Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
6B_43/2023
Arrêt du 8 janvier 2024
Ire Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux
Denys, Juge présidant,
Muschietti et van de Graaf.
Greffier : M. Barraz.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Philippe Currat, avocat,
recourante,
contre
Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD,
intimé.
Objet
Entrave aux services d'intérêt général; empêchement d'accomplir un acte officiel; violation simple des règles
de la circulation; contravention à la LContr; liberté de réunion et d'association,
recours contre le jugement de la Cour
d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois
du 29 août 2022 (n° 216 PE19.019761/LCB).
Faits :
A.
Par jugement du 22 décembre 2021, le Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne a reconnu A.________ coupable d'entrave aux services d'intérêt général, d'empêchement d'accomplir un acte officiel, de violation simple des règles de la circulation routière et de contravention à la loi vaudoise du 19 mai 2009 sur les contraventions (RSVD 312.11; LContr). Il l'a condamnée à une peine pécuniaire de
30 jours-amende à 30 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans, ainsi qu'à une amende de 600 fr., la peine privative de liberté de substitution en cas de non-paiement fautif étant fixée à six jours.
B.
Par jugement du 29 août 2022, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a très partiellement admis l'appel de A.________ en abaissant le montant de son amende à 400 fr. et en fixant la peine privative de liberté de substitution en cas de non-paiement fautif à quatre jours.
Elle a statué sur la base des faits suivants:
B.a. Née en 1991, A.________ est doctorante et donne des cours, activité pour laquelle elle perçoit des revenus très modestes. En recherche d'un emploi dans des domaines qui correspondent à ses préoccupations écologiques, elle vit sur ses économies. L'extrait de son casier judiciaire ne comporte aucune inscription.
B.b.
B.b.a. À Lausanne, pont Bessières, le 20 septembre 2019, entre 11h25 et 19h55, sans avoir obtenu d'autorisation préalable pour se réunir en ce lieu, plusieurs manifestants, au nombre desquels figurait A.________, se sont assis sur la route afin de bloquer la circulation sur cet axe et ont déposé des objets sur la chaussée. Ils ont alors scandé des slogans. Le trafic des véhicules, notamment des véhicules d'urgence et des bus de la ligne n° 16, a dû être dévié sur d'autres artères attenantes. Les forces de l'ordre ont, dans un premier temps, demandé aux manifestants de quitter les lieux de leur propre chef. Cette requête ayant été ignorée, les agents de police ont dû évacuer par la force les manifestants un par un, y compris la précitée. Ils leur ont opposé une résistance physique en s'agrippant les uns aux autres ou à des objets mobiliers.
B.b.b. Selon le rapport du 5 octobre 2019, la police a été renseignée, notamment au travers des médias, qu'Extinction Rebellion (ci-après: XR) avait l'intention de mener, le 20 septembre 2019, une action de blocage non autorisée sur un des ponts lausannois sur plusieurs heures, y compris la nuit suivante, et de mener diverses activités.
Vers 11h25, la police a constaté que des membres du collectif XR tentaient de se mettre en place afin de bloquer le pont Bessières, selon le modus suivant: deux véhicules avec remorques, circulant de front, se sont arrêtés au milieu de l'édifice puis se sont délestés de leurs remorques, obstruant ainsi la circulation. Par la suite, leurs conducteurs ont prestement quitté les lieux avec lesdits véhicules, non sans avoir préalablement dissimulé les plaques des roulottes. Simultanément, plusieurs dizaines de manifestants se sont déployés et ont enlevé leur survêtement pour afficher leur appartenance à XR. Certains d'entre eux étaient chargés de prendre le matériel se trouvant dans l'une des remorques et se sont positionnés, en sit-in, sur les axes d'entrée et de sortie de l'édifice. D'autres ont saisi du matériel pour construire une scène sur la route. Dès cet instant, ce blocage a créé un report de circulation conséquent sur les artères attenantes, la sortie de quelques véhicules bloqués sur le pont ayant toutefois été préalablement facilitée par les manifestants. Après cinq à dix minutes, près de deux-cent cinquante personnes étaient présentes sur l'édifice. Le dispositif de maintien de l'ordre s'est alors déployé et tous les axes d'approche ont été tenus. Parallèlement, une déviation du trafic a été créée, isolant le pont Bessières du reste de la ville.
Après les premières injonctions, un délai a été laissé aux manifestants pour quitter librement l'édifice. Une fois ce délai échu, le dispositif s'est déplacé de chaque côté du pont pour en verrouiller les accès. S'en est suivie une première négociation destinée à libérer une des voies de circulation afin de garantir un libre passage aux services d'urgence, sans toutefois que les manifestants n'accèdent à cette demande. Il a alors été décidé d'évacuer prioritairement les différentes remorques, ces obstacles pouvant gêner fortement l'action des secours. Face à la police, une chaîne humaine, constituée de plusieurs dizaines de personnes, a verrouillé l'accès. Son évacuation a duré environ
30 minutes. La résistance physique des activistes a demandé aux policiers passablement d'efforts pour les repousser au-delà de la première portion de terrain regagnée et ainsi libérer les remorques. À ce stade, aucune identification et/ou interpellation n'a été entreprise.
