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Bundesgericht 
Tribunal fédéral 
Tribunale federale 
Tribunal federal 
 
 
 
 
6B_605/2023  
 
 
Arrêt du 13 mai 2024  
 
Ire Cour de droit pénal  
 
Composition 
MM. et Mme les Juges fédéraux 
Denys, Juge présidant, 
Muschietti et van de Graaf. 
Greffier : M. Barraz. 
 
Participants à la procédure 
1. A.________, 
2. B.________, 
tous deux représentés par Me Sophie Bobillier, avocate, 
recourants, 
 
contre  
 
Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD, 
intimé. 
 
Objet 
Arbitraire; maxime de l'instruction; entrave aux services d'intérêt général; empêchement d'accomplir un acte officiel (maxime d'accusation); principe de célérité, 
 
recours contre le jugement de la Cour d'appel pénale 
du Tribunal cantonal vaudois du 12 décembre 2022 
(n° 111 PE19.020413). 
 
 
Faits :  
 
A.  
Par jugement du 28 octobre 2021, le Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne a: 
 
- libéré A.________ des chefs de prévention de contravention à la Loi vaudoise du 19 mai 2009 sur les contraventions (RS/VD 312.11; LContr) et d'empêchement d'accomplir un acte officiel, mais l'a reconnu coupable d'entrave aux services d'intérêt général et de violation simple des règles de la circulation routière et l'a condamné à une peine pécuniaire de 10 jours-amende à 20 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans, ainsi qu'à une amende de 50 fr., la peine privative de liberté de substitution en cas de non-paiement fautif étant fixée à un jour; 
- libéré B.________ du chef de prévention de contravention à la LContr, mais l'a reconnu coupable d'entrave aux services d'intérêt général, d'empêchement d'accomplir un acte officiel, de violation simple des règles de la circulation routière et de contravention à la LContr et l'a condamné à une peine pécuniaire de 20 jours-amende à 20 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans, ainsi qu'à une amende de 200 fr., la peine privative de liberté de substitution en cas de non-paiement fautif étant fixée à deux jours. 
 
B.  
Par jugement du 12 décembre 2022, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté les appels de A.________ et de B.________. Elle a statué sur la base des faits suivants: 
 
B.a.  
 
B.a.a. Né en 1996, A.________ est actuellement sans activité. Il bénéficie du revenu d'insertion. L'extrait de son casier judiciaire fait état d'une condamnation en 2019 pour contrainte et violation de domicile à une peine pécuniaire avec sursis.  
 
B.a.b. Né en 1971, B.________ est marié et père de deux enfants. Récemment licencié, lui et sa famille vivent des indemnités journalières versées à son épouse par l'assurance-invalidité. Il a des dettes à hauteur de 100'000 francs. L'extrait de son casier judiciaire ne comporte aucune inscription.  
 
B.b.  
 
B.b.a. À Lausanne, pont Bessières, le 20 septembre 2019, entre 11h25 et 19h55, sans avoir obtenu d'autorisation préalable pour se réunir en ce lieu, plusieurs manifestants, dont A.________ et B.________, se sont assis sur la route afin de bloquer la circulation et ont déposé des objets sur la chaussée. Le trafic des véhicules, notamment des véhicules d'urgence et des bus de la ligne n° 16, a dû être dévié sur d'autres artères attenantes. Les forces de l'ordre ont, dans un premier temps, demandé aux manifestants de quitter les lieux de leur propre chef. Cette requête ayant été ignorée, les agents de police ont dû évacuer par la force les manifestants un par un, y compris les précités.  
A.________ a appris l'existence de la manifestation sur les réseaux sociaux. Il n'a pas participé à son organisation d'une quelconque manière. Comme les autres, il a eu connaissance des injonctions policières de quitter les lieux mais n'a pas obtempéré. Il a néanmoins quitté le pont de son propre chef par la suite. S'il a crié des slogans, il n'a cependant pas utilisé de moyen d'amplification vocal. Il savait que le collectif Extinction Rebellion (ci-après: XR) organisait parfois des manifestations non autorisées, ce qui n'avait pas d'impact sur sa décision de participer ou non à ces manifestations. 
B.________ fait partie du groupe "art et matériel" de XR Lausanne. À ce titre, il a été chargé de concevoir et de monter la scène au moyen de matériel qu'il a transporté dans une remorque dont il est propriétaire. Il a également emprunté à un tiers une remorque qui transportait une barque. Arrivé sur place au début de la manifestation et aidé par d'autres, il a vidé la remorque du matériel destiné au montage de la scène avant qu'un tiers ne déplace sa voiture dans un parking, laissant la remorque sur place, celle-ci devant servir de régie pour la scène. B.________ savait que la manifestation n'était pas autorisée. Il a personnellement utilisé un mégaphone pour informer les manifestants, heure par heure, du nombre d'heures de blocage du pont. Il a eu connaissance des injonctions de la police d'évacuer le pont et ce n'est qu'au moment où les forces de police ont repris le pont qu'avec d'autres, il a reculé jusqu'à évacuer le pont en direction de la cathédrale. La scène a dû être démontée par les pompiers et les véhicules emmenés à la fourrière. 
 
