Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_90/2024
Arrêt du 8 juillet 2024
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Kölz et Hofmann.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
1. A.________,
représenté par Me Jean-Marc Carnicé et Me Guglielmo Palumbo, avocats,
2. B.________,
représenté par Me Daniel Tunik et Me Jean-René Oettli, avocats,
recourants,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève,
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
Déni de justice,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 22 décembre 2023 (P/3072/2018 - ACPR/999/2023).
Faits :
A.
A.a. Dans le cadre de l'enquête menée par le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après : le Ministère public) à la suite de la plainte pénale déposée par C.________ SA (ci-après : <la partie plaignante), A.________ et B.________ ont été mis en prévention le 23 novembre 2020 de corruption d'agents publics étrangers (art. 322septies CP) et de blanchiment d'argent (art. 305bis CP), respectivement de soustraction de données (art. 143 CP).
A.b. Les 19 juin (ACPR_1), 20 juin (ACPR_2) et 16 août 2023 (ACPR_3), la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après : la Chambre pénale de recours) a rendu trois arrêts relatifs à des séquestres.
A.________ et B.________ ont déposé des recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre les arrêts précités. Celui-ci a statué dans les trois causes le 14 février 2024. Dans la cause 7B_354/2023 (ACPR_1), le recours qui visait à obtenir la levée d'un séquestre portant sur des pièces a été rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Concernant une problématique similaire, le recours relatif à la cause 7B_644/2023 (ACPR_3) a été déclaré irrecevable. Quant au recours interjeté dans la cause 7B_366/2023 (ACPR_2), il a été admis et les séquestres qui portaient sur des valeurs patrimoniales appartenant notamment aux deux prévenus susmentionnés ont été levés.
B.
B.a. Le 3 juillet 2023, A.________ et B.________ se sont adressés au Ministère public pour lui indiquer qu'ils ne saisissaient plus exactement quelles étaient les charges retenues contre eux, les décisions ACPR_1 et ACPR_2 de juin 2023 ayant "aggravé le flou" à ce sujet : il convenait que la Direction de la procédure (cf. art. 61 let. a CPP) leur précisât clairement "sous dix jours" quels étaient les faits reprochés.
Par retour de courrier, le Ministère public a accusé réception de leur demande, à laquelle il répondrait "prochainement".
A.________ et B.________ l'ont relancé cinq fois par la suite, lui demandant également de classer la procédure.
Le 13 décembre 2023, ils ont déposé un recours pour déni de justice auprès de la Chambre pénale de recours; en substance, ils affirmaient être entravés par l'absence de notification de charges suffisamment précises pour leur permettre de "prouver leur innocence".
B.b. Par arrêt du 22 décembre 2023 (ACPR/999/2023), la Chambre pénale de recours a déclaré ce recours irrecevable, faute d'intérêt juridiquement protégé.
C.
Par acte du 26 janvier 2024, A.________ et B.________ (ci-après : les recourants) interjettent un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens que leur recours pour déni de justice du 13 décembre 2023 soit déclaré recevable (ch. 3 des conclusions), que ledit déni de justice et le retard injustifié du Ministère public à statuer soient constatés (ch. 4 des conclusions) et qu'ordre lui soit donné de "procéder immédiatement à la notification détaillée des charges" dirigées contre eux (ch. 5 des conclusions). À titre subsidiaire, ils demandent la réforme de l'arrêt attaqué en ce sens que leur recours pour déni de justice soit déclaré recevable et que la cause soit renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle statue sur leur recours (ch. 7 et 8 des conclusions).
Invitée à se déterminer, la cour cantonale s'est référée aux considérants de son arrêt, sans formuler d'observations. Quant au Ministère public, il s'en est remis à justice s'agissant de la recevabilité du recours et a conclu à son rejet. Le 4 mars 2024, les recourants ont persisté dans leurs conclusions.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2).
1.1. Les pièces ultérieures à l'arrêt attaqué - sous réserve de celles permettant l'examen de la recevabilité du recours - sont irrecevables (cf. art. 99 al. 1 LTF). Il en va ainsi en particulier de la production des déterminations de la partie plaignante du 9 février 2024 (cf. acte 12 pièce 2).
1.2. Ne mettant pas un terme à la procédure pénale ouverte contre les recourants, l'arrêt attaqué est de nature incidente. Le recours au Tribunal fédéral n'est dès lors en principe recevable qu'en présence d'un risque de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Cela étant, le présent recours est dirigé contre un arrêt d'irrecevabilité, ce qui équivaut à un déni de justice et permet en conséquence l'entrée en matière indépendamment de la condition du risque de préjudice irréparable (ATF 143 I 344 consid. 1.2; arrêts 7B_51/2024 du 25 avril 2024 consid. 1.1.2; 1B_538/2022 du 12 juin 2023 consid. 1; 1B_233/2022 du 4 octobre 2022 consid. 1.1).
Seule peut cependant être portée devant le Tribunal fédéral la question de la recevabilité du recours cantonal (arrêt 7B_125/2023 du 30 novembre 2023 consid. 1.1), à l'exclusion des conclusions et des arguments portant sur le fond (cf. ch. 4 et 5 des conclusions et notamment ch. 87 ss p. 19 ss du recours).
1.3. Les recourants, dont le recours cantonal a été déclaré irrecevable, disposent en principe d'un intérêt juridiquement protégé à obtenir l'annulation ou la modification de l'arrêt attaqué (cf. art. 81 LTF; arrêts 7B_51/2024 du 25 avril 2024 consid. 1.1.3; 7B_981/2023 du 29 janvier 2024 consid. 1.2 et les arrêts cités).
Cela étant, la question de leur intérêt actuel et pratique à obtenir l'examen de leurs griefs pourrait se poser. En effet, cet intérêt doit exister tant au moment du dépôt du recours, sous peine d'irrecevabilité, qu'au jour où l'autorité statue, sauf à voir le recours déclaré sans objet (sur ces notions, ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1; 142 I 135 consid. 1.3.1; 140 IV 74 consid. 1.3.1; arrêt 7B_336/2023 du 3 mai 2024 consid. 1.3 et les arrêts cités). Or, vu notamment les pièces produites à l'appui de leur recours du 26 janvier 2024 (cf. le courrier du Ministère public du 21 décembre 2023 et la réponse des recourants du 19 janvier 2024 [acte 4 pièces 3b et 4]), les recourants, assistés de plusieurs mandataires professionnels, paraissent à même de circonscrire les faits sur lesquels l'instruction continue de porter. Cela vaut d'autant plus qu'ils ne prétendent pas que les éléments relevés dans le courrier du Ministère public seraient différents de ceux ayant fait l'objet de la plainte pénale, respectivement de la notification du 23 novembre 2020, notamment quant à la qualification juridique pouvant entrer en considération. On ne saurait enfin ignorer l'arrêt 7B_366/2023 du 14 février 2024, où il est constaté que les soupçons initiaux pesant sur les recourants n'ont ni disparu ni même diminué, même s'ils ne se sont à ce jour pas renforcés (cf. consid. 3.3.3 dudit arrêt). Au stade de la recevabilité, il ne semble ainsi pas manifeste que les charges notifiées le 23 novembre 2020 se soient modifiées. Au regard de l'issue du présent litige, cette question de recevabilité peut cependant rester indécise.
2.
2.1. Se prévalant des art. 6 par. 3 let. a et b CEDH , 32 al. 2 Cst., 9, 158 et 329 CPP, les recourants reprochent à l'autorité précédente d'avoir considéré qu'ils n'avaient aucun intérêt juridiquement protégé à la constatation d'un déni de justice qu'aurait commis le Ministère public, faute de disposer d'un droit d'obtenir la "précision des charges" qui pèsent sur eux.
2.2. Selon l'art. 382 al. 1 CPP, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci.
Il existe un intérêt juridiquement protégé lorsque le recourant est touché directement et immédiatement dans ses droits propres, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il est touché par un simple effet réflexe. L'intérêt juridiquement protégé se distingue de l'intérêt digne de protection, qui n'est pas nécessairement un intérêt juridique, mais peut être un intérêt de fait. Dans le cadre des voies de droit instituées par le CPP, un simple intérêt de fait ne suffit pas à conférer la qualité pour recourir. Le recourant doit ainsi établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu'il peut en conséquence en déduire un droit subjectif (ATF 145 IV 161 consid. 3.1 et les arrêts cités). Une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision n'a donc pas la qualité pour recourir et son recours doit être déclaré irrecevable (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1; arrêt 7B_931/2023 du 24 mai 2024 consid. 2.2.1 et les arrêts cités).
2.3. En l'occurrence, les recourants ne remettent pas en cause la notification des charges telle qu'elle a été effectuée le 23 novembre 2020, que ce soit sous l'angle de la qualification juridique envisagée ou des faits sur lesquels portait l'instruction pénale.
Ils ne prétendent pas non plus qu'un acte d'accusation aurait été rendu dans cette procédure. Cette constatation permet de relever que les arguments soulevés en lien avec un tel acte sont donc, à ce stade de l'instruction, dénués de toute pertinence (voir notamment, sur la maxime d'accusation au sens de l'art. 9 CPP, ATF 149 IV 128 consid. 1.2; arrêt 6B_710/2023 du 25 avril 2024 consid. 4.1 et les nombreux arrêts cités y compris de la Cour européenne des droits de l'homme en lien avec l'art. 6 par. 3 let. a CEDH). Il en va ainsi en particulier des griefs pouvant concerner le contenu de l'acte d'accusation (cf. art. 325 ss CPP), le temps nécessaire pour préparer sa défense en vue de l'audience de jugement ou le contrôle de l'acte précité par l'autorité de première instance (cf. art. 329 al. 1 let. a CPP; ATF 147 IV 167 consid. 1.3).
2.4. Seule est par conséquent litigieuse la question de savoir si les recourants disposaient, au jour de l'arrêt attaqué, d'un droit d'obtenir au cours de l'instruction préliminaire - à savoir entre la notification intervenue le 23 novembre 2020 et une éventuelle mise en accusation - une nouvelle information détaillée des charges pesant sur eux.
Tel n'est toutefois pas le cas en l'espèce.
2.4.1. Selon la jurisprudence, les autorités de poursuite pénale ne sont en effet en principe pas tenues de répéter les informations relatives à l'ouverture d'une procédure préliminaire et aux charges retenues contre le prévenu au sens de l'art. 158 al. 1 let. a CPP avant chaque nouvelle audition (arrêts 6B_1477/2020 du 1er novembre 2021 consid. 1.3.3, publié in SJ 2022 439; 6B_359/2021 du 20 mai 2021 consid.1.5.2; 6B_1214/2019 du 1er mai 2020 consid. 1.3.1; 6B_646/2017 du 1er mai 2018 consid. 5.3; 6B_518/2014 du 4 décembre 2014 consid. 1.5). Il en va
a fortiori de même dans le cas d'espèce où les recourants ne soutiennent pas avoir été convoqués à une nouvelle audition (cf. cependant dans le sens d'une possibilité de demander la répétition des charges au début d'une nouvelle audition lorsqu'il s'est écoulé un long laps de temps depuis la précédente audition, NIKLAUS RUCKSTUHL, in Basler Kommentar, 3e éd. 2023, n° 12a ad art. 158 CPP; GUNHILD GONDENZI, in DONATSCH/LIEBER/SUMMERS/WOHLERS [édit.], Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung [StPO], 3e éd. 2020, vol. I, Art. 1-195, n° 10 ad art. 158 CPP).
2.4.2. Pour appuyer leur prétendu droit à une nouvelle information sur les charges, les recourants invoquent un changement des circonstances depuis la notification intervenue le 23 novembre 2020.
Ils ne prétendent cependant pas qu'une telle modification découlerait de l'aggravation des charges retenues contre eux (dans le sens d'une obligation d'information dans cette configuration, en lien avec l'art. 158 CPP, arrêt 6B_359/2021 du 20 mai 2021 consid. 1.5.2; voir également RUCKSTUHL, op. cit., n° 11 ad art. 158 CPP; SCHMID/JOSITSCH, Praxiskommentar Schweizerische Strafprozessordnung, 3e éd. 2018, n° 5 ad art 158 CPP; BURGENER/SADDIER, Auditions du prévenu : notification des charges et des droits, in Revue de l'avocat 2/2022, p. 61 ss, ad ch. 5/A p. 63 s.; GONDENZI, op. cit., n° 10 ad art. 158 CPP; JEAN-MARC VERNIORY, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2e éd. 2019, n° 16 ad art. 158 CPP). En particulier, ils n'étayent pas une telle hypothèse en faisant état d'un nouveau complexe de faits sur lequel porterait l'instruction (VERNIORY, op. cit., n° 16 ad art. 158 CPP) ou d'une modification - notamment dans le sens d'une péjoration - de la qualification juridique envisagée à ce jour (GONDENZI, op. cit., n° 15 ad art. 158 CPP; VERNIORY, op. cit., n° 16 ad art. 158 CPP).
Quant à l'éventuelle diminution des charges dont semblent en substance se prévaloir les recourants (voir notamment ch. 77 p. 17, ch. 24 p. 4 s. et 46 p. 9 des observations du 4 mars 2024), une telle issue n'est pas d'emblée manifeste en l'espèce (cf. également consid. 1.3 ci-dessus). Les recourants ne développent d'ailleurs aucune argumentation claire et précise visant à démontrer quels faits ne feraient plus l'objet de l'instruction, respectivement quelle qualification juridique aurait été abandonnée ou modifiée en leur faveur. En tout état de cause, on ne voit pas quelle serait l'atteinte aux droits de la défense que subiraient les recourants dans une telle configuration et qu'un éventuel classement ultérieur (par exemple en raison de la prescription de l'action pénale pour certaines charges) ne serait pas à même de réparer. Une demande de nouvelle notification des charges dans une telle hypothèse semble au demeurant tendre à obtenir - de manière détournée et n'appelant ainsi aucune protection - le classement de la procédure, ce qui ne saurait intervenir préalablement pour le moins à une communication au sens de l'art. 318 CPP.
2.4.3. Sur le vu de ce qui précède, la Chambre pénale de recours n'a pas violé le droit fédéral en considérant qu'au jour où elle statuait, les recourants n'avaient aucun intérêt juridiquement protégé à obtenir une nouvelle notification des charges, faute de disposer d'un tel droit dans les circonstances de l'espèce.
3.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Les recourants, qui succombent, supporteront, solidairement entre eux, les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 et 5 LTF ), lesquels tiendront compte de la longueur du mémoire de recours. Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (cf. art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, fixés à 3'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 8 juillet 2024
Au nom de la II e Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Kropf