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[AZA 0/2] 
 
1P.532/2001 
 
Ie COUR DE DROIT PUBLIC 
********************************************** 
 
15 novembre 2001 
 
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président, 
Vice-président du Tribunal fédéral, Favre et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante. Greffier: M. Parmelin. 
 
_____________ 
 
Statuant sur le recours de droit public 
formé par 
A.________, représenté par Me Robert Assaël, avocat à Genève, 
 
contre 
l'ordonnance rendue le 31 mai 2001 par la Chambre d'accusation du canton de Genève, dans la cause qui oppose le recourant à la Compagnie B.________ et à C.________, tous deux à Genève et représentés par Mes Marc Bonnant et Michel A. 
Halpérin, avocats à Genève, et au Procureur général du canton de Genève; 
 
(procédure pénale; refus du non-lieu) 
Vu les pièces du dossier d'où ressortent 
les faits suivants: 
 
A.- Le 29 septembre 1993, X.________, alors Procureur du canton de Genève, a ouvert une enquête préliminaire du chef de gestion déloyale contre C.________, en sa qualité d'administrateur délégué de la Compagnie B.________ et de D.________; les 10 novembre et 15 décembre 1994, il a confié à E.________ la mission de déterminer la réalité d'une créance de 6'800'000 US dollars que la Compagnie B.________ prétendait avoir envers la Fédération de Russie et d'analyser les états financiers de la société au 31 décembre 1993, que celle-ci avait produits à l'appui d'une requête en ajournement de faillite. Dans ce cadre, E.________ a notamment fait appel aux services de F.________ pour procéder à une estimation de la valeur actuelle du patrimoine immobilier de la Compagnie B.________ et des autres sociétés du groupe dirigé par C.________. 
 
Le 20 décembre 1994, la Compagnie B.________ a déposé une plainte pénale pour chantage et tentative d'extorsion contre F.________ qu'elle accusait d'avoir cherché à soutirer à ses organes la somme de 2'000'000 fr. en contrepartie d'une intervention auprès de E.________, aux fins d'influencer favorablement le résultat de l'expertise ordonnée par le Procureur X.________. Ce dernier a mis fin au mandat confié à E.________ le 27 février 1995. 
 
Le 8 avril 1997, le Juge d'instruction en charge du dossier a inculpé F.________ de tentative d'extorsion et de chantage, alternativement de complicité de corruption passive à raison des faits dénoncés dans la plainte du 20 décembre 1994. Le 10 avril 1997, il a inculpé E.________ pour tentative de corruption passive dans le cadre du même complexe de faits. Le lendemain, la Police de sûreté genevoise a saisi au domicile de ce dernier divers documents comptables des sociétés du groupe B.________, en copie ou en original. 
 
Le 22 mai 1997, la Compagnie B.________ a requis du Juge d'instruction qu'il procède à l'audition de G.________, qui avait fonctionné comme réviseur de la société pour les exercices 1985 à 1993, à celle de A.________, alors comptable au sein de la société, et à une perquisition au domicile de ces derniers, afin de déterminer leur rôle respectif dans la remise de documents confidentiels à E.________. 
 
Entendu le 13 novembre 1997, G.________ a admis s'être rendu dans les locaux de la société pour y récupérer les notes qu'il avait prises comme réviseur et avoir restitué à A.________ les clefs de l'armoire dans laquelle se trouvaient les documents. Il a en revanche nié avoir remis à E.________ la balance des paiements de la société D.________ SA ou avoir fourni des informations aux journalistes. Il a par ailleurs déclaré n'avoir jamais reçu une quelconque rémunération pour le temps consacré à l'enquête menée par X.________. 
 
Le Juge d'instruction a entendu A.________ le 18 novembre 1997; celui-ci a nié avoir remis à E.________ à l'attention de Laurent X.________ des documents confidentiels et internes à la Compagnie B.________, directement ou par l'entremise de G.________. Il a en revanche admis avoir autorisé ce dernier à récupérer ses notes de révision qui se trouvaient dans une armoire fermée dont la clef était en possession exclusive de celui-ci, sans en avoir fait l'inventaire. 
Il a également affirmé ne rien avoir touché pour le temps consacré à l'enquête diligentée par X.________. 
 
Le 2 février 2000, le Juge d'instruction a inculpé A.________ de soustraction d'une chose mobilière pour avoir soustrait, sans dessein d'enrichissement illégitime, de concert avec E.________, des documents financiers et sociaux appartenant à la Compagnie B.________, tout en réservant la qualification juridique définitive des faits. 
 
Entendu le 14 juin 2000, A.________ a nié avoir fourni des documents de son employeur et affirmé s'être limité à répondre aux questions posées par G.________ et E.________. Ce dernier a confirmé n'avoir reçu de A.________ aucun document social ou financier afférent à la Compagnie B.________ dans le cadre de sa mission d'expertise. 
 
