Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_185/2024
Arrêt du 16 août 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Müller.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
Philippe Oberson,
rue Hoffmann 18, 1202 Genève,
recourant,
contre
Service des votations et élections de la République et canton de Genève, route des Acacias 25, 1200 Genève.
Objet
Élection de la députation genevoise au Conseil des États,
recours contre l'arrêt de la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 6 février 2024 (ACST/1/2024 - A/3574/2023-ELEVOT).
Faits :
A.
Dans le cadre de l'élection de la députation genevoise au Conseil des États, dont le premier tour se tenait le 22 octobre 2023, Philippe Oberson figurait, avec Anastasia-Natalia Ventouri, sur la liste n° 3 "Le peuple d'abord".
Le lendemain du premier tour de l'élection, Anastasia-Natalia Ventouri et Philippe Oberson ont déposé une liste intitulée "Liberté - Le peuple d'abord", dont les deux candidates étaient Anastasia-Natalia Ventouri et Chloé Frammery. La liste a été publiée dans la Feuille d'avis officielle le 27 octobre 2023.
B.
Par acte du 27 octobre 2023 interjeté auprès du Conseil d'État, mais transmis à la Cour constitutionnelle genevoise, Philippe Oberson a déclaré recourir contre la candidature de Chloé Frammery. Il affirmait que les candidats non présents au premier tour ne pouvaient participer au second.
À l'issue du second tour, Mauro Poggia et Carlo Sommaruga ont été élus au Conseil des États avec 55'371, respectivement 46'423 voix. Chloé Frammery et Anastasia-Maria Ventouri ont obtenu 4'225, respectivement 3'275 voix.
C.
Par arrêt du 6 février 2024, la Chambre constitutionnelle a rejeté le recours formé par Philippe Oberson contre la candidature au second tour de Chloé Frammery, laissant indécise la question de sa recevabilité (le recourant était signataire de la liste contenant la candidature litigieuse). La demande de changement de for (afin que la cause soit jugée par un tribunal d'un autre canton), formée bien après l'échéance du délai de recours, était tardive et au surplus infondée. Les demandes d'appel en cause et de consultation de documents par des tiers ont également été rejetées. Sur le fond, l'art. 100 al. 2 de la loi genevoise sur l'exercice des droits politiques (LEDP, RS/GE A 5 05) et la pratique y relative (notamment un arrêt cantonal de 2015) permettaient à un candidat n'ayant pas participé au premier tour d'une élection majoritaire de prendre part au second tour sur une liste déjà présente au premier tour. Le nom de la liste pouvait également changer entre les deux tours.
D.
Agissant par la voie d'un "recours de droit public", Philippe Oberson demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal, de renvoyer la cause à une instance indépendante en dehors du canton et de lui allouer une indemnité de 1'000 fr. Le recourant a par la suite demandé une dispense d'avance de frais ainsi que l'assistance judiciaire.
La Chambre constitutionnelle persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. La Chancellerie d'État conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours. Le recourant a répliqué et l'intimée a ensuite renoncé à déposer une nouvelle écriture.
Considérant en droit :
1.
La voie du recours en matière de droit public (et non plus du "recours de droit public") est ouverte contre les actes d'autorités cantonales de dernière instance qui statuent sur des recours contre des irrégularités affectant les élections au Conseil des États (art. 88 al. 1 let. a LTF). Le délai de recours est de trente jours (art. 100 al. 1 LTF). Le recours, en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt de la Chambre constitutionnelle relatif à l'élection du Conseil des États, est en soi recevable au regard des art. 88 al. 1 let. a, 90 et 100 al. 1 LTF.
1.1. La Chancellerie conteste la qualité pour agir du recourant (question laissée indécise dans l'arrêt attaqué). Elle relève que celui-ci était mandataire remplaçant de la liste. Il a déposé la liste "Liberté - Peuple d'abord" au second tour de son plein gré, et ne disposerait pas d'un intérêt digne de protection à remettre en cause la candidature qui y figurait. Sur le vu du résultat de l'élection, le recourant ne paraît pas non plus disposer, en tant qu'électeur, d'un intérêt pratique à contester une candidature qui a recueilli moins d'un dixième des voix nécessaires à une élection.
