Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_278/2025
Arrêt du 7 octobre 2025
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mmes les Juges fédéraux Abrecht, Président,
van de Graaf, Koc h, Kölz et Hofmann,
Greffier: M. Hösli.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Kathrin Gruber, avocate,
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton du Jura,
Le Château, 2900 Porrentruy,
intimé,
Service juridique, Exécution des peines et mesures,
rue du 24-Septembre 2, 2800 Delémont.
Objet
Exécution d'une mesure thérapeutique institutionnelle,
recours contre l'arrêt de la Cour administrative du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura du 24 février 2025 (ADM 158/2024 + AJ 159/2024).
Faits :
A.
Par jugement du 13 mars 2018, A.________ (ci-après: le condamné) a été condamné à une peine privative de liberté de quatre mois ainsi qu'à une mesure thérapeutique institutionnelle de traitement des troubles mentaux pour voies de fait à réitérées reprises, lésions corporelles simples, tentative de lésions corporelles simples, violation de domicile, injure et menaces. L'exécution de sa peine a été suspendue au profit de celle de la mesure. Celle-ci a été prolongée pour une durée de trois ans par ordonnance rendue le 14 septembre 2022 par le Tribunal de première instance de la République et canton du Jura.
Après un début d'exécution de ladite mesure au sein de l'établissement médico-social géré par B.________ SARL à U.________, le condamné a été transféré au Foyer C.________ à V.________ en raison de son comportement inadéquat envers les éducateurs de l'institution précédente. Ensuite de multiples transgressions au cadre imposé au sein du Foyer C.________, y compris des menaces contre le personnel, il a été déplacé à la prison de Porrentruy, où il a continué à bénéficier d'un suivi régulier par un psychiatre et des infirmiers en psychiatrie. Il a ensuite été transféré à l'Établissement d'exécution des peines de Bellevue sis à W.________.
En mai 2024, un plan d'exécution de la sanction en deux étapes a été élaboré par les autorités d'exécution. La première phase consistait en la poursuite de l'exécution de la mesure thérapeutique institutionnelle dans un cadre fermé et la seconde en un éventuel transfert en milieu carcéral ouvert sous réserve d'un préavis positif de l'Établissement d'exécution des peines de Bellevue et du Service de médecine et de psychiatrie pénitentiaire. Le 10 juin 2024, les différents intervenants dans l'exécution de la mesure du condamné ont préavisé positivement le transfert de ce dernier en milieu carcéral ouvert compte tenu de l'évolution favorable de son cas.
B.
Par décision du 31 juillet 2024, confirmée sur opposition le 13 septembre 2024, le Service juridique, Exécution des peines et mesures, du canton du Jura (ci-après: le Service d'exécution) a ordonné le transfert du condamné à la Colonie ouverte des Établissements de la plaine de l'Orbe (ci-après: la Colonie ouverte).
Par arrêt du 24 février 2025, la Cour administrative du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura (ci-après: la Cour administrative) a rejeté le recours formé par le condamné contre cette décision sur opposition.
C.
Par acte du 27 mars 2025, A.________ interjette un recours contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens qu'il soit immédiatement placé dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d'exécution des mesures, subsidiairement que la mesure thérapeutique institutionnelle le visant soit levée et remplacée par un traitement ambulatoire. Il sollicite en outre l'octroi de l'assistance judiciaire.
Invités à se déterminer, la Cour administrative et le Service d'exécution ont conclu au rejet du recours. Le recourant a répliqué par acte du 7 mai 2025.
Considérant en droit :
1.
Aux termes de l'art. 78 al. 2 let. b LTF, sont notamment sujettes au recours en matière pénale les décisions sur l'exécution des peines et des mesures rendues par une autorité cantonale de dernière instance (cf. art. 80 al. 1 LTF) et constituant une décision finale (cf. art. 90 LTF), comme l'est en l'occurrence l'arrêt de la Cour administrative.
Le recourant, qui a pris part à la procédure devant l'autorité précédente, s'oppose à une décision d'exécution ordonnant son transfert à la Colonie ouverte en avançant qu'il ne s'agirait pas d'un établissement approprié pour l'exécution de la mesure thérapeutique institutionnelle des troubles mentaux à laquelle il a été condamné. Il dispose donc de la qualité pour recourir (cf. art. 81 al. 1 let. a et b LTF ).
Le recours a de surcroît été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes légales prescrites (cf. art. 42 LTF). En conséquence, il y a lieu d'entrer en matière.
2.
2.1. Le recourant soutient en substance que son placement à la Colonie ouverte ne serait pas compatible avec l'art. 59 al. 2 CP. La Colonie ouverte ne respecterait en effet pas les exigences légales en matière d'établissement approprié à l'exécution d'une mesure thérapeutique institutionnelle de traitement des troubles mentaux.
2.2.
2.2.1. Selon l'art. 59 al. 2 CP, un traitement institutionnel des troubles mentaux s'effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d'exécution des mesures. Selon l'art. 58 al. 2 CP, les lieux d'exécution des mesures thérapeutiques visés aux art. 59 à 61 CP doivent être séparés des lieux d'exécution des peines. L'établissement spécialisé d'exécution des mesures doit être dirigé ou surveillé par un médecin; il faut en outre qu'il dispose des installations nécessaires ainsi que d'un personnel disposant d'une formation appropriée et placé sous surveillance médicale (arrêts 6B_1322/2021 du 11 mars 2022 consid. 2.2; 6B_1483/2020 du 15 septembre 2021 consid. 5.1; 6B_445/2013 du 14 janvier 2014 consid. 4.4.1).
2.2.2. Selon l'art. 59 al. 3 CP, tant qu'il y a lieu de craindre que l'auteur s'enfuie ou commette de nouvelles infractions, une mesure thérapeutique institutionnelle de traitement des troubles mentaux s'effectue dans un établissement fermé ou dans un établissement pénitentiaire fermé, respectivement dans la section fermée d'un établissement pénitentiaire ouvert, dans la mesure où le traitement thérapeutique nécessaire est assuré par du personnel qualifié. Cette disposition constitue une norme spéciale vis-à-vis de l'art. 58 al. 2 CP (arrêts 7B_1284/2024 du 13 février 2025 consid. 3.2.2; 7B_883/2023 du 4 mars 2024 consid. 3.4; 6B_360/2023 du 15 mai 2023 consid. 3.3). L'art. 59 al. 3 CP subordonne le traitement dans un établissement fermé à un risque de fuite ou de récidive. Selon la jurisprudence, ce risque de récidive doit être qualifié en ce sens qu'il doit être hautement probable que le condamné commette d'autres infractions contre des biens juridiques essentiels; en outre, la prévention de ce risque doit nécessiter un placement dans un établissement fermé (arrêts 7B_883/2023 précité consid. 2.2.3; 6B_360/2023 précité consid. 2.1; 6B_1069/2021 du 12 novembre 2021 consid. 1.1).
2.2.3. Dans plusieurs arrêts récents, le Tribunal fédéral a mentionné qu'une mesure thérapeutique institutionnelle pouvait également être exécutée dans un établissement pénitentiaire si le traitement était assuré par du personnel qualifié (cf. arrêts 7B_883/2023 précité consid. 2.2.3; 6B_360/2023 précité consid. 3.1; 6B_925/2022/6B_1142/2022 du 29 mars 2023 consid. 5.1.2). Cela étant, il appert à la lecture de ces arrêts et des références citées par ceux-ci que cette formulation se rapportait à un placement en milieu
fermé au sens de l'art. 59 al. 3 CP et qu'il était fait référence à la jurisprudence relative à ce régime d'exécution. Sous réserve de cette règle spéciale (et de la détention de sûreté temporaire en attente de place dans une institution adaptée [cf. art. 440 CPP; voir également ATF 148 I 116 consid. 2.3; 142 IV 105 consid. 5.8.1]), l'art. 58 al. 2 CP impose la séparation des lieux d'exécution des mesures thérapeutiques et des lieux d'exécution des peines (ATF 148 I 116 consid. 2.3; 142 IV 105 consid. 5.8.1; arrêt 6B_1322/2021 précité consid. 2.4).
