Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
5A_470/2021
Arrêt du 20 janvier 2022
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. les Juges fédéraux Herrmann, Président,
von Werdt et Schöbi.
Greffière : Mme de Poret Bortolaso.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Nicolas Saviaux, avocat,
recourant,
contre
B.________ SA,
représentée par Me Amédée Kasser, avocat,
intimée.
Objet
contrat constitutif de servitude, interprétation, aggravation,
recours contre l'arrêt de la Cour d'appel civile
du Tribunal cantonal du canton de Vaud
du 3 mai 2021 (PO17.030371-210233 208).
Faits :
A.
A.a. Depuis le mois de juillet 2004, A.________ est propriétaire de la parcelle no 4788 de la Commune de U.________.
A.b. Selon l'extrait du registre foncier, la parcelle no 4788 est grevée de deux servitudes en faveur de B.________ SA (ci-après: B.________), à savoir un droit d'usage et un droit de superficie.
Le contrat constitutif des servitudes prévoit notamment ce qui suit: " sont compris dans ces droits d'usage et de superficie: le droit d'aménager, de maintenir, d'entretenir et d'adapter un local pour équipements de télé communications et de radiocommunication, ainsi qu'un socle pour mât d'antenne et un mât d'antenne pour équipements de radiocommunication, pour les besoins techniques "
Ce contrat a été établi pour trente ans, à savoir du 1er août 1996 au 31 juillet 2026.
A.c. Conformément aux servitudes précitées, B.________ a érigé une installation de communication sur la parcelle no 4788.
Cette installation se situe en zone habitée.
A.d. Afin d'étendre son offre de télécommunications et de radiocommunication, B.________ souhaite procéder à des modifications sur son ouvrage, lesquelles font l'objet d'une demande de permis de construire déposée auprès de la Commune de U.________.
A.________ s'oppose à la signature de cette demande, de même qu'à la signature d'une procuration par laquelle il autoriserait B.________ à le représenter pour la signer.
B.
B.a. Après l'échec de la tentative de conciliation, B.________ a déposé une demande devant le Tribunal civil de l'arrondissement de l'Est vaudois (ci-après: le tribunal) le 11 juillet 2017, concluant à ce que A.________ soit condamné à consentir à l'exécution des travaux objets de la demande de permis de construire litigieuse, dite condamnation tenant lieu de déclaration de volonté au sens de l'art. 334 CPC; à ce qu'ordre soit donné à l'intéressé de signer la procuration valant ratification de la demande de permis de construire sous la menace de la peine d'amende prévue à l'art. 292 CP en cas d'insoumission à une décision de l'autorité; à ce qu'à défaut d'exécution dans les 30 jours suivant l'entrée en force de la décision, A.________ soit astreint à une amende d'ordre de 1'000 fr. pour chaque jour d'inexécution.
A.________ a conclu à la transmission de la cause au Juge de Paix du district de la Riviera-Pays-d'Enhaut et, principalement, au rejet de la demande formée par B.________; subsidiairement, il a réclamé la suppression et la radiation du droit de superficie moyennant versement de sa part d'un montant de 10'000 fr., B.________ étant condamnée à démanteler et évacuer toutes ses installations de téléphonie mobile de la parcelle no 4788 dans un délai de 60 jours.
B.________ a conclu au rejet des conclusions reconventionnelles précitées.
B.b. Un rapport d'expertise a par ailleurs été établi le 9 janvier 2020 par le Professeur C.________. Ce rapport porte notamment sur l'intensité actuelle et projetée du champ magnétique lié à l'exploitation de l'installation litigieuse et son impact sur la santé des êtres vivants.
B.c. Par jugement du 22 septembre 2020, le tribunal a admis la demande formée par B.________ (I), rejeté les conclusions reconventionnelles de A.________ (II), dit que celui-ci était condamné à consentir à l'exécution des travaux objets de la demande de permis de construire (III), ordonné à l'intéressé de signer la procuration valant ratification de la demande de permis de construire, sous la menace de la peine d'amende prévue à l'art. 292 CP (IV) et dit qu'à défaut d'exécution dans les trente jours suivant l'entrée en force du jugement, il serait astreint au versement d'une amende d'ordre de 1'000 fr. pour chaque jour d'inexécution (V).
B.d. Statuant le 3 mai 2021 sur appel de A.________, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud l'a rejeté, confirmant le jugement rendu en première instance.
C.
Agissant le 4 juin 2021 par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral, A.________ (ci-après: le recourant) conclut principalement au rejet des conclusions prises par B.________ (ci-après: l'intimée) et reprend à titre subsidiaire les conclusions reconventionnelles formulées en instance cantonale.
Des déterminations n'ont pas été demandées.
D.
L'effet suspensif a été attribué au recours par ordonnance présidentielle du 16 juillet 2021.
Considérant en droit :
1.
Le recours en matière civile est recevable (art. 72 al. 1, 75, 76 al. 1, 90, 100 al. 1 LTF), étant précisé que, dans cette affaire pécuniaire, la cour cantonale considère que la valeur litigieuse de 30'000 fr. est atteinte (art. 74 al. 1 let. b LTF; arrêt entrepris,
in fine).
2.
Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 s. LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cela étant, eu égard à l'exigence de motivation contenue à l' art. 42 al. 1 et 2 LTF , il n'examine en principe que les griefs soulevés (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références). Le recourant doit par conséquent discuter les motifs de la décision entreprise et indiquer précisément en quoi il estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 142 I 99 consid. 1.7.1; 142 III 364 consid. 2.4 et la référence). Il doit exister un lien entre la motivation du recours et la décision attaquée; le recourant ne peut se contenter de reprendre presque mot pour mot l'argumentation formée devant l'autorité cantonale (ATF 145 V 161 consid. 5.2; 134 II 244 consid. 2.1 et 2.3).
3.
Le recourant se prévaut essentiellement du fait que l'aménagement envisagé par la société intimée conduirait à une aggravation du but poursuivi par les servitudes dont son bien-fonds est grevé, voire à une modification de celui-là. Il paraît se fonder exclusivement sur l'art. 739 CC.
3.1. Conformément au principe de l'identité, une servitude ne peut être maintenue dans un autre but que celui pour lequel elle a été constituée (ATF 132 III 651 consid. 8).
3.1.1. Dans les limites de l'inscription et du but primitif de la servitude, le propriétaire du fonds servant peut toutefois se voir imposer certaines modifications dans l'exercice de la servitude. En ce sens, l'art. 739 CC prévoit que les besoins nouveaux du fonds dominant n'entraînent aucune aggravation de la servitude. Il est en effet dans la nature des choses que l'exercice d'une servitude s'aggrave ou s'atténue au gré des circonstances; le seul fait que les besoins du fonds dominant conduisent à un usage accru de la servitude n'est donc pas déterminant (arrêt 5A_756/2008 du 9 septembre 2009 consid. 4.1 et les références citées). Lorsque le but poursuivi est le même, l'aggravation que le propriétaire du fonds servant n'est pas tenu de tolérer doit être notable (ATF 139 III 404 consid. 7.3; 131 III 345 consid. 4.3.2; 122 III 358 consid. 2c; 94 II 145 consid. 6), ce qui suppose des circonstances que les parties n'avaient raisonnablement pas en vue lors de la constitution de la servitude (ATF 139 III 404 consid. 7.3; 131 III 345 consid. 4.3.2). Pour en juger, l'interprétation du contrat constitutif de servitude est à cet égard décisive (ATF 88 II 252 consid. 6e); il s'agit alors de mettre l'intérêt du fonds dominant et la charge du fonds servant en balance avec les intérêts respectifs actuels, qui doivent être déterminés sur la base de données objectives (ATF 122 III 358 consid. 2c; 100 II 105 consid. 3c). Lors de cette pesée des intérêts, le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation à l'égard duquel le Tribunal fédéral se montre réservé (ATF 122 III 358 consid. 2c).
Le principe tiré de l'art. 739 CC selon lequel une aggravation minime de la charge causée par les besoins nouveaux du fonds dominant doit être tolérée ne s'applique cependant que si l'usage nouveau de la servitude reste dans les limites du but en vue duquel cette servitude a été constituée (principe de l'identité de la servitude, consid. 3.1
supra). L'utilisation à une autre fin, sans relation avec le but originaire, constitue un usage excessif du droit, que le propriétaire grevé n'est pas tenu de tolérer et ce, même si la charge qui pèse sur lui n'en serait pas aggravée (ATF 94 II 145 consid. 7; cf. 117 II 536 consid. 4b; arrêt 5A_1044/2020 du 15 octobre 2021 consid. 5.2.3).
