 2005, p. 87 n. 333), à condition toutefois qu'il en ait été fait une application correcte (ATF 118 Ib 473 consid. 2b p. 476; 94 I 449 consid. 3 p. 453 in fine). Sur ce point, les premiers juges ont estimé qu'en lançant la grenade litigieuse en hauteur, la police avait violé les consignes de sécurité valables pour l'utilisation de tels engins. 
 
Certes peut-on convenir avec le recourant que le contexte général, notamment la violence de certains manifestants à l'égard des forces de l'ordre, pouvait justifier l'emploi de grenades détonantes. De même peut-on lui concéder que les termes "en rase-motte ou dans les jambes" utilisés par les prescriptions laissent entendre qu'il peut y avoir des situations où les grenades n'ont pas forcément besoin d'être lancées au ras du sol pour être correctement utilisées. Il n'y a toutefois rien d'arbitraire à comprendre cette consigne de sécurité en ce sens que les grenades qui ne sont pas projetées en rase-motte doivent impérativement viser les jambes. Bien que restrictive, cette interprétation est compatible avec la lettre de la consigne en cause; en outre, elle apparaît conforme avec l'objectif, tiré du principe de précaution, de minimiser les risques de blessures qu'une grenade jetée en l'air peut occasionner en raison de son poids de 280 gr. En l'espèce, il ressort des constatations cantonales que la grenade détonante qui a blessé l'intimé au mollet a été lancée par les policiers alors que ceux-ci ne pouvaient pas viser une personne en particulier au vu de la distance; par ailleurs, toujours selon l'arrêt attaqué, deux autres grenades ont été envoyées en même temps que la première dans une certaine confusion, puisque l'une a explosé contre un réverbère à côté de l'escalier et que l'autre a volé au-dessus de l'escalier. On ne se trouve donc pas dans la situation où les grenades auraient été jetées de façon maîtrisée, de sorte à n'atteindre que le sol ou les jambes. Par conséquent, en retenant que la grenade qui a blessé l'intimé a été utilisée en violation des consignes de sécurité, les premiers juges ne sont pas tombés dans l'arbitraire. Ils pouvaient dès lors de manière tout aussi soutenable inférer de cet usage inapproprié de la force publique l'existence d'un acte illicite. Le fait que, par chance, le photographe n'ait été atteint que dans les jambes, ne change rien au caractère non arbitraire de leur appréciation. 
 
4.2 Les arguments avancés par le recourant pour contester l'illicéité ne peuvent être suivis. 
4.2.1 En substance, il soutient que, puisque l'intimé n'a été atteint que dans les jambes, il ne saurait y avoir acte illicite, car même si les forces de l'ordre s'étaient conformées aux prescriptions de sécurité, le dommage se serait tout de même produit. 
 
Par ce raisonnement, le recourant entend se prévaloir d'un comportement de substitution licite. Cette figure juridique, fût-elle applicable lorsque l'illicéité consiste en une action et non en une omission (cf. à ce sujet arrêt 2C_860/2008 du 20 novembre 2009 consid. 5.2), suppose toutefois que, concrètement, un dommage serait aussi survenu si son auteur s'était comporté de manière conforme au droit (ANTON SCHNYDER, Commentaire bâlois, CO I, 4ème éd. Bâle 2007, n. 29a ad art. 41). Sur ce point, le recourant perd toutefois de vue que, si la police s'était conformée aux prescriptions de sécurité, elle n'aurait tout simplement pas dû faire usage de grenades à l'encontre de l'intimé. En effet, elle ne pouvait ni tirer en rase-motte puisque l'intimé était au haut de l'escalier, ni viser les jambes compte tenu de la distance qui l'empêchait de viser. Partant, la Cour de justice pouvait sans arbitraire retenir qu'un usage correct de la force publique - soit conforme aux prescriptions de sécurité - n'aurait causé aucune blessure à l'intimé. 
4.2.2 Dès lors qu'il a été établi que la grenade détonante ayant blessé le photographe n'avait pas été utilisée conformément aux prescriptions de sécurité, on ne voit pas davantage que l'on puisse reprocher à la Cour cantonale d'avoir violé l'art. 8 CC en n'imposant pas à l'intimé de prouver un emploi inapproprié des grenades. En effet, dès qu'un élément est tenu pour établi, la question du fardeau de la preuve ne se pose plus (cf. ATF 4A_16/2011 du 18 mars 2011 consid. 4.3). Le grief est donc dénué de fondement. 
 