B.b.b. Selon le rapport du 5 octobre 2019, la police a été renseignée, notamment au travers des médias, que XR avait l'intention de mener, le 20 septembre 2019, une action de blocage sur un des ponts lausannois sur plusieurs heures, y compris la nuit suivante, et de mener diverses activités. Aucune demande d'autorisation n'a été adressée aux services compétents.  
Vers 11h25, la police a constaté que des membres du collectif XR tentaient de se mettre en place afin de bloquer le pont Bessières, selon le modus suivant: deux véhicules avec remorques, circulant de front, se sont arrêtés au milieu de l'édifice puis se sont délestés de leurs remorques, obstruant ainsi la circulation. Par la suite, leurs conducteurs ont prestement quitté les lieux avec lesdits véhicules, non sans avoir préalablement dissimulé les plaques des roulottes. Simultanément, plusieurs dizaines de manifestants se sont déployés et ont enlevé leur survêtement pour afficher leur appartenance à XR. Certains d'entre eux étaient chargés de prendre le matériel se trouvant dans l'une des remorques et se sont positionnés, en sit-in, sur les axes d'entrée et de sortie de l'édifice. D'autres ont saisi du matériel pour construire une scène sur la route. Dès cet instant, ce blocage a créé un report de circulation conséquent sur les artères attenantes, la sortie de quelques véhicules bloqués sur le pont ayant toutefois été préalablement facilitée par les manifestants. Après cinq à dix minutes, près de deux-cent cinquante personnes étaient présentes sur l'édifice. Le dispositif de maintien de l'ordre s'est alors déployé et tous les axes d'approche ont été tenus. Parallèlement, une déviation du trafic a été créée, isolant le pont Bessières du reste de la ville. 
Après les premières injonctions, un délai a été laissé aux manifestants pour quitter librement l'édifice. Une fois ce délai échu, le dispositif s'est déplacé de chaque côté du pont pour en verrouiller les accès. S'en est suivie une première négociation destinée à libérer une des voies de circulation afin de garantir un libre passage aux services d'urgence, sans toutefois que les manifestants n'accèdent à cette demande. Il a alors été décidé d'évacuer prioritairement les différentes remorques, ces obstacles pouvant gêner fortement l'action des secours. Face à la police, une chaîne humaine, constituée de plusieurs dizaines de personnes, a verrouillé l'accès. Son évacuation a duré environ 30 minutes. La résistance physique des activistes a demandé aux policiers passablement d'efforts pour les repousser au-delà de la première portion de terrain regagnée et ainsi libérer les remorques. À ce stade, aucune identification et/ou interpellation n'a été entreprise. 
La police a ensuite procédé à la réduction des multiples sit-in et tortues, lesquels se formaient tout au long de la progression de reprise du pont. On entend par "tortue", une action de sit-in effectuée par six à dix manifestants, en rond compact et tous enchevêtrés les uns aux autres avec leurs bras et leurs jambes. Cette manière de faire est destinée à complexifier les manoeuvres d'évacuation, la police devant procéder à une contrainte mesurée et proportionnée sur plusieurs personnes simultanément afin de les faire lâcher prise. Lors de la reprise du terrain, la police a extrait et identifié 104 personnes, dont A.________ et B.________. Il est précisé qu'avant chaque extraction, les personnes concernées étaient informées des sanctions encourues, qu'elles faisaient le mort et qu'elles devaient dès lors être portées jusqu'à la zone d'identification, cette action ayant ainsi été répétée cent quatre fois. À 19h55, le pont a été entièrement évacué et rapidement rendu à la circulation. 
 
