Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_51/2022
Arrêt du 10 mars 2022
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Haag.
Greffier : M. Parmelin.
Participants à la procédure
A.A.________ et B.A.________,
et consorts,
représentés par Me Frédéric Hainard, avocat,
recourants,
contre
Conseil d'Etat de la République et canton de Neuchâtel,
Le Château, rue de la Collégiale 12, 2000 Neuchâtel.
Objet
Octroi d'un crédit d'engagement pour la réalisation d'une route de contournement; déclaration d'utilité publique,
recours contre le décret du Grand Conseil de la République et canton de Neuchâtel du 31 mars 2021.
Faits :
A.
Du 7 juin au 8 juillet 2019, le Département du développement territorial et de l'environnement de la République et canton de Neuchâtel a mis à l'enquête publique le projet routier de l'évitement est de La Chaux-de-Fonds, formé des plans d'aménagement et des plans d'alignement de la route principale H18. Ce projet a suscité de nombreuses oppositions en cours de traitement.
Le 28 novembre 2019, le Conseil général de la Ville de La Chaux-de-Fonds a accepté le rapport d'information du Conseil communal relatif au plan directeur partiel des mobilités lié au projet de contournement H18 mis en consultation aux mêmes dates.
Le 23 avril 2021, le Grand Conseil de la République et canton de Neuchâtel a adopté un décret libellé en ces termes:
" Art. premier Un crédit de 186'000'000 francs est accordé au Conseil d'État pour financer la réalisation du projet, du solde des acquisitions de terrains et des travaux relatifs à la réalisation du contournement est de La Chaux-de-Fonds par la route principale suisse H18.
Art. 2 Le montant figurant à l'article 1 représente le montant brut du financement auquel il faut trancher 107'650'800 francs de contribution fédérales, 1'800'000 francs de subventionnement du projet d'agglomération et 3'382'00 francs de participation des CFF, portant ainsi à 73'167'200 francs le montant net restant à charge de l'État de Neuchâtel.
Art. 3 Le Conseil d'État est autorisé à se procurer, éventuellement par la voie de l'emprunt, les moyens nécessaires à l'exécution de ce décret.
Art. 4 Les travaux faisant l'objet du présent décret sont déclarés d'utilité publique. Le Conseil d'État reçoit tous les pouvoirs pour acquérir, à l'amiable ou par voie d'expropriation, les immeubles qui pourraient être nécessaires à l'exécution des travaux.
Art. 5 En cas d'expropriation, il sera fait application de la loi cantonale sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, du 26 janvier 1987.
Art. 6 Le détail d'exécution de ces projets, acquisitions et travaux est confié au soin du Conseil d'État. Le rapport de gestion financière du Département du développement territorial et de l'environnement donnera chaque année toutes les indications utiles sur l'avancement des travaux, sur les dépenses engagées et sur leur financement.
Art. 7 Le crédit sera amorti conformément aux dispositions de la loi sur les finances de l'État et des communes (LFinEC), du 24 juin 2014, et de son règlement d'exécution.
Art. 8 Le présent décret est dépendant de l'approbation du PDPM (Plan directeur partiel des mobilités). "
Ce décret a fait l'objet d'un référendum qui a été abouti et soumis au vote populaire le 28 novembre 2021. La population neuchâteloise l'a accepté à 77,12 %.
Par arrêté du 19 janvier 2022 publié dans la Feuille officielle du 21 janvier 2022, le Conseil d'Etat de la République et canton de Neuchâtel a promulgué le décret.
B.
Par acte du 27 janvier 2022, A.A.________ et B.A.________, C.________, D.________, E.E.________ et F.E.________, G.________, H.________, I.________, J.________, K.K.________ et L.K.________, M.________, N.________, O.O.________ et P.O.________, Q.________, R.R.________ et S.R.________ et T.________ forment un recours en matière de droit public contre le décret du Grand Conseil du 23 avril 2021 en concluant à son annulation.
Invitée à se déterminer en tant que tiers intéressé, la Ville de La Chaux-de-Fonds conclut au rejet des requêtes d'effet suspensif et de mesures provisionnelles et à l'irrecevabilité du recours.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis.
1.1. Exception faite du recours en matière de droits politiques, qui n'entre pas en considération en l'espèce, le Tribunal fédéral connaît, en vertu de l'art. 82 LTF, des recours contre les décisions rendues dans des causes de droit public (let. a) ainsi que des recours contre les actes normatifs cantonaux (let. b). Sous réserve des décisions revêtant un caractère politique prépondérant, le Tribunal fédéral ne peut revoir que les décisions qui émanent d'une autorité judiciaire cantonale supérieure (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF). En revanche, il peut être saisi directement d'un recours contre un acte normatif cantonal lorsque celui-ci ne peut faire l'objet d'un recours cantonal préalable (art. 87 al. 1 LTF).
Les actes normatifs au sens de l'art. 82 let. b LTF s'entendent d'un point de vue non pas formel, mais matériel (ATF 147 II 300 consid. 2; 106 Ia 307 consid. 1a). Ils contiennent par définition des règles de droit générales et abstraites qui s'appliquent à un nombre indéterminé de personnes et qui régissent un nombre indéterminé de situations. Ils s'opposent à la décision administrative, qui est un acte individuel et concret s'adressant à une ou plusieurs personnes déterminées dans un cas d'espèce (ATF 147 II 300 consid. 2.1). L'art. 187 de la loi neuchâteloise d'organisation du Grand Conseil du 30 octobre 2012 (OGC), définit la loi comme un acte qui contient des règles de droit de nature générale et abstraite qui s'adressent à un nombre indéterminé de personnes et régissent un nombre indéterminé de situations de fait, sans référence à un cas ou à une personne déterminée. Selon l'art. 188 OGC, le décret est un acte pour lequel la forme de la loi n'est pas prescrite et qui a pour objet une mesure individuelle prise à propos d'un cas concret (let. e) ou qui s'adresse à un cercle indéterminé de personnes, mais règle un cas concret (let. f).
