Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1B_384/2022
Arrêt du 18 août 2022
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Haag.
Greffière : Mme Nasel.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Romanos Skandamis, avocat,
recourante,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève,
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
Procédure pénale; mesure de substitution à la détention provisoire,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale
de recours, du 16 juin 2022 de la Cour de justice de la République et canton de Genève,
(ACPR/430/2022 - P/9363/2021).
Faits :
A.
A.________ est prévenue d'exposition (art. 127 CP), de mise en danger de la vie d'autrui (art. 129 CP), de violation du devoir d'assistance et d'éducation (art. 219 CP), d'infraction à la LStup (RS 812.121; art. 19 LStup) et d'infraction à la loi fédérale du 15 décembre 2000 sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh; RS 812.21; art. 86 LPTh).
Il lui est reproché d'avoir, en tant qu'éducatrice remplaçante au Foyer B.________, à Genève, et co-référente de C.C.________, née en 2006, résidente au Foyer et souffrant de graves troubles autistiques, administré à la précitée, entre février et le 4 mai 2021, des médicaments qui ne lui étaient pas prescrits; elle lui aurait également donné, le 28 mars 2021, une grande quantité de TEMESTA®, qui ne lui était pas prescrit non plus, l'exposant ainsi à un danger grave et imminent pour la santé, et mettant en danger son développement.
B.
A.________ a été interpellée le 7 février 2022. Le lendemain, le Ministère public l'a relaxée, au profit de mesures de substitution ordonnées le 9 février 2022 par le Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève (TMC) pour une durée d'un mois. Ces mesures ont été prolongées le 7 mars 2022 jusqu'au 7 avril 2022, puis jusqu'au 7 juin 2022, selon une ordonnance du 8 avril 2022. Elles consistaient en l'interdiction de tout contact notamment avec C.C.________ et les parents de celle-ci et en l'interdiction de se rendre au Foyer ou de s'en approcher à moins de 100 mètres.
Le 25 mai 2022, le Ministère public de la République et canton de Genève (Ministère public) a partiellement levé les mesures précédemment ordonnées, maintenant l'interdiction de tout contact avec C.C.________.
Par ordonnance du 3 juin 2022, le TMC a prolongé dite interdiction de contact, pour une durée de 4 mois, soit jusqu'au 7 octobre 2022, en raison d'un risque de réitération.
C.
Par arrêt du 16 juin 2022, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (Chambre pénale de recours) a rejeté le recours formé par A.________ contre l'ordonnance de prolongation de la mesure de substitution rendue le 3 juin 2022.
D.
Par acte du 18 juillet 2022, A.________ forme un recours en matière pénale, par lequel elle demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt précité et de lever l'interdiction de contact avec C.C.________ dont elle fait l'objet. Subsidiairement, elle requiert son annulation et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. Elle sollicite par ailleurs l'assistance judiciaire.
Le Ministère public conclut au rejet du recours, tandis que la Chambre pénale de recours indique ne pas avoir d'observations à formuler.
Considérant en droit :
1.
Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative aux mesures de substitution à la détention provisoire au sens de l'art. 237 CPP. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF, la recourante a qualité pour recourir contre l'arrêt entrepris qui confirme la mesure de substitution ordonnée à son encontre. Les autres conditions de recevabilité sont réunies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.
2.
La recourante affirme que la condition de l'existence d'un risque de récidive au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP ne serait pas réalisée en l'espèce, de sorte que le maintien de la mesure de substitution lui interdisant tout contact avec C.C.________ ne serait pas justifié.
2.1. Aux termes de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, la détention provisoire peut être ordonnée lorsqu'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu compromette sérieusement la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre.
Cette disposition pose trois conditions pour admettre un risque de récidive. En premier lieu, le prévenu doit en principe déjà avoir commis des infractions du même genre et il doit s'agir de crimes ou de délits graves. Deuxièmement, la sécurité d'autrui doit être sérieusement compromise. Troisièmement, une réitération doit, sur la base d'un pronostic, être sérieusement à craindre (ATF 146 IV 326 consid. 3.1).
Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu. Le risque de récidive peut également se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné - avec une probabilité confinant à la certitude - de les avoir commises (ATF 146 IV 326 consid. 3.1), ce que l'on admet en présence d'aveux crédibles ou d'une situation de preuve manifeste (arrêts 1B_289/2022 du 1er juillet 2022 consid. 3.1; 1B_202/2022 du 11 mai 2022 consid. consid. 4.1).
2.2. Si la recourante conteste avoir commis les faits qui lui sont reprochés, elle n'affirme cependant pas pour autant que la condition des charges suffisantes posées à l'art. 221 al. 1 CPP (sur cette notion, ATF 143 IV 330 consid. 2.1; 143 IV 316 consid. 3.1 et 3.2) ne serait pas réalisée. Elle ne développe ainsi aucune argumentation propre à remettre en cause l'appréciation de la Chambre pénale de recours sur ce point, de sorte qu'il convient de se référer à l'arrêt entrepris. La recourante reproche en revanche à cette instance d'avoir retenu l'existence d'un risque de récidive au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP sur la base des infractions faisant l'objet de la présente procédure, dans la mesure où elle soutient ne pas les avoir commises, respectivement qu'il n'existerait aucune preuve accablante à son encontre.
