Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6P.199/2006
6S.448/2006 /rod
Arrêt du 19 décembre 2006
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffière: Mme Kistler.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Jean-Pierre Garbade, avocat,
contre
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3.
Objet
Principe de l'accusation (art. 29 al. 2 et 32 al. 2 Cst.); violation grave de la LCR, état de nécessité (art. 34 CP), fixation de la peine (art. 63 CP),
pourvoi en nullité et recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, du 28 août 2006.
Faits :
A.
Par ordonnance de condamnation du 21 décembre 2004, le Procureur général du canton de Genève a condamné X.________, pour infractions répétées à l'art. 90 ch. 2 LCR, à une peine de six mois d'emprisonnement, avec sursis pendant cinq ans, ainsi qu'à une amende de 2000 francs.
En substance, X.________ s'était livré le vendredi 24 septembre 2004, entre 15h40 et 16h environ, à une course poursuite sur l'autoroute A1aP et A1 en direction de Lausanne. Il lui était reproché en particulier:
- d'avoir empiété sur la ligne de sécurité délimitant les deux voies de circulation;
- d'avoir circulé à cheval sur la ligne de direction;
- d'avoir freiné volontairement pour gêner son poursuivant;
- d'avoir contourné une voiture en la dépassant par la droite;
- d'avoir franchi une surface interdite au trafic;
- de ne pas avoir annoncé ses changements de direction;
- d'avoir circulé dans les tunnels et les tranchées ouvertes sans enclencher les feux de son véhicule.
B.
Statuant sur opposition à l'ordonnance de condamnation, le Tribunal de police de Genève a condamné le 16 février 2006 X.________, pour violation grave des règles de la circulation routière (art. 90 ch. 2 LCR), à la peine de quatre mois d'emprisonnement, avec sursis pendant trois ans.
Le tribunal a retenu, sans mentionner les dispositions légales violées, que X.________ avait commis de nombreuses infractions à la circulation routière. Il a écarté l'état de nécessité, invoqué par X.________, au motif que, si celui-ci avait pu légitimement prendre peur face à la conduite dangereuse d'un autre automobiliste, il avait eu le choix de ne pas commettre les infractions à la LCR, notamment en ralentissant et en laissant passer l'automobiliste.
C.
Statuant le 28 août 2006 sur appel du condamné, la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise a réduit la peine prononcée à trois mois et 25 jours d'emprisonnement. Pour le surplus, elle a confirmé le jugement du tribunal de police.
Elle a précisé que les infractions au code de la route reprochées à X.________ étaient réprimées par les art. 26, 27, 34, 43, 44 et 90 LCR, ainsi que par les art. 73 et 78 OSR , 4, 7, 8, 12, 28, 31, 36 et 39 OCR (arrêt attaqué, p. 3). Elle a reproché en outre à X.________ de ne pas avoir respecté les distances de sécurité par rapport au véhicule qui le précédait (art. 12 OCR).
D.
Contre l'arrêt attaqué, X.________ dépose un recours de droit public et un pourvoi en nullité devant le Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué. Dans le recours de droit public, il se plaint d'une violation du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) et du principe accusatoire (art. 32 al. 2 Cst.) ainsi que d'arbitraire dans la constatation des faits (art. 9 Cst.). Dans le pourvoi, il fait grief à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 90 ch. 2 LCR; il dénonce, à titre subsidiaire, une violation de l'art. 34 ch. 1 CP en relation avec les art. 18 et 19 CP et, encore plus subsidiairement, une violation de l'art. 63 CP. Il sollicite l'assistance judiciaire.
Le Procureur général du canton de Genève conclut au rejet des recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
I. Recours de droit public
1.
Dénonçant une violation des art. 29 al. 2 et 32 al. 2 Cst., le recourant se plaint que l'ordonnance de condamnation, qui vaut, dans le cas d'espèce, acte d'accusation, ne mentionne pas les dispositions légales qui répriment les comportements que la cour cantonale qualifie de graves violations de la loi sur la circulation routière. La cour cantonale aurait en outre retenu à sa charge "des distances de sécurité non respectées" par rapport aux véhicules précédents, infraction pour laquelle il n'aurait pas été renvoyé en jugement. Plus particulièrement, ce serait de manière arbitraire que la cour cantonale aurait violé l'art. 218 E al. 1 en relation avec l'art. 220 al. 2 CPP/GE.
1.1 Dans la procédure cantonale, le recourant n'a pas soulevé ces griefs. L'art. 86 OJ exige l'épuisement des instances cantonales pour tous les recours de droit public (sous réserve d'une exception qui n'entre pas en ligne de compte en l'espèce). La jurisprudence admet cependant la recevabilité de moyens de droit nouveaux lorsque l'autorité cantonale de dernière instance disposait d'un pouvoir d'examen libre et devait appliquer le droit d'office, pour autant qu'il ne s'agisse pas d'un recours de droit public pour arbitraire. Cependant, celui qui ne soulève pas devant l'autorité cantonale un grief lié à la conduite de la procédure ne peut en principe plus le soulever devant le Tribunal fédéral. Cela ne serait en effet pas conforme à la bonne foi (ATF 119 Ia 88 consid. 1a p. 90 s.; 117 Ia 491 consid. 2a p. 495).
En l'espèce, le recourant a été entendu à deux reprises devant le Tribunal de police genevois. Il a laissé celui-ci procéder à des mesures d'instruction et a même requis l'audition d'un témoin supplémentaire. Il a de nouveau été entendu, en appel, devant la Chambre pénale de la Cour de justice. Il ne s'est jamais plaint, à ces occasions, du fait que l'ordonnance de condamnation ne mentionnait pas les dispositions légales de la circulation routière violées. Ce n'est que devant le Tribunal fédéral qu'il a critiqué l'ordonnance de condamnation. Soulever aussi tardivement ce grief est contraire aux règles de la bonne foi. Dans ces conditions, le grief tiré de l'absence des règles de circulation violées est irrecevable.
Le recourant se plaint également que la cour cantonale a retenu à sa charge une infraction complémentaire. Comme la mention de cette nouvelle accusation apparaît pour la première fois dans l'arrêt attaqué, on ne saurait reprocher au recourant de ne pas s'en être plaint auparavant. Il convient donc d'entrer en matière sur ce second grief.
1.2
1.2.1 Composant du droit d'être entendu, le principe de l'accusation implique que le prévenu connaisse exactement les faits qui lui sont imputés ainsi que les peines et mesures auxquelles il s'expose, afin qu'il puisse s'expliquer et préparer efficacement sa défense (ATF 126 I 19 consid. 2a p. 21; 120 IV 348 consid. 2b p. 353). Cette garantie peut aussi être déduite des art. 32 al. 2 Cst. et 6 par. 3 CEDH, qui n'ont pas de portée distincte. Le principe d'accusation n'empêche pas l'autorité de jugement de s'écarter de l'état de fait ou de la qualification juridique retenus dans la décision de renvoi ou l'acte d'accusation, à condition toutefois que les droits de la défense soient respectés (ATF 126 I 19 consid. 2a et c p. 21 ss). Si l'accusé est condamné pour une autre infraction que celle visée dans la décision de renvoi ou l'acte d'accusation, il faut examiner s'il pouvait, eu égard à l'ensemble des circonstances d'espèce, s'attendre à cette nouvelle qualification juridique des faits, auquel cas il n'y a pas violation de ses droits de défense (ATF 126 I 19 consid. 2d/bb p. 24).
Le principe d'accusation est concrétisé dans la loi de procédure pénale genevoise par les art. 219 et 220 al. 2 CPP /GE. Ces dispositions prévoient que le Tribunal de police est saisi d'une feuille d'envoi qui précise les faits qui sont à la base de la poursuite et indique les dispositions légales applicables. Lorsqu'un accusé fait opposition à une ordonnance de condamnation, c'est celle-ci qui fait office de feuille d'envoi délimitant le cadre des débats (art. 218 E al. 1 CPP/GE).
Le Tribunal fédéral ne contrôle l'application et l'interprétation du droit cantonal que sous l'angle de l'arbitraire. Dans tous les cas, l'autorité cantonale doit cependant observer les garanties minimales consacrées par la Constitution, dont le Tribunal fédéral examine librement le respect (ATF 127 III 193 consid. 3 p. 194; 126 I 19 consid. 2a p. 21/22).
1.2.2 En l'occurrence, l'ordonnance de condamnation énumère les comportements relevés dans le rapport de police et résultant du visionnement des enregistrements vidéos. Dans les événements relatés par l'ordonnance de condamnation, c'est toujours la voiture de l'autre automobiliste qui ne gardait pas une distance suffisante avec le véhicule du recourant. L'ordonnance de condamnation ne reproche aucun comportement semblable au recourant. En condamnant le recourant pour ne pas avoir respecté les distances et enfreint l'art. 12 OCR, la cour cantonale a donc étendu le complexe des faits reprochés au recourant dans l'ordonnance de condamnation et violé en conséquence le principe de l'accusation. Le grief du recourant doit donc être admis.
2.
En conclusion, le recours de droit public doit être admis, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs.
Comme le recourant a obtenu gain de cause, il ne sera pas perçu de frais (art. 156 al. 1 OJ) et le canton de Genève lui versera une indemnité adéquate à titre de dépens (art. 159 al. 2 OJ). La requête d'assistance judiciaire devient ainsi sans objet.
II. Pourvoi en nullité
3.
L'arrêt attaqué étant annulé, le pourvoi n'a plus d'objet.
4.
Conformément à la pratique, il n'est ni prélevé de frais ni alloué d'indemnité. La requête d'assistance judiciaire pour ce recours inutile est rejetée.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
I. Recours de droit public
1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.
2.
Il n'est pas perçu de frais.
3.
Le canton de Genève versera une indemnité de 2000 francs au recourant à titre de dépens.
4.
La requête d'assistance judiciaire est sans objet.
II. Pourvoi en nullité
5.
Le pourvoi est sans objet.
6.
Il n'est pas perçu de frais ni alloué d'indemnité.
7.
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
III. Communication
8.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Procureur général genevois et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale.
Lausanne, le 19 décembre 2006
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: