Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_365/2024
Arrêt du 10 décembre 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix, Haag, Müller et Merz.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
Marie-Cécile Cretton-Deslarzes,
recourante,
contre
Conseil d'État du canton du Valais,
place de la Planta, Palais du Gouvernement, 1950 Sion.
Objet
Votation du 3 mars 2024 sur le projet de nouvelle Constitution du canton du Valais du 25 avril 2023,
recours contre la décision du Grand Conseil du canton
du Valais du 16 mai 2024.
Faits :
A.
Le projet de nouvelle Constitution pour le canton du Valais a été soumis au peuple le 3 mars 2024. Le matériel de vote a été remis à la population 15 jours avant la votation. Il comprenait notamment le bulletin de vote comportant les questions suivantes (en français et en allemand) :
a) Projet de Constitution
Acceptez-vous le projet de Constitution du canton du Valais du 25 avril 2023 (projet - avec le droit de vote et d'éligibilité des personnes étrangères en matière communale) ?
b) Variante
Acceptez- vous le projet de Constitution du canton du Valais du 25 avril 2023 (projet - sans le droit de vote et d'éligibilité des personnes étrangères en matière communale) ?
c) Question subsidiaire
Si le projet et la variante obtiennent la majorité requise, lequel des deux textes doit entrer en vigueur: le projet ou la variante?
Il était précisé dans le bulletin qu'une seule réponse devait être apportée à la question c, faute de quoi il serait considéré qu'il n'avait pas été répondu à cette question.
A l'issue de la votation, le projet de Constitution a été refusé par 68,13% de non contre 27,17% de oui et 4,7% de bulletins blancs ou nuls. La variante a été rejetée par 57,04% de non contre 35,79% de oui.
B.
Le 11 mars 2024, Marie-Cécile Cretton-Deslarzes a recouru auprès du Grand Conseil valaisan contre la votation. Elle contestait la régularité du bulletin de vote. Ayant examiné les résultats de la commune d'Ardon, elle avait constaté que de nombreuses personnes avaient voté oui à la première question, et cru devoir voter non (ou blanc) à la deuxième alors qu'elles étaient en faveur de l'adoption de l'une des deux variantes. Elle estimait ainsi que les citoyens n'avaient pas pu exprimer leur vote de façon fidèle et sûre comme l'exige l'art. 34 Cst. Elle demandait à titre provisionnel que le matériel de vote soit conservé jusqu'à droit jugé.
Le Conseil d'État valaisan a répondu au recours le 27 mars 2024; la Commission de justice du Grand Conseil a rendu sa proposition le 22 avril 2024. Tous deux proposaient de déclarer le recours irrecevable. Selon l'art. 215 al. 2 de la loi cantonale sur les droits politiques (LcDP, RS/VS 160.1), le recours devait être formé dans les trois jours dès réception du matériel de vote, dès lors que l'irrégularité alléguée concernait la formulation de la question figurant dans le bulletin de vote. Le recours était donc tardif.
Par décision du 16 mai 2024, le Grand Conseil, se référant à la prise de position du Conseil d'État et à la proposition de la Commission de justice, a refusé l'entrée en matière sur le recours.
C.
Par acte du 19 juin 2024, Marie-Cécile Cretton-Deslarzes forme un recours en matière de droit public par lequel elle demande la réforme de la décision attaquée en ce sens que la votation du 3 mars 2024 est annulée et qu'une nouvelle votation est organisée. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause au Grand Conseil pour nouvelle décision au sens des considérants. Elle demande l'effet suspensif afin que le matériel de vote soit conservé jusqu'à droit jugé. Cette demande a été admise par ordonnance du 5 juillet 2024.
Le Grand Conseil conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. Le Conseil d'État renonce à déposer des observations et se réfère à ses déterminations du 27 mars 2024. La recourante a ensuite persisté dans ses conclusions.
Considérant en droit :
1.
Selon l'art. 82 let. c LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours concernant le droit de vote des citoyens ainsi que les élections et votations populaires. Cette voie de recours permet en particulier au citoyen de contester le résultat d'une votation cantonale. Disposant du droit de vote dans le canton du Valais, la recourante a qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 3 LTF, même si elle n'a aucun intérêt juridique personnel à l'annulation de l'acte attaqué (ATF 130 I 290 consid. 1).
1.1. Le recours cantonal a été traité par le Grand Conseil (art. 215 al. 1 LcDP), qui représente l'autorité de dernière instance cantonale au sens de l'art. 88 al. 1 let. a LTF. La décision attaquée ne comporte pas de motivation, mais se réfère expressément à la prise de position du Conseil d'État ainsi qu'au rapport de la Commission de justice, laquelle fait, tout comme les discussions en séance plénière, partie intégrante de la décision. Le Grand Conseil a d'ailleurs confirmé, dans sa réponse au recours, les motifs retenus à l'appui de sa décision. Pour sa part, la recourante ne conteste pas avoir connu les motifs de la décision attaquée et avoir pu les critiquer en toute connaissance de cause, conformément à son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.; ATF 142 II 154 consid. 4.2).