1.2. L'acte litigieux est un décret au sens de l'art. 188 OGC qui a un double objet: il porte tout d'abord sur l'octroi d'un crédit d'engagement de 186'000'000 francs pour financer les travaux relatifs à la réalisation du contournement est de La Chaux-de-Fonds par la route principale suisse H18, soit une autorisation donnée au Conseil d'Etat de prendre des engagements financiers pouvant aller au-delà de l'exercice budgétaire, pour un projet déterminé dont la réalisation s'étend sur plusieurs années (art. 37 et 38 let. b LFinEC); sur ce point, il revêt incontestablement la nature d'une décision (ATF 106 Ia 307 consid. 1a). Le décret litigieux déclare ensuite d'utilité publique, au sens de l'art. 10 de la loi neuchâteloise sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, les travaux d'aménagement de la route de contournement est de La Chaux-de-Fonds, permettant ainsi au Conseil d'Etat d'exproprier au besoin les droits réels nécessaires à leur réalisation. La déclaration d'utilité publique se rapporte également à un projet déterminé et revêt le caractère d'une décision (arrêt 1C_659/2013 du 4 mars 2014 consid. 2.2). Le décret litigieux équivaut ainsi matériellement à une décision au sens de l'art. 82 let. a LTF, en sorte que la recevabilité du recours déposé à son encontre se détermine non pas d'après les critères applicables au recours dirigé contre un acte normatif, mais d'après ceux valables pour le recours formé contre une décision.
Le Grand Conseil, qui a adopté l'acte attaqué, n'est pas une autorité judiciaire cantonale supérieure au sens de l'art. 86 al. 1 let. d et 2 LTF, alors même qu'une voie de recours à un tribunal doit être ouverte contre une décision relative à la déclaration d'utilité publique pour respecter les garanties découlant des art. 29a Cst et 6 par 1 CEDH (cf. arrêt 1P.305/1994 du 4 octobre 1995 consid. 2a). L'accès au juge ne peut pas être restreint ou exclu par une disposition cantonale de procédure (arrêt 1C_479/2018 du 31 janvier 2019 consid. 4.6). O n ne se trouve pas en présence d'une décision revêtant un caractère politique prépondérant, au sens de l'art. 86 al. 3 LTF, qui justifierait de déroger à la garantie de l'accès au juge. En tant qu'exception à la garantie de l'accès au juge découlant de l'art. 29a Cst., l'art. 86 al. 3 LTF doit être interprété de manière restrictive. Le caractère politique de la cause doit être manifeste. Le fait que la décision émane d'une autorité politique est certes un indice en ce sens, mais il n'est pas toujours déterminant. Lorsque des intérêts particuliers sont touchés, l'accès au juge n'est exclu que si les considérations politiques l'emportent clairement. Il ne suffit donc pas que la cause ait une connotation politique, encore faut-il que celle-ci s'impose de manière indiscutable et relègue à l'arrière-plan les éventuels intérêts juridiques privés en jeu (ATF 147 I 1 consid. 3.3.2). Tel n'est pas le cas du décret litigieux à tout le moins en tant qu'il porte sur la déclaration d'utilité publique des travaux d'aménagement de la route de contournement est de La Chaux-de-Fonds, laquelle est susceptible de toucher des intérêts privés en tant qu'elle ouvre au besoin la voie à l'expropriation formelle des terrains concernés. Le décret litigieux doit ainsi pouvoir faire l'objet d'un recours cantonal en dérogation à l'art. 2 OGC, qui soustrait les actes du Grand Conseil et de ses organes à un recours cantonal en raison de son caractère politique prépondérant.
2.
Vu ce qui précède, le recours doit être déclaré irrecevable en tant qu'il est dirigé non pas contre un acte normatif mais contre un acte assimilable à une décision et que cet acte n'émane pas d'une autorité judiciaire supérieure comme l'exige l'art. 86 al. 2 LTF. Il sera transmis avec ses annexes au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, en sa qualité d'autorité supérieure ordinaire de recours en matière de droit public (art. 30 al. 1 de la loi neuchâteloise sur la procédure et la juridiction administratives; ATF 147 II 300 consid. 4).
La cause étant tranchée au fond, la demande d'effet suspensif et de mesures provisionnelles est sans objet. Les frais judiciaires doivent être mis à la charge des recourants qui succombent ( art. 65 et 66 al. 1 LTF ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à la Ville de La Chaux-de-Fonds qui a procédé sans l'assistance d'un avocat et sans que son intérêt patrimonial ne soit en jeu (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est irrecevable. Il est transmis avec ses annexes à la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel comme objet de sa compétence.
2.
La demande d'effet suspensif et de mesures provisionnelles est sans objet.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge des recourants.
4.
Il n'est pas alloué de dépens.
5.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants, à la Ville de La Chaux-de-Fonds, au Conseil d'Etat, au Grand Conseil de la République et canton de Neuchâtel, ainsi qu'à la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 10 mars 2022
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Parmelin