Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_193/2024
Arrêt du 12 avril 2024
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Jametti, Présidente, Hohl et Kiss.
Greffier: M. O. Carruzzo.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Mes Nicolas Rouiller et Alban Matthey, avocats,
recourante,
contre
Fondation B.________,
représentée par Me Vadim Harych, avocat,
intimée.
Objet
exécution anticipée d'un jugement d'évacuation de la locataire,
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 5 mars 2024 par la Présidente de la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève (C/22854/2023 ACJC/298/2024).
Considérant en fait et en droit :
1.
1.1. Par jugement du 3 juin 2022, le Tribunal des baux et loyers genevois a constaté la validité des résiliations des quatre baux portant sur une surface commerciale ainsi que trois places de stationnement que la bailleresse Fondation B.________ avait notifiées le 23 mars 2021 à la locataire A.________, et a accordé à cette dernière une unique prolongation de bail d'un an et trois mois, échéant le 31 décembre 2022.
Saisie d'un appel de la locataire, la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève l'a rejeté par arrêt du 28 août 2023.
La locataire a interjeté un recours au Tribunal fédéral à l'encontre de cette décision (cause 4A_485/2023). Par ordonnance du 26 janvier 2024, la Présidente de la Ire Cour de droit civil a pris acte du retrait du recours intervenu le 24 janvier 2024.
1.2. Par jugement du 25 janvier 2024, rendu selon la procédure applicable aux cas clairs, le Tribunal des baux et loyers genevois a condamné A.________ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens les locaux qui lui avaient été remis à bail, et a autorisé la bailleresse à requérir l'intervention de la force publique pour obtenir la libération des locaux commerciaux et des places de stationnement dès l'entrée en force dudit jugement.
A.________ a appelé de cette décision auprès de la Cour de justice du canton de Genève.
Dans sa réponse du 26 février 2024, la bailleresse a notamment conclu au retrait de l'effet suspensif.
Dans le délai de trois jours imparti par la cour cantonale, l'appelante a proposé le rejet de ladite requête, en soutenant notamment que l'admission de celle-ci la mettrait dans une situation inextricable, puisqu'elle ne pourrait pas poursuivre l'exercice de son activité médicale.
Par arrêt du 5 mars 2024, la Présidente de la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève a ordonné l'exécution anticipée du jugement de première instance.
2.
Le 8 avril 2024, A.________ (ci-après: la recourante) a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Elle a conclu, principalement, à la réforme de la décision attaquée en ce sens que la demande d'exécution anticipée du jugement de première instance est rejetée. Subsidiairement, elle a sollicité l'annulation de l'arrêt querellé.
La bailleresse (ci-après: l'intimée) et la cour cantonale n'ont pas été invitées à répondre au recours.
3.
L'arrêt entrepris est une décision incidente de nature à causer un préjudice irréparable à la recourante. Elle est donc susceptible de recours selon l'art. 93 al. 1 let. a LTF (arrêt 4A_337/2014 du 14 juillet 2014 consid. 2.1 et les références citées).
4.
L'ordre d'exécution anticipée d'un jugement de première instance, comme la décision accordant l'effet suspensif, est une décision sur mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF (arrêt 4A_337/2014, précité, consid. 2.2). En conséquence, seule peut être invoquée la violation des droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral n'examine de tels griefs que s'ils ont été invoqués et motivés (art. 106 al. 2 LTF), à savoir expressément soulevés et exposés de manière claire et détaillée (ATF 135 III 232 consid. 1.2: arrêt 4A_132/2020 du 8 septembre 2020 consid. 2 et les références citées). Pour satisfaire à cette exigence, le recourant doit indiquer précisément quelle disposition constitutionnelle a été violée (principe d'allégation) et démontrer par une argumentation précise en quoi consiste la violation. Le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur les critiques de nature appellatoire (arrêt 4A_132/2020, précité, consid. 2 et les références citées).
5.
Selon l'art. 315 al. 1 CPC, l'appel suspend la force de chose jugée et le caractère exécutoire de la décision dans la mesure des conclusions prises en appel. En vertu de l'art. 315 al. 2 CPC, l'instance cantonale saisie d'un appel peut toutefois autoriser l'exécution anticipée et ordonner, au besoin, des mesures conservatoires ou la fourniture de sûretés. Selon les principes généraux, elle procédera à une pesée des intérêts en présence et se demandera, en particulier, si la décision est de nature à provoquer une situation irréversible; elle prendra également en considération les chances de succès de l'appel (cf. dans le même sens: arrêt 4A_337/2014, précité, consid. 3.1).
En l'espèce, l'autorité précédente, après avoir correctement exposé les principes jurisprudentiels applicables, a procédé à l'examen des chances de succès de l'appel. Dans sa motivation, elle a considéré que celles-ci ne paraissaient pas données à première vue, étant donné que l'intimée est au bénéfice d'un jugement entré en force constatant la validité de la résiliation des baux, et que l'appelante savait depuis plusieurs mois qu'elle devait libérer les locaux en question et qu'elle n'avait pas allégué avoir entrepris la moindre démarche en vue de se reloger. Au terme de son examen, elle a jugé que la pesée des intérêts en présence justifiait d'ordonner l'exécution anticipée du jugement d'évacuation.
6.
6.1. Dans son mémoire de recours, l'intéressée dénonce une atteinte à son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.), une violation du principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.) et reproche à l'autorité précédente d'avoir versé dans l'arbitraire. A cet égard, elle souligne que la cour cantonale lui a notifié une ordonnance, datée du 26 février 2024, contenant notamment les indications suivantes:
" Vous avez un délai de 3 jours dès réception de la présente pour répondre à la demande d'exécution anticipée auprès de la Cour de justice (...)
Nous vous informons que: à défaut de faire usage de votre droit de répliquer par écrit, dans un délai de 10 jours dès réception de la présente, l'acte ne sera pas pris en considération. "
La recourante soutient qu'elle est partie du principe qu'elle bénéficiait d'un délai de dix jours pour se déterminer de manière complète, mais qu'elle devait toutefois marquer son opposition à la demande d'exécution anticipée dans un délai de trois jours. Elle relève qu'elle a conclu le 1er mars 2024 au rejet de la requête présentée par son adversaire et qu'elle a déposé une réplique le 8 mars 2024. Or, cette réplique n'a pas été prise en considération par l'autorité précédente, alors que la recourante prétend qu'elle pouvait légitimement penser qu'elle était en droit de déposer une réplique jusqu'au 8 mars 2024 en vue d'exposer ses arguments au fond contre le prononcé de l'exécution anticipée du jugement de première instance. L'intéressée y voit une violation de son droit d'être entendue dès lors que son écriture du 8 mars 2024 n'a pas été prise en compte. Elle fait aussi valoir que la formulation de l'ordonnance du 26 février 2024 était trompeuse, raison pour laquelle elle dénonce une violation du principe de la bonne foi. Elle reproche, en outre, à l'autorité précédente d'avoir sombré dans l'arbitraire en ne retenant pas que l'exécution anticipée du jugement de première instance la placerait dans une situation irréversible. Elle fait aussi grief à l'autorité précédente de n'avoir pas effectué de véritable pesée des différents intérêts en présence et de ne pas avoir précisé quels intérêts de l'intimée seraient potentiellement lésés, ce qui constituerait également un défaut de motivation contraire à la garantie constitutionnelle du droit d'être entendu.
6.2.
6.2.1. Le droit d'être entendu consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. comprend en particulier le droit, pour une partie à un procès, de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu'elle soit ou non concrètement susceptible d'influer sur le jugement à rendre. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 146 III 97 consid. 3.4.1). Le droit de répliquer n'impose pas à l'autorité judiciaire l'obligation de fixer un délai à la partie pour déposer d'éventuelles observations. Elle doit seulement lui laisser un laps de temps suffisant, entre la remise des documents et le prononcé de sa décision, pour que la partie ait la possibilité de déposer des observations si elle l'estime nécessaire (ATF 146 III 97 consid. 3.4.1).
Le droit d'être entendu implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressée puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 III 65 consid. 5.2). Du moment que le lecteur peut discerner les motifs ayant guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt 4D_76/2020 du 2 juin 2021 consid. 4.2 non publié in ATF 147 III 440).
6.2.2. Une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable; pour que cette décision soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 144 III 145 consid. 2).
6.2.3. L'argumentation présentée par la recourante n'emporte nullement la conviction de la Cour de céans.
C'est en vain que l'intéressée reproche à l'autorité précédente d'avoir fait fi de sa réplique du 8 mars 2024, étant donné que la décision attaquée a été rendue avant cette date. La recourante a en outre eu tout loisir de s'exprimer et de faire valoir ses arguments aux fins de s'opposer à la requête présentée par son adversaire tendant à l'exécution anticipée du jugement de première instance. Elle a d'ailleurs fait usage de cette possibilité en déposant une écriture consacrée à cet aspect du litige le 1er mars 2024. L'intéressée n'est au demeurant pas crédible lorsqu'elle soutient qu'elle pouvait légitimement partir du principe qu'elle était en droit d'attendre le 8 mars 2024 pour exposer tous ses arguments contre le prononcé de l'exécution anticipée. Quoi qu'elle soutienne, les termes employés par l'autorité précédente dans son ordonnance du 26 février 2024 n'étaient pas trompeurs. Aux fins de respecter le droit d'être entendue de la recourante, l'autorité précédente a en effet imparti un premier délai de trois jours à l'appelante pour se déterminer sur la requête présentée par son adversaire, et lui a offert la possibilité de faire usage, dans les dix jours, de son droit de réplique spontanée sur la réponse formée par l'intimée. Aussi est-ce à tort que la recourante se plaint d'une atteinte à son droit d'être entendue et d'une violation du principe de la bonne foi visé par l'art. 5 al. 3 Cst.
La recourante ne peut pas davantage être suivie lorsqu'elle fait grief à l'autorité précédente d'avoir enfreint son devoir de motivation et lui reproche d'avoir versé dans l'arbitraire. Bien que succincte, la motivation de l'arrêt attaqué permet en effet de discerner les motifs qui ont guidé l'autorité précédente et les éléments sur lesquels elle a fondé sa décision. L'intéressée échoue à démontrer l'existence d'une quelconque trace d'arbitraire dans la solution retenue par l'autorité précédente. Lorsqu'elle se plaint de ce que celle-ci n'aurait prétendument pas tenu compte de la situation irréversible dans laquelle elle risquerait de se retrouver, la recourante perd de vue que l'autorité précédente devait également tenir compte des chances de succès de l'appel au moment de statuer sur la requête tendant à l'exécution anticipée du jugement de première instance. Pour le reste, elle ne démontre nullement que le résultat auquel a abouti l'autorité précédente au terme de sa pesée des divers intérêts en présence serait arbitraire, mais se contente de formuler des critiques appellatoires en substituant son appréciation personnelle des différents intérêts en jeu à celle de l'autorité précédente, ce qui scelle le sort du recours.
7.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, selon la procédure simplifiée prévue par l'art. 109 al. 2 let. a LTF.
La recourante, qui succombe, supportera les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée n'a pas droit à des dépens, dès lors qu'elle n'a pas été invitée à répondre au recours.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 12 avril 2024
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
Le Greffier : O. Carruzzo