5. 
S'agissant de la faute, le recourant considère que les règles d'utilisation des grenades visaient à éviter les blessures ailleurs que dans les jambes. L'intimé ayant été blessé au mollet, aucune faute ne serait imputable aux forces de l'ordre. 
 
5.1 L'art. 2 al. 1 LREC exige que l'acte ait été commis soit intentionnellement soit par négligence par le fonctionnaire. La notion de négligence, qui découle de l'art. 41 CO applicable à titre de droit cantonal supplétif (art. 6 LREC), est réalisée lorsque le responsable manque à la diligence dont aurait fait preuve une personne de la catégorie à laquelle il appartient (FRANZ WERRO, Commentaire romand, CO I, n. 85 ad art. 41 CO). En l'occurrence, les grenades détonantes tirées en direction de l'intimé ont été utilisées en violation des règles de sécurité par les forces de l'ordre formées à l'emploi de ces engins. En pareilles circonstances, on peut sans arbitraire retenir que le lancer de la grenade ayant blessé le photographe procède d'une intervention négligente de la police. 
 
5.2 Le recourant exclut une négligence, en reprenant la position déjà développée en relation avec l'illicéité, selon laquelle de toute façon une grenade lancée normalement, soit dans les jambes ou en rase-motte aurait provoqué la même blessure. Comme il l'a déjà été relevé (cf. supra consid. 4.1 et 4.2.2), cette prémisse est erronée, car si les règles de sécurité avaient été suivies, aucune grenade n'aurait pu être lancée en direction de l'intimé et aucune blessure ne lui aurait été causée. Le grief tiré de la nature de la blessure n'est donc pas pertinent. 
 
6. 
Reste à examiner le lien de causalité adéquate, étant rappelé que le lien de causalité naturelle est admis (cf. supra consid. 3.2). 
 
6.1 La causalité adéquate suppose que le fait en cause soit propre, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 129 II 312 consid. 3.3 p. 318; 129 V 402 consid. 2.2 p. 405). Savoir s'il existe un rapport de causalité adéquate est une question de droit (ATF 123 III 110 consid. 2 p. 111 et les références) que le Tribunal fédéral n'examine que sous l'angle de l'arbitraire s'agissant de l'application du droit cantonal. 
 
En l'espèce, il est reproché à la police d'avoir lancé des grenades détonantes en hauteur alors qu'elle se trouvait à une distance de l'escalier l'empêchant de viser l'intimé situé en haut des marches, contrairement aux prescriptions de sécurité. Admettre, à l'instar de la Cour cantonale, que l'utilisation des grenades détonantes dans de telles circonstances est un fait qui, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie, est propre à blesser les personnes que l'on cherche à disperser ne saurait apparaître comme arbitraire. 
 
6.2 Pour contester le lien de causalité adéquate, le recourant invoque le but protecteur de la norme, qui, selon lui, ne serait pas d'éviter des blessures au niveau des jambes. Se fondant sur un ATF 94 IV 26, il estime en substance que dans un tel cas la violation des prescriptions de sécurité ne peut constituer une cause juridiquement pertinente. 
 
Un tel raisonnement ne peut être suivi. Contrairement à ce que considère le recourant, le but premier des prescriptions d'utilisation des grenades détonantes est d'éviter toute blessure, quel que soit l'endroit du corps où elle se produit. Admettre que l'objectif des règles d'utilisation n'est pas de prévenir des blessures aux jambes serait d'ailleurs en contradiction avec les constatations cantonales, selon lesquelles "la grenade détonante n'a pas été conçue à des fins de destruction, mais comme moyen technique de diversion ou de dispersion; les grenades ne sont pas destinées (...) à être tirées sur une personne." Ce n'est ainsi qu'à titre subsidiaire, pour le cas où un contact corporel surviendrait, que les prescriptions de sécurité cherchent à en minimiser la gravité en précisant que les forces de l'ordre doivent viser les jambes. 
 
Quant à l'ATF 94 IV 23 cité par le recourant, il traite d'un cas dans lequel le Tribunal fédéral a refusé de faire un lien entre une vitesse excessive plusieurs kilomètres avant l'endroit de l'accident et la survenance de celui-ci, qui aurait été impossible si l'automobiliste avait roulé normalement (cf. arrêt précité consid. 2 p. 26). Dans cette jurisprudence toutefois, le lien de causalité adéquate entre la vitesse excessive et l'accident a été niée, au motif que le respect des limitations de vitesse n'avait pas pour but de modifier le déroulement des événements et la présence d'un véhicule en un lieu et à un moment donnés; en revanche, un excès de vitesse sur les lieux de l'accident est de nature à en augmenter la gravité et est dans un rapport de causalité adéquate (cf. précisions apportés in arrêt 4C_203/1997 du 26 janvier 1998 consid. 4b). Le parallèle avec l'ATF 94 IV 23 n'est donc pas pertinent, puisque le but des prescriptions d'utilisation des grenades détonantes vise précisément à éviter toute blessure et, subsidiairement, à en minimiser la gravité. 
 
6.3 Dans un dernier grief, le recourant soutient que si, par impossible, le Tribunal fédéral devait confirmer l'existence d'un lien de causalité adéquate, ce lien aurait été interrompu en raison du comportement de l'intimé. 
 
La causalité adéquate est exclue - on parle alors d'une interruption du rapport de causalité - si une autre cause, qu'il s'agisse d'une force naturelle ou du comportement d'une autre personne, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre; l'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement en discussion (ATF 133 V 14 consid. 10.2 p. 23; 130 III 182 consid. 5.4 p. 188; 127 III 453 consid. 5d p. 457). 
En l'espèce, la Cour cantonale a admis qu'en restant sur place jusqu'à l'extrême limite, l'intimé s'était exposé délibérément à un danger concret sans prendre les mesures de protection propres à y parer, acceptant ainsi de prendre un risque qui lui est imputable. Les juges ont cependant estimé que l'importance de ce risque accepté n'était pas telle qu'elle ferait apparaître comme mineure la violation des prescriptions de sécurité commise par la police, si bien que le rapport de causalité adéquate n'était pas rompu. 
 
Le recourant qualifie cette conclusion d'arbitraire. Comme toute démonstration, il se contente toutefois d'une argumentation appellatoire, opposant sa propre appréciation du comportement de l'intimé à celle ressortant de l'arrêt attaqué, ce qui n'est pas suffisant (ATF 135 II 313 consid. 5.2.2 p. 322). Au demeurant, rien dans les faits retenus permet d'inférer que la position de la Cour cantonale, refusant d'aller jusqu'à admettre l'existence d'une circonstance exceptionnelle justifiant la rupture du lien de causalité adéquate, serait arbitraire. 
 
7. 
Quant à la réduction des dommages-intérêts de moitié en raison de la faute concomitante du lésé prononcée par la Cour cantonale, le recourant ne formule aucun grief à cet égard. La question n'a pas à être revue d'office, l'art. 44 al. 1 CO s'appliquant à titre de droit cantonal supplétif (cf. art. 6 LREC). 
 
Par conséquent, le recours doit être rejeté et l'arrêt attaqué confirmé. 
 
8. 
Compte tenu de l'issue du litige, les frais seront mis à la charge du recourant, dont l'intérêt patrimonial est en cause (art. 66 al. 1 et 4 LTF). Il versera des dépens à l'intimé (art. 68 al. 1 LTF), ce qui rend sans objet la demande d'assistance judiciaire formée par ce dernier. 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce: 
 
1. 
Le recours est rejeté. 
 
2. 
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de l'Etat de Genève. 
 
3. 
L'Etat de Genève versera à l'intimé une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens. 
 
4. 
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile. 
 
Lausanne, le 7 juillet 2011 
Au nom de la IIe Cour de droit public 
du Tribunal fédéral suisse 
Le Président: Le Greffier: 
 
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