C.  
A.________ et B.________ forment un recours commun en matière pénale au Tribunal fédéral contre le jugement du 12 décembre 2022. Avec suite de frais, dépens et indemnité équitable, ils concluent principalement à la réforme du jugement attaqué dans le sens de leur total acquittement, subsidiairement à leur exemption de toute peine, plus subsidiairement encore à l'atténuation de leur peine au sens de l'art. 48 let. a ch. 1 CP. En tout état de cause, ils concluent à la constatation d'une violation des art. 6 par. 1 et 2, 7 par. 1, 10 par. 1 et 11 par. 1 CEDH. Ils sollicitent finalement l'assistance judiciaire et la suspension de la procédure jusqu'au rendu par le Tribunal fédéral de ses arrêts dans les causes 6B_1486/2022, 6B_42/2023, 6B_45/2023, 6B_168/2023, 6B_382/2023, 6B_383/2023 et 6B_384/2023. 
La cour cantonale et le ministère public ont renoncé à se déterminer et se sont référés au jugement attaqué. 
 
 
Considérant en droit :  
 
1.  
À plusieurs titres (cf. infra consid. 1.2 et 1.3), les recourants soutiennent que la cour cantonale aurait établi les faits de façon manifestement inexacte. Ils dénoncent également la violation de la présomption d'innocence.  
 
1.1.  
 
1.1.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, à savoir pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation, mais aussi dans son résultat (ATF 148 IV 409 consid. 2.2). Le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur les critiques de nature appellatoire ( ibidem). En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 144 II 281 consid. 3.6.2).  
 
1.1.2. La présomption d'innocence, garantie par les art. 10 CPP, 32 al. 1 Cst., 14 par. 2 Pacte ONU II et 6 par. 2 CEDH, ainsi que son corollaire, le principe in dubio pro reo, concernent tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large. En tant que règle sur le fardeau de la preuve, elle signifie, au stade du jugement, que le fardeau de la preuve incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective. Lorsque l'appréciation des preuves et la constatation des faits sont critiquées en référence au principe in dubio pro reo, celui-ci n'a pas de portée plus large que l'interdiction de l'arbitraire (ATF 148 IV 409 consid. 2.2).  
 
1.2. Les recourants considèrent que l'état de fait arrêté par la cour cantonale serait contradictoire. Selon eux, dans la mesure où les autorités ont été informées de la tenue de la manifestation, il ne serait pas possible de considérer qu'elles ne disposaient pas des informations nécessaires pour prendre en amont les mesures utiles afin de garantir le bon déroulement de la manifestation et ainsi assurer la sécurité de la circulation et la continuité de l'exploitation des transports publics. Pourtant, ils ne remettent pas en cause que les informations transmises aux autorités en amont de la manifestation n'avaient pas un caractère précis, en particulier qu'elles ne permettaient pas de déterminer le pont qui serait ciblé par l'action. En se contentant de qualifier le raisonnement cantonal " d'interprétation [...] manifestement contradictoire et inexacte ", sans autre explication, ou de dire que " tout laisse en outre penser que les autorités étaient au courant que l'action se déroulerait sur le pont Bessières ", les recourants ne font pas la démonstration d'un quelconque arbitraire. Leur grief, appellatoire et insuffisamment motivé, est irrecevable.  
Nonobstant ce qui précède, il est précisé que les obligations positives induites par l'art. 11 CEDH pour les État membres sont limitées aux manifestations légales. Ainsi, la CourEDH a considéré que les autorités ont le devoir de prendre les mesures nécessaires pour toute manifestation légale afin de garantir le bon déroulement de celle-ci et la sécurité de tous les citoyens (arrêts de la CourEDH Frumkin c. Russie du 5 janvier 2016, § 96; Kudrevicius et autres, § 159 et les nombreuses références citées). Or la manifestation en question n'était pas autorisée, de sorte qu'indépendamment des éléments portés préalablement à la connaissance des autorités, aucune obligation positive ne pouvait leur être imputée, du moins sous l'angle de la disposition précitée. Quand bien même aurait-il fallu considérer le contraire, l'existence de telles obligations positives n'implique pas encore qu'une manifestation donnée ne puisse faire l'objet de restrictions au sens de l'art. 11 par. 2 CEDH. Tout au plus faut-il en tenir compte au moment d'examiner la proportionnalité de l'ingérence. Il y a dès lors lieu de constater que le grief des recourants est également irrecevable à défaut pour ceux-ci d'avoir démontré en quoi les éléments supposément omis par la cour cantonale seraient propres à modifier le jugement attaqué.  
 
1.3. Les recourants reprochent à la cour cantonale de ne pas avoir déterminé avec précision leur position lors de la manifestation, mais au contraire d'avoir considéré implicitement qu'ils se trouvaient sur la chaussée, ce qui ne ressortirait pas du dossier. C'est pourtant le cas en ce qui concerne B.________, qui a reconnu lors de son audition du 20 octobre 2021 avoir déchargé du matériel d'une remorque (située sur la chaussée) et avoir installé une scène (sur la voie nord de la chaussée), activités qui impliquaient nécessairement sa présence sur les voies de circulation durant un temps plus que bref. À cela s'ajoute que le but affiché et non contesté de XR était de mener une action de blocage du pont Bessières et que les recourants ont tous deux admis y avoir participé. Dans la mesure où le blocage d'un axe routier par sa personne implique de s'y tenir, on ne voit pas que la cour cantonale ait fait preuve d'arbitraire en considérant que les recourants se trouvaient sur la chaussée, sans qu'il soit exclu qu'ils aient pu momentanément se trouver sur le trottoir, cette distinction étant toutefois sans portée en l'espèce compte tenu de leur participation individuelle à une action collective ayant effectivement mené au blocage du pont Bessières. Le grief est rejeté.  
 
2.  
Invoquant notamment une violation de la maxime de l'instruction, les recourants font grief à la cour cantonale de ne pas avoir instruit et établi (i) les informations dont disposaient effectivement les autorités, (ii) les circonstances de la manifestation, (iii) la durée de la manifestation, ou encore (iv) le trouble effectif et concret à l'ordre public engendré par la manifestation. Dans la mesure où ces éléments ressortent clairement du jugement attaqué (consid. C.2.1 [circonstances et durée de la manifestation, trouble effectif causé par celle-ci]; consid. C.2.2 [informations dont disposaient effectivement les autorités, circonstances et durée de la manifestation, trouble effectif causé par celle-ci]; consid. 6.3 [informations dont disposaient effectivement les autorités]; consid. 7.3 et 8.3 [informations dont disposaient effectivement les autorités, circonstances et durée de la manifestation, trouble effectif causé par celle-ci]), le grief des recourants doit être rejeté. 
 
3.  
Les recourants contestent leur condamnation pour entrave aux services d'intérêt général. Ils soutiennent notamment que l'intensité minimale que doit revêtir l'entrave n'est pas donnée en l'espèce. 
 
3.1.  
 
3.1.1. En vertu de l'art. 239 ch. 1 CP, quiconque, intentionnellement, empêche, trouble ou met en danger l'exploitation d'une entreprise publique de transports ou de communications, notamment celle des chemins de fer, des postes, du télégraphe ou du téléphone (1 re hypothèse), ou l'exploitation d'un établissement ou d'une installation servant à distribuer au public l'eau, la lumière, l'énergie ou la chaleur (2 e hypothèse), est puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.  
 