3.1.2. L'interprétation du contrat constitutif de la servitude s'effectue de la même manière que les déclarations de volonté, à savoir, s'agissant d'un contrat, selon la réelle et commune intention des parties (art. 18 CO), respectivement, pour le cas où celle-ci ne peut être établie, selon le principe de la confiance (ATF 139 III 404 consid. 7.1; 137 III 145 consid. 3.2.1; 130 III 554 consid. 3.1; arrêt 5A_691/2019 du 16 avril 2020 consid. 3.3.3); toutefois, vis-à-vis des tiers qui - comme en l'espèce - n'étaient pas parties au contrat constitutif de la servitude, ces principes d'interprétation sont limités par la foi publique attachée au registre foncier (art. 973 al. 1 CC) qui comprend non seulement le grand livre, mais aussi les pièces justificatives, dans la mesure où elles précisent la portée de l'inscription (art. 971 al. 2 CC repris par l'art. 738 al. 2 CC). Ce principe interdit de prendre en considération les circonstances et motifs personnels qui ont été déterminants dans la formation de la volonté des constituants; dans la mesure où ils ne résultent pas de l'acte constitutif, ils ne sont pas opposables au tiers qui s'est fondé de bonne foi sur le registre foncier (ATF 139 III 404 consid. 7.1; 130 III 554 consid. 3.1 et les références; arrêt 5A_691/2019 précité ibid.). Le résultat de l'interprétation objective devrait être ainsi le même que celui de l'interprétation subjective limitée par la foi publique (arrêt 5A_691/2019 précité ibid. et les références).
3.2. Interprétant le contrat constitutif des servitudes, la cour cantonale a conclu que son libellé était clair et qu'il convenait d'en déduire la possibilité pour l'intimée d'adapter l'installation en tant que telle, à savoir le dispositif technique permettant la diffusion des données de télécommunication. L'interprétation souhaitée par le recourant n'avait guère de sens, étant impensable que les parties qui avaient constitué les servitudes eussent stipulé une durée de trente ans si le bénéficiaire n'avait souhaité prévoir que l'aménagement et l'adaptation du local et du socle. Il fallait au contraire admettre que les parties qui avaient constitué l'acte savaient et ne pouvaient ignorer l'évolution technologique, même si l'on ne pouvait à l'époque discerner son échelle. La volonté objective des cocontractants originels correspondait ainsi à la teneur littérale du contrat, à laquelle le recourant était lié dès lors qu'il n'avait acquis la parcelle qu'en 2004; à cette époque plusieurs avancées technologiques s'étaient d'ailleurs déjà produites, dont il devait être conscient vu sa formation de monteur-électricien.
3.2.1. Reprenant en partie mot pour mot l'argumentation soutenue devant la cour cantonale, le recourant persiste à soutenir que le contrat de servitudes visait uniquement la possibilité d'aménager, de maintenir, d'entretenir et d'adapter le local lui-même ainsi que le socle de l'antenne, mais non le système de télécommunications et radiocommunication. Il soutient par ailleurs que l'évolution technologique en la matière serait telle que la transmission d'importants flux de données digitales (4G) ne pouvait avoir été envisagée lors de la constitution des servitudes, dès lors que prévalait à l'époque la seule technologie GSM (2G). L'aménagement prévu par l'intimée entraînait ainsi une modification inadmissible du but de la servitude.
3.2.2. Ainsi que le relève à juste titre la cour cantonale, l'on ne peut suivre le recourant lorsqu'il affirme que les possibilités d'aménagement de l'installation seraient limitées au local ainsi qu'au socle supportant l'antenne: le contrat précise expressément que le droit d'aménager et d'adapter l'installation concerne également " le mât d'antenne pour équipements de radiocommunication, pour les besoins techniques ". La référence à cette dernière nécessité, dont la formulation est large, permet objectivement d'admettre qu'une adaptation visant à satisfaire l'évolution technologique est couverte par le contrat litigieux. L'aménagement envisagé par l'intimée ne va pas au-là, l'objectif poursuivi demeurant identique, à savoir la communication d'informations à distance, même si l'étendue des données transmises ou accessibles apparaît élargie. L'on relèvera que le recourant admet d'ailleurs lui-même que des adaptations ont déjà été effectuées auparavant sans qu'il les conteste dès lors que l'installation actuelle diffuse la 3G; ces adaptations concernent sans aucun doute l'antenne elle-même et non les seuls socle et local, selon l'interprétation qu'il entend donner au contrat litigieux. Pour autant que recevable, son argumentation est ainsi infondée.
