Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
2D_25/2022
Arrêt du 15 novembre 2022
IIe Cour de droit public
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz et Hänni.
Greffier : M. Ermotti.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Zoubair Toumia, avocat,
recourant,
contre
Office fédéral de la douane et
de la sécurité des frontières,
Bogenschützenstrasse 9B,
3001 Bern,
Département de l'emploi et de la cohésion sociale de la République et canton de Neuchâtel,
Château, rue de la Collégiale 12,
2000 Neuchâtel.
Objet
Renvoi; restitution de l'effet suspensif,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du
canton de Neuchâtel, Cour de droit public, du 16 juin 2022 (CDP.2021.401-ETR/ia).
Faits :
A.
A.________, ressortissant tunisien né en 1977, a été interpellé à la gare de Neuchâtel par le corps des gardes-frontière le 18 novembre 2021, alors qu'il ne disposait d'aucun titre de séjour valable en Suisse. Auditionné le même jour par les autorités compétentes, l'intéressé a déclaré vivre à Neuchâtel chez son amie B.________ (cf. art. 105 al. 2 LTF), avec laquelle il avait l'intention de se marier.
Le 18 novembre 2021, l'Administration fédérale des douanes (devenue entretemps l'Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières; ci-après: l'Office fédéral) a prononcé le renvoi de Suisse de A.________. Le 24 novembre 2021, l'intéressé a recouru auprès du Département de l'emploi et de la cohésion sociale du canton de Neuchâtel (ci-après: le Département) contre cette décision.
B.
B.a. Par décision incidente du 6 décembre 2021, le Département a refusé de restituer l'effet suspensif au recours déposé par A.________. Le 15 décembre 2021, l'intéressé a contesté cette décision. Le 22 décembre 2021, la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel (ci-après: le Tribunal cantonal) a déclaré le recours irrecevable pour cause de tardiveté. Par arrêt du 19 avril 2022 (2D_3/2022), le Tribunal fédéral a annulé la décision du Tribunal cantonal et renvoyé la cause à cette autorité pour qu'elle entre en matière sur le recours relatif à l'effet suspensif déposé le 15 décembre 2021 par l'intéressé.
B.b. En parallèle, le 22 avril 2022, le Service des migrations du canton de Neuchâtel (ci-après: le Service cantonal) a refusé d'octroyer à A.________ une autorisation de séjour de courte durée en vue du mariage, en raison de la dépendance de sa fiancée à l'aide sociale. Le 25 mai 2022, A.________ a recouru contre la décision du Service cantonal du 22 avril 2022 auprès du Département (cf. art. 105 al. 2 LTF).
B.c. Par arrêt du 16 juin 2022, le Tribunal cantonal a rejeté le recours formé par A.________ le 15 décembre 2021 en matière de restitution de l'effet suspensif (supra let. B.a). Cette autorité a retenu, en substance, que l'intéressé ne pouvait pas se prévaloir d'un mariage imminent et qu'il n'existait donc pas de motif prépondérant justifiant de restituer l'effet suspensif au recours déposé par celui-ci le 24 novembre 2021.
C.
A l'encontre de la décision du 16 juin 2022, A.________ dépose un recours constitutionnel subsidiaire auprès du Tribunal fédéral. Il conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision entreprise et à la restitution de l'effet suspensif au recours du 24 novembre 2021. Il sollicite en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire devant le Tribunal fédéral.
Le Département renonce à déposer des observations. Le Tribunal cantonal conclut au rejet du recours. Le Secrétariat d'Etat aux migrations ne s'est pas déterminé.
Par ordonnance du 12 juillet 2022, la Présidente de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a accordé l'effet suspensif au recours.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 147 I 89 consid. 1).
1.1. L'arrêt entrepris porte sur le refus de restituer l'effet suspensif au recours formé par le recourant contre la décision de l'Office fédéral du 18 novembre 2021 ordonnant son renvoi de Suisse. Une décision confirmant le refus de restituer l'effet suspensif à un recours ne met pas un terme à la procédure et n'est donc pas une décision finale (cf. art. 90 LTF). Elle constitue une décision incidente au sens de l'art. 93 LTF (cf. ATF 139 V 604 consid. 2.1; arrêt 2D_33/2021 du 30 septembre 2021 consid. 5.1). La voie de recours contre une telle décision est déterminée par le litige principal (cf. ATF 137 III 261 consid. 1.4; arrêt 2C_610/2020 du 19 novembre 2020 consid. 1.3), lequel concerne le renvoi de Suisse du recourant. Aux termes de l'art. 83 let. c ch. 4 LTF, le recours en matière de droit public est irrecevable notamment contre les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent le renvoi. Cette voie de recours étant ainsi en l'espèce exclue en vertu de cette disposition, c'est à juste titre que le recourant a formé un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 LTF; cf. arrêt 2D_3/2022 du 19 avril 2022 consid. 1.1).
1.2. La décision entreprise étant une décision incidente, elle ne peut faire l'objet d'un recours que si elle satisfait aux exigences de l'art. 93 al. 1 LTF, auquel renvoie l'art. 117 LTF (arrêt 2D_33/2021 du 30 septembre 2021 consid. 5.3). Les conditions de l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'étant d'emblée pas réalisées, seul l'art. 93 al. 1 lit. a LTF peut entrer en ligne de compte. D'après cette disposition, les décisions incidentes notifiées séparément qui ne concernent ni la compétence ni les demandes de récusation peuvent faire l'objet d'un recours si elles sont propres à causer un préjudice irréparable. La jurisprudence a précisé que le "préjudice irréparable" dont il était question représentait un préjudice de nature juridique qui ne pouvait pas être réparé ultérieurement par une décision finale favorable au recourant (ATF 137 V 314 consid. 2.2.1; arrêt 2C_221/2022 du 8 juillet 2022 consid. 1.4.2). Le refus d'accorder l'effet suspensif à une décision de renvoi est susceptible de causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF notamment lorsque la personne allègue de manière défendable un droit à une autorisation de séjour en vue du mariage fondé sur l'art. 14 Cst. et l'art. 12 CEDH (cf. arrêt 2D_9/2017 du 3 octobre 2017 consid. 1.5). La question de savoir si tel est le cas en l'espèce souffre de demeurer indécise au vu de l'issue du recours.
1.3. A qualité pour former un recours constitutionnel subsidiaire quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (art. 115 let. a LTF) et a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (art. 115 let. b LTF). Le recours constitutionnel subsidiaire ne peut être formé que pour violation des droits constitutionnels (art. 116 LTF). En vertu de l'art. 106 al. 2 LTF, applicable par le renvoi de l'art. 117 LTF, les griefs tirés de la violation des droits fondamentaux doivent être invoqués et motivés par le recourant, à savoir expressément soulevés et exposés de manière claire et détaillée (cf. ATF 145 I 121 consid. 2.1).
1.4. Dans le cadre d'un recours constitutionnel subsidiaire en matière de renvoi, le Tribunal fédéral a précisé que le recourant ne peut pas faire valoir des griefs en lien avec un droit de séjourner en Suisse (cf. ATF 137 II 305 consid. 1.1; arrêts 2C_879/2019 du 27 février 2020 consid. 1.2; 2C_990/2017 du 6 août 2018 consid. 1.6). Seule peut être invoquée dans ce cadre la violation de droits constitutionnels spécifiques (protection de la vie humaine, protection contre les traitements cruels, inhumains ou dégradants, etc.) ou la violation de droits de partie dont le manquement équivaut à un déni de justice (cf. ATF 137 II 305 consid. 2 et 3.3; arrêts 2C_564/2021 du 3 mai 2022 consid. 1.4; 2D_30/2020 du 16 novembre 2020 consid. 1.5; 2C_27/2020 du 13 janvier 2020 consid. 4; 2D_16/2017 du 23 juin 2017 consid. 6). Cette jurisprudence se fonde sur l'impossibilité juridique de remettre en cause, dans le cadre du renvoi, une décision sur le droit de séjourner en Suisse rendue préalablement et entrée en force (arrêt 2C_990/2017 du 6 août 2018 consid. 1.6). En revanche, lorsque le renvoi a été prononcé sans décision préalable sur le droit de séjour, ou - comme en l'espèce (au vu du recours déposé par A.________ le 25 mai 2022; cf. supra let. B.b) - sans qu'une telle décision soit entrée en force, le recourant peut faire valoir dans le cadre du renvoi la violation de droits constitutionnels propres à lui conférer un droit de séjour en Suisse. Ceci vaut
a fortiori lorsque le litige porte sur le refus d'octroyer l'effet suspensif au renvoi (cf. arrêt 2C_990/2017 du 6 août 2018 consid. 1.6).
1.5. Pour le surplus, le recours, dirigé contre une décision rendue en dernière instance cantonale par une autorité judiciaire supérieure ( art. 114 et 86 al. 1 let . d et al. 2 LTF), a été déposé en temps utile ( art. 117 et 100 al. 1 LTF ) et dans les formes requises (art. 42 LTF). Il est donc recevable.
1.6. Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF). La décision du Département du 29 août 2022, que cette autorité a transmis au Tribunal fédéral le 31 août 2022, constitue un moyen de preuve nouveau et ne peut pas être prise en considération.
2.
Dans un grief d'ordre formel, qu'il convient d'examiner en premier lieu (ATF 141 V 557 consid. 3), le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.). Il soutient que le Tribunal cantonal ne lui aurait pas notifié les observations du Département (pièce 11 du dossier cantonal) au recours déposé contre la décision incidente du 6 décembre 2021, de sorte qu'il n'aurait pas pu se déterminer à cet égard.
2.1. Garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1). Il comprend notamment le droit pour l'intéressé de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos. Il appartient en effet aux parties, et non au juge, de décider si une prise de position ou une pièce nouvellement versée au dossier contient des éléments déterminants qui appellent des observations de leur part. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit dès lors être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 139 I 189 consid. 3.2; arrêt 2C_605/2018 du 24 octobre 2018 consid. 2).