3.1.2. L'art. 239 CP tend à protéger en premier lieu l'intérêt du public à ce que certaines entreprises fournissent leurs services sans perturbation (ATF 116 IV 44 consid. 2a, in JdT 1991 IV 137; ATF 85 IV 224 consid. III.2, in JdT 1960 IV 51; arrêts 6B_217/2012 du 20 juillet 2012 consid. 3.2; 6B_338/2008 du 7 janvier 2009 consid. 11.2), indépendamment de la forme juridique, privée ou publique, dans laquelle celle-ci est exploitée (ATF 85 IV 224 précité; v. également en ce sens le Message du Conseil fédéral du 23 juillet 1918 à l'appui d'un projet de code pénal suisse, p. 59; VIRGINIE RODIGARI, in Commentaire romand, Code pénal II, 1re éd. 2017, n° 7 ad art. 239 CP; GERHARD FIOLKA, in Basler Kommentar, Strafrecht II, 4e éd. 2019, n° 6  
ad art. 239 CP). Il découle de ce qui précède que les entreprises ou établissements visés à l'art. 239 ch. 1 CP doivent offrir leurs services à la collectivité, chacun devant pouvoir prétendre à leur fourniture (ATF 85 IV 224 précité; VIRGINIE RODIGARI, op. cit., n° 6; GERHARD FIOLKA, op. cit., n° 9; MICHEL DUPUIS ET AL., Petit Commentaire du Code pénal, 2e éd. 2017, n° 5 ad art. 239 CP). 
 
3.1.3. Constitue une entreprise publique de transport, celle qui est à la disposition de chacun pour le transport des personnes ou des choses (BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit suisse, 3e éd. 2010, n° 6  
ad art. 239 CP; MICHEL DUPUIS ET AL., op. cit., n° 5). La loi mentionne, à titre d'exemple, l'entreprise de chemin de fer et celle des postes par le réseau de bus postaux. La jurisprudence y ajoute le transport par téléphérique (ATF 85 IV 224 précité), alors que la doctrine majoritaire s'accorde généralement à dire que le transport par tram, bus, bateau, avion, ski-lift ou funiculaire est également protégé par l'art. 239 CP, sous réserve de cas particuliers (VIRGINIE RODIGARI, op. cit., n° 9; GERHARD FIOLKA, op. cit., n° 7; MICHEL DUPUIS ET AL., op. cit., n° 5). 
 
3.1.4. L'application de l'art. 239 CP implique que l'entrave aux services d'intérêt général soit d'une certaine intensité, en particulier que la perturbation s'étende sur une certaine durée (arrêts 6B_935/2019 du 17 février 2020 consid. 2.2; 6B_1150/2015 du 30 août 2016  
consid. 5.1; 6B_217/2012 précité consid. 3.2 et les références). Ainsi, il a notamment été admis que celui qui empêchait une entreprise ferroviaire de respecter l'horaire pendant une heure trente perturbait son exploitation d'une manière importante (ATF 116 IV 44 consid. 2d), alors que le retard d'environ cinq minutes pour tous les bus d'une ligne spécifique (arrêt 6B_1150/2015 précité consid. 5.2.2) ou le retard de 15 minutes d'un train régional (cf. ATF 119 IV 301, in JdT 1995 IV 147) n'étaient pas suffisants. 
 
3.2. Selon l'état de fait cantonal, il est reproché aux recourants d'avoir bloqué la circulation sur le pont Bessières le 20 septembre 2019 et d'avoir ainsi occasionné la déviation, sur d'autres artères attenantes, du trafic des véhicules, notamment d'urgence (sans autre précision concrète) et des bus de la ligne n° 16, de 11h25 à 19h55 (jugement attaqué consid. C.2.1). Au moment d'examiner les conditions d'application de l'art. 239 CP, la cour cantonale a encore ajouté que les bus de la ligne n° 16 n'ont plus été en mesure de circuler sur l'axe en question, mais également que le blocage d'un point névralgique de la ville ne peut qu'entraîner des retards en cascade sur tout le réseau, tout en faisant référence à un communiqué de la police selon lequel la manifestation avait occasionné " de légères perturbations du trafic au centre-ville " (jugement attaqué consid. 8.3).  
 
3.3. Il convient en premier lieu de relever que s'il n'est pas contesté ou contestable que la perturbation du service des Transports publics lausannois pourrait tomber sous le coup de l'art. 239 ch. 1 CP, tant il s'agit d'une entreprise publique de transport au sens de cette même disposition, il y a lieu de constater qu'il n'en va pas de même pour la perturbation du trafic des véhicules et des véhicules d'urgence. Pour cause, à l'aune des critères décrits supra au consid. 3.1, ces derniers ne doivent à l'évidence pas être considérés comme une entreprise publique de transport dont les services seraient offerts à la collectivité sur la base d'un parcours ou d'horaires réguliers. Partant, dans la mesure où la cour cantonale a considéré que ces éléments étaient constitutifs d'entrave aux services d'intérêt général, ce qui n'est pas clairement déterminé dans le jugement attaqué, celui-ci doit être annulé et la cause renvoyée à cette dernière pour qu'elle statue à nouveau.  
 
3.4. S'agissant de l'intensité de l'entrave aux services d'intérêt général dans le cas d'espèce, force est de constater avec les recourants que le jugement cantonal est lacunaire. En particulier, il ne ressort pas du jugement attaqué quel a été le retard des bus de la ligne n° 16, combien de bus ont été concernés par la déviation, depuis quelle heure, durant combien de temps, si un parcours alternatif a pu être mis en place et, si oui, après combien de temps, durant combien de temps et selon quelles modalités, dans quelle mesure le public a été impacté ou encore quelle a été l'ampleur des perturbations sur le reste du réseau. Au contraire, l'état de fait cantonal permet uniquement de savoir que les bus de la ligne n° 16 ont dû être déviés sur des artères attenantes, a priori dès 11h25 bien que l'horaire du premier bus concerné n'ait pas été discuté, et que la manifestation a eu pour effet des retards en cascade sur tout le réseau, dont l'importance semble toutefois moindre à l'aune du communiqué de la police. Il convient dès lors d'annuler le jugement attaqué et de renvoyer la cause à la cour cantonale pour qu'elle complète l'état de fait s'agissant de tout ou partie des éléments précités, dans une mesure permettant au Tribunal fédéral de contrôler le respect de la disposition légale appliquée (art. 112 al. 3 LTF).  
 
4.  
B.________, seul concerné par cette infraction, conteste s'être rendu coupable d'empêchement d'accomplir un acte officiel. Selon lui, il n'aurait jamais reçu l'ordre de débarrasser la scène présente sur les lieux, de sorte qu'il ne peut lui être reproché d'être parti en la laissant sur place. Il estime au contraire que la stratégie des forces de l'ordre était principalement centrée sur l'évacuation des manifestants. 
 
4.1. La cour cantonale a motivé la condamnation de B.________ comme suit: "[...] quand bien même B.________ n'a pas refusé de quitter les lieux, reculant petit à petit jusqu'à l'extrémité du pont en fonction de l'avancée des forces de l'ordre, qui reprenaient peu à peu possession des lieux, il n'a pas évacué la scène qu'il avait installée sur place et la remorque qu'il avait amenée, laissant son matériel sur le pont et bloquant ainsi sa voie de circulation nord. Ce faisant, il a obstrué physiquement le pont, dans le but délibéré de rendre plus difficile, d'entraver ou, à tout le moins, de différer l'intervention des forces de l'ordre. C'est donc à juste titre que le Tribunal de police a retenu qu'il s'était rendu coupable d'empêchement d'accomplir un acte officiel " (jugement attaqué consid. 10.3).  
 
4.2. La question soumise par B.________ peut souffrir de demeurer irrésolue, dans la mesure où sa condamnation au titre de l'art. 286 CP viole avant tout la maxime d'accusation (art. 29 al. 2 et 32 al. 2 Cst., 9 et 325 CPP). Pour cause, l'ordonnance pénale du 17 octobre 2019 ayant tenu lieu d'acte d'accusation (art. 356 al. 1 CPP), rendue contre le précité, mentionne ce qui suit: " Après plusieurs heures, lorsque les agents de police ont demandé aux manifestants de se retirer de la voie de circulation, ces derniers n'ont pas obtempéré et ont même résisté physiquement afin de ne pas être emmenés. Ce faisant, ils se sont rendus coupables d'empêchement d'accomplir un acte officiel ". Il apparaît ainsi, à la rigueur de l'état de fait décrit dans l'ordonnance pénale, laquelle lie le tribunal (principe de l'immutabilité de l'acte d'accusation; art. 350 al. 1 CPP) qu'il n'a jamais été question de poursuivre B.________ faute pour celui-ci d'avoir retiré la scène et la remorque présente sur la chaussée, mais au contraire que les faits reprochés consistaient à ne pas avoir obtempéré à l'ordre de se retirer de la voie de circulation et d'avoir opposé une résistance physique aux agents de police. Cette seconde hypothèse - seule prévue dans l'ordonnance pénale - ayant été définitivement écartée par la cour cantonale (" quand bien même B.________ n'a pas refusé de quitter les lieux "), elle ne pouvait le condamner pour d'autres faits jamais retenus précédemment. Que ces éléments aient été évoqués lors de l'instruction n'est pas déterminant, dès lors que le ministère public a, dans son ordonnance pénale, cristallisé les agissements pour lesquels il entendait renvoyer B.________ en jugement. En s'écartant des faits décrits dans l'ordonnance pénale pour condamner B.________ au titre de l'art. 286 CP, la cour cantonale a violé le droit fédéral, en particulier le principe d'immutabilité de l'acte d'accusation (art. 350 al. 1 CPP) et la maxime d'accusation (art. 9 et 325 CPP). Dans cette mesure, le jugement attaqué doit être annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.  
 
5.  
Les recourants contestent leur condamnation pour violation simple des règles de la circulation routière. Ils soutiennent tout d'abord que leur condamnation reposerait sur des faits établis de manière arbitraire, dans la mesure où le lieu précis où ils se trouvaient lors de la manifestation n'aurait pas été établi. À cet égard, il peut être fait référence au consid. 1.3 supra. Pour le surplus, les recourants estiment que les infractions réprimées par les art. 239 CP et 90 al. 1 LCR retenues à leur charge n'entrent pas en concours idéal, l'art. 90 al. 1 LCR étant absorbé par l'art. 239 CP lorsqu'un même acte empêche d'un seul bloc la circulation routière et les services d'intérêts général. Dans la mesure où leur condamnation au titre de l'art. 239 CP fait l'objet d'un renvoi à la cour cantonale (cf. supra consid. 3), leur grief est pour l'heure sans objet.  
 
6.  
Les recourants font valoir que leur condamnation consacrerait une violation de leur liberté d'expression (art. 10 CEDH), de leur liberté de réunion pacifique (art. 11 CEDH), mais également de l'art. 7 CEDH
Si la cour cantonale a bien procédé à l'examen des conditions d'application de ces dispositions, elle l'a fait alors qu'elle reconnaissait les recourants coupables de plusieurs infractions, dont l'entrave aux services d'intérêt général, la violation simple des règles de la circulation routière, l'empêchement d'accomplir un acte officiel et la contravention à la LContr. Deux de ces infractions faisant l'objet d'un renvoi (cf. supra consid. 3 pour l'entrave aux services d'intérêt général et consid. 4 pour l'empêchement d'accomplir un acte officiel) et l'une n'étant pas définitivement confirmée (cf. supra consid. 5 pour la violation simple des règles de la circulation routière), il incombera à la cour cantonale de se prononcer sur la question une fois qu'elle aura à nouveau déterminé les infractions dont les recourants se sont ou ne se sont pas rendus coupables. Le grief est pour l'heure sans objet, tout comme celui tiré d'une violation de l'art. 52 CP.  
 
7.  
Dans un dernier grief, les recourants se plaignent d'une violation du principe de célérité. Selon eux, le délai de 19 mois entre la réception des dossiers par l'autorité de première instance et la fixation des débats, alors même qu'il s'agirait d'une affaire simple, devrait conduire au constat de la violation du principe précité et à une diminution de leur peine. 
 
7.1. Les art. 5 CPP et 29 al. 1 Cst. garantissent notamment à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Ces dispositions consacrent le principe de la célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1; arrêt 6B_1000/2019 du 19 février 2020 consid. 4.1). Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable qu'une procédure comporte quelques temps morts. Lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut; des périodes d'activités intenses peuvent donc compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Le principe de la célérité peut être violé même si les autorités pénales n'ont commis aucune faute; elles ne sauraient exciper des insuffisances de l'organisation judiciaire (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3; arrêt 6B_1000/2019 précité consid. 4.1).  
 
