Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_371/2023
Arrêt du 8 novembre 2023
IIIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Parrino, Président, Moser-Szeless et Beusch.
Greffier : M. Bürgisser.
Participants à la procédure
A.________ Sàrl,
représentée par Me Yves Auberson, avocat,
recourante,
contre
Administration cantonale des impôts du canton de Vaud,
route de Berne 46, 1014 Lausanne,
intimée.
Objet
Impôts cantonaux et communaux du canton de Vaud, périodes fiscales 2010 et 2011,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 28 avril 2023 (FI.2021.0133).
Faits :
A.
A.a. A.________ Sàrl (ci-après: la société ou la contribuable), dont le siège se situe dans le canton de Fribourg, exploite une succursale à Payerne. A ce titre, elle est également assujettie à l'impôt dans le canton de Vaud.
A.b. En août 2011, la société a déposé sa déclaration d'impôt relative à l'année 2010 auprès de l'Office d'impôt des personnes morales du canton de Vaud (ci-après: l'office d'impôt). Cet office l'a taxée pour l'impôt fédéral direct (ci-après: IFD) et pour les impôts cantonaux et communaux (ci-après: ICC) pour la période fiscale 2010, sur la base d'un bénéfice imposable de 118'000 fr. et d'un capital propre imposable de 20'000 fr. (décision du 24 juillet 2013).
Après avoir déposé sa déclaration d'impôt pour la période fiscale 2011, A.________ Sàrl a été taxée pour l'IFD et les ICC 2011 sur la base d'un bénéfice imposable de 59'300 fr. et d'un capital propre imposable de 20'000 fr. (décision du 5 septembre 2013 de l'office d'impôt). L'office d'impôt a également fait notifier à la contribuable un commandement de payer portant sur les ICC de la période fiscale 2010, le 12 novembre 2013.
Par courrier du 20 novembre 2013, la société a formé réclamation contre les décisions de taxation des 24 juillet 2013 et 5 septembre 2013, en sollicitant une restitution de délai. Le 17 janvier 2014, l'office d'impôt lui a adressé une "proposition de règlement", dans laquelle elle déclarait irrecevable la réclamation déposée pour cause de tardiveté et confirmait les décisions de taxation contestées. Les 11 et 18 février 2014, la contribuable a maintenu sa réclamation.
A.c. En parallèle, la société a fait l'objet d'un contrôle de sa comptabilité en lien avec la perception de la taxe sur la valeur ajoutée par la Division du contrôle externe de l'Administration fédérale des contributions (ci-après: l'AFC). Sur la base des rapports émis par l'AFC dans ce contexte, l'Administration cantonale des impôts du canton de Vaud (ci-après: l'Administration fiscale) a informé la contribuable qu'elle envisageait de corriger les taxations des années 2010 et 2011 (courrier du 14 février 2017). Après que la contribuable s'est opposée à une telle correction, l'Administration fiscale a sollicité de sa part divers renseignements, ainsi que des pièces (courrier du 6 décembre 2017).
Le 30 août 2018, l'Administration fiscale a informé la contribuable qu'elle s'en tiendrait, pour les périodes fiscales 2010 et 2011, aux décisions de taxation rendues. Le 30 octobre 2018, A.________ Sàrl a retiré sa réclamation.
A.d. Par "décision[s] de taxation et de calcul résultant d'un réexamen" du 23 novembre 2020, l'office d'impôt, se fondant sur les mêmes éléments imposables que dans ses décisions de taxation des 24 juillet et 5 septembre 2013, a calculé le montant de l'impôt dû pour les périodes fiscales 2010 et 2011. Le 16 décembre 2020, la contribuable a formé réclamation contre les décisions du 23 novembre 2020, au motif que la prescription du droit de percevoir l'impôt était acquise, les décisions des 24 juillet et 5 septembre 2013 étant entrées en force en 2013 déjà. Par décision sur réclamation du 8 octobre 2021, l'Administration fiscale a rejeté cette réclamation.
B.
Le 28 avril 2023, le Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, a rejeté le recours de la contribuable.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ Sàrl conclut à ce que l'arrêt cantonal soit annulé et à ce qu'il soit constaté que les "créances d'impôt cantonal et communal de l'Etat de Vaud (...) pour les périodes fiscales 2010 et 2011 sont définitivement éteintes par suite de prescription".
L'Administration fiscale et l'AFC concluent au rejet du recours.
Considérant en droit :
1.
1.1. La décision attaquée est finale (art. 90 LTF) et a été rendue par une autorité judiciaire supérieure de dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF), ne tombant pas sous le coup de l'une des exceptions de l'art. 83 LTF. La voie du recours en matière de droit public est partant ouverte (cf. aussi art. 73 al. 1 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes [LHID; RS 642.14]).
1.2. Le recours a été déposé en temps utile et dans les formes requises par la recourante qui, destinataire de l'arrêt attaqué, a qualité pour recourir (cf. art. 89 al. 1 LTF). Il convient donc d'entrer en matière.
2.
2.1. D'après l'art. 106 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral applique le droit d'office. Il examine en principe librement l'application du droit fédéral ainsi que la conformité du droit cantonal harmonisé et de sa mise en pratique par les instances cantonales aux dispositions de la LHID (cf. ATF 134 II 207 consid. 2; arrêt 2C_826/2015 du 5 janvier 2017 consid. 2, non publié in ATF 143 I 73).
Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF et en dérogation à l'art. 106 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral n'examine la violation de droits fondamentaux ainsi que celle de dispositions de droit cantonal et intercantonal que si ce grief a été invoqué et motivé par le recourant, à savoir exposé de manière claire et détaillée (ATF 143 II 283 consid. 1.2.2). Il en va de même lorsque la loi sur l'harmonisation fiscale laisse une certaine marge de manoeuvre aux cantons ou lorsque l'on est en présence d'impôts purement cantonaux, l'examen de l'interprétation du droit cantonal étant alors limité à l'arbitraire (cf. art. 95 LTF; ATF 134 II 207 consid. 2). Dans ces hypothèses, l'art. 106 al. 2 LTF exige que l'acte de recours contienne un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés et précise en quoi consiste la violation. Lorsqu'il est saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral n'a donc pas à vérifier de lui-même si l'arrêt entrepris est en tous points conforme au droit et à l'équité. Il n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel - ainsi l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.) ou la garantie d'autres droits constitutionnels (ATF 145 I 108 consid. 4.4.1) - invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (ATF 134 I 65 consid. 1.3; arrêt 2C_826/2015 du 5 janvier 2017 consid. 2, non publié in ATF 143 I 73).
2.2. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction cantonale (art. 105 al. 1 LTF) sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).
3.
Le litige porte sur le point de savoir si le droit de percevoir les ICC des années 2010 et 2011 est prescrit. En particulier, il y a lieu d'examiner si la cour cantonale a considéré à bon droit que les divers actes émanant des autorités fiscales (proposition de règlement du 17 janvier 2014, courriers des 14 février 2017 et 30 août 2018) ont interrompu la prescription relative des créances d'impôt. En revanche, la recourante ne s'en prend pas, en instance fédérale, à l'arrêt cantonal en tant qu'il porte sur l'IFD.
4.
4.1. L'art. 47 al. 2 LHID prévoit que les créances d'impôt se prescrivent par cinq ans à compter de l'entrée en force de la taxation; en cas de suspension ou d'interruption de la prescription, celle-ci est acquise dans tous les cas dix ans après la fin de l'année au cours de laquelle la taxation est entrée en force. Toutefois, la LHID ne règle pas les cas dans lesquels la prescription est suspendue ou interrompue et il appartient au législateur cantonal de les prévoir (arrêts 2C_1098/2014 du 1
er décembre 2015 consid. 6; 2C_58/2015 du 23 octobre 2015 consid. 7). Ces questions échappent donc à l'harmonisation fiscale (cf. ATF 145 II 130 consid. 2.2.4), de sorte que le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral est limité s'agissant de l'application et de l'interprétation du droit cantonal dans ce domaine - et ce contrairement à ce que soutient l'intimée - à l'arbitraire (cf. arrêt 2C_174/2022 du 31 mars 2022 consid. 3.3.2; cf. supra consid. 2.1; sur la notion d'arbitraire, cf. ATF 145 II 32 consid. 5.1 et les références). Selon la jurisprudence, le principe de l'harmonisation verticale de l'impôt fédéral direct et des impôts directs cantonaux prescrite par l'art. 129 Cst. commande cependant d'interpréter de manière concordante l'art. 47 al. 2 LHID avec l'art. 120 LIFD (RS 642.11) (ATF 145 II 130 consid. 2.2.4; 142 II 182 consid. 3.2.1; arrêt 2C_174/2022 du 31 mars 2022 consid. 3.3.1).
4.2. Sous le titre marginal "Prescription du droit de percevoir l'impôt", l'art. 238 al. 1 de la loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux (LI; rs/VD 642.11) prévoit que les dettes fiscales se prescrivent par cinq ans à compter de l'entrée en force de la décision qui les fonde. L'art. 238 al. 2 LI précise que "pour la suspension et l'interruption de la prescription, l'article 170, alinéas 2 et 3 est applicable par analogie".
En ce qui concerne la suspension, l'art. 170 al. 2 let. a LI prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue (notamment) pendant la durée des procédures de réclamation, de recours ou de révision. Quant à l'interruption de la prescription, selon l'art. 170 al. 3 let. a LI, un nouveau délai de prescription commence à courir lorsque l'autorité prend une mesure tendant à fixer ou faire valoir la créance d'impôt et en informe le contribuable ou une personne solidairement responsable avec lui.
5.
5.1. La juridiction cantonale a considéré que les créances d'impôt des périodes fiscales 2010 et 2011 étaient entrées en force, respectivement le 23 août 2013 et le 5 octobre 2013, puisque le délai de réclamation était largement dépassé lorsque la contribuable avait présenté sa réclamation et que les décisions ne pouvaient plus être attaquées par un moyen de droit ordinaire. Par conséquent, la procédure de réclamation, qui s'était déroulée ultérieurement du 20 novembre 2013 (date du dépôt de la réclamation) au 30 octobre 2018 (date du retrait de la réclamation), n'avait pas eu pour effet de suspendre la prescription du droit de percevoir l'impôt.
Les juges cantonaux ont alors examiné si le délai de prescription avait été interrompu. Selon eux, conformément à l'art. 170 al. 3 let. a LI (dont la teneur est identique à celle de l'art. 120 al. 3 let. a LIFD), l'effet interruptif de la prescription se produit lorsque l'autorité prend une mesure tendant à fixer ou à faire valoir la créance d'imp ôt. La disposition de droit cantonal peut donc s'appliquer aussi bien à un "acte de taxation qu'à un acte de perception". En outre, si le législateur avait voulu faire une distinction entre les actes interruptifs suivant la prescription en cause, il n'aurait pas prévu à l'art. 238 al. 2 LI un renvoi aux dispositions régissant la prescription du droit de taxer. Dès lors et compte tenu de la définition large donnée à la notion d'acte interruptif par la jurisprudence, les communications effectuées par les autorités fiscales (soit la proposition de règlement du 17 janvier 2014 et les courriers des 14 février 2017 et 30 août 2018) avaient interrompu la prescription de la créance fiscale. En effet, pour les premiers juges, ces communications manifestaient la volonté des autorités fiscales de maintenir, voire d'augmenter les montants d'impôts tels qu'arrêtés par les décisions de taxation des périodes fiscales 2010 et 2011. Partant, le délai de prescription relatif de cinq ans prévu par l'art. 238 al. 1 LI n'était pas échu lorsque l'office d'impôt avait adressé à la recourante le 23 novembre 2020 les décisions intitulées "Décision de taxation et calcul de l'impôt résultant d'un réexamen", qui avaient fait courir un nouveau délai de prescription. Celle-ci n'était pas atteinte le 8 octobre 2021, pas plus qu'à la date de l'arrêt cantonal (le 28 avril 2023).
5.2. A l'encontre de ce raisonnement, la recourante fait valoir en substance que l'autorité précédente aurait reconnu à tort un effet interruptif de la prescription non seulement aux mesures tendant à faire valoir la créance d'impôt, mais également à celles tendant à la fixer. En effet, le renvoi auquel procède l'art. 238 al. 2 LI ne s'appliquerait que par analogie, ce qui signifierait que le "législateur [avait] choisi[...] volontairement de renoncer à une réglementation exhaustive pour laisser aux tribunaux et autorités une marge d'appréciation leur permettant de trouver des solutions flexibles". En l'espèce, l'autorité fiscale ne devrait pas pouvoir interrompre la prescription de sa créance "à des conditions facilitées"; elle aurait dû indiquer dans ses "mesures d'interruption" le montant qu'elle réclamait de la contribuable. Or les courriers des 14 février 2017 et 30 août 2018, auxquels se réfèrent les premiers juges, ne mentionneraient aucun montant, de sorte que la prescription des créances de l'autorité fiscale n'aurait pas valablement été interrompue.
6.
Il est douteux que le recours satisfasse aux exigences de motivation prévues par l'art. 106 al. 2 LTF en présence d'une question relevant du droit cantonal vaudois (cf. supra consid. 2.1 et 4). Si la recourante se plaint certes d'une violation des art. 170 et 238 LI, elle n'invoque toutefois pas que l'application et l'interprétation de ces dispositions par l'instance précédente consacreraient une violation du principe de la protection de l'arbitraire (art. 9 Cst.) ou d'une autre garantie de droits constitutionnels. Cette question peut demeurer ouverte dès lors que le recours est mal fondé.
En effet, la recourante ne met pas en lumière que la solution adoptée par les premiers juges au regard du droit cantonal vaudois serait arbitraire. On rappellera à cet égard qu'une décision ne peut être qualifiée de telle que si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable; pour que cette décision soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (cf. ATF 148 II 106 consid. 4.6.1). Or on ne discerne pas en quoi le fait pour la juridiction cantonale d'avoir appliqué par analogie l'art. 170 al. 3 let. a LI en vertu de l'art. 238 al. 2 LI, qui prévoit expressément ce renvoi, serait insoutenable. En outre, la recourante se limite à affirmer que l'art. 170 al. 3 let. a LI imposerait à l'Administration fiscale d'indiquer dans ses actes interruptifs de la prescription le montant de la créance fiscale. Ce faisant, elle ne démontre pas que l'interprétation qu'a faite la juridiction cantonale de cette disposition, qui prévoit que l'effet interruptif a lieu lorsque l'autorité prend une mesure qui tend à "fixer" ou "faire valoir" la créance d'impôt, serait arbitraire.
7.
En définitive, le recours doit être rejeté. Succombant, la recourante supportera les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens ( art. 68 al. 1 et 3 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté en tant qu'il concerne les impôts cantonaux et communaux des années 2010 et 2011.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'500 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, et à l'Administration fédérale des contributions.
Lucerne, le 8 novembre 2023
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Parrino
Le Greffier : Bürgisser