Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
5C.51/2006 /frs
Arrêt du 17 juillet 2006
IIe Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Braconi.
Parties
X.________,
demanderesse et recourante, représentée par
Me Gilles-Antoine Hofstetter, avocat,
contre
Y.________,
défenderesse et intimée, représentée par
Me Olivier Constantin, avocat,
Objet
contrat d'assurance,
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud du
16 novembre 2005.
Faits:
A.
A.a Le 29 mai 2001, X.________, a signé une proposition d'assurance auprès de la compagnie Y.________. Ce document contient des questions sur l'état de santé de la personne à assurer, auxquelles la prénommée a répondu comme suit:
- -:-
- Question 11: "Etes-vous actuellement en bonne santé et apte au travail"? "oui";
- Question 21: "Avez-vous, au cours des 5 dernières années, été en traitement ou sous contrôle médical, ou avez-vous reçu des conseils médicaux"? "oui", en précisant: "1990 Acné, toujours en traitement, Dr. S.________ à Genève, 1997-1998 Dépression, ok sans suite, Clinique la Métairie, Av. Bois-Bougy, 1260 Nyon, 06-2000, Sinusite, 1x, ok sans suite, Dr. B.________ à Lausanne";
- Question 23: "Avez-vous souffert de troubles cardiaques ou cardiovasculaires, de diabète, d'affections rénales, de tumeurs malignes, p. ex. cancer, de troubles psychiques"?, "oui Dépression", en précisant: "97-98 Dépression ok sans suite, 98 Sophrologie pour la dépression Terminé";
- Questions 27 et 29: "Avez-vous dû, au cours des 5 dernières années, interrompre votre travail pour raison de santé pendant plus de 4 semaines" et "Un séjour dans un hôpital ou un centre de cure est-il prévu?", "non".
Sur la base de cette proposition, X.________ a établi le 22 août 2001 une police d'assurance (n° xxxx) pour la période du 1er juin 2001 au 31 mai 2038. Ce contrat prévoit le versement d'un capital minimum de 37'320 fr. en cas de vie le 31 mai 2036 (sic) ou en cas de décès, ainsi que la libération du paiement des primes dès le 91ème jour en cas d'incapacité de gain et l'octroi d'une rente mensuelle de 500 fr. dès le 721ème jour; la prime a été fixée à 1'132 fr. par année.
A.b L'assurée a fait une dépression au début du mois de juin 2001, qui a nécessité une hospitalisation du 9 juin au 3 août 2001. Cette maladie a causé une incapacité de gain variant entre 100% et 50% du 9 juin 2001 au 30 septembre 2002, puis de 49% du 1er octobre 2002 à ce jour; depuis le 1er octobre 2002, elle bénéficie d'une demi-rente de l'assurance-invalidité.
A.c Le 17 janvier 2003, X.________ a adressé à Y.________ un avis de sinistre relatif à la dépression en question. Par lettre du 22 janvier 2003, l'assurance a déclaré se "retirer du contrat avec effet immédiat" en raison de la réticence qu'aurait commise l'intéressée en répondant d'une manière incorrecte aux questions n°s 11, 21, 23, 27 et 29 de la proposition. A la lecture du courrier que le Département universitaire de psychiatrie adulte (DUPA) a adressé au vice-président du Tribunal d'arrondissement de Lausanne dans le cadre de l'instruction du procès (cf. infra, let. B), l'assurance a invoqué la réticence en relation avec les réponses données aux questions n°s 11, 14, 21 et 22.
B.
Le 12 septembre 2003, X.________ a ouvert action contre Y.________ en prenant les conclusions suivantes:
I. L'assurance conclue par la demanderesse, police n° xxxx, n'a pas été valablement annulée et reste par conséquent en vigueur.
II. La défenderesse est débitrice de la demanderesse et doit lui verser dès et y compris le mois de juillet 2003, la rente prévue en cas d'incapacité de gain, pour la durée de cette incapacité et en proportion du degré de celle-ci.
III. La demanderesse est libérée du paiement des primes à compter du 1er octobre 2001".
La défenderesse a conclu au rejet de la demande.
Par jugement du 31 janvier 2005, le Tribunal civil de l'arrondissement de Lausanne a intégralement accueilli la demande. Statuant le 16 novembre 2005, la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud a admis le recours de la défenderesse, rejeté celui de la demanderesse (tendant à l'allocation de dépens de première instance) et réformé le jugement entrepris en ce sens que les conclusions de cette dernière sont rejetées.
C.
La demanderesse exerce un recours en réforme au Tribunal fédéral à l'encontre de cet arrêt; elle conclut au rejet du recours déposé par la défenderesse contre le jugement de première instance et à l'admission de celui qu'elle a elle-même interjeté contre cette décision.
