Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
5A_1047/2021
Arrêt du 8 mars 2022
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. les Juges fédéraux Herrmann, Président,
von Werdt et Bovey.
Greffière : Mme de Poret Bortolaso.
Participants à la procédure
1. A.________,
2. E.________ SA,
tous les deux représentés par Me Sophie Haenni et Me Yannis Sakkas, avocats,
recourants,
contre
1. Société suisse de radiodiffusion et télévision, Giacomettistrasse 1, 3006 Berne,
représentée par Me Jamil Soussi, avocat,
2. B.________,
représenté par Me Nicola Meier, avocat,
intimés.
Objet
protection de la personnalité (incident, faits et moyens de preuve nouveaux),
recours contre la décision du Tribunal cantonal du Valais, Chambre civile, du 8 novembre 2021 (C3 21 36).
Faits :
A.
A.a. Le 25 novembre 2016, E.________ SA (précédemment: A.________ SA) et A.________ ont ouvert action contre la Société suisse de radiodiffusion et télévision (ci-après SSR) et B.________ devant la juge du district de Sion (ci-après: la juge de district).
Ils ont conclu notamment à ce qu'il soit constaté qu'entre décembre 2013 et janvier 2015, les défendeurs ont violé leur droit à la personnalité, subsidiairement la loi sur la concurrence déloyale, par la publication de divers articles sur le site internet de la Radio Télévision Suisse (RTS) et la diffusion d'une émission télévisée, et à ce qu'ils soient condamnés à leur verser un montant provisoirement arrêté à 15'000'000 fr. à titre de dommages-intérêts et une somme de 50'000 fr. à titre de tort moral.
Les éléments révélés au public portaient notamment sur de prétendus actes de coupage de vin excessif effectués par l'entreprise de A.________.
A.b. Le 25 novembre 2020, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt concernant une procédure pénale dirigée contre A.________ et menée par le Ministère public du canton du Valais. Cet arrêt portait sur la levée de scellés (arrêt rendu dans les causes 1B_108/2020 et 1B_110/2020).
Il en ressort notamment que la procédure concernée a été initiée en 2015 (MPG 15 1292); que des perquisitions ont été ordonnées en novembre et décembre 2017 et que les objets saisis ont rempli 50 cartons de déménagement (contenant au total 360 classeurs remplis de documents); qu'en 2019, la procédure a fait l'objet d'une disjonction, les faits antérieurs à 2010 continuant à relever de la cause MPG 15 1292, les faits postérieurs étant traités sous le numéro MPG 19 733; que, par ordonnance du 20 avril 2020, le Ministère public valaisan a ordonné le " classement de la procédure pénale concernant les faits antérieurs à 2010 (MPG 15 1292) ".
B.
B.a. Le 17 décembre 2020, la SSR a articulé douze faits nouveaux, portant sur la procédure pénale concernée par l'arrêt rendu le 25 novembre 2020 par le Tribunal fédéral.
E.________ SA et A.________ ont également allégué des faits nouveaux le 17 décembre 2020. Le 18 janvier 2021, ils ont conclu à l'irrecevabilité des
nova formulés par la SSR ainsi que des moyens de preuve proposés à leur appui.
B.b. Par décision du 23 février 2021, la juge de district a rejeté " l'incident " soulevé par les demandeurs, admettant intégralement les allégués présentés par la SSR le 17 décembre 2020 ainsi que les preuves offertes, singulièrement l'arrêt du Tribunal fédéral du 25 novembre 2020 ainsi que l'édition du dossier MPG 15 1292. Elle a précisé que, le cas échéant, elle ferait application de l'art. 180 al. 2 CPC, en invitant les parties à signaler les éléments du dossier qu'elles jugeraient pertinents; si nécessaire, elle restreindrait l'accès aux documents aux seuls avocats.
La magistrate a également admis certains des allégués des demandeurs et en a déclaré d'autres irrecevables.
