Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_102/2024
Arrêt du 9 juillet 2024
IVe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président,
Maillard et Bechaalany, Juge suppléante.
Greffier : M. Ourny.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Muriel Vautier, avocate,
recourante,
contre
Caisse cantonale de chômage, Division juridique,
rue Caroline 9bis, 1014 Lausanne,
intimée.
Objet
Assurance-chômage (indemnité de chômage),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 12 janvier 2024 (ACH 11/23 - 5/2024).
Faits :
A.
A.a. A.________ (ci-après aussi: l'assurée), née en 1970 et employée depuis le 1er juillet 1997 par B.________ SA (ci-après: la Société), a été licenciée le 21 février 2022 pour le 31 août 2022. La Société a été fondée par l'époux de l'assurée en mars 1996. Celui-ci est inscrit au registre du commerce en tant qu'administrateur président depuis sa création, initialement avec signature individuelle, puis avec signature collective à deux depuis le 17 novembre 2000.
A.b. Le 9 septembre 2022, l'assurée s'est inscrite auprès de l'Office régional de placement de U.________. Elle a sollicité l'ouverture d'un délai-cadre d'indemnisation auprès de la Caisse cantonale de chômage (ci-après: la caisse) dès le 1er octobre 2022. Selon l'attestation de l'employeur du 30 septembre 2022, son licenciement était intervenu pour motif économique à l'occasion d'une restructuration.
A.c. Par décision du 6 octobre 2022, la caisse a refusé de donner suite à la demande d'indemnité de l'assurée, au motif que son époux était toujours inscrit au registre du commerce en tant qu'administrateur président de la Société, avec signature collective à deux, et qu'il disposait à ce titre d'un pouvoir décisionnel.
A.d. Par décision sur opposition du 18 janvier 2023, la caisse a rejeté l'opposition de l'assurée et confirmé sa décision du 6 octobre 2022. Après avoir constaté que l'époux de celle-ci était toujours inscrit au registre du commerce en tant qu'administrateur président de la Société avec signature collective à deux, elle a considéré que, bien que malade et au bénéfice d'une demi-rente de l'assurance-invalidité, il disposait toujours d'un pouvoir décisionnel au sein de la Société. La caisse a par ailleurs relevé qu'il avait signé, conjointement à l'autre administrateur, la lettre de licenciement de son épouse.
B.
Par arrêt du 12 janvier 2024, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours de l'assurée et confirmé la décision sur opposition du 18 janvier 2023.
C.
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, en concluant à sa réforme en ce sens que les indemnités de chômage demandées lui soient allouées. À titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Invitée à se déterminer sur le recours, l'intimée ne s'est pas prononcée, de même que le Secrétariat d'État à l'économie (SECO). La juridiction cantonale se réfère purement et simplement à son jugement.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
2.1. Le litige porte sur le point de savoir si les premiers juges ont violé le droit fédéral en niant à la recourante le droit à l'indemnité de chômage en raison de la fonction d'administrateur de son époux au sein de la Société.
2.2. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement juridique sur les faits retenus par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 148 V 366 consid. 3.3; 145 V 188 consid. 2) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (cf. art. 105 al. 2 LTF). Si la recourante entend s'écarter des constatations de fait de l'autorité précédente, elle doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées et la correction du vice susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF); à défaut, un état de fait divergent de celui de la décision attaquée ne peut pas être pris en compte (ATF 148 V 366 consid. 3.3; 145 V 188 consid. 2; 135 II 313 consid. 5.2.2).
3.