2.2.4. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative à l'art. 5 par. 1 CEDH, la détention d'une personne souffrant de troubles mentaux n'est régulière que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié (arrêts de la CourEDH
Rooman c. Belgique [Grande chambre] du 31 janvier 2019 [requête n° 18052/11] § 208s.;
Kadusic c. Suisse du 9 janvier 2018 § 45 [requête n° 43977/13]; arrêt 7B_1071/2024 du 20 novembre 2024 consid. 2.2.2). Il est néanmoins possible qu'une institution a priori inappropriée, telle qu'une structure pénitentiaire, s'avère satisfaisante si elle fournit des soins adéquats, l'administration d'un traitement adapté et individualisé faisant partie intégrante de la notion d'établissement approprié (arrêts de la CourEDH
Rooman c. Belgique [Grande chambre] précité § 210;
Mehenni (Adda) contre Suisse du 9 avril 2024 [requête n° 40516/19] § 28; arrêt 7B_1071/2024 précité consid. 2.2.2). Le seul fait que l'intéressé ne soit pas immédiatement intégré dans un établissement approprié n'a en outre pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l'art. 5 par. 1 CEDH; même si un poids particulier doit être accordé au droit à la liberté, un équilibre raisonnable doit être ménagé entre les intérêts opposés en cause et la Cour européenne des droits de l'homme prend partant en compte les efforts déployés par les autorités internes en vue de trouver un établissement adapté pour évaluer la régularité du maintien en détention dans l'intervalle (arrêts de la CourEDH
Papillo c. Suisse du 27 janvier 2015 [requête n° 43368/08] § 43;
Claes c. Belgique du 13 janvier 2013 [requête n° 43418/09] § 115; arrêt 7B_1284/2024 précité consid. 3.1.4).
2.3. Dans son arrêt, la Cour administrative s'est fondée sur la jurisprudence fédérale, et en particulier sur l'arrêt 6B_481/2022 du 29 novembre 2022 (consid. 3.2.2), pour retenir que la Colonie ouverte respectait les exigences prescrites par l'art. 59 al. 3 CP. Bien que le risque de récidive du recourant eût été très élevé en juin 2023, l'évolution favorable intervenue dans l'intervalle justifiait de le placer dans un établissement pénitentiaire présentant une certaine ouverture tout en permettant de juguler le risque de récidive. Dans cette perspective, un placement au sein de la Colonie ouverte apparaissait adéquat.
2.4.
2.4.1. Selon l'art. 4 let. k du Concordat sur l'exécution des peines privatives de liberté et des mesures concernant les adultes et les jeunes adultes dans les cantons latins (Concordat latin sur la détention pénale des adultes; C-EPMCL; RS/JU 349.1), auquel la République et Canton du Jura a adhéré, la Conférence latine des autorités cantonales compétentes en matière d'exécution des peines et des mesures arrête dans un règlement la liste des établissements destinés à l'exécution des peines et des mesures relevant dudit concordat. Selon l'Annexe au Règlement du 29 octobre 2010 concernant la liste des établissements pour l'exécution des privations de liberté à caractère pénal (détention avant jugement, peines et mesures, respectivement sanctions pénales en force ou subies à titre anticipé) (RS/JU 349.12; disponible sous <https://www.cldjp.ch/actes-des-conferences/concordat-adultes/>, consulté le 1er septembre 2025), l'établissement "La Colonie: section ouverte" a pour fonction l'exécution d'une sanction pénale dans la section ouverte d'un établissement fermé (basse sécurité). Dans son arrêt, la Cour administrative a d'ailleurs également retenu que la Colonie ouverte constituait un secteur ouvert d'un établissement pénitentiaire. Cet établissement d'exécution des sanctions ne constitue donc pas un établissement fermé ou une section fermée d'un établissement ouvert au sens de l'art. 76 al. 2 CP. Il ne constitue pas non plus un lieu dédié à l'exécution des mesures thérapeutiques institutionnelles (cf. art. 59 al. 2 CP). Il s'agit d'un établissement ouvert consacré à l'exécution des peines privatives de liberté, au sens de l'art. 76 al. 1 CP.
2.4.2. Comme le souligne à raison le recourant, un tel établissement ne respecte pas l'exigence de séparation des lieux d'exécution des mesures thérapeutiques et des lieux d'exécution des peines prévue à l'art. 58 al. 2 CP. Il ne remplit par nature pas non plus les conditions prévues par la règle spéciale de l'art. 59 al. 3 CP puisque cette dernière suppose qu'un placement en milieu fermé soit nécessaire afin de prévenir un risque de fuite ou de commission de nouvelles infractions. Le cas d'espèce ne porte par ailleurs pas sur une détention de sûreté dans l'attente d'une place dans un établissement approprié, de sorte que cette possibilité doit être également écartée. Il s'ensuit que le régime appliqué au recourant par le Service d'exécution, soit le placement dans un établissement d'exécution des peines ouvert à des fins d'exécution d'une mesure thérapeutique de traitement des troubles mentaux, n'a pas de base légale.