7.2. La cour cantonale a reconnu que la fixation des débats était intervenue 19 mois après la réception des dossiers. Elle a expliqué ce délai par la réception simultanée d'un grand nombre de dossiers analogues présentant des questions juridiques complexes concernant l'état de nécessité et les droits constitutionnels des manifestants, par la volonté de procéder à un traitement unifié de ces causes sur le plan juridique, et par le traitement des nombreuses requêtes de jonction des prévenus.  
 
7.3. Il convient en premier lieu de relever que, contrairement à l'avis des recourants, la présente cause prise individuellement, mais également toutes les causes analogues prises dans leur ensemble, sans être d'une complexité inédite, ne sauraient être qualifiées de simples. Pour cause, elles ont nécessité de résoudre de nombreuses questions juridiques pour certaines complexes et ont concerné un nombre important de personnes accusées d'une multitude d'infractions suite à leur participation variable à plusieurs manifestations de nature différente. Le nombre d'affaires et de griefs traités par le Tribunal fédéral dans ce contexte ne fait que le confirmer.  
Quant au délai de 19 mois entre la réception des dossiers par l'autorité de première instance et la fixation des débats, s'il peut de prime abord apparaître long, il sied de constater qu'il ne consiste pas à proprement parler en une période d'inactivité choquante par les autorités de poursuite pénale. Pour cause, il a notamment été question durant ce délai de résoudre les nombreuses questions juridiques précitées, en particulier les requêtes de jonction, mais également de prendre les mesures organisationnelles permettant le traitement du nombre singulièrement élevé de cas analogues dans des conditions optimales, démarche certes longue, mais nécessaire à l'aune même du respect du principe de célérité sur l'ensemble de la procédure. 
Indépendamment de ce délai de 19 mois, il convient de constater que la durée de la procédure dans son ensemble demeure adéquate. Cette période plus longue a été largement compensée par une mise en accusation rapide (ordonnances pénales rendues les 17 et 22 octobre 2019 pour des faits commis le 20 septembre 2019), par le court délai nécessaire au rendu du jugement de première instance, mais encore par une prompte procédure d'appel. Ainsi, entre la commission des faits reprochés et le rendu par la cour cantonale de son jugement, il s'est déroulé trois ans, délai qui, sans pouvoir être qualifié de court, ne consacre pas une violation du principe de célérité compte tenu de l'ensemble des facteurs relevants. Le grief doit être rejeté. 
 
8.  
Le recours doit être partiellement admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants (cf. supra consid. 3 et 4). Pour le reste, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.  
Les recourants, qui obtiennent partiellement gain de cause, peuvent prétendre à des dépens réduits, à la charge du canton de Vaud (art. 68 al. 1 LTF). Leur demande d'assistance judiciaire est sans objet dans cette mesure; elle doit être rejetée pour le reste, dès lors que le recours était dénué de chances de succès s'agissant des aspects sur lesquels ils ont succombé (art. 64 al. 1 LTF). Puisqu'ils succombent partiellement, ils supporteront conjointement une partie des frais judiciaires (art. 66 al. 1 et 5 LTF). La requête de suspension est sans objet, les arrêts du Tribunal fédéral dans les causes 6B_1486/2022, 6B_42/2023, 6B_45/2023, 6B_168/2023, 6B_382/2023, 6B_383/2023 et 6B_384/2023 ayant déjà été rendus. 
 
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :  
 
 
1.  
Le recours est partiellement admis, le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision. Pour le surplus, le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. 
 
2.  
La demande d'assistance judiciaire est rejetée dans la mesure où elle n'est pas sans objet. 
 
3.  
Une partie des frais judiciaires, arrêtée à 800 fr., est mise à la charge conjointe des recourants. 
 
4.  
Le canton de Vaud versera en mains du conseil des recourants une indemnité totale de 1'000 fr. à titre de dépens réduits pour la procédure devant le Tribunal fédéral. 
 
5.  
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois. 
 
 
Lausanne, le 13 mai 2024 
 
Au nom de la Ire Cour de droit pénal 
du Tribunal fédéral suisse 
 
Le Juge présidant : Denys 
 
Le Greffier : Barraz