3.1. D'après la jurisprudence, un travailleur qui jouit d'une situation professionnelle comparable à celle d'un employeur n'a pas droit à l'indemnité de chômage lorsque, bien que licencié formellement par une entreprise, il continue de fixer les décisions de l'employeur ou à influencer celles-ci de manière déterminante. Dans le cas contraire, en effet, on détournerait par le biais d'une disposition sur l'indemnité de chômage la réglementation en matière d'indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail, en particulier l'art. 31 al. 3 let. c LACI (RS 837.0). Selon cette disposition, n'ont pas droit à l'indemnité en cas de réduction de l'horaire de travail, notamment, les personnes qui fixent les décisions que prend l'employeur - ou peuvent les influencer considérablement - en qualité d'associé, de membre d'un organe dirigeant de l'entreprise ou encore de détenteur d'une participation financière à l'entreprise; il en va de même des conjoints de ces personnes, qui sont occupés dans l'entreprise. Le Tribunal fédéral a identifié un risque de contournement de la clause d'exclusion de l'art. 31 al. 3 let. c LACI lorsque, dans un contexte économique difficile, ces personnes procèdent à leur propre licenciement et revendiquent l'indemnité de chômage tout en conservant leurs liens avec l'entreprise. Dans une telle configuration, en effet, il est toujours possible pour elles de se faire réengager dans l'entreprise ultérieurement et d'en reprendre les activités dans le cadre de son but social. Ce n'est pas l'abus avéré comme tel que la loi et la jurisprudence entendent sanctionner, mais le risque d'abus que représente le versement d'indemnités à un travailleur jouissant d'une situation comparable à celle d'un employeur; il suffit qu'une continuité des activités soit possible pour que le droit doive être nié en raison d'un risque de contournement de la loi (ATF 123 V 234 consid. 7b/bb; arrêts 8C_108/2021 du 9 juillet 2021 consid. 3; 8C_384/2020 du 22 décembre 2020 consid. 3.1).
3.2. Selon la même jurisprudence, la situation est en revanche différente quand le salarié qui se trouve dans une position assimilable à celle de l'employeur quitte définitivement l'entreprise en raison de la fermeture de celle-ci. Il en va de même lorsque l'entreprise continue d'exister mais que le salarié, par suite de la résiliation de son contrat, rompt définitivement tout lien avec la société. Dans un cas comme dans l'autre, l'intéressé peut en principe prétendre à une indemnité de chômage. Cette jurisprudence est toutefois stricte. Elle exclut de considérer qu'un assuré a définitivement quitté son ancienne entreprise en raison de la fermeture de celle-ci tant que ladite entreprise n'est pas entrée en liquidation voire, selon les circonstances, pendant la durée de la procédure de liquidation (arrêt 8C_811/2019 du 12 novembre 2020 consid. 3.1.2 et l'arrêt cité).
3.3. Lorsqu'il s'agit de déterminer quelle est la possibilité effective d'un dirigeant d'influencer le processus de décision de l'entreprise, il convient de prendre en compte les rapports internes existant dans l'entreprise, étant précisé que c'est la notion matérielle de l'organe dirigeant qui est déterminante, car c'est la seule façon de garantir que l'art. 31 al. 3 let. c LACI, qui vise à combattre les abus, remplisse son objectif. Le critère déterminant est celui de la capacité de l'assuré à influencer concrètement et de manière importante les décisions de la société. Il n'est en revanche pas nécessaire d'examiner les circonstances concrètes du cas d'espèce lorsque le pouvoir décisionnel du dirigeant ressort de la loi. Tel est le cas des membres du conseil d'administration d'une SA et des associés d'une Sàrl (cf. art. 716 à 716b CO et art. 804 ss CO), pour qui le droit aux prestations peut dès lors être exclu sans qu'il soit nécessaire de déterminer plus concrètement les responsabilités qu'ils exercent au sein de la société (ATF 145 V 200 consid. 4.2; 122 V 270 consid. 3; arrêts 8C_748/2022 du 21 août 2023 consid. 4.3; 8C_384/2020 précité consid. 3.1 in fine).
4.
En l'espèce, les juges cantonaux ont estimé qu'en tant que membre du conseil d'administration de la Société, l'époux de la recourante disposait ex lege du pouvoir de fixer les décisions de gestion et de représentation que la Société était amenée à prendre, notamment comme employeur, ou à tout le moins de les influencer considérablement au sens de l'art. 31 al. 3 let. c LACI. Cette circonstance permettait à elle seule d'exclure le droit aux indemnités de chômage de la recourante. Les éléments soulevés par celle-ci ne permettaient pas d'apprécier la situation différemment. L'état de santé de son époux, la teneur du contrat de travail de ce dernier avec C.________ SA - dont la Société était devenue la filiale en novembre 2019 - et l'attestation établie le 24 octobre 2022 au nom de C.________ SA ne changeaient rien au fait que l'époux disposait en vertu de la loi d'un pouvoir décisionnel, vu sa fonction d'administrateur. Il continuait du reste à exercer des prérogatives liées à cette fonction, puisqu'il avait signé la lettre de licenciement de la recourante, alors que, selon les indications figurant au registre du commerce, une troisième personne disposait également de la signature collective à deux. Au vu des circonstances, la recourante ne pouvait pas être suivie lorsqu'elle soutenait que son conjoint se trouvait dans une position assimilable à celle d'un employeur ayant rompu tout lien de travail avec l'entreprise. Quant à l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances (C 32/04 du 23 mai 2005) cité par la recourante, les premiers juges ont expliqué qu'il ne posait aucun principe général transposable à la présente affaire et qu'il se rapportait à des circonstances qui ne pouvaient pas être comparées à celles du cas d'espèce. Concernant l'argument selon lequel le risque de réengagement de la recourante par son époux serait purement théorique et invraisemblable, l'instance précédente a rappelé que la jurisprudence prévoyait l'exclusion du droit à l'indemnité de chômage même lorsque la possibilité d'un réengagement était seulement hypothétique. Au vu de ces éléments, la cour cantonale a considéré que l'intimée était fondée à nier le droit de la recourante à l'indemnité de chômage.
