Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_318/2023
Arrêt du 14 juillet 2023
I
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jametti, Présidente, Rüedi et May Canellas,
greffière Monti.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Andrea von Flüe, avocat,
demanderesse et recourante,
contre
1. XZ.________,
2. YZ.________,
tous deux représentés par Me Philippe Eigenheer, avocat,
défendeurs et intimés.
Objet
contrat de travail; résiliation abusive,
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le
11 mai 2023 par la Chambre des prud'hommes
de la Cour de justice du canton de Genève
(C/20484/2021-5; CAPH/47/2023).
Faits :
A.
A.________ (l'employée) a été engagée comme employée de maison au service des époux XZ.________ et YZ.________ (les employeurs) dès le 10 août 2020. Elle devait travailler 45 heures par semaine pour un salaire mensuel de 4'000 fr., avec six semaines de vacances par an.
Un entretien s'est tenu le vendredi 13 août 2021. Selon l'employée, il portait sur sa demande d'adaptation de son salaire au salaire minimal imposé par le contrat-type de travail de l'économie domestique élaboré par le droit genevois (CTT-EDom). D'après les employeurs, il était dû aux événements de la veille: l'employée avait eu un comportement agressif envers leurs enfants et la grand-mère de ceux-ci. A cette occasion, les employeurs auraient congédié oralement l'employée, ce que cette dernière conteste.
Toujours est-il qu'elle s'est trouvée incapable de travailler pour cause de maladie du 16 au 29 août 2021, ce dont elle a informé les employeurs.
Le 18 août 2021, ses employeurs lui ont encore adressé ces lignes: « Comme annoncé oralement lors de notre entretien du 13 août 2021, nous mettons un terme à votre contrat de travail [...] pour le 31 octobre 2021 ». Ils ont précisé qu'elle était dispensée de travailler.
Par courrier de leur conseil du 27 octobre 2021, soit après le début de la procédure évoquée ci-dessous (let. B), les employeurs ont notamment déclaré que si la résiliation du 18 août devait s'avérer nulle, ils résiliaient le contrat de travail pour le 31 décembre 2021.
B.
B.a. Peu auparavant, soit le 15 octobre 2021, l'employée avait attrait ses employeurs en conciliation devant le Tribunal des prud'hommes du canton de Genève.
Le 14 décembre 2021, le mandataire de l'employée s'est adressé en ces termes au conseil des employeurs: « Pour la bonne forme, je vous informe que [...] ma mandante conteste le deuxième licenciement qui lui a été adressé en date du 27 octobre 2021. »
Le 12 janvier 2022, au bénéfice d'une autorisation de procéder, l'employée a déposé une demande devant la même autorité. Elle entendait faire constater la nullité du licenciement du 13 août 2021 (recte: 18 août) dès lors qu'il était intervenu en temps inopportun ou qu'il était abusif. Subsidiairement, elle entendait faire constater le caractère abusif du licenciement intervenu le 27 octobre 2021. Elle exigeait en sus que les employeurs lui paient des cotisations LPP depuis sa prise d'emploi. Enfin, elle leur réclamait 22'560 fr. bruts pour le licenciement « injustifié ».
Par jugement du 2 septembre 2022, le Tribunal des prud'hommes a déclaré irrecevables les conclusions tendant à faire constater la nullité du licenciement intervenu le 13 août (recte: 18 août) 2021 et le caractère abusif du licenciement signifié le 27 octobre 2021: ces conclusions en constatation de droit étaient subsidiaires par rapport aux conclusions pécuniaires. Le même sort devait être réservé à la conclusion tendant au versement de cotisations LPP, vu l'incompétence de l'autorité saisie. Finalement, les autres conclusions devaient être rejetées - dont la conclusion en paiement d'une indemnité pour résiliation « injustifiée ». Formulée maladroitement, celle-ci devait s'interpréter comme l'exigence d'une indemnité pour congé abusif; cependant, la demanderesse n'avait pas démontré avoir formé opposition en temps utile au congé du 27 octobre 2021 - étant entendu que le congé donné oralement le 13 août précédent n'avait pas été démontré: les lignes adressées au conseil des défendeurs le 14 décembre 2021 permettaient au mieux de comprendre que l'employée contestait les motifs de son licenciement, et non qu'elle s'opposait à la fin des rapports de travail au sens de l'art. 336b al. 1 CO.
B.b. Par arrêt du 11 mai 2023, la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice genevoise a déclaré irrecevable l'appel de l'employée. Elle a notamment jugé insuffisamment motivée la critique quant au rejet de la conclusion en paiement d'une indemnité pour licenciement « injustifié » [recte: abusif]: l'employée demanderesse se bornait à dénoncer un arbitraire et à affirmer sa propre conviction selon laquelle le licenciement avait « bien été contesté », même si le mot « opposition » n'avait pas été utilisé. Or, cette motivation ne répondait pas aux exigences tirées de la jurisprudence.
C.
L'employée interjette un recours en matière civile à l'issue duquel elle conclut formellement à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi du dossier au Tribunal cantonal pour nouvelle décision « tenant compte de la validité de l'opposition au congé du 27 octobre 2021 ».
Aucun échange d'écritures n'a été ordonné.
Considérant en droit :
1.