Compte tenu de l'issue évidente de la cause sur le fond, il n'y a pas lieu d'approfondir ces questions ni d'examiner les griefs soulevés à cet égard par le recourant.
1.2. Conformément à l'art. 42 al. 1 LTF, le recours doit notamment contenir des conclusions. Le recourant doit, dans le délai de recours, indiquer quelles modifications de la décision attaquée sont requises, tout en restant dans le cadre de l'objet du litige. Dans le chapitre consacré à ses conclusions, le recourant présente en réalité un résumé point par point de ses différents griefs. Ce n'est qu'aux points 24 à 26 de ses conclusions qu'il demande l'annulation de l'arrêt attaqué, le renvoi de la cause à une instance impartiale et indépendante ainsi que l'allocation d'une indemnité de 1'000 fr. Pour autant que cette dernière conclusion soit considérée comme une demande de dépens, ces trois conclusions sont en soi recevables. Quant aux conclusions prises en réplique et allant au-delà de celles qui figurent dans le recours, elles sont irrecevables car tardives.
2.
Conformément à l'art. 42 al. 2 LTF, les motifs du recours doivent exposer succinctement en quoi l'acte attaqué viole le droit. Pour satisfaire à cette exigence, il appartient à la partie recourante de discuter au moins brièvement les considérants de la décision litigieuse et d'expliquer en quoi ils seraient contraires au droit (ATF 148 IV 205 consid. 2.6; 142 I 99 consid. 1.7.1). Les griefs de violation des droits fondamentaux sont en outre soumis à des exigences de motivation accrues (art. 106 al. 2 LTF), la partie recourante devant alors citer les principes constitutionnels qui n'auraient pas été respectés et expliquer de manière claire et précise en quoi ces principes auraient été violés (ATF 146 I 62 consid. 3; 149 III 81 consid. 1.3). Le recourant qui soutient que les faits ont été établis d'une manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 148 IV 39 consid. 2.3.5; 147 I 73 consid. 2.2), doit également satisfaire au principe d'allégation susmentionné (art. 106 al. 2 LTF; cf. supra consid. 2.1), étant rappelé qu'en matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 148 I 127 consid. 4.3; 147 V 35 consid. 4.2).
2.1. Sur le vu de ces principes, les contestations et commentaires émis par le recourant en rapport avec la page de garde et les considérants en fait de l'arrêt attaqué (ch. II et III du recours) sont irrecevables. Le recourant n'indique en effet pas en quoi les faits qu'il conteste ou entend compléter seraient déterminants pour l'issue de la cause, ni en quoi la cour cantonale aurait fait preuve d'arbitraire à ce sujet. Le recourant présente en outre, pour chaque considérant de fait, une argumentation juridique qui n'est pas propre à remettre en cause le fait retenu en tant que tel. Dans une partie distincte de son recours (ch. V En fait), le recourant relève que le montant de l'avance de frais qu'il a été invité à payer (500 fr.) ne figure pas dans l'arrêt attaqué. Le recourant ayant demandé l'assistance judiciaire, la Chambre constitutionnelle a renoncé, le 16 novembre 2023, à l'exigence d'une avance de frais, précisant le 1er décembre 2023 que le contentieux en matière de droits politiques cantonaux n'était plus gratuit et que la demande d'avance de frais n'était que suspendue jusqu'à droit jugé sur la demande d'assistance judiciaire. Le recourant n'allègue rien à ce sujet; il ne prétend ni ne démontre qu'il aurait obtenu l'assistance judiciaire avant ou après le prononcé de l'arrêt attaqué, de sorte que la perception d'un émolument judiciaire de 1'200 fr. pourrait apparaître comme contraire au droit. Le grief est lui aussi insuffisamment motivé.