La police a ensuite procédé à la réduction des multiples sit-in et tortues, lesquels se formaient tout au long de la progression de reprise du pont. On entend par "tortue", une action de sit-in effectuée par six à dix manifestants, en rond compact et tous enchevêtrés les uns aux autres avec leurs bras et leurs jambes. Cette manière de faire est destinée à complexifier les manoeuvres d'évacuation, la police devant procéder à une contrainte mesurée et proportionnée sur plusieurs personnes simultanément afin de les faire lâcher prise. Lors de la reprise du terrain, la police a extrait et identifié 104 personnes, dont A.________ (n° xx), laquelle reconnaît avoir participé à la manifestation, ne pas avoir obtempéré aux sommations d'évacuation de la police et avoir pratiqué le sit-in. Il est précisé qu'avant chaque extraction, les personnes concernées étaient informées des sanctions encourues, qu'elles faisaient le mort et qu'elles devaient dès lors être portées jusqu'à la zone d'identification, cette action ayant ainsi été répétée cent quatre fois. À 19h55, le pont a été entièrement évacué et rapidement rendu à la circulation.
B.c.
B.c.a. À Lausanne, à l'avenue de Rhodanie, le 27 septembre 2019, entre 11h50 et 16h15, sans avoir obtenu d'autorisation préalable pour se réunir en ce lieu, plusieurs manifestants, au nombre desquels figurait A.________, se sont assis sur la route afin de bloquer la circulation. Le trafic des véhicules, notamment des véhicules d'urgence et des bus de la ligne n° 2, a dû être dévié sur d'autres artères attenantes. Les forces de l'ordre ont, dans un premier temps, demandé aux manifestants de quitter les lieux de leur propre chef. Cette requête ayant été ignorée, les agents de police ont dû évacuer par la force les manifestants un par un, y compris la précitée. Ils leur ont opposé une résistance physique en s'agrippant les uns aux autres.
B.c.b. Selon le rapport du 7 octobre 2019, le groupe "Climat Strike" a organisé le 27 septembre 2019 une grève du climat autorisée par la ville de Lausanne, réunissant près de 3'500 personnes. Le lieu de rendez-vous était la place de la Gare, à 10h30, suivi d'un cortège dont l'itinéraire annoncé et autorisé était le suivant: place de la Gare - avenue Fraisse - avenue de la Harpe - place de la Navigation - avenue de Rhodanie - avenue Dalcroze - bord du lac - esplanade des Cantons. Des renseignements sont toutefois parvenus aux services de la police selon lesquels des actions illégales ou de désobéissance civile pourraient avoir lieu, raison pour laquelle un dispositif conséquent a été mis en oeuvre avec une structure de conduite. Le matin même, un certain nombre de radios annonçait un blocage de XR sur les trois principaux ponts lausannois, simultanément ou non au cortège autorisé. Procédant à une pesée d'intérêts entre les risques et l'attitude pacifiste revendiquée par les manifestants, la police a privilégié l'apaisement. Tous les policiers engagés étaient vêtus de leur seul uniforme de service habituel en lieu et place de leur tenue antiémeute.
B.c.c. Vers 11h50, peu avant d'atteindre la destination finale du cortège, à la hauteur de l'avenue Pierre-de-Coubertin, une scission a été opérée par des militants de XR qui ont annoncé, au moyen d'un mégaphone, que les participants qui le souhaitaient pouvaient soit poursuivre selon l'itinéraire autorisé, soit participer à leur action de blocage, qui avait pour objectif le giratoire de la Maladière. Près de 500 manifestants ont répondu positivement à cet appel. La police a alors procédé à une première manoeuvre physique afin de bloquer le cortège à la hauteur des courts de tennis. Les manifestants ont forcé la chaîne de police, malgré les injonctions répétées. Des renforts supplémentaires arrivés sur place ont permis la formation d'une seconde chaîne de police à l'avenue de Rhodanie 68. Cette seconde manoeuvre a pu finalement arrêter le cortège. Quarante-huit manifestants ont alors pratiqué un sit-in et tortues. À 13h55, le Commandant de la police a rappelé, au moyen d'un mégaphone, que la manifestation était interdite et a intimé l'ordre aux manifestants de libérer la chaussée et de se disperser dans un délai de dix minutes, au terme duquel toute personne interpellée serait déférée au procureur compétent. À l'issue du délai fixé, plusieurs personnes s'étaient dispersées mais le point de blocage était toujours conséquent. Dès lors, de 14h05 à 16h15, la police a procédé à l'évacuation, par la contrainte, des quarante-huit manifestants restés assis et enchevêtrés. Une centaine de manifestants, passifs et en position debout, ont été refoulés en direction de la piscine de Bellerive. Les quarante-huit personnes interpellées sur l'avenue de Rhodanie, dont A.________ (n° yy), ont été prises en charge pour la suite de la procédure. A.________ a admis avoir participé à la manifestation du 27 septembre 2019, ne pas avoir obtempéré aux sommations de la police et avoir pratiqué le sit-in.
C.
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 29 août 2022. Au fond, sous suite de frais et dépens, elle conclut principalement à son total acquittement et, subsidiairement à ce qu'il soit renoncé à lui infliger une peine. Elle sollicite en outre l'octroi de l'assistance judiciaire.
Considérant en droit :
1.
La recourante se plaint simultanément d'une violation des art. 19 et 21 du Pacte ONU II, 10 et 11 CEDH, 16, 22 et 36 al. 3 Cst., 239 et
286 CP ainsi que 90 al. 1 LCR
cum 26 et 49 al. 1 LCR. Elle invoque également l'arrêt 6B_655/2022 du 31 août 2022 (v. en particulier consid. 4.6.2), par lequel le Tribunal fédéral a annulé une décision cantonale, dans une affaire similaire, en raison d'une motivation insuffisante.
1.1. Dans le jugement attaqué, la cour cantonale a commencé par relater les faits, soit en particulier les faits de la procédure et de la cause (consid. A à C), puis s'est penchée sur des questions procédurales, soit en particulier celles de la jonction des causes et des réquisitions de preuve (consid. 1 à 4). Après avoir constaté que la recourante ne contestait pas les faits, ce qui était en revanche le cas de B.________ et de C.________ (consid. 5), elle a fait état des dispositions légales applicables et de la jurisprudence s'agissant de la présomption d'innocence, de l'art. 239 CP, de l'art. 286 CP et de l'art. 41 RGP (consid. 5.1), sans mot dire sur l'art. 90 LCR. Elle a ensuite procédé à l'établissement définitif des faits, en réaction aux griefs soulevés par les deux précitées, en concluant qu'il n'y avait pas lieu de s'écarter des rapports de police relatifs aux manifestations et de "
confirmer le jugement de première instance s'agissant de l'implication des deux appelantes " (consid. 5.2). La cour cantonale s'est encore penchée sur les alléguées violations du droit à la liberté de réunion pacifique, jugeant qu'elles n'étaient pas avérées (consid. 6), avant de donner quelques brèves explications lui permettant de conclure que la recourante et ses coaccusés s'étaient "
rendus coupables d'entrave aux services d'intérêt général, d'empêchement d'accomplir un acte officiel, de violation simple des règles de la circulation routière et de contravention à la LContr " (jugement attaqué consid. 6.2
in fine). Elle a finalement abordé l'art. 52 CP (consid. 7), puis la fixation de la peine (consid. 8).
1.2. Les brèves explications susmentionnées au sujet de la réalisation des infractions par la recourante, à l'instar de la solution retenue dans l'arrêt 6B_655/2022 précité, ne sauraient s'apparenter à un raisonnement juridique suffisant. Pour cause, elles ne permettent pas d'expliquer en quoi les faits retenus individuellement contre celle-ci seraient constitutifs des infractions précitées.
1.3. À défaut pour le Tribunal fédéral d'être en mesure de contrôler le respect des dispositions légales appliquées ou, pour ce qui est de la violation simple des règles de la circulation, les dispositions légales sur lesquels repose la condamnation de la recourante, il convient d'annuler le jugement attaqué et de renvoyer la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision (art. 112 al. 3 LTF). Il incombera notamment à celle-ci d'exposer en quoi les faits retenus contre la recourante, à l'égard de chacune des manifestations, sont constitutifs des infractions retenues.
2.
Ce qui précède rend sans objet les griefs soulevés par la recourante. Par soucis d'économie de procédure, il est néanmoins relevé qu'à deux reprises, la cour cantonale semble libérer la recourante de l'infraction à la LContr (cf. jugement attaqué consid. 6.2 ["
La règle générale de l'art. 41 RGP qui réprime la participation à toute manifestation ne peut pas être retenue "] et consid. 8 ["
Toutefois, les peines doivent être examinées d'office, ce d'autant que les prévenus sont libérés de la contravention à l'art. 41 RGP "]). Or, si tant est qu'il ne s'agisse pas là d'un acquittement partiel, ce que le jugement attaqué ne précise pas, il est constaté que le dispositif du jugement cantonal ne fait pas état de cette libération, au contraire. Il incombera dès lors également à la cour cantonale de préciser ses intentions à ce titre.
3.
Le recours doit être admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision (cf.
supra
consid. 1.3 et 2). Au regard de la nature procédurale des vices examinés et dans la mesure où le Tribunal fédéral n'a pas traité la cause sur le fond, ne préjugeant ainsi pas de l'issue de celle-ci, il peut être procédé au renvoi sans ordonner préalablement un échange d'écritures (ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2).
La recourante, qui obtient gain de cause, peut prétendre à des dépens à la charge du canton de Vaud (art. 68 al. 1 LTF) et ne supporte pas de frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Sa demande d'assistance judiciaire devient ainsi sans objet (art. 64 al. 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis, le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Le canton de Vaud versera au conseil de la recourante une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois.
Lausanne, le 8 janvier 2024
Au nom de la Ire Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant : Denys
Le Greffier : Barraz