[AZA 3]
1P.776/1999
Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
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13 mars 2000
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Jacot-Guillarmod et Favre. Greffier: M. Parmelin.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
les
hoirs de Dominique S e r t o r i, soit Ginette Serto-
ri, à Granges-près-Marnand, Sylviane Gothuey-Sertori, à Lu-
cens, et Daniel Sertori, à Granges-près-Marnand, représentés
par Me Benoît Bovay, avocat à Lausanne,
contre
l'arrêt rendu le 18 novembre 1999 par le Tribunal adminis-
tratif du canton de Vaud, dans la cause qui oppose les re-
courants à
Pierrette T h é v o z, route de la Falaise 3, à
Marin-Epagnier, à
Roger B i d i v i l l e, à Granges-près-
Marnand, et à la
Municipalité de G r a n g e s - p r è s -
M a r n a n d;
(police des constructions; dérogation)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les
f a i t s suivants:
A.-
Les hoirs de feu Dominique Sertori, à savoir Ginet-
te Sertori, Sylviane Gothuey-Sertori et Daniel Sertori (ci-
après, les hoirs Sertori), sont notamment propriétaires de
la parcelle n° 223 du registre foncier de la Commune de
Granges-près-Marnand. Ce bien-fonds de 1'869 mètres carrés
supporte deux bâtiments d'habitation, sis de part et d'autre
de l'impasse de la Poste qui permet d'accéder à la parcelle
n° 225, propriété de Pierrette Thévoz. Les lieux sont situés
en zone de village A régie par les art. 6 ss du règlement
communal sur le plan général d'affectation et la police des
constructions approuvé par le Département cantonal des tra-
vaux publics, de l'aménagement et des transports le 4 avril
1997 (RPGA).
B.-
Du 21 mai au 10 juin 1999, les hoirs Sertori ont
soumis à l'enquête publique la construction d'un pavillon de
jardin en forme de "L" à l'angle nord-ouest de leur parcel-
le, à la limite commune avec les parcelles voisines nos 229
et 225, à une dizaine de mètres de la maison d'habitation
érigée sur cette dernière parcelle. D'une surface d'environ
25 mètres carrés, cet ouvrage présenterait une façade aveu-
gle longue de 5,62 mètres et haute de 2,10 mètres du côté de
la parcelle n° 225, coiffée d'un toit en cuivre à deux pans
culminant à 2,85 mètres; l'extrémité est de la toiture se-
rait surmontée par le canal d'une cheminée intérieure, dé-
passant d'environ 1,50 mètre. Les façades tournées vers
l'intérieur de la propriété des hoirs Sertori seraient fer-
mées à l'aide de panneaux vitrés escamotables. Le pavillon
serait alimenté en électricité, mais pas en eau.
Pierrette Thévoz et Roger Bidiville, en leur qualité de
propriétaire, respectivement d'usufruitier de la parcelle
n° 225, ont fait opposition à ce projet en invoquant les
nuisances que leur causerait cette dépendance. La Municipa-
lité de Granges-près-Marnand a refusé l'autorisation de
construire sollicitée par décision du 25 juin 1999.
C.-
Statuant par arrêt du 18 novembre 1999, le Tribunal
administratif du canton de Vaud (ci-après, le Tribunal admi-
nistratif) a rejeté un recours des hoirs Sertori contre cet-
te décision. Il a considéré en substance que l'ouvrage liti-
gieux pourrait "servir à l'habitation", contrairement à
l'art. 39 al. 4 [recte: al. 2] du règlement d'application de
la loi du 4 décembre 1985 sur l'aménagement du territoire et
les constructions (RATC) relatif aux dépendances de peu
d'importance admissibles dans les espaces "réglementaires",
en dérogation aux règles sur les distances aux limites. Vu
la solution retenue, il s'est abstenu d'examiner les nuisan-
ces qu'engendrerait la construction pour les voisins.
D.-
Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation des art. 4 et 22ter aCst. , les hoirs Sertori
demandent au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Ils re-
prochent au Tribunal administratif d'avoir fait une inter-
prétation arbitraire des plans et des éléments du dossier,
d'une part, et des art. 39 RATC, 9 et 30 RPGA, d'autre part,
en considérant comme habitable de façon permanente un pavil-
lon de jardin n'ayant qu'une utilisation sporadique en de-
hors de la saison chaude et ne communiquant pas avec le bâ-
timent principal. Cette interprétation irait "à l'encontre
de la liberté du propriétaire garantie par l'art. 22 Cst."
et serait constitutive d'une inégalité de traitement.
Le Tribunal administratif conclut au rejet du recours.
Les intimés Thévoz et Bidiville persistent dans leur opposi-
tion. La Municipalité de Granges-près-Marnand a renoncé à se
déterminer.
C o n s i d é r a n t e n d r o i t :
1.-
En vertu de l'art. 34 al. 1 et 3 de la loi fédérale
sur l'aménagement du territoire (LAT; RS 700), seule la voie
du recours de droit public est ouverte contre l'octroi d'un
permis de construire en zone à bâtir dans la mesure où les
recourants font essentiellement valoir des griefs tirés du
droit de l'aménagement du territoire et de la police des
constructions (cf. ATF 123 II 88 consid. 1a/cc p. 92 et les
arrêts cités).
Les hoirs Sertori sont directement touchés par l'arrêt
attaqué qui confirme le refus de la Municipalité de Granges-
près-Marnand de leur octroyer l'autorisation de construire
un pavillon de jardin sur leur propriété; ils ont un intérêt
personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cet ar-
rêt soit annulé, et ont, partant, qualité pour recourir se-
lon l'art. 88 OJ. Les autres conditions de recevabilité du
recours de droit public étant remplies, il convient d'entrer
en matière sur le fond.
2.-
La configuration des lieux et, en particulier, de
l'ouvrage litigieux ressort suffisamment des plans et des
descriptions des parties pour que le Tribunal fédéral soit
en mesure d'examiner en connaissance de cause la question de
savoir si celui-ci "sert à l'habitation", au sens de l'art.
39 RATC, de sorte qu'il n'y a pas lieu de donner suite à la
requête d'inspection locale présentée par les recourants
(ATF 123 II 248 consid. 2a p. 249; 122 II 274 consid. 1d
p. 279).
3.-
Ces derniers reprochent à l'autorité intimée
d'avoir fait une interprétation arbitraire des plans et des
éléments du dossier, d'une part, et des art. 39 RATC, 9 et
30 RPGA, d'autre part, en considérant comme habitable de fa-
çon permanente un pavillon de jardin n'ayant qu'une utilisa-
tion sporadique en dehors de la saison chaude et ne communi-
quant pas avec le bâtiment principal. Cette interprétation
irait à l'encontre de la "liberté du propriétaire" garantie
par l'art. 22ter aCst. et serait constitutive d'une inégali-
té de traitement.
a) Les recourants ne démontrent pas en quoi l'interpré-
tation querellée de l'art. 39 al. 2 RATC serait dénuée de
base légale, justifiée par aucun intérêt public et dispro-
portionnée (art. 36 al. 1 à 3 Cst.), de sorte que le grief
tiré de la violation de la garantie de la propriété (art.
22ter aCst.; art. 26 al. 1 Cst.) ne répond pas aux exigences
de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 125 I 492 consid. 1b
p. 495 et les arrêts cités). Au demeurant, le refus du per-
mis de construire sollicité ne consacre pas une atteinte
grave au droit de propriété des recourants, de sorte que le
Tribunal fédéral n'examine que sous l'angle restreint de
l'arbitraire l'interprétation et l'application de la légis-
lation cantonale (ATF 116 Ia 181 consid. 3c p. 185 et les
arrêts cités).
b) Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire
lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît grave-
ment une norme ou un principe juridique clair et indiscuté,
ou encore heurte de manière choquante le sentiment de la
justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa motivation
soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse
arbitraire dans son résultat. A cet égard, le Tribunal fédé-
ral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci appa-
raît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situa-
tion effective, si elle a été adoptée sans motif objectif et
en violation d'un droit certain. Il n'y a pas arbitraire du
seul fait qu'une autre solution paraît également concevable,
voire même préférable (ATF 125 I 166 consid. 2a p. 168; 125
II 10 consid. 3a p. 15, 129 consid. 5b p. 134).
c) En l'espèce, le Tribunal administratif s'est référé
à la jurisprudence cantonale déduite de l'art. 39 RATC, dès
lors que les art. 9 et 30 RPGA, consacrés aux constructions
annexes de minime importance et aux dépendances hors terre,
ont un contenu identique et n'offrent pas de possibilités de
construire ou de moyens de droit supplémentaires aux admi-
nistrés. Au vu des particularités architecturales du pavil-
lon projeté, l'autorité intimée pouvait sans arbitraire con-
sidérer que le local pourrait, contrairement à l'art. 39 al.