2.2. La "Discussion des considérants de droit" (ch. IV du recours) n'apparaît, sur plusieurs points, pas mieux motivée puisque le recourant se contente d'admettre certaines considérations de la cour cantonale, ou de les qualifier d'arbitraires. Le recourant soutient en particulier qu'il ne demandait pas la récusation de la cour cantonale, mais son dessaisissement "pour une raison évidente de conflit d'intérêt". Il n'explique toutefois pas quelle règle, autre que celles relatives à la récusation, lui permettrait d'obtenir un tel déport. Le fait d'avoir rendu précédemment des décisions allant dans un sens différent de ce que désire le recourant ne saurait évidemment justifier une récusation spontanée des magistrats (cf. ATF 150 I 68 consid. 4.1), comme le prétend le recourant dans sa réplique. Les griefs élevés à l'encontre de la Chancelière ou en rapport avec un appel en cause sont par ailleurs incompréhensibles et dès lors irrecevables.
3.
Sur le fond, le recourant se plaint d'arbitraire dans l'application des art. 54 et 100 LEDP. Il estime, en se fondant sur l'arrêt 1C_343/2008 du 9 septembre 2008 et sur une interprétation historique de ces dispositions, et en critiquant des arrêts cantonaux rendus en 2015 et 2021, que l'introduction de nouveaux candidats entre les deux tours de l'élection ne serait pas admissible. En l'occurrence, Chloé Frammery n'a pas été soutenue par les 200 électeurs nécessaires au premier tour. En outre, la liste "Liberté" n'était pas présente au premier tour et ne pouvait donc pas s'allier au second tour avec la liste "Le peuple d'abord".
3.1. Saisi d'un recours pour violation des droits politiques, le Tribunal fédéral revoit librement l'interprétation et l'application du droit fédéral et du droit constitutionnel cantonal, ainsi que des dispositions de rang inférieur qui sont étroitement liées au droit de vote ou en précisent le contenu et l'étendue (art. 95 let. d LTF). Il n'examine en revanche que sous l'angle de l'arbitraire l'interprétation des règles de procédure ou d'organisation qui ne touchent pas au contenu même des droits politiques (ATF 141 I 221 consid. 3.1; arrêt 1C_266/2023 du 4 juillet 2024 consid. 6.2 destiné à la publication). Tel est le cas des dispositions relatives aux modalités de dépôt des listes de candidats (art. 24 LEDP; arrêt 1C_160/2021 du 27 septembre 2021 consid. 4.4). On peut se demander s'il en va de même des règles prévoyant que seules les formations ayant participé au premier tour de l'élection peuvent prendre part au second (art. 100 al. 2 LEDP). Le Tribunal fédéral a laissé la question indécise dans son arrêt du 1C_343/2008 du 9 septembre 2008 (consid. 3.2). La question peut également rester indécise ici puisque, comme on le verra, l'arrêt attaqué ne prête pas le flanc à la critique, quel que soit le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral.
3.2. L'art. 24 LEDP fixe les modalités de dépôt des listes de candidats. Les formations déposent, au service des votations et élections, une liste de candidats 19 jours avant le dernier jour du scrutin en cas de second tour (al. 1 let. b). Les listes de candidats doivent porter le nom d'un candidat au moins et être accompagnées de l'acceptation écrite de chaque candidat (al. 2). Chaque candidat doit fournir diverses indications (al. 4 et 5). Pour le second tour d'une élection, les candidatures sont réputées définitives à l'échéance du délai de dépôt fixé à l'al. 1 let. b (al. 9).
L'art. 100 LEDP (Second tour) a la teneur suivante :
1 Si un second tour de scrutin est nécessaire pour compléter l'élection, il a lieu dans les 3 semaines suivant le premier tour. Si les circonstances le justifient et à titre exceptionnel, le second tour peut avoir lieu au plus tard dans les 5 semaines suivant le premier tour.
2 Dans ce second tour, seuls peuvent déposer une liste les partis politiques, autres associations ou groupements qui ont participé au premier tour.
3.3. Dans son arrêt du 31 mars 2015, la cour cantonale, saisie d'un recours abstrait, a rappelé l'historique de l'art. 100 al. 2 LEDP dont le législateur genevois avait supprimé la seconde phrase, laquelle prévoyait que la dénomination de la liste devait être identique à celle utilisée au premier tour ou correspondre strictement au regroupement de plusieurs listes du premier tour. Elle a rappelé que certains cantons admettaient au second tour de l'élection majoritaire des candidats qui ne s'étaient pas présentés au premier tour, d'autres cantons prévoyant la solution inverse. La possibilité de changer les noms de listes entre les tours, en fonction des alliances passées, ne portait pas atteinte au droit de vote dès lors que les électeurs étaient en mesure d'identifier les candidats.
Par arrêt du 23 mars 2021, la Cour constitutionnelle s'est à nouveau livrée à une interprétation historique de l'art. 100 al. 2 LEDP pour confirmer que les formations pouvaient changer de nom entre les tours. Elle a par ailleurs précisé qu'un candidat n'ayant pas participé au premier tour pouvait prendre part au second. Cela résultait de l'art. 54 al. 2 LEDP, disposition aux termes de laquelle "seuls les liens d'intérêts des nouveaux candidats, décrits à l'article 24, alinéa 4, sont publiés une fois dans la Feuille d'avis officielle, au plus tard 10 jours avant la date du second tour". Le candidat devait porter sa candidature sur une liste ayant pris part au premier tour, la dénomination de celle-ci pouvant changer en fonction de l'alliance intervenue. Par arrêt du 27 septembre 2021 (1C_160/2021), le Tribunal fédéral a clairement confirmé cette pratique, rappelant que le jeu d'alliances entre les deux tours était recherché par le législateur et qu'il n'en résultait aucune tromperie à l'égard des citoyens; la présentation d'un nouveau candidat au second tour, sur une liste présente au premier tour et dont la dénomination était adaptée en conséquence, ne violait ni la LEDP, ni les droits politiques (consid. 6).
3.4. Sur le vu de la jurisprudence cantonale, clairement confirmée par le Tribunal fédéral, la solution consacrée par l'arrêt attaqué n'apparaît contraire ni au droit cantonal, ni à la garantie des droits politiques découlant du droit constitutionnel (art. 34 Cst.). L'intervention au second tour de Chloé Frammery était manifestement autorisée par le droit cantonal dans la mesure où la liste "Le Peuple d'abord" avait pris part au premier tour. Quant à la dénomination de la liste du second tour, il comprend le nom de la formation ayant participé au premier tour; même si le groupement "Liberté" n'a pas participé au premier tour, l'adjonction de cette mention n'a rien de trompeur puisque Chloé Frammery en faisait effectivement partie. Comme cela est relevé ci-dessus, le législateur genevois a délibérément renoncé à l'exigence d'une identité de dénomination des listes entre le premier et le second tour (arrêt 1C_160/2021 consid. 6.1).
Le recourant se réfère à l'arrêt 1C_343/2008 du 9 septembre 2008. Celui-ci concerne le cas particulier de l'annulation d'un second tour et de la possibilité pour des nouvelles formations politiques de prendre part au nouveau scrutin, malgré la règle de l'art. 100 al. 2 LEDP. Le Tribunal fédéral a confirmé que le nouveau scrutin au deuxième tour ne constituait pas une nouvelle élection et qu'un nouveau parti ne pouvait par conséquent pas s'y présenter. Il ne s'est en revanche pas exprimé sur les questions ici litigieuses (nouveau candidat sur une liste existante, changement de dénomination de la liste) et le recourant ne peut rien tirer en sa faveur de cet arrêt.
4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant qui succombe. Le recourant a requis l'assistance judiciaire mais il ressort de ce qui précède que sa démarche ne présentait aucune chance de succès (art. 64 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué au recourant, au Service des votations et élections de la République et canton de Genève et à la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 16 août 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Kurz