Sur ce point, l'autorité précédente se méprend sur la portée de l'arrêt 6B_481/2022 du 29 novembre 2022. Comme cela ressort du considérant 3.3.2 dudit arrêt, le grief du recourant avait été déclaré irrecevable principalement pour défaut de motivation, le Tribunal fédéral ayant indiqué ne pas voir en quoi les modalités de la détention du recourant au sein de la Colonie ouverte ne satisfaisaient pas aux exigences de l'art. 59 al. 3 CP, faute de toute indication précise par ce dernier quant aux conditions qui auraient fait défaut, respectivement quant à d'éventuelles lacunes dans sa prise en charge. On ne saurait ainsi y voir une quelconque intention de consacrer un régime
extra legem d'exécution des mesures thérapeutiques institutionnelles en milieu d'exécution des peines ouvert. La question de savoir si la division stricte prévue par l'art. 58 al. 2 CP est pertinente au regard de l'efficacité globale de ces mesures, des moyens financiers et personnels disponibles et des autres intérêts en jeu relève en effet d'un arbitrage de politique pénale générale, qui doit être effectué par le législateur.
2.4.3. En sus de ce qui précède, il faut relever que la motivation de l'autorité précédente est quelque peu équivoque quant à la base légale sur laquelle elle entendait fonder le placement du recourant au sein de la Colonie ouverte. En effet, au considérant 3.4.2 de son arrêt, elle semble considérer qu'il existait un risque de récidive "très élevé" au mois de juin 2023, lequel justifiait un traitement en milieu fermé au sens de l'art. 59 al. 3 CP, avant d'affirmer qu'au vu de l'évolution favorable du recourant sur le plan tant médical que pénal, un placement en milieu ouvert suffisait à juguler ce risque de récidive, de sorte que la décision de placer le recourant à la Colonie ouverte n'était pas contraire à l'art. 59 al. 3 CP. Ces considérations ne permettent pas de comprendre si, d'après l'analyse de la Cour administrative, il est toujours hautement probable que le condamné commette d'autres infractions contre des biens juridiques essentiels comme l'exige la jurisprudence fédérale. Or, si tant est que l'autorité précédente ait entendu fonder le placement du recourant au sein de la Colonie ouverte sur l'art. 59 al. 3 CP, elle devait procéder à une analyse motivée de l'importance de ce risque de récidive dans sa motivation (cf. en ce sens, en lien avec l'octroi du sursis: ATF 134 IV 1 consid. 4.2.1; 128 IV 193 consid. 3a). Il s'agit en effet d'une question juridique (cf. arrêts 7B_428/2025 du 19 juin 2025 consid. 2.3; 6B_632/2024 du 4 avril 2025 consid. 4.2). Partant, même s'il avait été possible de fonder un placement en milieu pénitentiaire ouvert sur l'art. 59 al. 3 CP, la motivation de l'autorité précédente ne serait sur ce point pas suffisante.
2.4.4. Il s'ensuit que c'est de manière contraire à la réglementation légale que la Cour administrative a placé le recourant à la Colonie ouverte à des fins d'exécution de sa mesure thérapeutique de traitement des troubles mentaux. Le grief se révèle bien fondé.
3.
En conclusion le recours doit être admis et l'arrêt de la Cour administrative du 24 février 2025 annulé. La cause doit lui être renvoyée afin qu'elle examine si les conditions pour un placement exceptionnel en milieu fermé sont remplies - auquel cas seul un établissement fermé ou la section fermée d'un établissement ouvert entreraient en ligne de compte - et, si tel n'est pas le cas, qu'elle procède au placement du recourant dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d'exécution des mesures. La Cour administrative statuera en outre à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale.
Le recourant, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un mandataire professionnel, a droit à une indemnité de dépens à la charge du canton du Jura (cf. art. 68 al. 1 LTF). Celle-ci sera versée directement à son avocate conformément à la pratique en cas de requête d'assistance judiciaire, en application par analogie de l'art. 64 al. 2 LTF (cf. arrêts 7B_381/2025 du 26 mai 2025 consid. 5; 6F_5/2022 du 2 mars 2022 consid. 6). Il n'y a pas lieu de percevoir de frais judiciaires (cf. art. 66 al. 4 LTF). La requête d'assistance judiciaire doit dès lors être déclarée sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour administrative du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura pour qu'elle procède au sens des considérants.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité de dépens, fixée à 2'000 fr., est allouée à l'avocate du recourant à la charge du canton du Jura.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Service juridique, Exécution des peines et mesures, et à la Cour administrative du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura.
Lausanne, le 7 octobre 2025
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
Le Greffier : Hösli