En tant que l'aménagement que souhaite réaliser l'intimée reste dans les limites du contrat de servitudes liant les parties, il s'agit d'examiner s'il entraîne une aggravation notable de la servitude grevant le fonds du recourant, circonstance qui permettrait d'admettre le bien-fondé de son opposition.
3.3. Sur ce point, la cour cantonale s'est fondée sur les conclusions de l'expertise, que le recourant ne contestait pas. Selon l'expert, les valeurs limites fixées par l'Ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ci-après: ORNI; RS 814.710) étaient respectées, tant concernant les limites d'immission que les limites de l'installation, l'intensité du champ électrique étant bien inférieure à celles-ci; au regard des connaissances scientifiques actuelles, tant que ces limites seraient respectées, les risques sanitaires occasionnés chez les personnes résidentes ou se tenant aux alentours de cette antenne étaient insignifiants. La cour cantonale a conclu de ces considérations scientifiques qu'aucune augmentation notable de la charge de la servitude n'était en l'espèce démontrée ou réalisée, en sorte que les travaux envisagés n'entraînaient aucune aggravation des servitudes à charge du bien-fonds du recourant.
3.3.1. Le recourant paraît confondre nuisances supplémentaires et aggravation notable, l'existence des premières ne sous-tendant pas nécessairement celle de la seconde, déterminée en référence à l'ORNI. A ce dernier égard, le recourant soutient que l'ORNI ne serait plus du tout adaptée aux circonstances actuelles et octroierait un droit de polluer à l'opérateur qui la respecterait. Les considérations d'ordre général que l'intéressé développe à ce propos (notamment: priorisation des technologies polluantes par les ondes hertziennes, construction " redondante " d'installations de téléphonie mobile, contribution de celle-ci à l'accélération de la destruction de la planète) ne permettent cependant pas d'écarter l'application de ce texte légal, qui est actuellement toujours en vigueur. L'on ne saisit d'ailleurs nullement sur quelles données objectives le recourant se fonde pour arrêter le caractère notable de l'aggravation qu'il invoque, si ce n'est son appréciation subjective; le principe de précaution, auquel il se réfère, doit au demeurant nécessairement s'appliquer au regard des connaissances scientifiques actuelles. Dans ces conditions, l'on ne saurait reprocher à l'autorité cantonale d'avoir violé le pouvoir d'appréciation qui lui appartient en se référant aux valeurs limites que pose l'ordonnance précitée pour déterminer l'intensité de l'aggravation dont le recourant se prévaut.
3.3.2. L'on relèvera que les critiques que soulève le recourant dans le cadre de ce grief sont en réalité essentiellement d'ordre politique, à savoir: l'admissibilité de diffuser des ondes non ionisantes de plus en plus puissantes, l'indépendance de l'État dans ce domaine vu les intérêts financiers en jeux ou encore le laxisme des lois sur ce point. Ces observations sortent cependant du contexte du présent recours.
4.
Le recourant prétend également que le document qu'il est censé signer ne serait pas disponible pour consultation, malgré sa demande; il n'y aurait ainsi pas eu accès. Ce grief n'apparaît pas avoir été soulevé devant l'autorité précédente. Faute d'épuisement matériel des instances (art. 75 al. 1 LTF; ATF 146 III 203 consid. 3.3.4; 145 III 42 consid. 2.2.2; 143 III 290 consid. 1.1), il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur ce moyen.
5.
Le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Les frais sont à la charge de son auteur (art. 66 al. 1 LTF). Aucune indemnité de dépens n'est accordée à l'intimée qui s'est opposée sans succès à la requête d'effet suspensif ( art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'500 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 20 janvier 2022
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Herrmann
La Greffière : de Poret Bortolaso