La défenderesse n'a pas été invitée à répondre.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
La juridiction cantonale a considéré que la "conclusion active II" de la demanderesse aurait dû être déclarée irrecevable, celle-ci disposant d'une action condamnatoire dans laquelle elle pouvait formuler des conclusions chiffrées. L'intéressée conteste cette opinion; elle affirme qu'il lui était impossible d'articuler de pareilles conclusions, puisque le dommage qu'elle subit est "évolutif".
L'autorité cantonale n'a pas formellement déclaré irrecevable, dans le dispositif de son arrêt, le chef de conclusions litigieux, de sorte qu'on ne voit pas où résiderait la lésion (cf. sur cette exigence: ATF 120 II 5 consid. 2a p. 7/8 et les nombreuses références). Quoi qu'il en soit, vu le sort du présent recours, il n'y a pas lieu d'examiner cet aspect plus avant.
2.
La demanderesse réclame des dépens de première instance, question que l'autorité cantonale n'a pas examinée, "probablement en raison de l'admission du recours de la partie adverse".
Sur ce point, le recours est irrecevable à un double titre. D'une part, sa motivation consiste en un simple renvoi à "l'argumentation soutenue dans [le] mémoire adressé à la Chambre des recours du Tribunal cantonal", ce qui ne satisfait pas aux exigences découlant de l'art. 55 al. 1 let. c OJ (ATF 126 III 198 consid. 1d p. 201; 116 II 92 consid. 2 p. 93/94; 110 II 74 consid. I/1 p. 78). D'autre part - sous réserve de l'art. 159 al. 6 OJ -, les dépens relatifs aux instances cantonales sont réglés par le droit cantonal, dont le Tribunal fédéral ne saurait revoir l'application dans le cadre d'un recours en réforme (Messmer/Imboden, Die eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, Zurich 1992, n° 30 et les citations); l'art. 47 al. 3 LSA - inchangé à cet égard dans sa teneur valable dès le 1er janvier 2006 (art. 85 LSA; FF 2003 3353, 3402) - ne règle pas ce problème (cf. JdT 1999 III 106 ss, spéc. 128 consid. 6).
3.
En vertu de l'art. 4 LCA, le proposant doit déclarer par écrit à l'assureur, suivant un questionnaire ou en réponse à toutes autres questions écrites, tous les faits qui sont importants pour l'appréciation du risque, tels qu'ils lui sont ou doivent lui être connus lors de la conclusion du contrat (al. 1); sont importants les faits de nature à influer sur la détermination de l'assureur de conclure le contrat ou de le conclure aux conditions convenues (al. 2); sont réputés importants les faits au sujet desquels l'assureur a posé par écrit des questions précises, non équivoques (al. 3). Si, lors de la conclusion du contrat d'assurance, celui qui devait faire la déclaration a omis de déclarer ou inexactement déclaré un fait important qu'il connaissait ou devait connaître (réticence), l'assureur n'est pas lié par le contrat, à condition qu'il s'en soit départi dans les quatre semaines à partir du moment où il a eu connaissance de la réticence (art. 6 LCA; applicable en l'occurrence dans sa teneur valable jusqu'au 31 décembre 2005).
3.1 Les faits visés par l'art. 4 LCA sont tous les éléments qui doivent être pris en compte lors de l'appréciation du risque et peuvent éclairer l'assureur sur l'étendue du risque à couvrir, c'est-à-dire toutes les circonstances permettant de conclure à l'existence de facteurs de risque (ATF 118 II 333 consid. 2a p. 336 et les références citées). Selon la jurisprudence, il ne faut adopter ni un critère purement subjectif, ni un critère purement objectif, pour juger si le proposant a violé ou non son obligation de renseigner, devoir qui s'apprécie sans égard à une éventuelle faute du preneur. Ce qui est décisif, c'est de déterminer si et dans quelle mesure le proposant pouvait donner de bonne foi une réponse inexacte à l'assureur, d'après la connaissance qu'il avait de la situation et, le cas échéant, les renseignements que lui avaient fournis des personnes qualifiées. Il doit se demander sérieusement s'il existe un fait qui tombe sous le coup des questions de l'assureur; il remplit son obligation s'il déclare, outre les faits qui lui sont connus sans autre réflexion, ceux qui ne peuvent lui échapper s'il réfléchit sérieusement aux questions posées (ATF 118 II 333 consid. 2b p. 337).
3.2 Il découle de l'art. 6 LCA, qui se réfère aux déclarations faites lors de la conclusion du contrat, que l'obligation de déclarer du proposant couvre tous les faits importants pour l'appréciation du risque qui surviennent jusqu'à la conclusion du contrat d'assurance (ATF 116 V 218 consid. 5a p. 227 et les références citées; Nef, in: Basler Kommentar, n. 7 ad art. 4 LCA, avec d'autres citations).
4.
