Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1A.94/2005 /col
Arrêt du 8 février 2006
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger et Fonjallaz.
Greffier: M. Jomini.
Parties
A.________,
B.________,
recourants,
tous deux représentés par Me Pascal Moesch, avocat,
contre
Département de la gestion du territoire de la République et canton de Neuchâtel, Château,
2001 Neuchâtel 1,
Tribunal administratif de la République et canton
de Neuchâtel, case postale 3174, 2001 Neuchâtel 1.
Objet
plan cantonal de protection des marais,
recours de droit administratif contre l'arrêt du Tribunal administratif de la République et canton de Neuchâtel,
du 14 mars 2005.
Faits:
A.
A.________ et B.________ sont propriétaires depuis le mois de mars 1995 de la parcelle n° 2423 du registre foncier, d'une contenance de 4,5 ha, sur le territoire de la commune des Ponts-de-Martel.
Le 31 mai 1995, le Département de la gestion du territoire de la République et canton de Neuchâtel (ci-après: le département cantonal) a mis à l'enquête publique le projet de plan cantonal de protection des marais, des sites marécageux et des zones alluviales d'importance nationale (ci-après: le plan de protection des marais). Ce plan fixe en particulier les limites des hauts-marais et des marais de transition d'importance nationale portés à l'inventaire fédéral des hauts-marais, établi en 1991. La base légale de cet inventaire fédéral se trouve dans l'ordonnance sur la protection des hauts-marais et des marais de transition d'importance nationale (ordonnance sur les hauts-marais; RS 451.32).
Les tourbières des Ponts-de-Martel sont portées à l'inventaire fédéral des hauts-marais (objet n° 15), sous la désignation "Vallée des Ponts-de-Martel (Bois-des-Lattes/Marais Rouges)", les différents secteurs de tourbières étant répartis sur le territoire des communes de Brot-Plamboz, Les Ponts-de-Martel et Travers. La carte de l'inventaire fédéral (à l'échelle 1:25'000) délimite, à proximité du village des Ponts-de-Martel, un ensemble de terrains formant l'objet partiel n° 15.3, aux "Marais Rouges". La parcelle n° 2423 est comprise dans ce périmètre. Cette carte distingue, pour cet objet partiel - et également sur la parcelle n° 2423 -, les secteurs de "tourbières secondaires" ("sekundäre Hochmoorflächen"), la "zone de contact" ("Hochmoorumfeld") et les secteurs de "tourbes nues exploitées" ("vegetationslose Torffelder").
Une feuille du plan cantonal de protection des marais, à l'échelle 1:5'000, figure la délimitation prévue par le département cantonal pour l'objet partiel n° 15.3 de l'inventaire fédéral des hauts-marais. La parcelle n° 2423 est intégralement incluse dans le périmètre du haut-marais. Le plan cantonal ne fait pas la distinction entre les tourbières secondaires, la zone de contact et les tourbes nues exploitées.
A.________ et B.________ ont formé opposition lors de l'enquête publique, en demandant que leur parcelle soit exclue de la zone à protéger. Ils invoquaient la nécessité d'utiliser ce terrain dans le cadre de leur entreprise équestre (carré de dressage, pâture, production de foin). Le département cantonal a rejeté cette opposition par une décision du 25 février 1997. Il a retenu, en substance, que la valeur biologique de la parcelle ne devait pas être appréciée isolément - les lieux avaient en effet subi diverses atteintes au cours des années précédentes - mais en relation avec la totalité du Marais-Rouge. Il s'est référé à ce propos à un rapport du Bureau d'études en biologie de l'environnement Ecoconseil, mandaté par le service cantonal de l'aménagement du territoire, qui décrit les différentes zones (ou cellules) du marais et formule notamment des "propositions de gestion" pour la régénération du biotope.
B.
A.________ et B.________ ont formé, contre la décision du département cantonal, un recours qui a été transmis au Tribunal administratif cantonal. Pour contester l'inclusion de leur parcelle dans le périmètre du haut-marais n° 15.3 du plan cantonal de protection des marais, ils ont invoqué le faible intérêt biologique de ce terrain, la présence de dépôts et de remblais, la proximité de terres agricoles et le caractère disproportionné de l'atteinte à leur droit de propriété, cette parcelle étant nécessaire à l'exploitation de leur centre équestre.
L'instruction de la cause a été suspendue jusqu'au 31 mars 2003. Un nouvel échange d'écritures a ensuite été ordonné et les recourants ont précisé qu'ils demandaient que deux parties de leur parcelle soient exclues du périmètre du haut-marais: une partie à l'est, en bordure de terrains agricoles non compris dans le plan (partie de la "cellule C" selon le rapport Ecoconseil, soit une bande terrain large d'environ 30 à 40 m), et une partie au nord-ouest (dans la "cellule D"), représentant au total environ 1 ha. Ils se référaient à un rapport rédigé à leur demande par la géologue et biologiste Doris Goy-Eggenberger (document d'août 1997 intitulé "étude d'impact").
Le Tribunal administratif a rejeté le recours par un arrêt rendu le 14 mars 2005. Il a retenu que le plan de protection des marais, qui est un plan d'affectation cantonal fondé sur la législation sur l'aménagement du territoire, tendait à la mise en oeuvre des normes fédérales sur la protection des marais, au niveau constitutionnel (art. 24sexies al. 5 aCst., art. 78 al. 5 Cst.) ou législatif (art. 18a et 23a de la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage [LPN; RS 451]). Il a considéré en substance que le département cantonal, chargé de fixer les limites précises des objets portés à l'inventaire fédéral, n'avait pas violé le droit fédéral en délimitant, là où se trouve la parcelle des recourants, le haut-marais constituant l'objet partiel n° 15.3.
C.
Agissant par la voie du recours de droit administratif au Tribunal fédéral, A.________ et B.________ prennent les conclusions suivantes:
"Annuler, avec ou sans renvoi, la décision du 14 mars 2005 rendue par le Tribunal administratif du canton de Neuchâtel et, statuant au fond, écarter du plan cantonal de protection une partie des cellules C et D de la parcelle n° 2423 du cadastre des Ponts-de-Martel".
Les recourants soutiennent que leur parcelle ne correspond pas, dans son ensemble, à la notion de marais d'une beauté particulière et d'importance nationale, au sens de l'art. 23a LPN en relation avec les art. 18a ss LPN. Il n'y aurait pas, s'agissant des deux portions litigieuses de cette parcelle, de liens suffisants avec le marais protégé; en outre, les possibilités de régénération du site ne seraient pas suffisantes. Les recourants se plaignent également d'une constatation manifestement inexacte ou incomplète des faits pertinents, en reprochant notamment à la juridiction cantonale d'avoir retenu, sans les discuter, les conclusions du rapport Ecoconseil et d'avoir écarté celles du rapport Goy-Eggenberger.
Le département cantonal conclut au rejet du recours.
Le Tribunal administratif propose le rejet du recours, sans produire de déterminations.
L'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (actuellement: Office fédéral de l'environnement; ci-après: l'Office fédéral) a donné un avis écrit sur le recours (art. 110 al. 2 OJ). Il parvient à la conclusion que le canton a correctement rempli son mandat de mise en oeuvre de la protection du haut-marais. Cet avis a été communiqué aux parties et les recourants se sont déterminés à ce sujet.
L'Office fédéral du développement territorial a renoncé à se prononcer.
D.
Les recourants ont requis une inspection locale.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral peut statuer sur le recours de droit administratif à l'issue de l'instruction écrite, sans qu'il y ait lieu de procéder à une inspection locale.
2.
La délimitation du haut-marais litigieux s'inscrit dans un plan d'affectation au sens de la législation sur l'aménagement du territoire. Or il résulte de l'art. 34 al. 3 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LAT; RS 700) que seule la voie du recours de droit public est en principe ouverte, devant le Tribunal fédéral, contre une décision prise en dernière instance cantonale au sujet d'un tel plan. La jurisprudence admet cependant qu'une décision relative à l'adoption d'un plan d'affectation fasse l'objet d'un recours de droit administratif lorsque l'application du droit fédéral de la protection de l'environnement ou d'autres prescriptions fédérales spéciales - en matière de protection des biotopes notamment - est en jeu (ATF 129 I 337 consid. 1.1 p. 339; 125 II 10 consid. 2a p. 13; 123 II 88 consid. 1a p. 91, 231 consid. 2 p. 234; 121 II 72 consid. 1b p. 75 et les arrêts cités). Dans le cas présent, la contestation porte exclusivement sur l'application des normes du droit fédéral sur la protection d'un type de biotopes, les hauts-marais; c'est donc à juste titre que les recourants ont choisi la voie du recours de droit administratif. Comme propriétaires du bien-fonds litigieux, ils ont un intérêt digne de protection à l'annulation de l'arrêt attaqué, et partant qualité pour recourir au sens de l'art. 103 let. a OJ. Les autres conditions de recevabilité de ce recours sont remplies (art. 97 ss OJ). Il y a donc lieu d'entrer en matière.
