[AZA 7]
I 355/01 Mh
IIIe Chambre
MM. les juges Schön, Président, Spira et Ursprung.
Greffière : Mme Moser-Szeless
Arrêt du 12 octobre 2001
dans la cause
Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève, boulevard du Pont-d'Arve 28, 1205 Genève, recourant,
contre
A.________, recourante, représentée par ses parents,
et
Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI, Genève
A.- Atteinte de rétinoblastome, l'enfant A.________ a dû subir l'énucléation de l'oeil gauche en janvier 1993, opération prise en charge par l'assurance-invalidité au titre de mesure médicale nécessaire au traitement d'une infirmité congénitale. Elle porte depuis lors une prothèse oculaire fixe en verre.
Le 16 avril 1996, A.________ a commencé un traitement de rééducation psychomotrice à raison de deux séances par semaine auprès de B.________, psychomotricienne. Ses parents ont présenté, le 22 avril 1996, une demande de prestations de l'assurance-invalidité tendant à la prise en charge du traitement. Selon la doctoresse C.________, spécialiste FMH en psychiatrie, l'enfant souffre de graves troubles du comportement et de la personnalité "qui semblent en relation directe avec l'histoire oculaire" et nécessitent la mesure médicale sollicitée par les parents (rapport du 28 juin 1996).
Par décision du 29 août 1997, l'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité (ci-après : l'office) a rejeté la demande de prestations, en considérant que les troubles psychiques de l'enfant n'étaient pas dans un rapport de causalité adéquate avec l'affection oculaire congénitale.
La Commission cantonale genevoise de recours en matière d'assurance-vieillesse, survivants et invalidité (ci-après : la commission), se fondant sur les déclarations de la doctoresse C.________, a admis, par jugement du 5 février 1999, le recours formé par A.________ et annulé la décision litigieuse.
Par arrêt du 30 décembre 1999, le Tribunal fédéral des assurances a admis le recours interjeté par l'office contre ce jugement, motif pris de l'insuffisance de sa motivation et de la violation du droit d'être entendu du recourant. La cause a ainsi été renvoyée à la commission pour instruction complémentaire, afin de déterminer avec l'aide d'un expert si les troubles du comportement présentés par l'assurée étaient dans un rapport de causalité adéquate qualifiée avec l'infirmité congénitale.
B.- La commission a repris l'instruction de la cause en confiant une expertise au professeur D.________ qui s'est prononcé dans un rapport du 27 juin 2000 et un rapport complémentaire du 17 janvier 2001. Les parties ont eu la possibilité de se déterminer sur l'expertise.
Par jugement du 22 mars 2001, la commission a derechef admis le recours, annulé la décision attaquée et renvoyé l'affaire à l'office pour qu'il accorde à l'assurée la prise en charge du traitement psychomoteur.
C.- L'office interjette recours de droit administratif contre ce jugement dont il demande l'annulation, en concluant au rétablissement de sa décision du 29 août 1997.
Pour l'essentiel, il fait valoir que le rapport d'expertise du professeur D.________ du 27 juin 2000 ne permet pas de conclure à l'existence d'un lien de causalité très étroit entre l'affection secondaire de l'assurée (graves troubles du comportement et de la personnalité) et son infirmité congénitale.
A.________ conclut au rejet du recours, alors que l'Office fédéral des assurances sociales préavise pour son admission.
Considérant en droit :
1.- Aux termes de l'art. 13 LAI, les assurés ont droit aux mesures médicales nécessaires au traitement des infirmités congénitales jusqu'à l'âge de 20 ans révolus.
Les mesures médicales accordées conformément à cette disposition doivent tendre, en principe, à soigner l'infirmité congénitale elle-même. La jurisprudence admet toutefois que le droit à des mesures médicales s'étend exceptionnellement - et sous réserve de la responsabilité, non en cause ici, pour le risque d'une mesure de réadaptation selon l'art. 11 LAI - également au traitement d'atteintes secondaires à la santé qui ne sont certes plus liées aux symptômes d'infirmité congénitale, mais qui, selon l'expérience médicale, sont souvent la conséquence de cette infirmité. Entre l'infirmité congénitale et l'atteinte secondaire à la santé, il faut ainsi qu'il existe un lien de causalité adéquate qualifié. Ce n'est que si ce lien de causalité qualifié entre l'atteinte secondaire à la santé et l'infirmité congénitale est donné et si le traitement se révèle en outre nécessaire que l'AI doit prendre en charge les mesures médicales dans le cadre de l'art. 13 LAI (VSI 2001 p. 75 consid. 3a; ATF 100 V 41 avec références, RCC 1974 p. 386).
Il convient cependant de rappeler que, selon une jurisprudence constante qui s'applique également dans le domaine de l'assurance-invalidité, seule la question de la causalité naturelle relève du fait - et donc de l'appréciation des médecins - alors que le caractère adéquat de la causalité est une question de droit qui doit être tranchée par l'office cantonal de l'assurance-invalidité ou par le juge en cas de recours (ATF 123 V 103 consid. 3d et 139 consid. 3c, 111 V 188 consid. 2b).
2.- Il n'est pas contesté que l'intimée souffre d'une infirmité congénitale (rétinoblastome, n° 421 OIC). Seul est litigieux le point de savoir s'il existe un lien de causalité adéquate entre l'affection secondaire de l'assurée, soit ses troubles du comportement et cette infirmité congénitale, de manière à ouvrir le droit aux mesures médicales.
a) En l'espèce, dans son rapport d'expertise du 27 juin 2000, le Professeur D.________ arrive à la conclusion qu'il ne peut pas déterminer l'existence d'une étroite connexion entre le trouble d'ordre psychique spécifique de l'enfant (trouble de la personnalité narcissique) et les symptômes de l'infirmité congénitale. Toutefois, il constate que les troubles psychiques de l'intimée ne sont apparus qu'après l'infirmité congénitale et qu'aucun "élément pathologique anamnestique" n'était présent avant le diagnostic de rétinoblastome. L'expert a également expliqué que l'opération avait provoqué une perte du champ visuel avec pour conséquence une limitation très importante dans l'évolution physique et psychique de A.________ (sentiments d'insécurité, de dévalorisation de sa propre image, limitations importantes, difficultés dans les relations interpersonnelles). De même, selon lui, face à la perte de l'organe et de sa fonction, l'enfant a présenté des troubles du comportement (agitation, crises de colère) en rapport causal avec cette perte. Ces observations confirment l'avis de la doctoresse C.________ (rapport du 28 juin 1996, avis complémentaire du 6 juillet 1998), selon lequel les troubles psychiques de l'enfant sont en relation directe avec la pathologie oculaire et ses conséquences.
Enfin, l'expert confirme qu'après toute intervention mutilante, le "deuil" de la fonction s'accompagne d'une réaction dépressive, variable en profondeur et en durée. Elle peut nécessiter un traitement spécialisé, associant parfois une intervention psychothérapeutique à un traitement médicamenteux.
Sur le vu de ces constatations médicales, on doit admettre que le lien de causalité naturelle est établi au degré de la vraisemblance prépondérante, même s'il devait s'avérer que l'infirmité congénitale et le traitement chirurgical qu'elle a nécessité ne sont pas la cause unique des troubles psychiques dont souffre l'assurée (ATF 121 V 329 consid. 2a et les arrêts cités; comp. ATF 100 V 42 consid. 1b).
b) Quant à la condition d'un lien de causalité adéquate "qualifiée" postulée par la jurisprudence, elle est également réalisée en l'espèce. En effet, il ressort des constatations de l'expert qu'il existe une connexion étroite entre l'opération (énucléation) - extrêmement mutilante pour toute personne et a fortiori pour un enfant en bas âge - nécessitée par le traitement de l'infirmité congénitale et les troubles psychiques sévères présentées par l'assurée. Il faut, à cet égard, admettre qu'il est dans le cours ordinaire des choses et conforme à l'expérience de la vie qu'une fillette de cet âge, absolument pas préparée à une telle mutilation puisque l'intervention a dû avoir lieu très rapidement après la découverte de la maladie, subisse un traumatisme psychique propre à entraîner des troubles de la personnalité tels que ceux qui ont été diagnostiqués par le médecin traitant et l'expert.
c) Il est d'autre part incontesté que des séances de thérapie psychomotrice, - qui peut être assimilée à une mesure médicale (ATF 121 V 14 consid. 3b et les références) - telles que suivies par l'assurée, constituent une mesure adéquate pour traiter les troubles du comportement dont elle souffre. L'expert confirme d'ailleurs que la rééducation psychomotrice peut être utilisée dans la prise en charge de graves troubles du comportement, indépendamment de l'âge du patient. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont prescrit la prise en charge du traitement psychomoteur de l'intimée.
Le recours est dès lors mal fondé.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances
prononce :
I. Le recours est rejeté.
II. Il n'est pas perçu de frais de justice.
III. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la Commission cantonale genevoise de recours en matière d'assurance-vieillesse, survivants et invalidité et à
l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 12 octobre 2001
Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la IIIe Chambre :
La Greffière :