Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_332/2023
Arrêt du 11 janvier 2024
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Jametti, Présidente, Hohl et May Canellas.
Greffier: M. Botteron.
Participants à la procédure
1. A.________,
2. B.________ Sàrl,
recourantes,
contre
C.________ SA,
représentée par
Me Emmanuelle Guiguet-Berthouzoz, avocate
intimée.
Objet
demeure du locataire (art. 257d CO);
recours contre l'arrêt rendu le 22 mai 2023 par la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève (C/3212/2021, ACJC/652/2023).
Faits :
A.
A.a. Par contrat du 10 octobre 2016, C.________ SA (la bailleresse) a loué à B.________ Sàrl et A.________ (les locataires) des locaux de 74 m
2 et 13 m
2 au 3ème étage d'un immeuble sis (...) à U.________. Les locaux étaient exclusivement destinés à l'usage d'un "salon de massage érotique".
Le bail était conclu pour une durée de cinq ans, du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2021. Il était renouvelable tacitement de cinq ans en cinq ans. Le préavis de résiliation était de douze mois.
Le contrat prévoyait que le loyer était indexé à l'indice suisse des prix à la consommation. Fixé initialement à 4'900 fr., il était porté à 4'934 fr. dès le 1er février 2018, puis à 4'978 fr. dès le 1er novembre 2018. S'y ajoutait un acompte de charge de 100 fr. payable le premier jour du mois.
Aux termes de l'art. 26 de ce contrat, l'adresse des locaux était considérée comme domicile des locataires jusqu'à son "annulation" notifiée par lettre recommandée à la bailleresse.
A.b. Par avis comminatoire du 14 décembre 2020, la bailleresse a mis les locataires en demeure de lui régler dans les trente jours 5'117 fr., dont 5'078 fr. d'arriéré de loyer et de charges pour décembre 2020 et 39 fr. de frais de rappel. Elle les a informées qu'à défaut de paiement dans le délai imparti, elle résilierait le bail conformément à l'art. 257d CO. Adressés en recommandé aux deux locataires et non réclamés, ces plis ont été retournés à l'expéditeur.
A.c. Par courriel du 5 janvier 2021, la régie de la bailleresse a accusé réception de la demande d'exonération de loyers des mois de novembre et décembre 2020 formulée le 21 décembre précédent par les locataires dans le cadre de l'accord "Vesta" signé entre l'Etat de Genève, la Chambre genevoise immobilière, l'Union suisse des professionnels de l'immobilier Genève et l'Association de défense des locataires. Elle leur a indiqué qu'elle transmettait cette demande à la bailleresse qui reviendrait à elle dans les semaines suivantes; son courrier ne devait toutefois pas être considéré comme un accord à la réduction ou à l'échelonnement du loyer.
A.d. Par avis officiels du 26 janvier 2021, la bailleresse a résilié le bail des locataires avec effet au 28 février 2021, faute de paiement du loyer dans le délai comminatoire.
A.e. Par courriel du 8 février 2021, la régie a fourni aux locataires un relevé de compte détaillant les loyers encaissés et les loyers dus pour la période du 1er novembre 2016 au 1er février 2021. Selon ce document, le total des loyers s'élevait à 346'683 fr. 83 et les locataires s'étaient acquittées de 327'895 fr. 50. En réalité, ces deux chiffres étaient inexacts.
Par courriel du 22 février 2021, la régie indiquera aux locataires qu'un solde de 18'798 fr. 25 demeurait ouvert - ce qui était encore inexact - et que la garantie de loyer de 30'000 fr. restait à constituer.
A.f. Par courrier du 4 mars 2021, la bailleresse a refusé la demande d'exonération de loyers (de novembre et décembre 2020) des locataires.
Le 26 avril 2021, les locataires lui ont demandé le remboursement des loyers versés du 16 mars au 6 juin 2020 et du 2 novembre 2020 au 28 février 2021, périodes durant lesquelles elles n'avaient pas utilisé les locaux.
B.
B.a. Le 19 février 2021, les locataires ont saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers de Genève d'une requête concluant à l'annulation du congé et, subsidiairement, à une prolongation de bail de six ans. Devant l'échec de la conciliation, elles ont porté leur demande devant le Tribunal des baux et loyers de Genève le 31 mai 2021, en concluant à la nullité, subsidiairement à l'annulation de la résiliation de bail.
Par jugement du 30 août 2022, le Tribunal des baux et loyers a déclaré efficace et valable le congé du 26 janvier 2021.
B.b. Par arrêt du 22 mai 2023, la Chambre des baux et loyers de la Cour de Justice du canton de Genève a rejeté l'appel des locataires. Ses motifs seront résumés dans les considérants en droit du présent arrêt, dans la mesure où les griefs des recourantes le justifient.
C.
Agissant par la voie du recours en matière civile, les locataires ont requis le Tribunal fédéral de prononcer la nullité de la résiliation de bail du 26 janvier 2021.
Dans sa réponse au recours, la bailleresse conclut à son rejet dans la mesure de sa recevabilité. La cour cantonale s'est, dans la sienne, référée à son arrêt.
Par ordonnance présidentielle du 17 août 2023, la requête d'effet suspensif formulée par les recourantes a été admise, ni l'autorité précédente ni l'intimée ne s'y opposant formellement.
Considérant en droit :
1.
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) par les locataires qui ont succombé dans leurs conclusions (art. 76 al. 1 LTF), dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue sur appel par le Tribunal supérieur du canton de Genève (art. 75 LTF) dans une affaire de droit du bail (art. 72 al. 1 LTF) dont la valeur litigieuse excède 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF), le présent recours en matière civile est recevable sur le principe.
2.
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire selon l'art. 9 Cst., ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
L'appréciation des preuves est arbitraire si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a tiré des éléments recueillis des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2).
La critique de l'état de fait est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références citées). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Si elle souhaite compléter l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait s'écartant de celui de la décision attaquée ne seront pas prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1).
2.2. Sous réserve de la violation des droits constitutionnels (art. 106 al. 2 LTF), le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal ou, cas échéant, à l'état de fait qu'il aura rectifié. Il n'est toutefois lié ni par les motifs invoqués par les parties, ni par l'argumentation juridique retenue par l'autorité cantonale; il peut donc admettre le recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en procédant à une substitution de motifs (ATF 135 III 397 consid. 1.4 et l'arrêt cité).
3.
Les parties ont été liées par un contrat de bail auquel la bailleresse a mis fin pour le motif que les locataires ne s'étaient pas acquittées du loyer de décembre 2020 malgré sa mise en demeure formelle (art. 257d CO). Le litige porte sur cette résiliation que les locataires tiennent pour nulle.
3.1. La cour cantonale a constaté, en fait, que les locataires avaient versé un montant de 253'704 fr. pour la période du 1er octobre 2016 au 31 décembre 2020. Le dernier versement était intervenu le 1er octobre 2020.
Les loyers du 1er octobre 2016 au 30 novembre 2020 totalisaient 252'256 fr.
De la sorte, les locataires avaient payé 1'448 fr. en trop pour cette période.
Cet excédent était insuffisant pour compenser intégralement le loyer de décembre 2020 qui s'élevait à 5'078 fr., charges comprises.
Partant, la résiliation avait été donnée à bon droit puisque la totalité du loyer de décembre 2020 n'avait pas été payée à l'échéance du délai comminatoire.
3.2. Les locataires y voient une violation de l'art. 257d CO. A leur sens, l'avis comminatoire aurait dû indiquer précisément le montant en souffrance (5'078 fr../. 1'448 fr.). Or, le montant dont il faisait état serait "sans rapport" avec celui effectivement dû. A en juger par le décompte ultérieurement produit par l'intimée, celle-ci n'avait aucune idée de la somme que lui devaient encore les locataires à la date cruciale. L'avis querellé aurait donc été privé d'effet et la résiliation de bail consécutive serait frappée de nullité.
4.
4.1. Selon l'art. 257d CO, lorsque le locataire d'habitations ou de locaux commerciaux a du retard dans le paiement du loyer ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui adresser un avis comminatoire en lui fixant un délai de 30 jours au moins pour s'en acquitter et en le menaçant, à défaut de paiement, de la résiliation du bail (al. 1); si, à l'expiration du délai fixé, le locataire n'a pas payé, le bailleur peut résilier le bail moyennant un délai de 30 jours pour la fin d'un mois (al. 2).
Cette réglementation de droit matériel mise en place par le législateur signifie que le locataire mis en demeure doit évacuer l'objet loué dans les plus brefs délais s'il ne paie pas le loyer et les frais accessoires en retard (arrêt 4A_385/2022 du 14 février 2023 consid. 3.1; sur la notification de l'avis comminatoire et de la résiliation, cf. arrêt 4A_234/2022 du 21 novembre 2022 consid. 4.1). La rigueur de la sanction prévue par cette réglementation présuppose, en particulier, que l'avis comminatoire soit suffisamment clair et précis.
Selon la jurisprudence, l'avis comminatoire doit indiquer le montant arriéré à payer dans le délai de façon suffisamment claire et précise pour que le locataire puisse reconnaître clairement quelles dettes il doit payer pour éviter un congé. Le montant de l'arriéré doit être déterminé (par une indication chiffrée) ou, tout au moins, déterminable (arrêts 4A_436/2018 du 17 janvier 2019 consid. 4.1; 4A_306/2015 du 14 octobre 2015 consid. 2; 4A_134/2011 du 23 mai 2011 consid. 3). Ainsi, lorsque l'avis comminatoire désigne précisément les mois de loyers impayés, le montant de l'arriéré est déterminable (arrêts 4A_436/2018 précité consid. 4.1; 4A_306/2015 précité consid. 2; 4A_134/2011 précité consid. 3; 4C.123/2000 du 14 juin 2000 consid. 3b). Si les mois de loyers impayés ne sont pas mentionnés et que le montant de l'arriéré indiqué est sans rapport avec la somme effectivement en souffrance, l'avis comminatoire ne satisfait pas aux exiences de clarté et de précision permettant au locataire de reconnaître de combien de mois de loyers il doit s'acquitter dans le délai comminatoire (arrêts 4A_436/2018 précité consid. 4.1; 4A_134/2011 précité consid. 3 in fine). En revanche, l'indication d'un arriéré trop élevé n'entraîne pas nécessairement l'inefficacité de l'avis comminatoire: le locataire qui constate une erreur doit la signaler au bailleur, à défaut de quoi il ne mérite pas d'être protégé (arrêts 4A_550/2020 du 29 avril 2021 consid. 7.2; 4A_436/2018 précité consid. 4.1; 4A_330/2017 du 8 février 2018 consid. 3.1 et les arrêts cités).
4.2. En l'espèce, la bailleresse a adressé un avis comminatoire aux locataires dans lequel elle leur réclamait le versement du loyer de décembre 2020 qu'elle estimait dû dans sa totalité. En réalité, les locataires avaient versé un excédent de loyers durant la période précédente dont elles auraient pu demander la compensation, auquel cas elles auraient dû verser un montant un peu moins élevé (5'078./. 1'448 fr.). Cette différence n'a toutefois pas d'impact sur la validité de l'avis comminatoire; en effet, bien que le montant fût trop élevé, les locataires n'ont signalé aucune erreur à la bailleresse et n'ont pris aucune mesure pour régler le montant qu'elles estimaient exact. Comme la jurisprudence précitée l'a déjà indiqué à plusieurs reprises, ceci réduit à néant leur seul moyen d'attaque. Les locataires tentent vaguement de prétendre qu'elles n'ont pas pu aviser la bailleresse de cette erreur, faute d'avoir effectivement reçu l'avis comminatoire en question; cette tentative se heurte toutefois à la fiction de sa réception, à laquelle la cour cantonale les a déjà rendues attentives (ATF 137 III 208; 140 III 244). Pour finir, le caractère chaotique du décompte que l'intimée leur a fait parvenir par la suite n'a aucune incidence sur cet avis comminatoire qui est largement antérieur.
Il n'y a dès lors pas de violation de l'art. 257d CO qu'il s'agirait de redresser.
5.
Partant, le recours ne peut qu'être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Les recourantes supporteront donc les frais de la procédure, solidairement entre elles (art. 66 al. 1 LTF). Elles verseront, également à titre solidaire, à l'intimée une indemnité à titre de dépens ( art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais de procédure, fixés à 6'000 fr., sont mis à la charge des recourantes, débitrices solidaires.
3.
Les recourantes verseront solidairement entre elles à l'intimée une indemnité de 7'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 11 janvier 2024
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
Le Greffier : Botteron