Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4A_450/2007
Arrêt du 9 janvier 2008
Ire Cour de droit civil
Composition
M. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett et Rottenberg Liatowitsch.
Greffier: M. Carruzzo.
Parties
X.________ SA,
recourante, représentée par Me Guy-Philippe Rubeli,
contre
Y.________ Inc.,
intimée, représentée par Mes Georg Naegeli et Laurent Gabus.
Objet
arbitrage international,
recours en matière civile contre la sentence rendue le
21 septembre 2007 par le Professeur V.________, arbitre unique.
Faits:
A.
Les 12 et 24 juin 1992, X.________ SA (ci-après: X.________), société fabriquant des conduites et installations pour l'approvisionnement en eau, d'une part, et Y.________ Inc. (ci-après: Y.________), société ayant son siège aux Iles Caïmans, d'autre part, ont conclu un contrat en vertu duquel celle-ci s'est engagée à fournir à celle-là différents services contre paiement de commissions. Il s'agissait, en particulier, de permettre à la première société de soumissionner avec succès les travaux d'adduction d'eau mis au concours dans le cadre, notamment, des projets dénommés A.________, B.________ et C.________, et de veiller au bon déroulement des opérations, une fois les contrats signés avec le maître d'oeuvre.
B.
Se fondant sur la clause arbitrale insérée dans ledit contrat, Y.________ a introduit une procédure d'arbitrage, par requête du 13 novembre 2005, en vue d'obtenir le paiement, par X.________, d'un solde de commissions de quelque 3'000'000 euros, intérêts en sus.
La défenderesse a conclu au rejet intégral de la demande.
Par sentence finale du 21 septembre 2007, le Professeur V.________, statuant comme arbitre unique à Genève, sous l'égide de la Chambre de Commerce Internationale, a admis partiellement la demande et condamné X.________ à payer à Y.________ le montant de 2'303'202 euros avec intérêts à 5% dès le 23 novembre 2005.
C.
Le 29 octobre 2007, X.________ a déposé un recours en matière civile au Tribunal fédéral aux fins d'obtenir l'annulation de la sentence précitée.
L'intimée conclut principalement à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, au rejet de celui-ci. L'arbitre unique a renoncé à se déterminer sur le recours.
La demande d'effet suspensif formulée par la recourante a été rejetée par ordonnance présidentielle du 29 novembre 2007.
Considérant en droit:
1.
D'après l'art. 54 al. 1 LTF, le Tribunal fédéral rédige son arrêt dans une langue officielle, en règle générale dans la langue de la décision attaquée. Lorsque cette décision est rédigée dans une autre langue (ici l'anglais), le Tribunal fédéral utilise la langue officielle choisie par les parties. Devant le Tribunal arbitral, celles-ci ont opté pour l'anglais, tandis que, dans les mémoires qu'elles ont adressés au Tribunal fédéral, elles ont employé le français. Conformément à sa pratique, le Tribunal fédéral rendra, par conséquent, son arrêt dans cette langue.
2.
2.1 Dans le domaine de l'arbitrage international, le recours en matière civile est recevable contre les décisions de tribunaux arbitraux aux conditions prévues par les art. 190 à 192 LDIP (art. 77 al. 1 LTF).
En l'espèce, le siège de l'arbitrage a été fixé à Genève. L'une des parties au moins (en l'occurrence, les deux) n'avait pas son domicile en Suisse au moment déterminant. Les dispositions du chapitre 12 de la LDIP sont donc applicables (art. 176 al. 1 LDIP).
La recourante est directement touchée par la sentence finale attaquée, qui la condamne à payer une somme d'argent à l'intimée. Elle a ainsi un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cette sentence n'ait pas été rendue en violation des garanties découlant de l'art. 190 al. 2 LDIP, ce qui lui confère la qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF).
Déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF), dans la forme prévue par la loi (art. 42 al. 1 LTF), le recours est, en principe, recevable. Demeure réservé l'examen de la recevabilité - contestée par l'intimée - des critiques que la recourante formule à l'encontre de la sentence arbitrale.
2.2 Le recours ne peut être formé que pour l'un des motifs énumérés de manière exhaustive à l'art. 190 al. 2 LDIP (ATF 128 III 50 consid. 1a p. 53; 127 III 279 consid. 1a p. 282; 119 II 380 consid. 3c p. 383). Le Tribunal fédéral examine uniquement les griefs qui ont été invoqués et motivés par le recourant (art. 77 al. 3 LTF). Les exigences strictes en matière de motivation, posées par la jurisprudence relative à l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. ATF 128 III 50 consid. 1c), demeurent valables sous l'empire du nouveau droit de procédure fédéral.
Le recours reste purement cassatoire (cf. l'art. 77 al. 2 LTF qui exclut l'application de l'art. 107 al. 2 LTF). Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par le Tribunal arbitral (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter d'office les constatations des arbitres, même si les faits ont été établis de manière manifestement inexacte ou en violation du droit (cf. l'art. 77 al. 2 LTF qui exclut l'application de l'art. 105 al. 2 LTF). En revanche, comme c'était déjà le cas sous l'empire de la loi fédérale d'organisation judiciaire (cf. ATF 129 III 727 consid. 5.2.2; 128 III 50 consid. 2a et les arrêts cités), le Tribunal fédéral conserve la faculté de revoir l'état de fait à la base de la sentence attaquée si l'un des griefs mentionnés à l'art. 190 al. 2 LDIP est soulevé à l'encontre dudit état de fait ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux sont exceptionnellement pris en considération dans le cadre de la procédure du recours en matière civile.
3.
3.1 Aux pages 8 à 11 de son mémoire, la recourante expose sa propre version des faits, sans se référer aux pièces du dossier de l'arbitrage. Elle s'écarte des constatations figurant dans la sentence arbitrale ou cherche à les compléter. Une telle manière de procéder n'étant pas conforme aux règles susmentionnées, il n'est pas possible de prendre en considération cette version des faits.
3.2 A ce stade de la procédure, seule est encore litigieuse la question de savoir si la recourante, chargée de prouver les faits pertinents à cet égard, est parvenue à établir le bien-fondé des déductions qu'elle a opérées sur les commissions dues par elle à l'intimée.
L'examen effectué ci-après se limitera donc aux griefs articulés par la recourante en rapport avec cette question. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'exposer ici les tenants et aboutissants de la présente affaire, ni de mentionner les considérations émises par l'arbitre unique au sujet des différents problèmes soulevés par les parties.
4.
4.1 Invoquant l'art. 190 al. 2 let. d LDIP, la recourante reproche à l'arbitre unique d'avoir violé son droit d'être entendue.
Pour étayer ce grief, elle expose, en substance, que l'arbitre unique avait accepté sa requête visant à ne produire que des pièces caviardées afin de ne pas révéler l'identité des bénéficiaires des commissions versées directement par elle, commissions qui devaient être déduites de celles auxquelles pouvait prétendre l'intimée en vertu du contrat qui les liait. Or, sans l'avertir, au préalable, de l'absence de force probante des pièces produites, l'arbitre unique, procédant à une "inférence négative", avait considéré, par une appréciation, au demeurant arbitraire, des moyens de preuve en question, que lesdites pièces, dont le contenu était pourtant confirmé par les dires du témoin W.________, ne suffisaient pas à prouver que les commissions versées par elle l'avaient bien été dans le cadre des projets A.________, B.________ et C.________. Et la recourante de conclure en ces termes: "... l'arbitre unique a manifestement violé de manière inadmissible et insoutenable les règles sur l'appréciation équitable et impartiale des preuves, principe qui participe au droit d'être entendu des parties à un arbitrage. Cette violation constitue une grave atteinte aux droits élémentaires de la recourante - et donc, par ricochet, à l'ordre public suisse au sens de l'art. 190 al. 2 lit. e - qui justifie, à elle seule, l'annulation de la sentence arbitrale...".
4.2
4.2.1 Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par les art. 182 al. 3 et 190 al. 2 let. d LDIP, n'a en principe pas un contenu différent de celui consacré en droit constitutionnel (ATF 127 III 576 consid. 2c; 119 II 386 consid. 1b; 117 II 346 consid. 1a p. 347). Ainsi, il a été admis, dans le domaine de l'arbitrage, que chaque partie avait le droit de s'exprimer sur les faits essentiels pour le jugement, de présenter son argumentation juridique, de proposer ses moyens de preuve sur des faits pertinents et de prendre part aux séances du tribunal arbitral (ATF 127 III 576 consid. 2c; 116 II 639 consid. 4c p. 643).
4.2.2 Il ressort du texte de sa conclusion précitée que la recourante fait un amalgame qui n'a pas lieu d'être entre le droit d'être entendu, l'appréciation des preuves et l'ordre public procédural. Dans cette mesure, son recours est irrecevable, faute d'une individualisation de griefs qui ne se recoupent pas.