5.
A titre préalable, les critiques de la recourante sont inadmissibles en tant qu'elles consistent à présenter sa propre version des faits ou à contester de façon appellatoire les faits retenus dans l'arrêt entrepris, s'agissant notamment du rôle joué par son mari dans le processus ayant mené à son licenciement. Elle n'explique en effet pas en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées et la correction du vice susceptible d'influer sur le sort de la cause (cf. consid. 2.2 supra). Il n'y a donc pas lieu de s'écarter des faits constatés par le tribunal cantonal, qui lient le Tribunal fédéral.
6.
6.1. La recourante conteste que son époux ait conservé un pouvoir de décision effectif en lien avec la Société. Elle estime qu'il serait contraire à l'art. 31 al. 3 let. c LACI de considérer que l'inscription au registre du commerce suffirait à elle seule à exclure le droit aux indemnités; il s'agirait d'une présomption réfragable et non d'une fiction. Selon elle, les juges cantonaux auraient ainsi dû examiner la situation concrète, à savoir si son époux avait rompu définitivement tout lien avec la Société et n'était plus en mesure d'influencer les décisions de l'employeur. Ils auraient ainsi violé son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.).
6.2. Contrairement à ce qu'allègue la recourante, en plus de constater que son époux disposait de pouvoirs en lien avec la Société directement en vertu de la loi, la juridiction cantonale a bel et bien examiné la situation d'espèce et en particulier la question de savoir si son époux jouissait d'une situation comparable à celle d'un employeur qui aurait rompu tout lien de travail avec l'entreprise. Sur le fond, l'analyse des premiers juges doit par ailleurs être suivie. En effet, le fait que l'époux de la recourante ne soit plus actionnaire de la Société n'affecte en rien les compétences que le CO lui octroie en tant que membre du conseil d'administration d'une société anonyme. La recourante prétend en outre que, depuis le 1er janvier 2021, il occuperait cette fonction à titre honorifique pour une période de transition. Le simple écoulement de plusieurs années sans modification de son statut permet de douter de cette affirmation. Cela vaut d'autant plus si, comme le prétend la recourante, la signature de son époux en tant qu'administrateur, par opposition à celle de la tierce personne au bénéfice d'un pouvoir de signature pour la Société, était formellement requise sur sa lettre de résiliation. En toute hypothèse, cette situation illustre très concrètement que la collaboration de son époux est indispensable au déroulement des affaires ordinaires de la Société. Par ailleurs, les tâches de contrôle et d'audit sur la Société qu'accomplit l'époux de la recourante en vertu de son contrat de travail avec C.________ SA ne s'opposent pas à ce qu'il exerce les compétences que son statut d'administrateur de la Société lui confèrent; elles s'inscrivent au contraire précisément dans les compétences du conseil d'administration en tant qu'organe suprême de surveillance et d'organisation de la société anonyme. Son cahier des charges montre aussi que son état de santé ne l'empêche pas de s'engager dans les affaires de la Société. Mal fondés, les griefs de la recourante doivent être écartés.
6.3. Au vu de ce qui précède, c'est à juste titre que la cour cantonale a nié le droit de la recourante à l'indemnité chômage en raison de la fonction d'administrateur de son époux au sein de la Société.
7.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud et au Secrétariat d'État à l'économie (SECO).
Lucerne, le 9 juillet 2024
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Wirthlin
Le Greffier : Ourny