3.
Le droit constitutionnel fédéral prévoit la protection de deux catégories d'objets d'une beauté particulière et présentant un intérêt national: les marais, d'une part, et les sites marécageux, d'autre part (art. 78 al. 5 Cst., art. 24sexies al. 5 aCst.). Dans ses dispositions spéciales, la loi fédérale sur la protection de la nature traite séparément ces deux catégories. L'art. 23a LPN s'applique à la protection des marais - et renvoie aux art. 18a, 18c et 18d LPN -, tandis que les art. 23b ss LPN règlent celle des sites marécageux. Il n'y a pas lieu de décrire ici les différences entre marais et sites marécageux (cf. notamment Peter M. Keller, Commentaire LPN, Zurich 1997, Vorbemerkungen Art. 23a-23d, n. 5-6). En effet, la contestation porte en l'espèce uniquement sur la délimitation d'un marais, porté à l'inventaire fédéral des hauts-marais. Aussi l'argumentation des recourants relative aux critères applicables à la délimitation des sites marécageux, avec des références à la jurisprudence à ce sujet (ATF 127 II 184; 123 II 248), n'est-elle pas directement pertinente.
4.
Les recourants reprochent aux autorités cantonales d'avoir inclus l'entier de leur parcelle dans le périmètre du haut-marais n° 15.3 alors que, selon eux, une partie significative de ce terrain (deux secteurs, représentant environ 1 ha) ne pourrait pas être qualifiée de marais d'une beauté particulière et d'importance nationale, au sens de la loi fédérale.
4.1 L'art. 23a LPN (note marginale: protection des marais) dispose que les art. 18a, 18c et 18d LPN s'appliquent à la protection des marais d'une beauté particulière et d'importance nationale. L'art. 18a LPN charge le Conseil fédéral de désigner les biotopes d'importance nationale, de déterminer leur situation et de préciser les buts visés par la protection (al. 1), puis il prévoit que les cantons règlent la protection et l'entretien de ces biotopes (al. 2). Pour désigner les biotopes d'importance nationale, le Conseil fédéral établit des inventaires (art. 5 al. 1 LPN). Il a ainsi établi, notamment, un inventaire fédéral des hauts-marais et des marais de transition d'importance nationale (inventaire des hauts-marais) et adopté, le 21 janvier 1991, l'ordonnance sur les hauts-marais. Selon l'art. 1 de cette ordonnance, les objets mentionnés dans l'inventaire "satisfont en même temps à l'exigence de la beauté particulière au sens de l'art. 24sexies, al. 5, de la Constitution fédérale" (actuellement: art. 78 al. 5 Cst.). Il en découle que les hauts-marais de la Vallée des Ponts-de-Martel figurés sur la carte de l'objet n° 15 de l'inventaire fédéral - notamment l'objet partiel n° 15.3 - sont des "marais d'une beauté particulière et d'importance nationale" au sens de l'art. 23a LPN. Le Tribunal fédéral n'a pas à contrôler cet inventaire dans la présente procédure; les recourants ne le demandent du reste pas (cf. arrêt 1A.14/1999 du 7 mars 2000, consid. 2a, in DEP 2001 p. 437 ou RDAF 2000 I p. 261). Il reste donc uniquement à vérifier si les autorités cantonales ont fait un bon usage de leur pouvoir d'appréciation dans la mise en oeuvre des prescriptions du droit fédéral, en l'occurrence dans la définition des limites précises du haut-marais n° 15.3 sur le plan cantonal de protection des marais, à l'emplacement de la parcelle n° 2423.
4.2 L'ordonnance sur les hauts-marais règle, à son art. 3 al. 1, la "délimitation des objets" dans les termes suivants:
"Les cantons, après avoir pris l'avis des propriétaires fonciers et des exploitants, fixent les limites précises des objets. Ils délimitent des zones-tampon suffisantes du point de vue écologique en tenant compte, notamment, de la zone de contact ainsi que des bas-marais attenants aux objets".
Le plan de protection des marais, en l'espèce, est l'instrument choisi par le canton pour fixer les limites précises de l'objet n° 15 (qui comprend l'objet partiel n° 15.3) de l'inventaire fédéral des hauts-marais. Conformément à la norme précitée, les zones-tampon doivent se trouver à l'intérieur des limites des objets car elles en font partie. La jurisprudence a donné une définition de la notion de zone-tampon, à laquelle il a lieu de renvoyer ici (ATF 124 II 19 consid. 3a p. 22). La délimitation de ces zones-tampon n'est du reste pas une simple faculté laissée à la libre appréciation du canton, mais bien une obligation imposée par le droit fédéral (ATF 124 II 19 consid. 3b p. 24). Dans son avis sur le recours, l'Office fédéral explique que la "zone de contact" figurée sur les cartes de l'inventaire fédéral des hauts-marais a la fonction d'une zone-tampon au sens de l'art. 3 al. 1 de l'ordonnance. En imposant à l'autorité cantonale de tenir compte de la zone de contact, l'ordonnance ne dit pas que la zone-tampon doit dans tous les cas correspondre au périmètre des zones de contact de l'inventaire fédéral; la zone-tampon peut en effet être plus étendue. Néanmoins, si l'autorité cantonale, en fixant les limites précises des objets, y inclut par principe, en sus des tourbières stricto sensu, les zones de contact, on ne saurait considérer qu'elle fait a priori une mauvaise application des critères du droit fédéral.
4.3 Dans le cas particulier, il n'est pas contesté que la parcelle des recourants est intégralement comprise dans le périmètre de l'objet partiel n° 15.3 de l'inventaire fédéral des hauts-marais, et que, d'après cet inventaire, une partie du terrain est dans la zone de contact. L'autorité cantonale jouit nécessairement d'une certaine marge d'appréciation pour fixer la limite précise de l'objet protégé; mais la solution tendant à reporter le pourtour du biotope, tel qu'il figure dans l'inventaire fédéral, sur le plan cantonal à une échelle plus détaillée, avec de petites variations tenant compte d'obstacles physiques ou de données cadastrales, n'est en soi pas contraire au droit fédéral. En l'occurrence, il n'est pas critiquable de faire coïncider la limite du périmètre du haut-marais (là où il jouxte des terrains agricoles) avec la limite est de la parcelle litigieuse. Les recourants invoquent d'autres critères, liés aux qualités biologiques de leur terrain, à son utilisation effective actuelle ou passée, ou encore aux nécessités de leur entreprise. Ces critères ne sont toutefois pas déterminants, dès lors que le département cantonal s'est fondé sur des éléments objectifs et pertinents, exposés dans le rapport Ecoconseil. Même si ce rapport distingue différentes cellules à l'intérieur du haut-marais, en fonction de leurs caractéristiques biologiques, il n'en ressort pas que certains terrains devraient être exclus du régime de protection prévu en principe par l'inventaire fédéral; au contraire, les données de ce rapport justifient la mesure de planification adoptée, ce que l'Office fédéral confirme dans son avis sur le recours. Quant à l'expertise privée produite par les recourants (rapport Goy-Eggenberger), elle ne contient pas d'arguments pour conclure que l'autorité cantonale aurait mal appliqué l'art. 3 al. 1 de l'ordonnance sur les hauts-marais. Ce rapport se prononce plutôt au sujet de l'influence des éléments "artificiels" sur l'activité biologique du marais, ainsi que sur les problèmes de la régénération des tourbières à cet endroit, points qui ne sont pas déterminants pour la fixation des limites précises du biotope à protéger. C'est également à tort, vu l'objet de la contestation, que les recourants insistent sur le caractère peu homogène du marais litigieux et sur les incertitudes au sujet de la réalisation des mesures de régénération.
Il apparaît en définitive que le Tribunal administratif n'a pas constaté les faits pertinents de manière inexacte ou incomplète et qu'il était fondé à considérer que le département cantonal - qui ne disposait en réalité pas d'un grand pouvoir d'appréciation, compte tenu de la délimitation du biotope dans l'inventaire fédéral (cf. Karl Ludwig Fahrländer, Commentaire LPN [op. cit.], art. 18a,n. 38) - avait bien appliqué le droit fédéral en adoptant le plan cantonal fixant les limites du haut-marais à l'endroit litigieux.
5.
Le recours de droit administratif doit en conséquence être rejeté. Les frais de justice seront mis à la charge des recourants, qui succombent ( art. 153, 153a et 156 al. 1 OJ ). Les autorités intimées n'ont pas droit à des dépens ( art. 159 al. 1 et 2 OJ ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours de droit administratif est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge des recourants.
3.
Il n'est pas alloué de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants, au Département de la gestion du territoire et au Tribunal administratif de la République et canton de Neuchâtel ainsi qu'à l'Office fédéral du développement territorial et à l'Office fédéral de l'environnement.
Lausanne, le 8 février 2006
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: