Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
6B_1138/2023
Arrêt du 17 mai 2024
Ire Cour de droit pénal
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jacquemoud-Rossari, Présidente,
Denys et van de Graaf.
Greffière : Mme Brun.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Cora Schmid, avocate,
recourant,
contre
Parquet général du canton de Berne,
Nordring 8, case postale, 3001 Berne,
intimé.
Objet
Opposition tardive à une ordonnance pénale (infractions à la LEI), vice manifeste, nullité de l'ordonnance pénale, etc.; droit d'être entendu, etc.,
recours contre la décision de la Cour suprême du canton de Berne, Chambre de recours pénale, du 16 août 2023 (BK 23 160).
Faits :
A.
A.a. Par ordonnance du 2 septembre 2022, le Ministère public Jura bernois-Seeland a condamné A.________ du chef d'accusation de séjour illégal (art. 115 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration [LEI; RS 142.29]) à une peine privative de liberté de 180 jours-amende sans sursis, ainsi qu'à une amende de 800 francs.
A.b. Le 5 septembre 2022, l'ordonnance a été notifiée à A.________, alors qu'il était détenu à la prison de U.________ dans le cadre d'une détention administrative en vue de son renvoi.
A.c. Le 17 octobre 2022, A.________ a formé opposition à l'encontre de cette ordonnance auprès du ministère public.
A.d. Le 20 octobre 2022, le ministère public a transmis le dossier de la cause au Tribunal régional Jura bernois-Seeland.
A.e. Par décision du 11 avril 2023, le Tribunal régional Jura bernois-Seeland a jugé que l'opposition d'A.________ était tardive.
B.
Par décision du 16 août 2023, la Chambre de recours pénale de la Cour suprême du canton de Berne a admis le recours de A.________ à l'encontre de la décision du 11 avril 2023 sur un des aspects de la violation du droit d'être entendu et l'a rejeté pour le surplus.
La cour cantonale a retenu en substance que l'opposition n'était pas entachée de nullité et qu'elle était tardive.
C.
A.________ forme un recours en matière pénale. Il conclut, avec suite de frais et dépens, principalement, à la nullité de l'ordonnance pénale du 2 septembre 2022 et à son indemnisation pour détention illicite. Subsidiairement, il conclut à ce que son opposition du 17 octobre 2022, à l'encontre de l'ordonnance du 2 septembre 2022, soit déclarée recevable et que la cause soit renvoyée aux instances précédentes pour qu'elles statuent sur l'opposition. Plus subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il sollicite en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire et l'octroi de l'effet suspensif.
Considérant en droit :
1.
Invoquant une appréciation des preuves et un établissement arbitraire des faits, le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) en lien avec l'appréciation anticipée des preuves (art. 139 al. 2 CPP), ainsi que de l'art. 6 CPP.
1.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins que celles-ci n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, à savoir pour l'essentiel de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation, mais aussi dans son résultat (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1; 145 IV 154 consid. 1.1; 143 IV 241 consid. 2.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 148 IV 409 consid. 2.2; 147 IV 73 consid. 4.1.3). En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2).
Dans une large mesure, le recourant se borne à porter en instance fédérale les griefs soulevés devant la cour cantonale et auxquels cette dernière a répondu de manière exhaustive et convaincante. Il ré-expose sa propre vision de l'ensemble du litige dans une démarche de nature appellatoire qui ne remplit à l'évidence pas les exigences de motivation, ni ne démontre que l'appréciation cantonale serait insoutenable. Les griefs de fait seront traités ci-après pour autant qu'ils n'apparaissent pas d'emblée irrecevables pour les motifs qui précèdent.
1.2.
1.2.1. Le droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment celui de produire ou de faire administrer des preuves, à condition qu'elles soient pertinentes et de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1; 143 V 71 consid. 4.1; 142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références citées). Le droit d'être entendu n'empêche pas le juge de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude qu'elles ne pourraient pas l'amener à modifier son opinion. Le refus d'instruire ne viole ainsi le droit d'être entendu des parties que si l'appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le juge a procédé, est entachée d'arbitraire (ATF 144 II 427 consid. 3.1.3; 141 I 60 consid. 3.3; 136 I 229 consid. 5.3). Les mêmes principes prévalent en appel (arrêts 6B_165/2022 du 1er mars 2023 consid. 1.1.2; 6B_1403/2021 du 9 juin 2022 consid. 1.2, non publié in ATF 148 I 295, et les références citées).
