Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_95/2024
Arrêt du 8 août 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président, Chaix et Müller.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Charlotte Gagliardi, avocate,
recourant,
contre
Secrétariat d'État aux migrations,
Quellenweg 6, 3003 Berne.
Objet
Annulation de la naturalisation facilitée,
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour VI, du 29 décembre 2023 (F-260/2023).
Faits :
A.
A.________, ressortissant burkinabé né en 1983, a épousé le 16 février 2008 B.________, ressortissante suisse née en 1975. Les époux s'étaient rencontrés en 2006 au Burkina Faso et y ont vécu jusqu'en décembre 2009, date à laquelle ils sont arrivés en Suisse. Ils ont eu deux enfants, nés en février 2010 et février 2013.
Le 29 novembre 2015, A.________ a déposé une requête de naturalisation facilitée fondée sur son mariage. Les époux ont signé, le 7 septembre 2016, une déclaration concernant la communauté conjugale, affirmant que leur couple était stable et qu'ils n'avaient pas l'intention de se séparer.
Par décision du 9 novembre 2016, le Secrétariat d'État aux migrations (ci-après : le SEM) a accordé la naturalisation facilitée à l'intéressé.
B.
Par jugement du 25 janvier 2022, entré en force le 12 février 2022, le Tribunal civil de Sion a prononcé le divorce des époux. Le 23 février 2022, le Service de la population et des migrations du canton du Valais a informé le SEM d'un éventuel abus en matière de naturalisation facilitée.
Par décision du 30 novembre 2022, le SEM a annulé la naturalisation facilitée. Il ressortait du dossier de la procédure de divorce que la séparation du couple avait eu lieu le 16 décembre 2017, soit à peine plus d'un an après l'octroi de la naturalisation. Aucun événement extraordinaire ne venait expliquer une détérioration aussi rapide du lien conjugal.
C.
Par arrêt du 29 décembre 2023, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté le recours formé par A.________. Le court laps de temps (15 mois) entre la signature de la déclaration de vie commune et la séparation fondait la présomption que la communauté conjugale n'était pas stable, et les déclarations de l'ex-épouse (faisant état de l'usure du couple) venaient confirmer cette présomption. L'infidélité de l'ex-épouse avait été invoquée tardivement et n'était pas démontrée.
D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du TAF en ce sens qu'il est renoncé à l'annulation de sa naturalisation facilitée; subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à l'autorité intimée pour nouvelle décision au sens des considérants. Il demande l'assistance judiciaire ainsi que l'effet suspensif. Cette dernière requête a été admise par ordonnance du 22 février 2024.
Le TAF se réfère à son arrêt et conclut au rejet du recours. Le SEM se réfère à l'arrêt attaqué.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre la décision du Tribunal administratif fédéral qui confirme l'annulation de la naturalisation facilitée accordée au recourant, le recours est recevable comme recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86 al. 1 let. a LTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en ligne de compte. Pour le surplus, le recourant a la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Le recours est interjeté dans le délai et les formes utiles, de sorte qu'il convient d'entrer en matière.
L'entrée en vigueur, le 1er janvier 2018, de la nouvelle loi fédérale sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN; RS 141.0) a entraîné l'abrogation de la loi fédérale du 29 septembre 1952 sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse (aLN; RO 1952 1115), conformément à l'art. 49 LN (en relation avec le chiffre I de son annexe). En vertu de la réglementation transitoire prévue par l'art. 50 LN, l'acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment du fait déterminant, soit de la signature de la déclaration de vie commune, voire de l'octroi de la naturalisation (arrêt 1C_574/2021 du 27 avril 2022 consid. 2.4). En l'espèce, la naturalisation facilitée est intervenue par décision entrée en force le 11 décembre 2016. L'ancien droit est donc applicable.
2.
Dans un grief formel qu'il s'agit d'examiner en premier lieu, le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu. D'une part, l'instance précédente aurait refusé à tort d'entendre l'ex-épouse ainsi que C.________ au sujet de la relation adultérine qui aurait conduit à une dégradation rapide de la relation avec le recourant. D'autre part, le jugement attaqué ne contiendrait aucune motivation à propos de cette offre de preuve, mis à part qu'elle aurait été présentée tardivement et ne serait pas déterminante.