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont réalisées sur le principe, notamment celles afférentes à la valeur litigieuse minimale de 15'000 fr. (art. 74 al. 1 let. a LTF) et au délai de recours (art. 100 al. 1 LTF). Certes, la recourante prend uniquement des conclusions en annulation de l'arrêt attaqué, mais comme il s'agit d'une problématique d'irrecevabilité, le Tribunal fédéral ne pourrait pas trancher lui-même le fond. Il n'y a donc pas d'obstacle à l'entrée en matière.
2.
Le litige porte sur un seul point, savoir si c'est à bon droit que la cour cantonale a déclaré irrecevable l'appel en tant qu'il contestait le rejet de la conclusion tendant au paiement d''une indemnité pour licenciement abusif.
2.1. Les juges cantonaux ont considéré que l'employée ne critiquait pas le raisonnement des premiers juges: elle se limitait à dénoncer un arbitraire et à soutenir sa propre conviction selon laquelle ce licenciement avait « bien été contesté », même si le mot « opposition » n'avait pas été utilisé. L'autorité précédente a jugé cette motivation insuffisante, compte tenu des exigences posées pour un appel (art. 311 al. 1 CPC).
2.2. L'employée recourante objecte qu'il n'était « pas nécessaire de développer de manière particulièrement intensive le fait que les termes 'contester' et 'opposition' se valaient ». Le grief était relativement simple et n'appelait pas d'autre argumentation. Elle aurait encore développé sa position en détail dans son mémoire de réplique. La cour cantonale aurait trouvé « un moyen commode » de ne pas examiner le caractère abusif du licenciement, portant atteinte à son droit d'être protégée dans la bonne foi (art. 9 Cst.) et au principe de l'équité (art. 29 Cst.).
2.3. L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit. Quelle que soit la maxime applicable - maxime des débats ou maxime inquisitoire -, le recourant doit motiver son appel (art. 311 al. 1 CPC). Il ne suffit pas de renvoyer aux moyens soulevés en première instance, ni de se livrer à des critiques toutes générales de la décision attaquée (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1 p. 375). Car même si l'instance d'appel applique le droit d'office (art. 57 CPC), le procès se présente différemment en seconde instance cantonale, vu la décision déjà rendue. L'appelant doit tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Pour ce faire, il doit s'efforcer d'établir que la décision est entachée d'erreurs, que ce soit au niveau des faits constatés ou des conclusions juridiques qui en ont été tirées. L'appelant doit reprendre la démarche du premier juge et pointer les failles de son raisonnement. Si elle est identique aux moyens déjà présentés en première instance, avant la reddition de la décision attaquée, si elle ne contient que des critiques toutes générales de la décision attaquée, ou si elle ne fait que renvoyer aux moyens soulevés en première instance, la motivation de l'appel ne répond pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC et l'instance d'appel ne peut entrer en matière (arrêts 4A_290/2014 du 1
er septembre 2014 consid. 3.1, 4A_97/2014 du 26 juin 2014 consid. 3.3 et 5A_438/2012 du 27 août 2012 consid. 2.2).
2.4. En l'espèce, la motivation de l'appel tient en ces lignes:
« Le Tribunal verse dans l'arbitraire lorsqu'il retient que l'appelante n'aurait pas formé opposition à son licenciement du 14 décembre 2021.
En effet, par courrier du 14 décembre 2021 [pièce n° 15], l'appelante a fait part au conseil des intimés qu'elle contestait son deuxième licenciement, ce qui ne pouvait être compris autrement que comme une opposition à la résiliation de son contrat.
En considérant que l'appelante, en usant du mot 'contester' en lieu et place du mot 'opposition', n'aurait pas satisfait à l'art. 336b al. 1 CO, [le Tribunal] verse dans un arbitraire insoutenable.
Il va de soi que l'appelante a contesté son deuxième licenciement, ce que même la partie adverse n'a pas osé contester, à juste titre. »
La motivation tient dès lors dans la simple affirmation que la « contestation » du second licenciement ne pouvait s'entendre que comme une opposition à la résiliation du contrat. Et dans la dénégation de l'emploi impératif du mot « opposition ». Il s'agit d'un postulat, non d'une motivation. En d'autres termes, l'employée s'est contentée d'affirmer le contraire de ce que les premiers juges avaient considéré. A bon droit, la cour cantonale a refusé d'entrer en matière au motif que les exigences jurisprudentielles déduites de l'art. 311 al. 1 CPC n'étaient pas réalisées.
La recourante plaide encore qu'elle aurait développé son grief dans son mémoire de réplique. Cela étant, cette écriture ne saurait servir à compléter une motivation inexistante ou insuffisante (cf. par ex. arrêt 4A_177/2022 du 8 septembre 2022 consid. 2
i.f.).
Le Tribunal fédéral ne discerne dès lors aucune violation du droit fédéral.
3.
Partant, le recours doit être rejeté, aux frais de son auteur - calculés selon le tarif réduit (art. 65 al. 4 let. c et art. 66 al. 1 LTF). En revanche, l'employée recourante ne sera redevable d'aucuns dépens dès lors que ses adverses parties n'ont pas été invitées à se déterminer.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, fixés à 700 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 14 juillet 2023
Au nom de la I
re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
La Greffière : Monti