On peut en l'espèce relever que les faits reprochés s'inscrivent sur une certaine durée et qu'ils sont graves. Pour autant, la présente procédure est celle d'une prévenue sans antécédents, qui conteste entièrement les faits qui lui sont reprochés, à savoir d'avoir administré des médicaments à C.C.________ qui ne lui étaient pas prescrits ou à des doses plus importantes que celles prévues. A la lecture de l'arrêt entrepris, on comprend en substance que les charges pesant à l'encontre de la recourante reposent principalement sur: le fait que cette dernière, travaillant au Foyer en tant qu'éducatrice remplaçante, était la co-référente de C.C.________ durant la période pénale; la présence de la première le soir du 28 mars 2021 auprès de la victime, avec qui elle était restée seule au moment du coucher. L'instance précédente se fonde en outre sur les réponses données par la recourante à la question de savoir s'il lui était arrivé de donner du TEMESTA® à l'adolescente, qu'elle juge " confuses ". Ces seuls éléments ne permettent toutefois pas de retenir, avec une vraisemblance confinant à la certitude au sens de la jurisprudence précitée, que la recourante aurait commis les faits qui lui sont reprochés; en effet, on ne se trouve pas dans une situation de preuve manifeste quant au rôle joué par la recourante dans les infractions en cause, et ce alors que divers actes d'instructions ont d'ores et déjà été accomplis à ce jour.
De plus, les agissements reprochés à la recourante ne semblent pas viser des tiers, mais C.C.________ en particulier. Sur ce point, l'arrêt entrepris ne donne aucune explication sur les motifs objectifs que la recourante avaient de lui administrer une médication qui ne lui était pas prescrite ou à des doses plus importantes et rien n'indique qu'elle puisse, respectivement veuille à nouveau s'en prendre à cette dernière spécialement. A ces éléments s'ajoutent que les faits reprochés à la prénommée, si elle en est l'auteure, l'on été dans le cadre de son activité professionnelle. Dans ces circonstances, on distingue mal que le Foyer, ou tout autre foyer ayant eu connaissance de ces faits, à Genève du moins, puisse à nouveau engager la recourante et encore moins pour prendre soin de la victime en cause. On ne saurait non plus constater une tendance à l'aggravation de l'activité délictuelle. Aucune infraction nouvelle n'est survenue depuis l'instauration des mesures de substitution le 9 février 2022, lesquelles ont été respectées par la recourante. Ces éléments amoindrissent le risque de récidive à l'encontre de l'adolescente, étant pour le surplus relevé que ce risque est, selon la jurisprudence, soumis à des exigences moins élevées pour les mesures de substitution que pour la détention (arrêts 1B_234/2021 du 21 mai 2021 consid. 2.3; 1B_167/2021 du 5 mai 2021 consid. 5.4; 1B_461/2020 du 14 octobre 2020 consid. 5.3; pour le risque de fuite: ATF 133 I 27 consid. 3.3). Dans ces circonstances, il n'apparaît pas qu'il y ait sérieusement lieu de craindre que la recourante cherche à l'avenir à prendre contact avec la victime, ou qu'elle soit en mesure de le faire, afin de commettre des infractions du même genre à l'encontre de cette dernière. Au demeurant, des mesures administratives - de nature à empêcher la recourante de pratiquer sa profession - peuvent le cas échéant être instaurées. Le maintien de la mesure de substitution en cause au sens de l'art. 221 al. 1 let. c CPP n'est dès lors pas justifié.
2.3. Au vu de ces éléments, la Chambre pénale de recours a violé le droit fédéral en retenant un risque réitération à l'encontre de la victime, respectivement en confirmant la mesure de substitution consistant à interdire à la recourante tout contact avec l'adolescente. Ce grief est donc admis et dite mesure de substitution doit dès lors être levée.
3.
Il s'ensuit que le recours est admis. L'arrêt attaqué est dès lors réformé en ce sens que l'interdiction de tout contact avec C.C.________ ordonnée à l'encontre de la recourante à titre de mesure de substitution est levée.
Conformément à l'art. 214 al. 4 CPP, une copie du présent arrêt sera communiquée aux parties plaignantes C.C.________, et sa mère, D.C.________ (cf. ATF 139 IV 121 consid. 5; arrêts 1B_643/2020 du 21 janvier 2021 consid. 3.4; 1B_577/2020 du 2 décembre 2020 consid. 6; 1B_554/2020 du 18 novembre 2020 consid. 3 et les références citées).
4.
La recourante, assistée par un avocat, obtient gain de cause. Il n'y a pas lieu de percevoir de frais judiciaires pour la présente procédure (art. 66 al. 4 LTF). Les frais et dépens de la procédure cantonale peuvent également être fixés dans le présent arrêt ( art. 67 et 68 al. 5 LTF ). Les dépens sont ainsi arrêtés de manière globale pour les procédures cantonale et fédérale, et les frais judiciaires de l'instance cantonale sont laissés à la charge du canton de Genève. Vu l'issue du recours, la demande d'assistance judiciaire sur le plan cantonal et fédéral est sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt du 16 juin 2022 de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, est réformé en ce sens que la mesure de substitution prolongée par ordonnance du 3 juin 2022 du Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève à l'encontre de la recourante, consistant en l'interdiction de tout contact avec C.C.________, est levée.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires pour la procédure fédérale et les frais judiciaires de la procédure cantonale sont laissés à la charge du canton de Genève.
3.
Une indemnité de dépens, fixée à 3'000 fr., est allouée pour les procédures fédérale et cantonale au mandataire de la recourante, à la charge du canton de Genève.
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève et au mandataire des parties plaignantes.
Lausanne, le 18 août 2022
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Nasel