Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_268/2023
Arrêt du 20 février 2024
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales
Jametti, Présidente, Hohl et Kiss.
Greffier : M. Botteron.
Participants à la procédure
Société coopérative A.________,
recourante,
contre
B.________,
représenté par Me Carole Wahlen, avocate,
intimé.
Objet
contrat de bail à loyer, rendement brut, clé de répartition;
recours contre l'arrêt rendu le 20 avril 2023 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud (XA20.010041-220490, 163).
Faits :
A.
Le 9 novembre 2010, la Société coopérative A.________ (ci-après : la bailleresse, la défenderesse, la recourante) a acquis le bien-fonds n°... de la Commune de Prilly et y a érigé un immeuble d'habitation pour une valeur de 4'750'316 fr.
Par contrat du 16 octobre 2013, B.________ (ci-après : le locataire, le demandeur, l'intimé) a pris à bail dans cet immeuble dès le 1er novembre 2013, un appartement au 4ème étage, d'une surface de 55 m2, pour un loyer mensuel net de 1'200 fr. et un acompte de frais accessoires de 130 fr. Il a constitué une garantie de loyer d'un montant de 3'000 fr. Aucune formule officielle de fixation du loyer initial n'a été notifiée au locataire.
Un litige est survenu entre les parties dans le courant de 2019, au sujet d'un dommage subi par le locataire, ses affaires de sport d'hiver rangées dans sa cave ayant moisi.
B.
Par requête de conciliation du 3 décembre 2019, le locataire a réclamé des dommages-intérêts d'un montant de 1'040 fr. pour la réparation des dégâts occasionnés à son matériel de sport.
Par requête complémentaire du 4 février 2020, le locataire a demandé à la commission de conciliation qu'elle procède à la fixation du loyer initial, dans la mesure où la bailleresse ne le lui avait pas notifié au moyen de la formule officielle.
À la suite de l'échec de la conciliation, la commission de conciliation a délivré une autorisation de procéder unique pour les deux objets en litige, sur la base de laquelle le locataire a introduit une demande du 5 mars 2020 dirigée contre la bailleresse. Il a conclu à la nullité du loyer initial et à la fixation de celui-ci à 600 fr. par mois dès le 1er novembre 2013, à la condamnation de la bailleresse à lui rembourser le trop-perçu d'un total de 39'000 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès la date moyenne du 1er juin 2016, ainsi qu'à la réduction de la garantie de loyer à 1'800 fr. et à la libération du solde en sa faveur. Il a également conclu à ce que la défenderesse soit condamnée à lui payer le montant de 1'040 fr. avec intérêts à 5 % l'an "correspondant au dommage subi du fait du dégât d'humidité survenu dans [s]a cave". Le locataire a augmenté sa conclusion en remboursement du trop-perçu au 30 juin 2020 et l'a fixée à 47'400 fr.
Par courrier du 5 mars 2021, la défenderesse a demandé au tribunal qu'il procède à un calcul du loyer. Elle a demandé à ce que celui-ci soit déterminé de trois façons: selon la méthode absolue, la méthode relative, puis selon le droit de la coopérative d'habitation d'utilité publique de fixer les loyers selon ses propres buts.
Par jugement du 3 juin 2021, le Tribunal des baux du canton de Vaud a fixé le loyer mensuel net du locataire à 970 fr. dès le 1er novembre 2013, condamné la défenderesse à restituer 230 fr. par mois de trop-perçu depuis le 1er novembre 2013, réduit la garantie de loyer en conséquence et rejeté toutes autres conclusions. Il a calculé le loyer selon le critère du rendement brut applicable aux immeubles récents.
Dans son appel, la bailleresse a fait valoir qu'il convenait d'appliquer la méthode absolue, que le loyer devait être adapté en fonction de l'emplacement de l'appartement et s'est référée à des statistiques pour fixer le loyer initial. Selon son estimation, le loyer mensuel devrait être fixé à 1'263 fr. Subsidiairement, elle a conclu à la correction de la surface nette habitable de l'immeuble dont a tenu compte le Tribunal, et a exposé que le loyer de l'appartement litigieux, ayant vue sur le lac, devrait être fixé à 1'200 fr. par mois. Le locataire a formé un appel joint.