2 RATC, "servir à l'habitation", en raison de son éclairage
et de la possibilité de le chauffer, même s'il n'est pas dé-
signé dans la requête en autorisation de construire comme un
espace chauffé sous l'angle de l'isolation thermique et de
la réglementation sur l'utilisation rationnelle de l'énergie
et celle des énergies renouvelables dans les constructions.
Etant donné sa surface, la possibilité de le fermer
complètement par des vitrages, sur les deux façades inté-
rieures à la propriété, à l'instar d'une véranda, son éclai-
rage naturel et artificiel, sa cheminée et la possibilité de
lui adjoindre un radiateur électrique, il n'est pas arbi-
traire de considérer que le pavillon litigieux pourrait être
utilisé pratiquement en toute période de l'année comme une
salle à manger ou, plus généralement, comme une pièce desti-
née à recevoir un certain nombre de personnes. Dans ce sens,
l'édification d'un tel ouvrage permettrait à ses propriétai-
res d'avoir une pièce habitable à l'intérieur des espaces
réglementaires, en limite de propriété, et ceci même si au-
cune liaison n'est prévue avec le bâtiment principal. Le
Tribunal fédéral n'a ainsi pas lieu de s'écarter de la solu-
tion retenue par le Tribunal administratif, qui trouve appui
dans la jurisprudence cantonale (cf. RDAF 1985 p. 94), sans
qu'il soit nécessaire d'examiner si le pavillon était assi-
milable à une véranda sous l'angle du calcul de la surface
brute de plancher habitable, ou s'il entraînait un préjudice
non supportable sans sacrifice excessif de la part des voi-
sins, au sens de l'art. 39 al. 4 RATC, comme l'a estimé la
Municipalité de Granges-près-Marnand pour refuser le permis
de construire sollicité.
Le grief d'une interprétation arbitraire de l'art. 39
al. 2 RATC doit en conséquence être écarté.
4.-
Les recourants se plaignent également d'une inéga-
lité de traitement contraire à l'art. 4 aCst.
Une décision viole le droit à l'égalité de traitement
dans l'application de la loi lorsque l'autorité traite de
manière différente des situations semblables sans motif qui
puisse le justifier (ATF 125 I 161 consid. 3a p. 163 et
l'arrêt cité).
Ce grief se recoupe, pour l'essentiel, avec celui d'une
interprétation arbitraire de l'art. 39 al. 2 RATC, tranché
au considérant 3 ci-dessus. A ce propos, on ne voit pas en
quoi il serait contraire au principe de l'égalité de traite-
ment entre propriétaires de tolérer les constructions qui ne
permettraient pas l'habitation permanente en limite de pro-
priété et d'écarter celles qui l'autoriseraient. Pour le
surplus, les recourants se bornent à évoquer les dépendances
que leurs voisins ont édifiées avec l'accord de la Municipa-
lité de Granges-près-Marnand, sans donner davantage de pré-
cisions quant aux cas de comparaison qui devraient être exa-
minés, sous réserve de celui de Pierrette Thévoz. Le recours
ne répond donc pas sur ce point aux exigences de l'art. 90
al. 1 let. b OJ (cf. ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495). En ce
qui concerne la comparaison avec le bûcher couvert que l'in-
timée a installé à l'angle sud-ouest de la parcelle n° 225,
en limite de propriété, la situation est fondamentalement
différente de celle de la construction envisagée par les re-
courants. En effet, par définition, un bûcher ne peut en au-
cun cas "servir à l'habitation" et correspond strictement à
la notion de dépendance d'après l'art. 39 RATC, dont il rem-
plit par ailleurs toutes les conditions (cf.
Jacques Matile
et autres, Droit vaudois de la construction, 2e éd., Lausan-
ne 1994, n. 3 ad art. 39 RATC, p. 268).
Le moyen tiré de la violation du droit à l'égalité de
traitement ne saurait ainsi davantage être retenu.
5.-
Le recours doit par conséquent être rejeté, dans la
mesure où il est recevable, aux frais des recourants, qui
succombent ( art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ ); les intimés,
qui agissaient seuls, n'ont pas droit à des dépens (cf. ATF
113 Ib 353 consid. 6b p. 356/357).
Par ces motifs,
l e T r i b u n a l f é d é r a l :
1. Rejette le recours dans la mesure où il est receva-
ble;
2. Met à la charge des recourants un émolument judi-
ciaire de 5'000 fr.;
3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens;
4. Communique le présent arrêt en copie aux parties, à
la Municipalité de Granges-près-Marnand et au Tribunal admi-
nistratif du canton de Vaud.
___________
Lausanne, le 13 mars 2000
PMN/mnv
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,