S'agissant du droit d'être entendu, force est de relever d'emblée que la recourante en fait une interprétation extensive, à l'appui de laquelle elle est bien en peine de citer le moindre précédent, lorsqu'elle y inclut le droit d'une partie à un arbitrage international d'être informée du fait que les pièces produites par elle n'ont pas une force probante suffisante pour établir les faits litigieux pertinents qu'elle est chargée de prouver. C'est le lieu de rappeler que le droit d'être entendu n'implique pas que le juge doive attirer l'attention des parties sur les faits décisifs pour le jugement (ATF 108 IA 293 consid. 4c p. 295), ce qui vaut aussi dans le domaine de l'arbitrage international (ATF 130 III 35 consid. 5 p. 39 in medio). Aussi paraît-il difficile d'admettre, à plus forte raison, que ladite garantie puisse obliger le juge ou l'arbitre à informer une partie, avant de rendre son jugement ou sa sentence, que les éléments de preuve versés au dossier ne suffisent pas à établir un fait décisif.
Il n'est pas nécessaire d'examiner si et, dans l'affirmative, sous quel angle, le comportement d'un tribunal arbitral pourrait être sanctionné, qui consisterait à autoriser une partie à produire une pièce caviardée, puis à la débouter, sans avertissement préalable, au seul motif que le caviardage ôterait toute force probante à la pièce en question. On peut notamment laisser indécis le point de savoir si un tel comportement ne devrait pas être appréhendé au titre de la violation de l'ordre public procédural (art. 190 al. 2 let. e LDIP), en tant qu'il se révélerait incompatible avec les règles de la bonne foi dont le respect doit permettre d'assurer la loyauté de la procédure. En effet, les circonstances qui caractérisent la présente espèce n'entrent pas dans ce cas de figure pour deux raisons au moins. Premièrement, c'est à tort que la recourante soutient, de manière péremptoire, que l'arbitre unique ne l'a pas informée du manque de force probante des pièces produites par elle. Les explications fournies à ce sujet aux paragraphes 129 à 132 de la sentence attaquée le démontrent clairement. Secondement, il ressort de différents passages de cette même sentence que, pour l'arbitre unique, les pièces litigieuses ne permettaient pas de faire le rapprochement entre les commissions versées et les projets A.________, B.________ et C.________, quelle que fût l'identité des bénéficiaires des versements, raison pour laquelle les déductions effectuées par la recourante sur les commissions réclamées par l'intimée ne pouvaient pas être admises (cf. par. 134 à 136, 143 à 146 et 152 à 154). Ainsi, il n'est nullement établi que la recourante aurait pu obtenir gain de cause si elle avait déposé les mêmes pièces, mais sans les caviarder. Il suit de là que le caviardage n'a pas joué un rôle déterminant dans la solution du différend soumis à l'arbitre unique.
Dans la mesure où elle avait été dûment informée du caractère non probant des pièces produites par elle, la recourante ne peut rien tirer en sa faveur du fait que l'arbitre unique, plutôt que de l'autoriser à ne soumettre lesdites pièces qu'à lui-même, à l'exclusion de l'intimée - solution envisageable, mais soulevant des difficultés du point de vue du droit d'être entendu (cf. Jean-François Poudret/Sébastien Besson, Droit comparé de l'arbitrage international, n. 654, p. 589) -, comme elle le lui avait proposé à titre alternatif, a opté pour le procédé du caviardage. Sachant que les pièces caviardées ne suffiraient pas à démontrer l'existence des faits dont la preuve lui incombait, l'intéressée aurait dû prendre les mesures imposées par la situation. Elle aurait pu formuler à nouveau la même proposition, faire administrer d'autres preuves, voire, en dernier ressort, produire les mêmes pièces non caviardées. Aussi cherche-t-elle en vain à reporter sur l'intimée les conséquences de son inaction.
Pour le surplus, le recours ne consiste qu'en une remise en cause inadmissible du résultat de l'appréciation des preuves - qu'il s'agisse des pièces incriminées ou du témoignage de W.________ - telle qu'elle a été effectuée par l'arbitre unique.
Dans ces conditions, le présent recours ne peut qu'être rejeté si tant est qu'il soit recevable.
5.
La recourante, qui succombe, devra payer les frais judiciaires afférents à la procédure fédérale (art. 66 al. 1 LTF) et verser des dépens à son adverse partie ( art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 20'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 22'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à l'arbitre unique.
Lausanne, le 9 janvier 2008
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Corboz Carruzzo