4.1 A la suite des premiers juges, l'autorité cantonale a retenu que la demanderesse était de bonne foi lorsqu'elle a répondu affirmativement à la question (n° 11) relative à son état de santé et à son aptitude au travail, et qu'elle n'encourait aucun reproche pour ne pas avoir avisé immédiatement son médecin de famille. Elle a considéré, en revanche, que l'intéressée avait commis une réticence, faute d'avoir informé son assureur, entre le 3 et le 22 août 2001, de sa dépression, de son hospitalisation du 9 juin au 3 août suivant et de son incapacité de travail, l'avis de sinistre n'ayant été donné que le 17 janvier 2003: d'une part, la déclaration de faits postérieurs à la signature de la proposition est une exigence légale et elle ne dépend pas de la volonté de l'assureur; d'autre part, la dépression et l'hospitalisation sont clairement des faits décisifs pour l'évaluation du risque que la demanderesse était tenue d'annoncer et il n'est pas établi que, en dépit de sa situation psychique difficile, elle aurait été dans l'incapacité totale de les communiquer à la défenderesse entre le 3 et le 22 août 2001.
La demanderesse reproche à la juridiction précédente d'avoir assimilé l'établissement de la police d'assurance, intervenue le 22 août 2001, à la conclusion du contrat. Or, cette opération est une obligation légale relative à un contrat déjà conclu, la délivrance de la police constituant l'exécution du contrat et non une forme nécessaire à sa perfection; il s'ensuit que le contrat était déjà conclu lors de l'établissement de la police. Quant au moment de la conclusion, il correspond à celui où le contrat est entré en vigueur, c'est-à-dire le 1er juin 2001, date à partir de laquelle les primes ont d'ailleurs été payées.
4.2 Le contrat d'assurance est un acte juridique consensuel, qui vient à chef lorsque les parties ont, réciproquement et de manière concordante, manifesté leur volonté (ATF 120 II 133 consid. 3 p. 134; 112 II 245 consid. II/1 p. 251/252; Stoessel, in: Basler Kommentar, n. 7 ad art. 1-3 LCA ). La conclusion du contrat ne dépend pas de la remise de la police (ATF 112 II 245 consid. II/1c p. 253; Stoessel, ibidem, n. 20 et les références citées), mais bien de l'acceptation de la proposition par l'assureur (ATF 122 III 118 consid. 2b p. 122; Stoessel, ibidem, n. 19 et la jurisprudence citée). Manifestation de volonté sujette à réception, l'acceptation n'est soumise à aucune forme; elle peut être expresse ou se déduire d'actes concluants (Stoessel, ibidem, n. 14 et les citations), comme la remise de la police (ATF 122 III 118 consid. 2b p. 122).
Il découle de ces principes que le contrat ne pouvait pas être conclu le 1er juin 2001, à savoir avant que l'assureur ne manifeste (par actes concluants) sa volonté d'accepter la proposition; la date de l'entrée en vigueur n'est donc pas le critère décisif (cf. ATF 116 V 218 consid. 5a p. 227; ZR 83/1984 p. 71; sur la question de savoir s'il faut y voir l'offre d'une couverture provisoire: Stoessel, op. cit., n. 43 ad art. 1er LCA et la doctrine citée), ni celle du paiement de la première prime (Carré, Loi fédérale sur le contrat d'assurance, Lausanne 2000, p. 101 et la jurisprudence citée). C'est donc en partant de prémisses inexactes que la demanderesse soutient qu'on ne saurait lui faire grief de ne pas avoir annoncé à l'assureur la modification du risque au cours de la période déterminante. Enfin, lorsqu'elle affirme - notamment sur la base des «témoignages versés au dossier» - qu'il ne lui était guère possible en raison de son «grave état psychique» d'aviser l'assureur durant cette période, elle discute les constatations de fait de la juridiction cantonale (ATF 128 III 212 consid. 2c p. 216/217), ce qui n'est pas admissible en instance de réforme (art. 55 al. 1 let. c et 63 al. 2 OJ).
4.3 L'argumentation fondée sur l'art. 38 al. 2 LCA est hors de propos. L'autorité précédente n'a pas débouté la demanderesse en raison d'un avis de sinistre tardif (17 janvier 2003), d'autant que, à ce moment-là, le contrat d'assurance était déjà résolu pour cause de réticence (cf. à ce sujet: Nef, op. cit., n. 31 ad art. 6 LCA et les citations). De surcroît, l'intéressée justifie derechef par sa «grave décompensation psychologique» le fait qu'elle n'a pu annoncer le sinistre aussitôt qu'elle en a eu connaissance; or, on l'a vu, ce point ne peut pas être examiné dans un recours en réforme (cf. consid. 4.2 in fine).
5.
En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 OJ). En revanche, il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à la défenderesse, qui n'a pas été invitée à répondre.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge de la demanderesse.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 17 juillet 2006
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier: