Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
2C_693/2023
Arrêt du 9 avril 2024
IIe Cour de droit public
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux Hänni, Juge présidant, Donzallaz et Ryter.
Greffière : Mme Jolidon.
Participants à la procédure
Département de la santé et de l'action sociale du canton de Vaud,
Secrétariat général, bâtiment de la Pontaise, avenue des Casernes 2, 1014 Lausanne Adm cant VD,
recourant,
contre
1. A.________ SA,
2. B.________ SA,
toutes les deux représentées par Me Timo Sulc, avocat,
intimées.
Objet
mise en service d'un équipement médico-technique lourd (CT-scan),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 17 novembre 2023 (GE.2023.0043).
Faits :
A.
Les sociétés A.________ SA et B.________ SA, qui exploitent une clinique à U.________ respectivement un centre de radiologie au sein de la clinique, ont demandé au Département de la santé et de l'action sociale du canton de Vaud (ci-après: le Département cantonal) à être autorisées à mettre en service un équipement médico-technique lourd, à savoir un CT-scan. Selon le décret cantonal topique, les décisions y relatives doivent être rendues dans un délai de six mois, à défaut de quoi, la requête est réputée acceptée. A la demande dudit département, les sociétés ont renoncé, par courrier du 13 avril 2022, à se prévaloir de ce délai qui arrivait à échéance le 13 mai 2022.
Par décision du 2 février [recte: 30 janvier] 2023, la cheffe du Département cantonal a refusé la demande d'autorisation, au motif notamment que ce type d'équipement présentait de la disponibilité dans la région, sans indice de saturation.
B.
La Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal cantonal) a admis, par arrêt du 17 novembre 2023, le recours déposé par A.________ SA et B.________ SA contre la décision du 30 janvier 2023 du Département cantonal. Elle a réformé celle-ci en ce sens que la mise en service du CT-scan était autorisée. Elle a en substance qualifié le délai de six mois, fixé par le décret cantonal, de délai de péremption, non prolongeable et qui ne pouvait être ni suspendu ni interrompu.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, le canton de Vaud, agissant par la Conseillère d'État en charge du Département cantonal, demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais, d'annuler l'arrêt du 17 novembre 2023 du Tribunal cantonal et de confirmer la décision du 30 janvier 2023 de la cheffe du Département cantonal, subsidiairement, de renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Elle reproche à l'instance judiciaire précédente d'avoir procédé à une interprétation arbitraire du droit cantonal.
A.________ SA et B.________ SA concluent, sous suite de frais et dépens, à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Le Tribunal cantonal se réfère aux considérants de son arrêt.
Le Département cantonal a persisté dans ses conclusions, par écriture du 14 février 2024.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 141 II 113 consid. 1 p. 116).
L'arrêt attaqué, rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), concerne une demande d'autorisation de mettre en service un CT-scan. Comme cette problématique relève du droit public et qu'aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'est réalisée, la voie du recours en matière de droit public est ouverte sur la base de l'art. 82 let. a LTF.
2.
Dirigé contre l'arrêt du 17 novembre 2023 du Tribunal cantonal ayant annulé la décision du 30 janvier 2023 du Département cantonal, le présent recours a été déposé par la cheffe du Département cantonal. Il convient dès lors de s'interroger sur la qualité pour recourir de ce département.
2.1. L'art. 89 al. 2 LTF prévoit qu'une collectivité peut jouir de la qualité pour recourir au Tribunal fédéral à divers titres spécifiques. En l'occurrence, le canton de Vaud ne relève d'aucune des hypothèses ancrées à cette disposition. Il ne prétend d'ailleurs pas le contraire dans son recours. Il ne peut notamment pas invoquer une violation de son autonomie au sens de l'art. 89 al. 2 let. c LTF. De jurisprudence constante, un canton ne peut en effet pas se prévaloir d'une telle garantie à l'encontre d'un arrêt rendu par la dernière instance judiciaire administrative cantonale (ATF 133 II 400 consid. 2.4.1; arrêt 2C_285/2023 du 13 septembre 2023 consid. 2.1).
2.2. Le recourant prétend posséder la qualité pour recourir en application de l'art. 89 al. 1 LTF. Il souligne que le but du décret sur la régulation des équipements médico-techniques lourds (DREMTL/VD; RS/VD 800.032 [ci-après également: le décret]), adopté le 29 septembre 2015 par le Grand Conseil du canton de Vaud, consiste à réguler la mise en service de tels équipements, qui génèrent des prestations facturées à charge de l'assurance obligatoire, et qu'avec l'arrêt attaqué un nouvel CT-scan sera utilisé dans le canton de Vaud, alors qu'un besoin correspondant n'a pas été reconnu.
2.2.1. Il convient de tout d'abord relever qu'une entité cantonale dépourvue de la personnalité juridique, à l'instar du Département cantonal, ne possède pas la légitimation en lien avec l'art. 89 al. 1 LTF, à moins d'avoir une procuration expresse l'autorisant à agir au nom de la collectivité publique en cause (cf. ATF 141 I 253 consid. 3.2 et les arrêts cités; arrêt 9C_460/2021 du 1er avril 2022 consid. 2.1 non publié in ATF 148 V 242). Or, il n'apparaît pas que le Département cantonal se prévale d'une procuration qui lui permettrait de représenter le canton de Vaud. Ce point peut néanmoins rester ouvert, le recours étant de toute façon irrecevable pour les motifs exposés ci-dessous.
2.2.2. Aux termes de l'art. 89 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire, est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.
Cette disposition est avant tout conçue pour les particuliers. Selon la jurisprudence, une collectivité peut toutefois, subsidiairement à l'art. 89 al. 2 LTF et dans des conditions particulières, fonder sa qualité pour recourir (cf. ATF 147 II 227 consid. 2.3.2; 141 II 161 consid. 2.1). Tel est notamment le cas lorsque la décision contestée atteint la collectivité publique recourante de la même manière qu'un particulier, ou du moins de manière analogue, dans ses intérêts juridiques ou patrimoniaux (ATF 141 III 353 consid. 5.2; 140 I 90 consid. 1.2.1 et les arrêts cités), ou lorsque l'acte attaqué la touche dans ses prérogatives de puissance publique et qu'elle dispose d'un intérêt public propre digne de protection à son annulation ou à sa modification (ATF 141 II 161 consid. 2.1; 140 I 90 consid. 1.2.2; 138 II 506 consid. 2.1.1). Lorsqu'il est porté atteinte à ses intérêts spécifiques, la collectivité publique peut ainsi se voir reconnaître la qualité pour recourir, pour autant qu'elle soit touchée de manière qualifiée (cf. ATF 141 II 161 consid. 2.3; 140 I 90 consid. 1.2.2 et 1.2.4; arrêt 2C_1105/2016 du 20 février 2018 consid. 1.3.1). Le simple intérêt général à l'application correcte du droit ne suffit en revanche pas à permettre aux collectivités publiques de recourir sur la base de l'art. 89 al. 1 LTF (cf. ATF 147 II 227 consid. 2.3.2; 141 III 353 consid. 5.2; 140 I 90 consid. 1.2.2; 135 II 156 consid. 3.1). Lorsque la collectivité publique est un canton, celui-ci ne peut, sauf situation exceptionnelle, se prévaloir de l'art. 89 al. 1 LTF pour recourir contre la décision d'une autorité judiciaire cantonale supérieure qui lui donnerait tort, ce d'autant lorsqu'il en va de l'application et de l'interprétation du droit cantonal (ATF 141 II 161 consid. 2.2 in fine et les arrêts cités; arrêt 1C_180/2018 du 10 octobre 2018 consid. 1.2.1). Il ne faut en effet pas perdre de vue que, lors de l'adoption de la LTF, le Parlement a rejeté la proposition du Conseil fédéral qui tendait à habiliter les gouvernements cantonaux, dans certains cas, à attaquer les arrêts de leurs propres tribunaux cantonaux (ATF 141 II 161 consid. 2.2 et les arrêts cités); le législateur ne voulait pas que les litiges entre autorités exécutives et judiciaires suprêmes des cantons soient tranchés par le Tribunal fédéral. Comme déjà indiqué en lien avec l'art. 89 al. 2 let. c LTF (cf. supra consid. 2.1), en Suisse, la règle est donc celle de l'interdiction des procédures intra-organiques (arrêts 2C_285/2023 du 13 septembre 2023 consid. 3.1; 1C_36/2021 du 3 juin 2021 consid. 1.2.1).
2.2.3. En vertu de l'art. 8 DREMTL/VD, l'exploitant qui souhaite mettre en service un équipement figurant sur la liste, adresse une demande motivée au département, par l'intermédiaire du Service de la santé publique (al. 1); l'exploitant fournit au service toutes les informations nécessaires au traitement de sa demande (al. 2); une fois le dossier constitué, le service le transmet à la Commission cantonale d'évaluation (al. 3).
L'art. 9 al. 1 DREMTL/VD prévoit que le département accorde l'autorisation si les critères cumulatifs suivants sont remplis: a. la mise en service de l'équipement répond à un besoin de santé publique avéré, b. aucun impératif de police sanitaire ne s'y oppose, c. les coûts induits à charge de l'assurance obligatoire des soins, des pouvoirs publics ou des patients sont proportionnés par rapport au bénéfice sanitaire attendu, d. le requérant dispose de personnel qualifié. Selon l'art. 9 al. 4 DREMTL/VD, les décisions du département ou du Conseil d'État doivent être rendues dans un délai de six mois à compter de la transmission du dossier à la Commission (cf. art. 8 al. 3 DREMTL/VD); à défaut, la demande est réputée acceptée.
2.2.4. En l'espèce, le Tribunal cantonal a procédé à une interprétation, à l'aune notamment des travaux préparatoires, de l'art. 9 al. 4 DREMTL/VD. Elle a considéré que ce délai constituait un délai de péremption et que, dès lors qu'il n'avait pas été respecté par le Département cantonal, l'autorisation de mise en service du CT-scan devait être accordée. Les juges précédents ont ainsi opéré une interprétation du droit cantonal qui diverge de celle du Département cantonal, qui estime que le délai en cause est prolongeable et que les parties peuvent renoncer à l'invoquer. Dans ce contexte, on ne saurait considérer que cet arrêt atteint le canton de Vaud de manière importante dans ses prérogatives de puissance publique. Dans son recours, ce canton prétend que le Tribunal cantonal a appliqué l'art. 9 al. 4 DREMTL/VD de manière arbitraire; selon lui, les parties doivent pouvoir renoncer au délai de six mois, afin que l'autorité compétente puisse procéder à une analyse approfondie des cas de figure faisant l'objet d'une demande d'autorisation, de respecter le droit d'être entendu et d'éviter de rendre une décision dans la précipitation. Ce faisant, il demande au Tribunal fédéral de trancher un conflit interne quant à la juste application de normes cantonales. Or, comme exposé ci-avant, le simple intérêt à la juste application du droit ne confère pas au canton la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF.
Il est certes possible que l'arrêt attaqué ait pour conséquence, dans certains cas, de mettre sous pression le Département cantonal qui peut devoir requérir des renseignements complémentaires à ceux déjà fournis dans la demande d'autorisation de mise sur le marché et entendre la demanderesse en cas de préavis négatif, ce qui prolonge d'autant la procédure. Cela ne suffit toutefois pas à reconnaître que le canton serait, en l'occurrence, touché de manière qualifiée dans ses prérogatives de puissance publique. Dans la motivation de son mémoire, le recourant ne démontre pas que l'interprétation du droit cantonal préconisée par les juges précédents empêcherait le canton de Vaud de mener à bien sa politique cantonale en matière de régulation de l'offre d'équipements médico-techniques lourds; l'intérêt public à éviter une offre superflue de ce type d'équipements n'est pas suffisamment démontré. Le recourant se contente de faire état de la difficulté de respecter le délai de six mois, dans certains cas, et du risque de devoir rejeter des demandes car toutes les informations nécessaires à une décision ne seraient pas encore obtenues au terme de ce délai. Au demeurant, comme il le souligne, ce risque sera plutôt en défaveur des demandeurs qui risquent de se voir notifier, dans une telle hypothèse, une décision négative. Cet argument démontre ainsi bien que l'arrêt attaqué ne vide assurément pas le décret cantonal précité de toute portée et que, par le biais du présent recours, l'intéressé demande en réalité au Tribunal fédéral d'arbitrer un conflit entre l'administration cantonale et le Tribunal cantonal quant à l'application de l'art. 9 al. 4 DREMTL/VD.
2.3. En conclusion, le canton de Vaud ne peut pas prétendre fonder sa qualité pour recourir sur la clause générale de l'art. 89 al. 1 LTF.
3.
Au regard de ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable pour défaut de qualité pour recourir.
Le canton de Vaud, qui succombe, versera des dépens aux intimées, créancières solidaires, qui sont représentées par un avocat (cf. art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF ). Il n'y a pas lieu de percevoir des frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 et 4 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité de 3'000 fr., à payer à titre de dépens aux intimées, créancières solidaires, est mise à la charge du canton de Vaud.
4.
Le présent arrêt est communiqué à la cheffe du Département de la santé et de l'action sociale du canton de Vaud, au mandataire des intimées et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
Lausanne, le 9 avril 2024
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Juge présidant : J. Hänni
La Greffière : E. Jolidon