1.2. L'acte attaqué étant une décision de refus d'entrer en matière, seule la question de la recevabilité du recours cantonal peut être portée devant le Tribunal fédéral qui n'a, à ce stade, pas à examiner le fond de la contestation. En cas d'admission du recours, la cause devrait être renvoyée au Grand Conseil pour qu'il entre en matière sur le recours et statue au fond. Les conclusions en annulation de la votation sont dès lors irrecevables.
Sous cette dernière réserve, il convient d'entrer en matière.
2.
Dans un grief consacré à l'établissement des faits, la recourante conteste la considération de l'instance précédente selon laquelle elle devait agir dans les trois jours dès réception du matériel de vote. Elle estime qu'elle ne pouvait pas savoir quelle influence aurait la formulation du bulletin de vote sur le résultat de la votation avant d'avoir pu accéder aux résultats détaillés de la commune d'Ardon et de constater que les personnes ayant voté avaient été selon elle induites en erreurs.
2.1. Contrairement à ce que soutient la recourante, la question du dies a quo du délai de recours ne constitue pas une question de fait, mais de droit. Saisi d'un recours pour violation des droits politiques, le Tribunal fédéral revoit librement l'interprétation et l'application du droit fédéral et du droit constitutionnel cantonal, ainsi que des dispositions de rang inférieur qui sont étroitement liées au droit de vote ou en précisent le contenu et l'étendue (art. 95 let. d LTF). Il n'examine en revanche que sous l'angle de l'arbitraire l'interprétation des règles de procédure ou d'organisation qui ne touchent pas au contenu même des droits politiques (ATF 141 I 221 consid. 3.1). Selon la jurisprudence récente, la tardiveté du recours dirigé contre une votation ou une élection a en règle générale pour conséquence une non-entrée en matière sur le fond; l'irrecevabilité du recours prononcée pour ce motif est susceptible de porter atteinte à l'art. 34 al. 2 Cst. qui garantit aux citoyens qu'aucun résultat de vote ne soit reconnu s'il ne traduit pas de façon fidèle et sûre l'expression de leur libre volonté (concernant cette garantie, voir ATF 146 I 129 consid. 5.1). En ce sens, le Tribunal fédéral n'est pas restreint dans son pouvoir d'examen dans l'application faite des règles cantonales de procédure (arrêt 1C_266/2023 du 4 juillet 2024 consid. 6.2 destiné à la publication; cf. ATF 102 Ia 264 consid. 3 in fine).
2.2. Selon l'art. 215 al. 2 LcDP, le recours contre une votation cantonale doit être déposé par lettre signature dans les trois jours qui suivent la découverte du motif, mais au plus tard le troisième jour dès la publication des résultats. La jurisprudence constante considère que les irrégularités découvertes avant le scrutin doivent être invoquées immédiatement afin de permettre à l'autorité de les éliminer le plus tôt possible et d'éviter ainsi une répétition de la votation (ATF 145 I 282 consid. 3; 140 I 338 consid. 4.4; LUKA MARKIC, Das Kantonale Rechtsschutzverfahren im Bereich der politischen Rechte, Zurich 2022 p. 156; BÉNÉDICTE TORNAY, La démocratie directe saisie par le juge, Genève 2008, pp 28, 36). Le principe de la bonne foi empêche lui aussi que le citoyen attende l'issue de la votation pour se plaindre d'une irrégularité (arrêt 1C_365/2019 du 5 novembre 2019 consid. 2.2).
2.3. Le grief de la recourante concerne la formulation de la question telle qu'elle a été soumise à la votation, soit un acte préparatoire au scrutin. Elle considère que, dans la mesure où les deux propositions (variantes avec ou sans droit de vote des étrangers en matière communale) semblaient s'exclure, les personnes qui désiraient accepter l'un des deux objets pouvaient être portées à croire qu'elles devaient nécessairement refuser l'autre. La recourante soutient qu'elle ne pouvait pas se rendre compte de cette irrégularité à réception du matériel de vote. Elle ne saurait toutefois être suivie sur ce point. Dans la mesure où le problème qu'elle dénonce concerne la formulation selon elle ambiguë de la question soumise au vote, il pouvait être décelé et dénoncé avant d'attendre le résultat du scrutin. A supposer qu'un problème existât réellement sur ce point, l'autorité aurait pu y remédier avant la votation, par exemple en reformulant la question, voire en fournissant des explications supplémentaires. Il y a lieu toutefois de relever que le message explicatif du Conseil d'État remis avec le matériel de vote soulignait déjà clairement la possibilité de voter oui à chacune des variantes.
En omettant de recourir immédiatement après réception du matériel de vote, la recourante a agi tardivement. La décision de non-entrée en matière du Grand Conseil ne viole dès lors pas le droit.
3.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge de la recourante qui succombe. Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de la recourante. Il n'est pas alloué de dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué à la recourante, au Conseil d'État du canton du Valais et au Grand Conseil du canton du Valais.
Lausanne, le 10 décembre 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Kurz