B.c. A.________ et E.________ SA ont déposé recours contre cette décision le 8 mars 2021, concluant principalement à son annulation et, subsidiairement, à ce qu'elle soit complétée dans le sens que la sauvegarde d'intérêts dignes de protection au sens de l'art. 156 CPC concernant toutes les pièces de la procédure MPG 15 1292 est admise (2a); que seuls les avocats de la SSR et de B.________ sont autorisés à venir examiner l'ensemble de ces pièces (2b); qu'il est interdit à ces parties d'en lever copie, d'utiliser les documents de cette procédure autrement que pour constituer leur défense dans le cadre de la procédure au fond et d'en opérer quelque divulgation que ce soit ou toute autre forme de propagation non autorisée (2c, 2d et 2e); qu'il leur est ordonné de prendre toute les mesures nécessaires pour assurer la stricte confidentialité des informations obtenues dans la procédure pénale précitée (2f), dites injonctions étant prononcées sous la menace de la peine d'amende prévue à l'art. 292 CP (2g).
Par décision du 8 novembre 2021, la Chambre civile du Tribunal cantonal du canton du Valais a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable.
C.
Agissant le 13 décembre 2021 par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral, E.________ SA et A.________ (ci-après: les recourants) concluent à l'annulation de la décision cantonale et principalement à ce que l'accès au dossier MPG 15 1292 soit refusé à la SSR et à B.________ (ci-après: les intimés), subsidiairement au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants; à titre plus subsidiaire, ils reprennent les conclusions subsidiaires formulées devant l'autorité cantonale.
Des déterminations n'ont pas été demandées sur le fond.
D.
L'effet suspensif a été attribué au recours par ordonnance présidentielle du 11 janvier 2022.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis (notamment: ATF 147 I 89 consid. 1).
1.1. L'arrêt entrepris rejette, dans la mesure de sa recevabilité, le recours déposé contre une décision admettant l'allégation de faits et l'offre de moyens de preuve nouveaux. Il s'agit ainsi d'une ordonnance d'instruction, à savoir une décision incidente au sens de l'art. 93 LTF. Selon l'art. 93 al. 1 let. a LTF - seule hypothèse entrant ici en considération -, une décision incidente peut faire séparément l'objet d'un recours au Tribunal fédéral si elle peut causer un préjudice irréparable. Celui-ci suppose que le recourant soit exposé à un dommage de nature juridique, qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision qui lui serait favorable (ATF 142 III 798 consid. 2.2; 141 III 80 consid. 1.2; 141 IV 284 consid. 2.2); un dommage économique ou de pur fait, tel que l'accroissement des frais de la procédure ou la prolongation de celle-ci est en revanche insuffisant (ATF 142 III 798 consid. 2.2; 141 III 80 consid. 1.2). Il appartient au recourant d'établir le risque du préjudice irréparable lorsque celui-ci n'est pas d'emblée évident, en démontrant dans quelle mesure il en est concrètement menacé (ATF 142 III 798 consid. 2.2; 141 III 80 consid. 1.2; 138 III 46 consid. 1.2).
La décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause en principe pas de préjudice irréparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir que la preuve refusée à tort soit administrée ou que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (ATF 141 III 80 consid. 1.2; 134 III 188 consid. 2.3; arrêt 4A_274/2021 du 6 octobre 2021 consid. 1.2). Ce n'est que dans des cas exceptionnels qu'un préjudice irréparable peut être retenu, par exemple lorsque le moyen de preuve refusé risque de disparaître ou lorsque la sauvegarde de secrets est en jeu et que l'ordonnance d'instruction implique qu'il y soit porté atteinte (parmi plusieurs: arrêts 4A_274/2021 précité
ibid. et les références; 5A_823/2020 du 7 mai 2021 consid. 1.2.2; 5A_745/2014 du 16 mars 2015 consid. 1.2.2; 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1 et les références).
1.2. Il faut d'abord préciser que, contrairement à ce que soutiennent les recourants, le tribunal cantonal a écarté l'existence d'un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC. L'autorité cantonale est certes entrée en matière sur le recours, mais dans la seule mesure où les motifs que les recourants invoquaient à l'appui d'un tel préjudice se confondaient avec leurs arguments de fond; les juges cantonaux ont alors nié le caractère difficilement réparable du préjudice invoqué; dans une motivation subsidiaire, ils ont retenu qu'à supposer la pleine recevabilité du recours, celui-ci devait de toute manière être rejeté.
1.3. Les recourants affirment que l'édition du dossier MPG 15 1292, confirmée par l'arrêt attaqué, serait susceptible de leur causer un préjudice irréparable à plusieurs égards. L'on relèvera toutefois que leur argumentation ne paraît pas différer de celle qu'ils ont développée devant l'instance cantonale pour appuyer le caractère difficilement réparable de leur préjudice.