2.1. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour les parties de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à leurs offres de preuve lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 135 II 286 consid. 5.1). L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Le droit d'être entendu implique aussi pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 III 65 consid. 5.2; 141 V 557 consid. 3.2.1).
2.2. Après réception de la duplique du SEM du 8 mai 2023, le recourant a, dans ses remarques du 14 juin 2023, indiqué pour la première fois que la rupture du couple était due à une infidélité de l'ex-épouse avec C.________; il demandait leur audition. Par ordonnance du 14 juillet 2023, le TAF l'a invité à indiquer notamment dans quelles circonstances (date, lieu, source d'information) il avait découvert cette prétendue relation adultérine. Le recourant s'est déterminé à ce propos le 15 septembre 2023 en renouvelant sa demande d'audition. On peut, avec le TAF, s'étonner qu'une telle allégation n'ait été faite qu'en fin de procédure alors qu'elle porte selon le recourant sur un élément essentiel, susceptible d'expliquer la rupture abrupte du lien conjugal. En outre, force est également de constater que le TAF a tenté d'instruire ce point en invitant le recourant à fournir des renseignements complémentaires sur la question, déterminante, de savoir à quel moment l'infidélité aurait été découverte. Dans ses déterminations précitées, le recourant produit une note où il explique que la relation se serait dégradée "au fur et à mesure" et qu'il se serait rendu compte que son ex-femme "voyait et communiquait avec quelqu'un d'autre"; il aurait découvert des messages et conversations sur l'ancien téléphone qu'elle lui aurait offert. Le recourant n'a en revanche fourni aucune explication sur la date de la découverte de la relation adultérine. Manifestement, l'audition de son ex-femme et de son nouveau compagnon n'apporterait aucun éclaircissement sur ce point précis. Comme le relève le TAF, ni les pièces relatives à la séparation et au divorce, ni le procès-verbal de l'ex-épouse du recourant ne font état d'une telle relation; au contraire, lors de son audition par le SEM, l'ex-épouse a déclaré qu'aucun événement extraordinaire n'était survenu, "à part le ras-de-bol et la mésentente conjugale". Dans sa lettre explicative précitée du 15 septembre 2023, le recourant n'indique pas non plus clairement que le prétendu adultère serait la cause déterminante de la séparation. Dans son recours au Tribunal fédéral, il indique incidemment (p. 20) que l'infidélité de l'ex-épouse aurait été "mise en lumière postérieurement à son audition par le SEM". Si tel était le cas, elle ne saurait avoir eu une influence sur la séparation.
C'est dès lors au terme d'une appréciation anticipée dûment motivée et dénuée d'arbitraire que l'offre de preuve du recourant a été écartée.
3.
Le recourant se plaint ensuite d'une constatation manifestement inexacte des faits (art. 97 al. 1 LTF). Il reproche au TAF de ne pas avoir tenu compte de la naissance des deux enfants, des voyages communs (notamment les vacances communes en 2017) et de la durée du mariage. Ses propres déclarations et celles de l'ex-épouse n'auraient pas non plus été prises en considération alors qu'elles étaient propres à renverser la présomption d'obtention frauduleuse de la naturalisation.
3.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ceux-ci ont été constatés de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Le recourant qui soutient que les faits ont été établis d'une manière arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. doit satisfaire au principe d'allégation (art. 106 al. 2 LTF), étant rappelé qu'en matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 148 I 127 consid. 4.3).
3.2. Les faits dont se prévaut le recourant sont rappelés au consid. 8 de l'arrêt attaqué. La durée du mariage, la vie conjugale au Burkina Faso avant de s'installer en Suisse, la naissance des deux enfants ainsi que les voyages de 2010, 2013 et 2017 sont mentionnés comme autant de faits établis. Le TAF a toutefois considéré ces faits comme dénués de pertinence dès lors qu'ils étaient pour la plupart antérieurs à la signature de la déclaration de vie commune et à l'octroi de la naturalisation. Les vacances communes de 2017 n'étaient pas non plus propres à renverser la présomption résultant de l'enchaînement rapide des circonstances. Les éléments de faits ont par conséquent été établis conformément au dossier, mais le TAF les a écartés pour des motifs juridiques. Quant à l'infidélité de l'ex-épouse, elle a été considérée comme insuffisamment démontrée au terme d'une appréciation anticipée qui ne prête, comme on l'a vu, pas le flanc à la critique.
