Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_486/2023
Arrêt du 16 avril 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Merz.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Maîtres Elie Elkaim et Laurent Roulier, avocats,
recourant,
contre
Service des automobiles et de la navigation du
canton de Vaud,
avenue du Grey 110, 1014 Lausanne Adm cant VD.
Objet
Retrait du permis de conduire,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton
de Vaud, Cour de droit administratif et public,
du 26 juillet 2023 (CR.2023.0002).
Faits :
A.
Par ordonnance pénale du 29 mars 2019, le Ministère public de l'arrondissement de La Côte a condamné A.________ pour violation simple des règles de la circulation routière, entrave aux mesures de constatation de l'incapacité de conduire et violation des obligations en cas d'accident à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à 100 fr. avec sursis pendant 2 ans, et à une amende de 2'000 fr., convertible en 20 jours de peine privative de liberté de substitution en cas de non-paiement fautif. Selon l'indication des faits retenus, le 15 février 2019 à 21h, l'intéressé avait quitté l'Auberge U.________ au volant de son véhicule. En obliquant à droite à la sortie du parking, il avait heurté et arraché une borne en béton située sur le trottoir, et avait poursuivi sa route sans s'annoncer à la police.
A.________ a formé opposition contre cette ordonnance. Par prononcé du 25 octobre 2019, le Tribunal de police de l'arrondissement de La Côte a déclaré l'opposition tardive. Ce prononcé a été confirmé en instance cantonale et fédérale (arrêt 6B_288/2020 du 16 octobre 2020).
Par décision du 4 janvier 2021, le Ministère public a rejeté la demande de restitution de délai formée par A.________. Cette décision a été confirmée par arrêt du 23 avril 2021 de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois.
B.
Par décision du 5 septembre 2022, confirmée sur réclamation le 4 janvier 2023, Le Service des automobiles et de la navigation du canton de Vaud (SAN) a infligé à A.________ un retrait de permis de trois mois en application de l'art. 16c al. 1 let. d LCR.
Par arrêt du 26 juillet 2023, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) a rejeté le recours formé par A.________. L'ordonnance pénale étant entrée en force faute d'avoir été attaquée en temps utile, les faits constatés au pénal liaient l'autorité administrative et n'avaient pas à être complétés. S'agissant d'un cas grave, la durée minimale du retrait était de trois mois. Compte tenu de l'importance du choc et du fait qu'il avait admis avoir consommé de l'alcool, le recourant devait s'attendre à une vérification de son alcoolémie et aurait donc dû rester sur les lieux et aviser la police.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt cantonal en ce sens qu'aucune mesure de retrait de permis n'est prononcée. Subsidiairement, il conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et au renvoi de la cause à la CDAP pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il demande l'effet suspensif, qui a été accordé par ordonnance du 12 octobre 2023.
La CDAP renonce à se déterminer sur le recours. Le SAN n'a pas déposé d'observations. Invité à se déterminer, l'Office fédéral des routes conclut au rejet du recours, sans autres observations.
Considérant en droit :
1.
La voie du recours en matière de droit public, au sens des art. 82 ss LTF, est en principe ouverte contre une décision prise en dernière instance cantonale au sujet d'une mesure administrative de retrait du permis de conduire, aucune des exceptions mentionnées à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Le recourant est particulièrement atteint par la décision attaquée, qui confirme le retrait de son permis de conduire pour une durée de trois mois; il a un intérêt digne de protection à son annulation et a donc qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Les autres conditions de recevabilité du recours sont réunies, de sorte qu'il convient d'entrer en matière.
2.
Se plaignant d'une constatation manifestement inexacte des faits, le recourant conteste avoir attendu la procédure administrative pour faire valoir ses objections. Il estime avoir utilisé toutes les voies de droit pour obtenir la restitution du délai d'opposition afin de contester les faits retenus dans l'ordonnance pénale. Se référant à l'ATF 136 II 447, il relève qu'il n'a pas pu faire valoir sa version des faits (s'agissant en particulier de l'élément subjectif de l'infraction) et se confronter au témoin à charge dans le cadre de la procédure pénale. Il met en exergue la gravité de l'atteinte résultant du retrait de son permis.