2.2. En l'espèce, il ressort de l'arrêt entrepris que le Département n'a pas formulé d'observations au recours déposé par l'intéressé, se limitant à conclure au rejet de celui-ci (arrêt attaqué, p. 4). Une violation du droit d'être entendu en lien avec l'éventuelle absence de notification de la réponse du Département au recourant est donc exclue. Au demeurant, le tampon apposé par le greffe du Tribunal cantonal sur le document en question (pièce 11 du dossier cantonal) fait état d'une notification au représentant de l'intéressé le 9 mai 2022. Le grief est rejeté.
2.3. Pour le reste, le recourant soutient que l'autorité précédente ne lui aurait pas transmis la décision du Service cantonal du 22 avril 2022 (cf. supra let. B.b), sans toutefois exposer clairement en quoi cela aurait violé son droit d'être entendu, de sorte que la question n'a pas à être examinée ( art. 106 al. 2 et 117 LTF ; cf. supra consid. 1.3). Il convient de relever que, de toute manière, l'intéressé a pu recourir contre cette décision le 25 mai 2022 (cf. recours, p. 3; supra let. B.b), de sorte que l'on ne voit pas en quoi son droit d'être entendu aurait pu être violé.
3.
Sur le fond, le litige porte sur le point de savoir si c'est à bon droit que le Tribunal cantonal a confirmé le refus de restituer l'effet suspensif au recours contre la décision de renvoi de l'Office fédéral du 18 novembre 2021. A ce sujet, le recourant se prévaut, de manière admissible (cf. supra consid. 1.4
in fine), d'une violation des art. 8 et 12 CEDH et des art. 5, 13 et 14 Cst. sous l'angle du droit au mariage et de la proportionnalité. Les critiques de violation des art. 5 et 13 Cst. et 8 CEDH se confondent toutefois avec celles relatives aux art. 14 Cst. et 12 CEDH (droit au mariage) et seront examinées avec ces dernières.
3.1. Un étranger en situation irrégulière en Suisse, peut, à certaines conditions, déduire du droit au mariage garanti par les art. 14 Cst. et 12 CEDH un droit à pouvoir séjourner en Suisse en vue de s'y marier (cf. ATF 137 I 351 consid. 3.5).
La jurisprudence a cependant régulièrement relevé, dans le cadre du contrôle de la détention en vue du renvoi, que les projets de mariage ne s'opposent en principe pas à l'exécution d'une mesure de renvoi et à la détention en vue de garantir celle-ci (cf. arrêts 2C_990/2017 du 6 août 2018 consid. 3.2; 2C_481/2017 du 15 décembre 2017 consid. 2.3). Elle admet toutefois qu'il peut en aller autrement lorsque tous les papiers nécessaires en vue du mariage sont réunis, qu'une date de mariage a été fixée et que l'intéressé peut compter sur la délivrance d'une autorisation de séjour à brève échéance. Dans ces conditions, la détention en vue du renvoi peut en effet s'avérer disproportionnée et partant inadmissible (cf. arrêts 2C_990/2017 du 6 août 2018 consid. 3.2; 2C_481/2017 du 15 décembre 2017 consid. 2.3 et 4; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.2).
3.2. Il peut être renvoyé aux critères susmentionnés pour déterminer si le Tribunal cantonal pouvait en l'espèce confirmer le refus du Département de restituer l'effet suspensif au recours formé contre la décision de renvoi prononcée le 18 novembre 2021 à l'encontre du recourant. En effet, si ces critères étaient réunis, il faudrait envisager que l'intérêt du recourant à demeurer en Suisse puisse l'emporter sur l'intérêt à l'exécution immédiate de la décision de renvoi (arrêt 2C_990/2017 du 6 août 2018 consid. 3.3).
Selon les faits retenus dans l'arrêt entrepris, au moment où le Tribunal cantonal a statué (16 juin 2022), une date de mariage n'avait pas encore été fixée et la délivrance d'une autorisation de séjour de courte durée en vue du mariage avait été refusée par le Service cantonal le 22 avril 2022. Dans ces conditions, indépendamment du recours formé par l'intéressé le 25 mai 2022 à l'encontre de cette décision, les juges cantonaux pouvaient retenir que le mariage ne pouvait être considéré comme imminent. C'est donc sans violer le droit au mariage du recourant (art. 14 Cst. et 12 CEDH) que l'autorité précédente a constaté qu'il n'existait pas de motif prépondérant justifiant de restituer l'effet suspensif au recours (cf. supra consid. 3.1
in fine).
4.
Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.
Le recourant a sollicité sa mise au bénéfice de l'assistance judiciaire. La cause paraissant d'emblée dépourvue de chances de succès, cette requête doit être rejetée (art. 64 al. 1 LTF). Les frais, calculés en tenant compte de la situation financière précaire de l'intéressé, seront mis à la charge de celui-ci, qui succombe (cf. art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens ( art. 68 al. 1 et 3 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Département de l'emploi et de la cohésion sociale du canton de Neuchâtel, à l'Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières, au Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, Cour de droit public, ainsi qu'au Secrétariat d'Etat aux migrations.
Lausanne, le 15 novembre 2022
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : F. Aubry Girardin
Le Greffier : A. Ermotti