Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_320/2022
Arrêt du 12 juillet 2022
Ire Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix, Jametti, Haag et Merz.
Greffier: M. Kurz.
Participants à la procédure
H.________,
représentée par Me Andrea Taormina, avocat,
recourante,
contre
Office fédéral de la justice, Office central US A, Bundesrain 20, 3003 Berne.
Objet
Entraide judiciaire internationale en matière pénale aux Etats-Unis; remise de moyens de preuve, recevabilité
du recours,
recours contre l'arrêt du Tribunal pénal fédéral,
Cour des plaintes, du 12 mai 2022
(RR.2022.68, RR.2022.69, RR.2022.70).
Faits :
A.
Par acte du 7 avril 2022, la société H.________ (X.________) a formé trois recours auprès de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral contre des décisions de clôture rendues le 7 mars 2022 par l'Office fédéral de la justice, Office central USA (OFJ), accordant l'entraide judiciaire et la transmission de renseignements bancaires aux autorités américaines.
Par courriers recommandés du 11 avril 2022, la recourante a été invitée à verser 5'000 fr. d'avance de frais pour chaque recours, et à transmettre des documents établissant l'identité du signataire des procurations produites, ainsi que ses pouvoirs de représentation, à défaut de quoi les recours seraient déclarés irrecevables. Dans le délai fixé à cet effet, et prolongé à la demande de la recourante, celle-ci a produit notamment, le 4 mai 2022, une copie d'un "Certificate of incumbency", du passeport de F.________, du "Register of directors" délivré par la "BVI financial services commission", du "Memorandum of association" de la société et d'un document intitulé "Articles of association".
Par arrêt du 12 mai 2022, la Cour des plaintes a joint les trois causes et a déclaré les recours irrecevables. Aucun des documents produits n'établissait, à l'instar d'un extrait du registre du commerce, l'existence des pouvoirs de représentation de F.________.
B.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, H.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour des plaintes et de renvoyer la cause à l'instance précédente.
La Cour des plaintes persiste dans les termes de son arrêt, sans observations. L'OFJ conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, tout en relevant qu'il a invité la recourante à produire des documents attestant de son existence mais qu'il avait par erreur rendu ses décisions de clôture avant l'échéance du délai fixé, attirant l'attention de la recourante sur le fait que cette preuve devrait être apportée au moment du recours à la Cour des plaintes.
La recourante s'est encore déterminée à ce propos.
Considérant en droit :
1.
Selon l'art. 84 LTF, le recours en matière de droit public est recevable à l'encontre d'un arrêt du Tribunal pénal fédéral en matière d'entraide judiciaire internationale si celui-ci a pour objet notamment la transmission de renseignements concernant le domaine secret et s'il concerne un cas particulièrement important (al. 1). Un cas est particulièrement important notamment lorsqu'il y a des raisons de supposer que la procédure à l'étranger viole des principes fondamentaux ou comporte d'autres vices graves (al. 2). Ces motifs d'entrée en matière ne sont toutefois pas exhaustifs et le Tribunal fédéral peut être appelé à intervenir lorsqu'il s'agit de trancher une question juridique de principe ou lorsque l'instance précédente s'est écartée de la jurisprudence suivie jusque-là (ATF 142 IV 250 consid. 1.3). Une violation du droit d'être entendu dans la procédure d'entraide peut également fonder un cas particulièrement important, pour autant que la violation alléguée soit suffisamment vraisemblable et l'irrégularité d'une certaine gravité (ATF 145 IV 99 consid. 1.5).
En vertu de l'art. 42 al. 2 LTF, il incombe à la partie recourante de démontrer que les conditions d'entrée en matière posées à l'art. 84 LTF sont réunies (ATF 139 IV 294 consid. 1.1). En particulier, il ne suffit pas d'invoquer des violations des droits fondamentaux de procédure pour justifier l'entrée en matière; seule une violation importante, suffisamment détaillée et crédible peut conduire, le cas échéant, à considérer que la condition de recevabilité posée à l'art. 84 al. 2 LTF est réalisée (ATF 145 IV 99 consid. 1.5).
La présente cause porte sur des décisions de transmission de documents bancaires, de sorte que la première condition posée à l'art. 84 al. 1 LTF est réalisée. La seconde l'est également dès lors que, comme on le verra ci-dessous, l'arrêt attaqué consacre un déni de justice évident.
2.
La recourante se plaint d'une violation de ses droits élémentaires de procédure. Elle relève que l'OFJ avait admis sans autre sa qualité de partie et les pouvoirs de son représentant, renonçant à la production de documents en ce sens. Elle considère que les "Certificates of incumbency", établis par l'entreprise, constituent des documents officiels indiquant la composition du conseil d'administration et les membres de la direction, et sont couramment utilisés pour confirmer l'identité des personnes habilitées à représenter les sociétés. En l'occurrence, le certificat du 21 avril 2022 indique que F.________ est le directeur de la société, habilité à l'engager par sa signature. Dans une précédente procédure concernant la recourante, la Cour des plaintes avait admis la validité des mêmes documents et n'expliquerait pas les raisons d'une telle différence de traitement (art. 8 al. 1 Cst.). La référence à l'arrêt du Tribunal fédéral 1C_563/2016 serait sans pertinence car, à la différence du cas d'espèce, des documents officiels avaient alors été explicitement exigés.
2.1. Il y a formalisme excessif, constitutif d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst., lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi et complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 145 I 201 consid. 4.2.1 et les arrêts cités). A cet égard, elle commande à l'autorité d'éviter de sanctionner par l'irrecevabilité les vices de procédure aisément reconnaissables qui auraient pu être redressés à temps, lorsque celle-ci pouvait s'en rendre compte assez tôt et les signaler utilement au plaideur (ATF 125 I 166 consid. 3a et les références; arrêt 5A_741/2016 du 6 décembre 2016 consid. 6.1.1). Par ailleurs, en vertu du droit d'être entendu, l'autorité est tenue de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et afin que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Le juge doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3; 142 I 135 consid. 2.1). Il n'est pas tenu de discuter tous les arguments soulevés par les parties, mais peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 142 II 154 consid. 4.2; 139 IV 179 consid. 2.2).
2.2. Avec son recours à la Cour des plaintes, la recourante a produit une procuration en faveur de son avocat signée par F.________, ainsi qu'un "Certificate of incumbency" du 18 février 2022 confirmant notamment l'existence de la recourante en tant que société sise à X.________ ainsi que le nom de son directeur, soit F.________. Elle a également produit un "Certificate of good standing" du même jour, attestant de l'existence de la société. Le 11 avril 2022, la Cour des plaintes a invité la recourante à produire jusqu'au 22 avril suivant des documents indiquant l'identité du signataire de la procuration produite, ainsi que des documents établissant que le signataire en question est habilité à représenter la société recourante. A défaut d'une telle production, le recours serait déclaré irrecevable. Le 14 avril 2022, l'avocat de la recourante fit savoir que ces documents étaient en préparation mais que cela pouvait prendre plus de temps; il relevait que l'OFJ, après avoir requis les mêmes documents, avait rendu ses décisions de clôture avant l'échéance du délai imparti, laissant entendre qu'ils n'étaient plus nécessaires. La Cour des plaintes a accordé une prolongation de délai et l'avocat de la recourante a produit, le 4 mai 2022, une copie du passeport de F.________, un "Certificate of incumbency" du 21 avril 2022 ainsi qu'une copie certifiée conforme de l'extrait du "Register of directors" de la "BVI financial Services Commission", mentionnant F.________ comme directeur de la société. L'avocat de la recourante relevait que les mêmes documents avaient été jugés suffisants dans le cadre d'une précédente procédure (RR_1, arrêt du 4 décembre 2019) devant la Cour des plaintes. Dans son arrêt, la Cour des plaintes considère qu'aucun des documents produits (y compris le "Register of directors" susmentionné) n'établissait que F.________ disposait du pouvoir d'engager la société par sa signature.
Il résulte de ce qui précède que la recourante a tenté de donner suite à l'ordre de production de la Cour des plaintes, celle-ci n'ayant mentionné les documents utiles que de manière générale. Les "Certificates of incumbency" semblent a priori pouvoir être considérés comme des documents officiels indiquant les membres de la direction et les personnes habilitées à engager la société (
www.yyy.asp, cité par la recourante, consulté le 23 juin 2022). La Cour des plaintes considère que seul un document officiel comme un extrait du registre du commerce pouvait être pris en considération. On ne comprend toutefois pas pourquoi elle ne l'a pas fait savoir clairement à la recourante au cours de l'échange de lettres qui a précédé l'arrêt attaqué. Sur le vu des documents nombreux et a priori pertinents fournis par la recourante, l'instance précédente aurait à tout le moins dû précisément indiquer quels documents devaient encore être fournis, afin de permettre à la recourante de s'exécuter ou de se déterminer sur la pertinence de cette exigence. L'avocat de la recourante a en outre relevé que les documents produits avaient été jugés suffisants dans de cadre d'une procédure ayant abouti à un arrêt de la Cour des plaintes du 4 décembre 2019. L'arrêt attaqué ne répond toutefois nullement à cet argument et ne satisfait pas non plus sous cet angle à l'obligation de motiver. Au vu des documents produits et des objections soulevées par la recourante, l'arrêt attaqué apparaît insuffisamment motivé et consacre un formalisme excessif, faute d'avoir préalablement et explicitement indiqué à la recourante les documents qui étaient exigés d'elle.
2.3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est admis; l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour des plaintes pour nouvelle décision au sens des considérants qui précèdent. Il n'est pas perçu de frais judiciaires et une indemnité de dépens est allouée à recourante, à la charge de la Confédération (art. 68 al. 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour des plaintes pour nouvelle décision au sens des considérants.
2.
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée à la recourante, à la charge de la Confédération (Tribunal pénal fédéral).
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, à l'Office fédéral de la justice, Office central USA, et au Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes.
Lausanne, le 12 juillet 2022
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Kurz