B.- Par ordonnance du 12 janvier 2001, le Procureur général du canton de Genève (ci-après: le Procureur général) a classé la poursuite en tant qu'elle était dirigée contre A.________. Il a écarté l'hypothèse d'un vol, faute d'un quelconque enrichissement illégitime; il a par ailleurs considéré que les charges étaient à ce point ténues, s'agissant de la soustraction d'une chose mobilière, qu'il convenait de renoncer à la poursuite, sans rechercher si la plainte avait été déposée en temps utile et si l'élément constitutif du préjudice considérable était réalisé. 
 
A.________ a recouru contre cette ordonnance auprès de la Chambre d'accusation du canton de Genève (ci-après: la Chambre d'accusation) en concluant au prononcé d'un non-lieu à la place d'un classement. La Compagnie B.________ et C.________ en ont fait de même, mais en sollicitant le renvoi en jugement de A.________. 
 
Statuant par ordonnance du 31 mai 2001, la Chambre d'accusation a confirmé la décision de classement concernant A.________ après avoir considéré qu'il subsistait des indices de la commission possible d'une soustraction, au terme des investigations qui pouvaient raisonnablement être menées. 
 
C.- Agissant par la voie du recours de droit public pour violation des art. 9 et 29 Cst. , A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cette décision. Il voit une violation de son droit d'être entendu dans le fait que la Chambre d'accusation ne s'est prononcée ni sur l'existence d'une plainte valable visant les faits constitutifs de l'infraction pour laquelle il a été inculpé, ni sur la réalisation de l'élément constitutif du préjudice considérable. Il lui reproche en outre d'avoir retenu de manière arbitraire et en contradiction avec les pièces du dossier qu'il avait remis à G.________ les clefs de l'armoire dans laquelle se trouvaient certains documents soustraits à la Compagnie B.________. 
 
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de sa décision. Le Procureur général, la Compagnie B.________ et C.________ concluent au rejet du recours. 
 
Considérant en droit : 
 
1.- L'ordonnance attaquée est une décision finale au sens des art. 86 et 87 OJ, en ce qui concerne le recourant, dès lors que, sauf circonstances nouvelles (cf. art. 198 al. 1 du Code de procédure pénale genevois; CPP gen.), elle met fin sur le plan cantonal à la procédure pénale. Selon une jurisprudence constante confirmée en dernier lieu dans un arrêt du 16 mai 2000 paru à la SJ 2000 I p. 572, l'inculpé a un intérêt juridiquement protégé au prononcé d'un non-lieu plutôt qu'à un classement; aussi, la qualité pour agir de A.________ doit être admise au regard de l'art. 88 OJ en tant que le recours porte sur la confirmation de la décision du Procureur général de classer la poursuite dirigée contre lui et sur les frais mis à sa charge; en revanche, un tel intérêt fait défaut s'agissant des autres aspects de la décision attaquée concernant E.________ et F.________. Sous cette réserve, il y a lieu d'entrer en matière sur le fond du recours qui répond aux autres conditions de recevabilité des art. 84 ss OJ
 
 
2.- Dans un premier argument d'ordre formel qu'il convient d'examiner d'entrée de cause, le recourant voit une violation de son droit d'être entendu dans le fait que la Chambre d'accusation ne s'est pas prononcée sur l'existence d'une plainte valide visant les faits constitutifs de l'infraction pour laquelle il a été inculpé, ni sur la réalisation de l'élément constitutif du préjudice considérable. Il ne se plaint pas à cet égard d'une violation du droit cantonal de procédure, de sorte que le mérite de son grief doit être tranché à la lumière de l'art. 29 al. 2 Cst. (ATF 126 I 15 consid. 2a p. 16 et les arrêts cités). 
 
a) Le droit d'être entendu garanti à l'art. 29 al. 2 Cst. impose au juge l'obligation de motiver ses décisions afin que le justiciable puisse les comprendre et exercer ses droits de recours à bon escient. Pour satisfaire cette exigence, il suffit que le juge mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision. 
Il n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, peuvent être tenus pour pertinents (cf. ATF 126 I 97 consid. 2b p. 102). L'autorité ne viole donc pas le droit d'être entendu lorsqu'elle omet de statuer sur des griefs spécifiques dont le rejet s'impose, compte tenu de la solution adoptée. 
 
En l'occurrence, la Chambre d'accusation a confirmé la décision de classement du Procureur général concernant le recourant parce que les investigations menées par le Juge d'instruction n'avaient pas permis de déterminer exactement les pièces que A.________ avait remises directement ou indirectement au Procureur X.________ et, par conséquent, de formuler des réquisitions à l'encontre du recourant; il subsistait néanmoins des indices de la commission possible d'une soustraction, qui imposaient le classement plutôt qu'un non-lieu. De ce point de vue, les exigences de motivation déduites de l'art. 29 al. 2 Cst. sont respectées. 
 
Le recourant ne se plaint toutefois pas d'une motivation insuffisante, mais reproche à l'autorité intimée de ne pas avoir statué sur des griefs pertinents qui devaient, selon lui, aboutir au non-lieu. 
 
b) Selon l'art. 204 al. 1 CPP gen. , la Chambre d'accusation rend une ordonnance de non-lieu lorsqu'elle ne trouve pas d'indices suffisants de culpabilité ou lorsqu'elle estime que les faits ne peuvent constituer une infraction. Le non-lieu peut donc être motivé en fait (en raison de l'absence de charges suffisantes) ou en droit (lorsque les faits motivant l'enquête ne sont pénalement pas relevants ou que les conditions légales de la poursuite ne sont pas ou plus données, notamment parce que l'infraction est prescrite ou que la plainte a été retirée; cf. Gérard Piquerez, Procédure pénale suisse, Zurich 2000, n° 2947 ss; Mémorial des séances du Grand Conseil 1977, p. 2825). 
 
L'observation du délai de plainte fixé à l'art. 29 CP est une condition d'exercice de l'action publique (ATF 118 IV 325 consid. 2b p. 328/329) qui justifie un refus de mettre en oeuvre la poursuite pénale lorsqu'elle n'est pas réalisée (cf. Pierre Dinichert/Bernard Bertossa/Louis Gaillard, Procédure pénale genevoise, exposé de la jurisprudence récente, SJ 1986 p. 471, ch. 2.3), ou le prononcé d'un non-lieu lorsque le Juge d'instruction a procédé à des mesures d'instruction (cf. Frank Meister, L'autorité de poursuite et le classement pour des raisons d'opportunité en procédure pénale, thèse Lausanne 1993, p. 305; Saverio Wermelinger, L'autorité des décisions de clôture d'enquête en procédure pénale vaudoise, thèse Lausanne 1988, p. 78 et 229). Le caractère tardif de la plainte était donc en principe propre à aboutir à un non-lieu s'agissant du délit de soustraction d'une chose mobilière, indépendamment de l'existence d'indices suffisants de culpabilité. 
Il en va de même de l'absence alléguée d'un préjudice considérable, s'agissant d'une condition également nécessaire à la condamnation pénale du chef de soustraction d'une chose mobilière. La Chambre d'accusation ne pouvait donc s'abstenir de statuer sur ces questions. 
 
Le fait que le Juge d'instruction a réservé, dans son ordonnance d'inculpation, la qualification juridique des faits reprochés au recourant n'y change rien. Les infractions contre le patrimoine susceptibles d'entrer en considération dans le cas particulier supposent en effet l'existence d'un enrichissement illégitime (cf. art. 137 à 139 CP; sur la notion d'enrichissement, voir notamment l'ATF 111 IV 74 consid. 1 p. 76). Si elle venait à être constatée, l'absence d'un tel enrichissement serait de nature à justifier un non-lieu en application de l'art. 204 al. 1 in fine CPP gen. nonobstant la présence d'indices de culpabilité. La Chambre d'accusation devait dès lors examiner cette question, que le Procureur général avait d'ailleurs abordée dans sa décision de classement. 
 
 
c) Le grief tiré de la violation du droit d'être entendu se révèle ainsi bien fondé. La décision attaquée doit par conséquent être annulée pour ce motif, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen pris d'une constatation prétendument arbitraire des faits. 
 
3.- Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission du recours, dans la mesure où il est recevable. 
Il y a lieu de mettre à la charge des intimés, qui succombent, un émolument judiciaire (art. 156 al. 1, 153 al. 1 et 153a OJ) et une indemnité de dépens à verser au recourant, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ). 
 
 
Par ces motifs, 
 
le Tribunal fédéral : 
 
1. Admet le recours dans la mesure où il est recevable et annule l'ordonnance rendue le 31 mai 2001 par la Chambre d'accusation du canton de Genève en tant qu'elle concerne le recourant; 
 
2. Met à la charge de la Compagnie B.________ et de C.________, solidairement entre eux: 
a) un émolument judiciaire de 3'000 fr.; 
b) une indemnité de dépens de 1'500 fr. à verser au recourant; 
 
3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties, au Procureur général et à la Chambre d'accusation du canton de Genève. 
 
____________ 
Lausanne, le 15 novembre 2001 PMN/col 
Au nom de la Ie Cour de droit public 
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE: 
Le Président, Le Greffier,