1.3.1. Ainsi, ils soutiennent essentiellement que le dossier MPG 15 1292 contiendrait de nombreux documents portant atteinte à différents secrets (secret des affaires et de la sphère intime; secret professionnel de l'avocat) et que l'on y trouverait également plusieurs décisions rendues en matière fiscale. Dès lors qu'antérieurement les intimés avaient rendu publiques des informations confidentielles les concernant, les recourants soulignent le risque que leurs parties adverses se servent des données sensibles figurant au dossier MPG 15 1292 afin de nuire à leur réputation et d'insinuer le sentiment de leur culpabilité au sein de l'opinion publique. Ils en déduisent une atteinte à leur personnalité et à leur présomption d'innocence, soutenant de surcroît que les principes d'égalité des armes et du procès équitable seraient alors bafoués.
Les recourants ne contestent cependant nullement la constatation de la cour cantonale, fondée sur l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_108/2020, selon laquelle les documents saisis dans le contexte de la procédure MPG 15 1292, désormais classée, devaient être restitués aux ayants droit par le tribunal des mesures de contrainte (arrêt 1B_108/2020 consid. 2.4); ils ne critiquent pas non plus la déduction décisive qu'en ont opérée les juges cantonaux, à savoir le fait que les actes de la cause MPG 15 1292 se limitaient désormais au dossier principal, à savoir le dossier concernant les faits antérieurs à 2010 mais surtout, hors résultat des perquisitions. Dans cette perspective, rien ne permet de retenir que les actes figurant dans ce dossier principal, dans son état actuel, contiendraient les secrets dont les recourants pourraient craindre la divulgation; leur argumentation se réduit en effet aux secrets qui pourraient résulter des documents saisis et désormais restitués à leurs ayants droit, ce dont attestent les éléments de preuve qui l'appuient (pour l'essentiel: extraits des mandats et des procès-verbaux de perquisition, de fouille et de séquestre).
1.3.2. Les recourants invoquent encore le préjudice irréparable que pourraient subir les plus de vingt sociétés perquisitionnées dans le cadre de la procédure MPG 15 1292, lesquelles n'auraient rien à voir avec la procédure civile les opposant aux intimés.
Outre que ce préjudice irréparable se fonde également sur les documents qui ne figurent plus au dossier mais qui ont désormais été restitués à leurs ayants droit (
supra consid. 1.3.1), l'on ne saisit pas en quoi les recourants pourraient l'invoquer à titre personnel dès lors qu'à l'évidence, cet éventuel préjudice ne les concerne pas directement.
1.3.3. Les recourants relèvent également que la transmission des pièces de la procédure MPG 15 1292 violerait l'autorité de chose jugée dans la mesure où un grand nombre de documents ayant fait l'objet d'un classement serait analysé une seconde fois. Outre le rallongement notable et inutile de la procédure civile opposant les parties, les recourants insistent enfin sur les répercussions financières et morales qu'entraînerait l'édition de la procédure MPG 15 1292.
Les raisons pour lesquels le classement opéré en faveur de A.________ pourrait être remis en cause par l'édition du dossier pénal n'apparaissent pas évidentes tandis que les conséquences financières et temporelles qu'invoquent les recourants n'entrent pas dans la définition du préjudice irréparable de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (consid. 1.1
supra). Les répercussions morales sont quant à elles invoquées de manière générale en ce sens que les recourants rappellent la large médiatisation des procédures concernant A.________ et les souffrances que celle-ci génère: sans lien concret avec l'ordonnance d'instruction contestée, ces conséquences ne sont pas décisives.
1.4. Les développements qui précèdent permettent de conclure que les recourants échouent à démontrer subir un préjudice irréparable du fait de l'édition du dossier MPG 15 1292 dans le cadre de la procédure civile les opposant aux intimés. Cela conduit à l'irrecevabilité du présent recours.
2.
Les frais judiciaires doivent être mis à la charge des recourants, solidairement entre eux (art. 66 al. 1 et al. 5 LTF). Aucune indemnité de dépens n'est attribuée aux intimés qui n'ont pas été invités à se déterminer sur le fond du litige et ne se sont pas prononcés sur la requête d'effet suspensif des recourants ( art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'500 fr., sont mis à la charge des recourants solidairement entre eux.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile du Tribunal cantonal du canton du Valais.
Lausanne, le 8 mars 2022
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Herrmann
La Greffière : de Poret Bortolaso