Pour autant qu'il soit suffisamment motivé, le grief doit lui aussi être écarté.
4.
Sur le fond, le recourant se plaint d'une violation de l'art. 41 aLN. Il soutient qu'un délai de quinze mois et 19 jours entre la déclaration de vie commune et la séparation ne permettrait pas de fonder une présomption d'obtention frauduleuse de la naturalisation. Il estime ensuite qu'il existerait suffisamment d'éléments de fait pour renverser cette présomption : la rencontre en 2006 au Burkina Faso, le ménage commun durant deux ans, le mariage le 16 février 2008, l'installation en Suisse en 2009 après la naissance du premier enfant, la naissance du second enfant en 2013. Tant les déclarations du recourant que celles de son ex-épouse faisaient ressortir que le couple était tourné vers l'avenir. En 2017, ils ont continué à mener une vie de couple, partant à deux reprises en vacances ensemble; la relation se serait fortement dégradée à l'automne 2017. La découverte de l'infidélité de l'ex-épouse aurait constitué l'élément déterminant.
4.1. Les principes applicables à l'annulation de la naturalisation facilitée sont rappelés dans l'arrêt attaqué, ainsi que dans le recours. Il n'est dès lors pas utile de les rappeler une nouvelle fois. Comme le relève le TAF, il s'est écoulé environ quinze mois entre la signature de la déclaration de vie commune (7 septembre 2016) et la séparation définitive des époux (1 er décembre 2017). Un tel délai, largement inférieur aux deux ans fixés par la jurisprudence (cf. notamment arrêt 1C_82/2018 du 31 mai 2018 consid. 4.3 et les arrêts cités), permet de fonder la présomption que la naturalisation a été acquise au moyen de déclarations mensongères. L'arrêt attaqué est sur ce point conforme au droit fédéral.
4.2. Le TAF a ensuite considéré que les déclarations de l'ex-épouse du recourant, loin d'affaiblir cette présomption, venaient au contraire la renforcer. Le 3 octobre 2022, celle-ci avait en effet déclaré à propos des difficultés à l'origine de la séparation "je n'ai pas de raisons concrètes, si ce n'est l'usure du couple". L'instance précédente a enfin considéré qu'aucun événement extraordinaire n'était susceptible d'expliquer une dégradation aussi rapide du lien conjugal. Dans ce cadre, l'ensemble des faits invoqués par le recourant et intervenus avant la signature de la déclaration commune (durée du mariage, naissance des enfants, vacances communes) ne sont pas pertinents puisqu'ils ne disent rien sur la situation du couple au moment déterminant. Les vacances communes passées en 2017 quelques mois seulement avant la séparation ne suffisent pas non plus à renverser la présomption.
Le recourant allègue que la découverte de l'infidélité de son ex-épouse constituerait l'élément déclencheur de la séparation. Comme cela est relevé ci-dessus le recourant n'a invoqué cet élément de fait qu'en fin de procédure de recours devant le TAF, alors qu'il le présente maintenant comme un élément déterminant. Invité à préciser la date de la découverte de cette infidélité, il n'a fourni aucune explication. Il se contente d'indiquer céans que la découverte serait intervenue après son audition par le SEM, soit postérieurement à la séparation.
Dans ces conditions, il convient de s'en tenir à la présomption de fait fondée sur l'enchaînement chronologique rapide des événements, selon laquelle l'union formée par les époux ne remplissait pas, au moment de la signature de la déclaration de vie commune, les conditions posées pour l'octroi de la naturalisation facilitée du recourant. L'arrêt attaqué est dès lors conforme au droit fédéral et le grief doit être écarté.
5.
Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours, dans la mesure de sa recevabilité. Les conclusions du recourant étant vouées à l'échec, sa demande d'assistance judiciaire doit également être rejetée (art. 64 al. 1 LTF). Toutefois, pour tenir compte de la situation financière du recourant, il peut être renoncé à la perception de frais judiciaires (art. 66 al. 1 in fine LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, au Secrétariat d'État aux migrations et au Tribunal administratif fédéral, Cour VI.
Lausanne, le 8 août 2024
Au nom de la I re Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Kurz