2.1. En principe, l'autorité administrative statuant sur un retrait du permis de conduire est liée par les constatations de fait d'un jugement pénal entré en force. La sécurité du droit commande en effet d'éviter que l'indépendance du juge pénal et du juge administratif ne conduise à des jugements opposés, rendus sur la base des mêmes faits (ATF 139 II 95 consid. 3.2; 137 I 363 consid. 2.3.2). L'autorité administrative ne peut s'écarter du jugement pénal, dont elle doit en principe attendre la reddition (ATF 119 Ib 158 consid. 2c/bb), que si elle est en mesure de fonder sa décision sur des constatations de fait inconnues du juge pénal ou qui n'ont pas été prises en considération par celui-ci, s'il existe des preuves nouvelles dont l'appréciation conduit à un autre résultat, si l'appréciation à laquelle s'est livré le juge pénal se heurte clairement aux faits constatés, ou si le juge pénal n'a pas élucidé toutes les questions de droit, en particulier celles qui touchent à la violation des règles de la circulation (ATF 139 II 95 consid. 3.2). Cela vaut non seulement lorsque le jugement pénal a été rendu au terme d'une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés, mais également, à certaines conditions, lorsque la décision a été rendue à l'issue d'une procédure sommaire, même si la décision pénale se fonde uniquement sur le rapport de police. Il en va notamment ainsi lorsque la personne impliquée savait ou aurait dû prévoir, en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés, qu'il y aurait également une procédure de retrait de permis. Dans cette situation, la personne impliquée est tenue, en vertu des règles de la bonne foi, de faire valoir ses moyens dans le cadre de la procédure pénale, le cas échéant en épuisant les voies de recours à sa disposition. Elle ne peut pas attendre la procédure administrative pour exposer ses arguments (ATF 123 II 97 consid. 3c/aa; arrêt 1C_470/2023 du 22 février 2024 consid. 2.1 et les arrêts cités).
2.2. En l'occurrence, le recourant a formé opposition contre l'ordonnance pénale, demandant simultanément une restitution de délai. L'opposition a été déclarée tardive et cette décision a été confirmée par le Tribunal cantonal, puis le Tribunal fédéral. La demande de restitution de délai a quant à elle été écartée par le Ministère public et cette décision a elle aussi été confirmée par la cour cantonale. Le recourant se prévaut en vain de la jurisprudence selon laquelle l'instance administrative pourrait s'écarter de l'appréciation du juge pénal lorsque celui-ci s'est fondé sur la seule dénonciation de police (ATF 136 II 447 consid. 3.1). L'ordonnance pénale du 29 mars 2019 se fonde en effet sur le rapport de police du 24 février 2019, dont les constats se basent non seulement sur les constatations de la police, mais aussi sur les déclarations du recourant lui-même ainsi que celles d'un témoin. En outre, la jurisprudence dont se prévaut le recourant ne s'applique pas lorsque la personne impliquée savait ou devait savoir que l'infraction pénale donnerait lieu à une procédure de retrait de permis (cf. supra consid. 2.1 in fine). En l'occurrence, le recourant connaissait manifestement les conséquences que le prononcé pénal pouvait avoir au plan administratif. Il a tenté de s'opposer à l'ordonnance pénale mais ses démarches n'ont pas abouti, pour des motifs de procédure. L'ordonnance pénale est ainsi entrée en force et le recourant doit être traité de la même manière que toute personne ayant fait l'objet d'un jugement pénal définitif.
L'autorité administrative s'est dès lors considérée à juste titre comme liée par les faits constatés au pénal. Le grief doit être écarté.
3.
Se plaignant ensuite d'une violation de l'art. 16c al. 1 let. d LCR, le recourant affirme qu'il était convaincu de n'avoir que légèrement "frotté" la borne sans l'endommager et qu'il ne s'était donc pas rendu compte de l'existence d'un accident, de sorte que l'élément subjectif nécessaire à la réalisation de l'infraction ne serait pas réalisé. Il avait lui-même indiqué à la police avoir bu de l'alcool et ne présentait aucun signe d'ébriété; la possibilité que la police ordonne une mesure de l'alcoolémie si elle avait été avisée, ne serait donc pas suffisamment vraisemblable.
La décision sur réclamation retient, en se fondant sur le dossier pénal, que le recourant avait, de son propre aveu, bu environ 3 dl de vin blanc avant de quitter l'auberge. Par ailleurs, selon le témoin, la collision avec la borne avait produit un grand bruit et les policiers avaient retrouvé sur place des traces d'huile qu'ils avaient pu suivre jusqu'à la propriété du recourant. Il était donc peu probable que le recourant ne se soit pas rendu compte du choc, et hautement vraisemblable que les policiers, dûment informés, eussent investigué sur sa capacité à conduire. Cette appréciation se fonde à juste titre sur les éléments du dossier pénal et le recourant ne saurait, au vu des principes rappelés ci-dessus, tenter de revenir sur ces questions. L'appréciation de la cour cantonale est en outre conforme à l'art. 16c al. 1 let. d LCR dès lors notamment qu'en cas d'accident, la personne impliquée doit de manière générale s'attendre à un contrôle de son alcoolémie (ATF 142 IV 324 consid. 1.1.3).
4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté, aux frais du recourant qui succombe (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires du recourant, au Service des automobiles et de la navigation du canton de Vaud, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, et à l'Office fédéral des routes.
Lausanne, le 16 avril 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Kurz