Selon l'art. 389 al. 1 CPP, la procédure de recours se fonde sur les preuves administrées pendant la procédure préliminaire et la procédure de première instance. L'art. 389 al. 3 CPP règle les preuves complémentaires. Ainsi, la juridiction de recours administre, d'office ou à la demande d'une partie, les preuves complémentaires nécessaires au traitement du recours. Conformément à l'art. 139 al. 2 CPP, il n'y a pas lieu d'administrer des preuves sur des faits non pertinents, notoires, connus de l'autorité ou déjà suffisamment prouvés. Cette disposition codifie, pour la procédure pénale, la règle jurisprudentielle déduite de l'art. 29 al. 2 Cst. en matière d'appréciation anticipée des preuves (arrêts 6B_1309/2023 du 2 avril 2024 consid. 1.2; 6B_1403/2021 du 9 juin 2022 consid. 1.2, non publié in ATF 148 I 295). La juridiction d'appel peut ainsi refuser des preuves nouvelles lorsqu'une administration anticipée de ces preuves démontre qu'elles ne seront pas de nature à modifier le résultat de celles déjà administrées (ATF 136 I 229 consid. 5.3; arrêts 6B_239/2023 du 10 août 2023 consid. 1.1; 6B_933/2022 du 8 mai 2023 consid. 2.1.1). Le refus d'instruire ne viole le droit d'être entendu des parties et l'art. 389 al. 3 CPP que si l'appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert, à laquelle le tribunal a procédé, est entachée d'arbitraire (ATF 144 II 427 consid. 3.1.3; 141 I 60 consid. 3.3; 136 I 229 consid. 5.3; arrêt 6B_933/2022 précité consid. 2.1.1).
1.2.2. Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par les art. 29 al. 2 Cst., 6 par. 1 CEDH et 3 al. 2 let. c CPP, implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et afin que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Le juge doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision (ATF 146 II 335 consid 5.1; 143 III 65 consid. 5.2; 139 IV 179 consid. 2.2), de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3; 141 IV 249 consid. 1.3.1; 139 IV 179 consid. 2.2). Il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 147 IV 249 consid. 2.4; 142 II 154 consid. 4.2; 139 IV 179 consid. 2.2). La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1).
1.3. Le recourant considère en substance que la cour cantonale n'aurait pas dû renoncer à son interrogatoire pour savoir s'il maîtrisait suffisamment le français. Il indique en outre que celle-ci a violé son obligation de motiver en n'expliquant pas pourquoi elle s'est appuyée sur un élément de preuve plutôt qu'un autre pour déterminer qu'il était en mesure de comprendre les tenants et aboutissants de l'ordonnance pénale du 2 septembre 2022.
1.3.1. Selon la cour cantonale, si le recourant ne parlait effectivement pas le français, cela ne signifiait pas encore qu'il ne le maîtrisait pas suffisamment pour être en mesure de comprendre les tenants et aboutissants de la procédure pénale ouverte à son encontre, ainsi qu'à réagir à la réception de l'ordonnance pénale litigieuse. C'est d'ailleurs en se fondant sur plusieurs éléments au dossier que le tribunal régional, à l'appréciation duquel la cour cantonale a renvoyé, est arrivé à la conclusion que le recourant maîtrisait suffisamment cette langue.
1.3.2. La motivation de la cour cantonale est suffisante au regard de la jurisprudence pour permettre au recourant de comprendre les raisons qui ont guidé son appréciation des preuves. Par conséquent, le recourant a pu l'attaquer en connaissance de cause, ce qu'il a d'ailleurs fait aux points 26-32 de son recours. On ne décèle dès lors aucune violation de son droit d'être entendu.
En tant que le recourant se borne à répéter ses critiques déjà soulevées devant l'instance précédente et affirmer notamment qu'il n'est pas possible d'établir ses connaissances en français en se prononçant uniquement par écrit ou sur la base du rapport de police et que d'autres documents auraient dû être pris en compte, il expose sa propre appréciation à celle de la cour cantonale dans une démarche purement appellatoire. Ce faisant, il échoue à démonter l'arbitraire de la motivation cantonale. Il ne formule aucune critique recevable.
En tant que le recourant soulève la question de la maîtrise de la langue française, son grief sera analysé sous l'angle de la violation de l'art. 68 al. 2 CPP (cf.
infra consid. 2).
2.
Le recourant se plaint d'une violation de règles procédurales, en particulier les art. 68 al. 2 CPP et 132 al. 2 CPP, dans le cadre de l'ordonnance pénale du 2 septembre 2022. Il y voit un motif de nullité, d'annulation ou à tout le moins de restitution du délai d'opposition.
2.1. La nullité absolue d'une décision peut être invoquée en tout temps devant toute autorité et doit être constatée d'office. Elle ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou du moins facilement décelables et pour autant que sa constatation ne mette pas sérieusement en danger la sécurité du droit (ATF 147 IV 93 consid. 1.4.4). Sauf dans les cas expressément prévus par la loi, il ne faut admettre la nullité qu'à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d'annulabilité n'offre manifestement pas la protection nécessaire (ATF 130 II 249 consid. 2.4).
2.2. La cour cantonale a observé que, lors de son audition de police du 13 juin 2022 qui s'est déroulée en français, le recourant a expressément répondu avoir compris qu'une procédure préliminaire avait été ouverte contre lui pour infraction à la LEI et ses droits. À cette occasion, il a répondu de manière adéquate aux questions, en français, et a signé le procès-verbal d'audition sans réserve. La cour cantonale en a déduit que l'audition s'est bien déroulée et que le recourant a renoncé, en toute connaissance de cause, à une traduction ainsi qu'à faire appel à un défenseur d'office. La cour cantonale s'est également appuyée sur d'autres éléments au dossier pour démontrer le niveau de français du recourant comme des auditions par devant le TMC dans la procédure parallèle en lien avec sa détention administrative. La cour cantonale a par ailleurs relevé que le recourant n'a jamais signalé son besoin de traduction ni n'a cherché à se renseigner sur le contenu de l'ordonnance pénale. La cour cantonale est donc arrivée à la conclusion qu'en raison des circonstances du cas d'espèce, le recourant disposait de connaissances suffisantes pour saisir qu'il était prévenu dans une procédure pénale, ainsi que le sens et la portée de l'ordonnance pénale du 2 septembre 2022. Ce
a fortiori que la procédure de l'ordonnance pénale lui était parfaitement connue pour avoir déjà été condamné à sept reprises auparavant selon l'extrait de son casier judiciaire.
Le raisonnement de la cour cantonale ne prête pas flanc à la critique lorsqu'elle considère que les arguments soulevés par le recourant ne suffisent pas à retenir l'existence d'un vice manifeste ayant pour conséquence de conduire au constat de la nullité de l'ordonnance pénale ni à justifier la restitution du délai d'opposition.
Au vu de ce qui précède, contrairement à ce qu'affirme le recourant, il n'existe pas d'obligation procédurale d'office des autorités pénales de traduction, ce d'autant plus qu'il comprend un minimum le français et qu'il a expressément renoncé à ce droit.
À nouveau, par son argumentation, le recourant oppose sa propre appréciation des événements et des moyens de preuve à celle de la cour cantonale dans une démarche purement appellatoire et, partant, irrecevable. C'est notamment le cas lorsqu'il indique que la cour cantonale verse dans l'arbitraire lorsqu'elle se réfère au rapport de police, à l'exclusion d'autres documents lesquels attestaient du contraire.
3.
Le recourant semble invoquer l'application des nouvelles dispositions du CPP, dont l'art. 352a CPP, au vu de leur entrée en vigueur le 1er janvier 2024.
Selon l'art. 453 al. 1 CPP, auquel l'art. 455 CPP concernant les oppositions contre les ordonnances pénales renvoie, les recours formés contre les décisions rendues avant l'entrée en vigueur du présent code sont traités selon l'ancien droit par les autorités compétentes sous l'empire de ce droit.
Comme c'est la version du CPP antérieure à la version en vigueur depuis le 1
er janvier 2024 qui est applicable en l'espèce, il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur les explications du recourant selon lesquelles une audition effectuée par le ministère public aurait été nécessaire.
4.
Le recourant conteste des éléments ayant trait au fond de la cause en lien avec son statut de sans-papiers.
Outre que son argumentation revêt un caractère appellatoire, le recourant n'est, de toute façon, pas recevable à discuter de tels éléments de fond, dès lors que le point problématique, dont la cour cantonale a eu à connaître et à trancher, se rapporte uniquement à la tardiveté de son opposition (cf. art. 80 LTF). Le recourant ne conteste au demeurant pas ce point, puisqu'il admet lui-même que le délai d'opposition n'a pas été respecté. Il ne formule aucun grief recevable (art. 42 al. 2 LTF et 106 al. 2 LTF).
5.
Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Comme il était dénué de chances de succès, la demande d'assistance judiciaire doit être rejetée (art. 64 al. 1 LTF) et le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF), dont le montant sera toutefois fixé en tenant compte de sa situation financière qui n'apparaît pas favorable.
La cause étant jugée, la requête d'effet suspensif n'a plus d'objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'200 fr. sont mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour suprême du canton de Berne, Chambre de recours pénale.
Lausanne, le 17 mai 2024
Au nom de la Ire Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jacquemoud-Rossari
La Greffière : Brun