La cour cantonale a statué par arrêt du 20 avril 2023. Elle a partiellement admis l'appel de la bailleresse. En substance, elle a confirmé la méthode de calcul du loyer initial du Tribunal des baux, mais modifié les paramètres du calcul. Elle a corrigé la surface totale de l'immeuble en tenant compte de la moitié des surfaces des balcons, ce que le Tribunal des baux avait omis. Elle a fixé le loyer à 998 fr. 75, condamné la bailleresse a restituer le trop-perçu de 201 fr. 25 par mois depuis le 1er novembre 2013, adapté le montant de la garantie de loyer en conséquence et confirmé le jugement pour le surplus.
C.
Contre cet arrêt qui lui a été notifié le 24 avril 2023, la bailleresse a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral le 24 mai 2023. Elle conclut à sa réforme en ce sens que son appel soit admis et que le loyer mensuel soit fixé à 1'200 fr. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation de l'arrêt et à son renvoi à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
L'intimé conclut au rejet du recours.
La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.
L'effet suspensif a été accordé au recours.
Considérant en droit :
1.
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) par la partie défenderesse qui a succombé partiellement dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF), le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu sur appel par le tribunal cantonal supérieur du canton de Vaud (art. 75 LTF) dans une affaire civile de droit du bail (art. 72 al. 1 LTF) dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 15'000 fr. requis en la matière (art. 74 al. 1 let. a LTF). Le recours en matière civile est recevable au regard de ces dispositions.
2.
2.1. Le recours en matière civile peut être exercé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241 consid. 2.1; 136 II 304 consid. 2.4). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l' art. 42 al. 1 et 2 LTF , sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine que les griefs invoqués, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes. Il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 140 III 86 consid. 2, 115 consid. 2; 137 III 580 consid. 1.3). Par exception à la règle selon laquelle il applique le droit d'office, il n'examine la violation d'un droit constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de façon détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 139 I 22 consid. 2.3; 137 III 580 consid. 1.3; 135 III 397 consid. 1.4 in fine).
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Relèvent de ces faits tant les constatations relatives aux circonstances touchant l'objet du litige que celles concernant le déroulement de la procédure conduite devant l'instance précédente et en première instance, c'est-à-dire les constatations ayant trait aux faits procéduraux (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références citées). Le Tribunal fédéral ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes, c'est-à-dire arbitraires (ATF 141 IV 249 consid. 1.3.1; 140 III 115 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.5) ou ont été établies en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
3.
La cour cantonale a fixé le loyer de l'appartement litigieux en se basant sur le critère du rendement brut, applicable en présence d'un immeuble récent et en tenant compte d'un taux d'intérêt de 4 % en sus du taux hypothécaire de référence de 2 % lors de la conclusion du contrat. Elle a calculé le loyer admissible au m2 en divisant le rendement brut de tout l'immeuble par la surface nette habitable totale, compte tenu de la moitié de la surface de tous les balcons, avant de multiplier ce montant par la surface de l'appartement litigieux, y compris la moitié de la surface de son balcon. Elle a fixé le loyer mensuel net à 998 fr. 75.
4.
La recourante invoque une violation des art. 269 et 269a let . c CO. Elle soutient que la cour cantonale a violé le droit en ne tenant aucun compte de son argument selon lequel, une fois le loyer admissible déterminé pour l'appartement litigieux, elle entendait pondérer celui-ci en fonction de l'étage de l'appartement afin de tenir compte du fait que les appartements des étages supérieurs bénéficient d'une vue dégagée sur le lac.
La recourante reproche en outre à la cour cantonale d'avoir écarté sa clé de répartition du rendement de l'immeuble étage par étage, en la confondant avec le critère des loyers usuels pratiqués dans le quartier ou la localité.
4.1.
4.1.1. En vertu de l'art. 270 al. 1 CO, le locataire peut contester le loyer initial qu'il estime abusif au sens des art. 269 et 269a CO .
Le contrôle de l'admissibilité du loyer initial ne peut s'effectuer qu'à l'aide de la méthode absolue, laquelle sert à vérifier concrètement que le loyer ne procure pas un rendement excessif au bailleur compte tenu des frais qu'il doit supporter ou des prix du marché (ATF 147 III 14 consid. 4.1; 139 III 13 consid. 3.1.2).
4.1.2. Selon la jurisprudence, le critère (absolu) applicable pour déterminer si le loyer initial convenu par les parties est abusif diffère selon que l'immeuble est ancien, qu'il est récent ou qu'il n'est ni l'un ni l'autre (arrêt 4A_285/2022 du 16 juin 2023 consid. 3.1).
Lorsque l'immeuble est récent, le critère absolu applicable est celui du rendement brut de l'art. 269a let. c CO. Le bailleur peut reporter entièrement ses coûts sur les loyers (coûts financiers, frais d'entretien et charges courantes). Le rendement brut est le rapport exprimé en pour-cent entre le loyer net (à l'exclusion des frais accessoires) de l'objet loué et son prix de revient, c'est-à-dire des frais d'investissement (prix d'achat du terrain et coût de la construction).
4.1.3. Une fois le rendement brut de l'immeuble déterminé, il s'agit de ventiler ce résultat appartement par appartement pour obtenir le loyer admissible de la chose louée en cause. Généralement, on ventile au pro rata de la surface, du volume des logements ou du nombre de pièces (ATF 147 III 14 consid. 7.1; 139 III 209 consid. 1.2; arrêt 4A_239/2018 du 19 février 2019 consid. 5.2.2).
Le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation dans le choix du système de répartition (ATF 139 III 209 consid. 1.2; 4A_470/2009 du 18 février 2010 consid. 7). Le droit fédéral ne peut être violé que si la clé de répartition adoptée par le propriétaire est à ce point insoutenable qu'elle contredit l'esprit de l'art. 269 CO (ATF 139 III 209 consid. 2.1; 125 III 421 consid. 2d; arrêt 4A_17/2017 du 7 septembre 2017 consid. 2.1.2). Si la clé de répartition ne ressort pas explicitement du calcul effectué par le bailleur, le système appliqué sera alors celui que le juge tiendra pour équitable (ATF 139 III 209 consid. 2.1).
4.2. En l'espèce, la cour cantonale a appliqué le critère du rendement brut, l'immeuble ayant moins de dix ans au moment de la conclusion du contrat de bail litigieux. Elle a appliqué au prix de revient de l'immeuble articulé par la bailleresse, un taux de rendement de 6 %, qui n'est plus litigieux à ce stade. Elle a ensuite ventilé le rendement de l'immeuble ainsi obtenu à l'appartement litigieux, au pro rata de la surface de celui-ci.
La recourante reproche à la cour cantonale de n'avoir pas tenu compte de sa "clé de répartition" laquelle visait à augmenter le loyer de l'appartement litigieux afin de tenir compte du fait qu'il disposait d'une vue dégagée sur le lac.
4.3. Lorsque la bailleresse soutient que la cour cantonale n'indique pas en quoi sa propre solution de ventilation du rendement de l'immeuble apparaît inappropriée, elle perd de vue que c'est justement en raison du fait qu'elle n'a présenté aucune explication quelconque à l'appui de son calcul que le Tribunal des baux, puis la cour cantonale ont dû calculer le rendement de l'immeuble et le ventiler à l'objet litigieux. En première instance, la bailleresse a conclu à ce que le Tribunal des baux fixe lui-même le loyer en fonction du critère du rendement brut. Il est ainsi évident qu'elle ne lui a pas proposé de clé de répartition. Puis, devant la cour cantonale, elle a conclu à ce que le loyer mensuel ne soit pas fixé à 970 fr., mais à 1'200 fr. pour tenir compte de la vue depuis l'appartement litigieux, et ce toujours sans présenter aucune clé de répartition. Ce n'est que devant le Tribunal fédéral qu'elle soutient qu'il conviendrait de fixer le loyer mensuel à 1'200 fr., soit, selon l'explication qu'elle fournit, le montant de 998 fr. 75 fixé par la cour cantonale, majoré de 20 % pour tenir compte de la vue dégagée qu'offre l'appartement. En justifiant le montant de 1'200 fr., prévu par le contrat de bail, par une clé de répartition utilisant les montants déterminés par la cour cantonale, la recourante démontre qu'elle n'avait pas présenté de clé de répartition plus tôt.
Conformément à la jurisprudence, faute de clé de répartition ressortant explicitement des écrits de la bailleresse devant elle, la cour cantonale a appliqué le système qui lui a paru équitable. En répartissant le rendement brut de l'immeuble au pro rata de la surface de l'appartement litigieux, sa clé de répartition ne prête pas le flanc à la critique.
4.4. Pour autant que recevable (cf. ATF 143 III 290 consid. 1.1), le grief de la recourante doit être rejeté.
5.
Au vu de ce qui précède, le recours est rejeté aux frais de la recourante. Celle-ci versera une indemnité de dépens à l'intimé (art. 66 al. 1 et 68 al. 1-2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 5'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 20 février 2024
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
Le Greffier : Botteron